Fiche du document numéro 11569

Num
11569
Date
Mercredi 22 avril 1998
Amj
Auteur
Taille
63275
Titre
Audition de M. Jean-Christophe Mitterrand, conseiller à la présidence de la République (1986-1992)
Source
MIP
Fonds d'archives
MIP
Extrait de
MIP, Auditions
Type
Audition
Langue
FR
Citation
Audition de M. Jean-Christophe MITTERRAND
Conseiller à la présidence de la République (1986-1992)
(séance du 22 avril 1998)
Présidence de M. Paul Quilès, Président
Le Président Paul Quilès a tout d’abord rappelé que
M. Jean-Christophe Mitterrand, ancien Conseiller à la Présidence de la
République de 1986 à 1992, avait rencontré à diverses reprises le Président
Habyarimana et d’autres personnalités rwandaises, en particulier au cours des
années 1990 et 1992, marquées à la fois par le déclenchement de la guerre
entre les autorités régulières et le FPR et par l’instauration du multipartisme.
Précisant qu’il avait occupé ses fonctions à la présidence de la
République jusqu’en septembre 1992 et qu’il ne pourrait parler que de la
période 1990-1992, M. Jean-Christophe Mitterrand a ensuite remercié la
mission pour l’occasion qui lui était offerte de démentir les allégations
mensongères, voire diffamantes, dont il a été l’objet et a déploré que ces
contrevérités n’aient fait que rendre plus difficile une saine compréhension
des événements du Rwanda. Il a souligné que les conseillers chargés des
affaires africaines à la présidence de la République avaient pour seul rôle
d’informer le Président de la République, d’effectuer les missions qu’il
jugeait utiles, de répondre à ses questions et de nourrir ses réflexions. Il a
démenti la rumeur selon laquelle il connaissait le fils du Président
Habyarimana et celle encore plus insensée qui le disait propriétaire d’hectares
de haschich.
Après avoir affirmé que la situation des populations tutsies réfugiées
en Ouganda avait constitué la “ mèche retard ” du déclenchement de ce
dramatique conflit, il a indiqué qu’à la suite des combats politiques et
interethniques survenus au Rwanda comme au Burundi, avant et après
l’indépendance de ces deux pays, des centaines de milliers de réfugiés tutsis
s’étaient retrouvés dans une situation très précaire et que les jeunes de la
seconde génération, qui s’étaient engagés dans les troupes de Yoweri
Museveni, avaient facilité sa prise du pouvoir à Kampala contre le Président
Obote. Les principaux compagnons d’armes du Président Museveni, comme
le Général Fred Rwigyema ou M. Paul Kagame occupaient des postes
importants dans l’armée ougandaise. Parallèlement, un petit groupe de
réfugiés, qui constituera le FPR, ne renonce pas à l’idée d’un retour au
Rwanda, même par la force s’il le faut. Lorsque le Président Museveni, pour
des raisons de politique intérieure, est obligé d’écarter de l’armée les Tutsis

d’origine rwandaise, ces derniers, ayant toujours vécu en Ouganda, ont
désormais le sentiment d’être des apatrides et vont rejoindre le parti FPR, né
dans les camps de réfugiés, en lui donnant une capacité militaire inattendue
qui permettra l’attaque d’octobre 1990.
Présentant la situation intérieure du Rwanda au même moment,
M. Jean-Christophe Mitterrand a alors fait part de deux paradoxes. D’une
part, les Tutsis du Rwanda paraissent mieux traités par le Général
Habyarimana que par les régimes hutus précédents, malgré une forte
discrimination dans l’armée, la politique ou l’administration, ce que confirme
M. Gérard Prunier qui, dans son ouvrage Rwanda, histoire d’un génocide,
souligne que le Président Habyarimana préfère des Tutsis prospères à des
hommes d’affaires hutus corrompus. D’autre part, l’opposition démocrate
intérieure hutue qui s’oppose au régime du Général Habyarimana ne s’est pas
alliée au FPR, démontrant à nouveau la complexité de la situation politique
au Rwanda. Le FPR est d’ailleurs décrit par le MDR comme “ une branche
armée de réfugiés rwandais féodaux revanchards ”.
Abordant la chronologie de l’action de la France en 1990,
M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué que le Président Habyarimana
s’était rendu à Paris en avril et qu’après le discours de La Baule, il avait été
le seul Président africain à réagir positivement, en proclamant, le 5 juillet
1990, la nécessité de réformes constitutionnelles, fondées sur l’instauration
du multipartisme. Le 1er octobre 1990, les troupes du FPR avaient attaqué le
Rwanda en franchissant la frontière à partir du sud de l’Ouganda. A leur tête
se trouvait le Général Fred Rwigyema, ancien Chef d’état-major et Ministre
de la Défense du Président ougandais. Le 4 octobre 1990, l’arrivée, dans le
cadre de l’opération Noroît, du premier détachement de 150 soldats français
chargés d’assurer la sécurité de nos ressortissants, avait permis d’en évacuer
un certain nombre, la majorité d’entre eux ayant cependant refusé de partir.
L’offensive du FPR avait été arrêtée en octobre par les FAR soutenues par
environ 1 500 soldats zaïrois, dont le comportement répréhensible avait
d’ailleurs provoqué le mécontentement des populations et leur départ rapide
du Rwanda. De nombreuses arrestations avaient concerné à cette époque
près de 5 000 personnes et s’étaient réalisées dans la plus grande confusion.
M. Jean-Christophe Mitterrand a alors fait état d’une note qu’il
avait rédigée à l’attention du Président de la République, le 16 octobre 1990,
pour présenter les demandes militaires que formulait le Président rwandais,
attendu le 18 octobre à Paris. Après avoir lu un passage de cette note ainsi
rédigé : “ des livraisons minimum permettraient à l’armée rwandaise de
garder un statu quo sur le terrain avec un risque d’effondrement si la
guerre dure trop longtemps. Un flux logistique sérieux permettrait au

Président Habyarimana de marquer des points militaires décisifs afin qu’il
puisse négocier en position confortable ”, il a rappelé qu’à ce moment là, le
FPR contrôlait une partie du nord-est du Rwanda et que, pour la
communauté internationale, il s’agissait d’une invasion étrangère, car
soutenue par l’armée ougandaise. Puis, il a repris sa lecture en lisant l’extrait
suivant : “ cette aide autoriserait la France à demander avec plus de force
le respect des droits de l’homme et une ouverture démocratique rapide une
fois le calme revenu. ”
Il a indiqué que cette note traitait de la situation sur le terrain, de
l’échec de la tentative de médiation du Premier Ministre belge, ainsi que
d’informations, confirmées par la DGSE, relatives à la présence d’agents
libyens aux côtés du FPR.
M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que, le 18 octobre 1990,
dans la note d’entretien avec le Président Habyarimana, rédigée à partir des
contributions du ministère des Affaires étrangères, de la Coopération et de la
Défense, l’Ambassadeur Claude Arnaud, qui en est le signataire, estime qu’il
est bon de rappeler que la mission exclusive de Noroît a été d’assurer la
sécurité et la protection de nos ressortissants mais qu’il n’est pas douteux
que la seule présence de ce contingent ait fortement consolidé, à ce moment
critique, la position du Président Habyarimana. M. Jean-Christophe
Mitterrand a précisé qu’une deuxième compagnie de 150 hommes avait été
envoyée à Kigali par la suite. S’agissant de munitions, la France avait
répondu favorablement et immédiatement, en livrant notamment des
roquettes pour les hélicoptères Gazelle le 18 octobre, les demandes de
matériels considérées comme moins urgentes ayant été examinées en fonction
de la situation militaire et des disponibilités. Il est à noter que le Rwanda
disposait de cinq hélicoptères Gazelle armés dont la maintenance était
effectuée par nos coopérants militaires. Toujours d’après la même note
d’entretien, M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué que “ d’après des
informations de source ougandaise, le Président Habyarimana avait
accepté hier (17 octobre 1990), lors d’une rencontre en Tanzanie, avec ses
collègues tanzaniens et ougandais la proclamation d’un cessez-le-feu, une
rencontre avec les représentants du Front patriotique rwandais et le
principe du droit au retour des réfugiés. Si ces informations étaient exactes,
un grand pas serait fait dans la voie d’une solution du problème ”. En
post-scriptum, il était suggéré le retrait d’une de nos deux compagnies, après
l’acceptation du cessez-le-feu par les deux parties le 19 octobre.
M. Jean-Christophe Mitterrand a déclaré qu’il avait établi à l’attention du
Président de la République une note indiquant que la situation au Rwanda
était influencée par la position dans ce conflit des pays voisins et qu’une
concertation régionale entre les différents pays de la zone constituait le seul

moyen de stabiliser la situation. Il ajoutait dans sa note : “ notre présence
militaire au Rwanda risque donc de perdurer aussi longtemps qu’une
solution politique n’aura pu être trouvée. ” M. Jean-Christophe Mitterrand a
alors précisé que le Président de la République avait, en marge, commenté
négativement cette solution mais qu’il avait en revanche approuvé le principe
d’une mission, qui sera effectuée par le Ministre de la Coopération,
M. Jacques Pelletier, du 6 au 8 novembre 1990 au Rwanda, en Ouganda, au
Kenya, en Tanzanie, au Burundi et au Zaïre, afin de marquer notre appui à
l’ouverture d’un dialogue régional, permettant de dégager une solution au
conflit acceptable par tous et qui était déjà réclamé par les Présidents
Museveni et Habyarimana. Les rencontres avaient eu lieu avec tous les Chefs
d’Etat et les Ministres des Affaires étrangères et des contacts avaient même
été pris avec des membres du FPR à Kampala. L’accent avait été mis sur
l’arrêt du conflit armé, le règlement de la question des réfugiés et
l’engagement de certains pays à ne pas favoriser la guerre. Il a souligné que
tous les participants avaient donné leur accord pour une conférence sous
l’égide de l’OUA et du HCR, avec soutien technique et financier de l’Union
européenne, de la France et de la Belgique. Au Rwanda en outre,
l’engagement portait sur la fin des arrestations, la libération des personnes
arbitrairement arrêtées et la mise en place de la modernisation institutionnelle
annoncée en juillet 1990 : multipartisme, respect des droits de l’homme,
organisation d’élections. La France avait également insisté sur la nécessité de
rayer la mention ethnique sur les cartes d’identité et sur le problème des
réfugiés. Suite aux pressions diplomatiques, 3 500 prisonniers avaient été
libérés le 15 novembre 1990, soit environ deux tiers des personnes arrêtées
lors des attaques du mois d’octobre. M. Jean-Christophe Mitterrand a fait
alors état de l’analyse de l’Ambassadeur de France, M. Georges Martres, qui
estimait, en novembre 1990, que le Président Habyarimana n’était plus guère
menacé par le FPR, dont l’action s’essoufflait, mais par l’opposition d’une
partie de son propre entourage hutu violemment hostile à la démocratisation
du système politique réclamée par la France et les occidentaux.
L’Ambassadeur considérait alors que, dans l’intérêt du pays, il était
souhaitable que le Président Habyarimana arrive à trouver un juste équilibre
entre ces forces contraires.
M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que le 28 décembre 1990
avait vu la publication au Rwanda de l’avant-projet de charte politique
nationale recommandant le multipartisme et la création d’un poste de Premier
Ministre et que la France semblait alors récolter le fruit de ses efforts, six
mois après le discours de La Baule.
Décrivant la situation diplomatique en décembre 1990-janvier 1991
dans la région, il a indiqué que plusieurs motifs étaient venus freiner, dès

décembre 1990, l’amorce des négociations : la rivalité zaïro-tanzanienne pour
avoir le rôle de chef de file des négociations dans la région, les demandes
préalables exorbitantes du FPR exigeant sa reconnaissance officielle comme
mouvement armé, son intégration dans les forces armées rwandaises, la
proclamation d’une amnistie et le partage immédiat du pouvoir,
l’impossibilité par conséquent pour le Président Habyarimana d’engager un
dialogue direct entre les parties, le penchant malheureux du Gouvernement
de Kigali de se reposer sur ses voisins pour régler la question des réfugiés, le
peu d’empressement du Président Museveni à rencontrer ses voisins en
raison de l’engagement des Ougandais auprès du FPR et enfin la crainte du
Président de la Tanzanie, hôte de la conférence, de ne pouvoir faire aboutir
les négociations.
M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé qu’il avait reçu, le 6 janvier
1991 à Paris, à leur demande et très confidentiellement, une délégation du
FPR, conduite par Pasteur Bizimungu, actuel Président du Rwanda, qui
sollicitait de la France une action diplomatique pour tenter d’infléchir
l’attitude jugée trop dure du Gouvernement rwandais à l’égard de son
mouvement dans le cadre des négociations qui viennent d’être évoquées.
Au nord-ouest, le raid du FPR sur Ruhengeri le 23 janvier 1991 et
l’occupation pendant vingt-quatre heures de cette capitale des dirigeants
hutus au pouvoir et du Président avait créé un choc psychologique et marqué
un infléchissement important dans la tactique du FPR puisqu’à des attaques
frontales se substituaient des actions de guérilla bien préparées militairement
et caractérisées notamment par leurs aspects psychologiques. Cette nouvelle
stratégie avait eu pour effet de favoriser l’émergence des tendances
extrémistes hutues exploitant les rumeurs de coup d’Etat et trouvant dans ce
climat de guerre un terrain propice à la propagation de leurs thèses et aux
dénonciations sans preuve. Ces extrémistes effectuaient un travail de sape du
régime en place en s’attaquant ouvertement, par l’intermédiaire de leur
journal Kangura, aux proches du Président avant de s’en prendre au
Président lui-même. Lors de l’attaque de Ruhengeri, une partie du dispositif
Noroît avait été mobilisée pour protéger et rapatrier les nationaux français
présents dans cette région ; cette opération s’était déroulée de façon
exemplaire, sans difficultés particulières et sans qu’aucun coup de feu n’ait
été échangé.
Le 30 janvier 1991, le Président de la République s’était adressé par
écrit au Président Habyarimana pour lui faire part de ses préoccupations
quant à l’avenir de la paix dans la région des Grands Lacs, menacée par la
poursuite d’actions militaires, et pour l’assurer du soutien de la France pour
trouver une solution pacifique. Dans ce courrier, le Président de la

République rappelait également les objectifs de la mission effectuée par
M. Jacques Pelletier, exprimant la nécessité de trouver une solution durable,
dans le cadre d’une négociation menée dans un esprit d’ouverture et de
dialogue. Trois conditions lui paraissaient indispensables : la non-ingérence
directe ou indirecte, y compris militaire, des pays voisins dans la politique
intérieure rwandaise, l’ouverture d’un dialogue national pour favoriser tant la
réconciliation nationale que l’avènement d’un Etat de droit respectueux des
droits de l’homme, et le règlement de la question des réfugiés avec, sous les
auspices de l’OUA, du HCR et des Etats concernés, la tenue d’une
conférence régionale sur le sujet. Il informait enfin le Président Habyarimana
de sa décision de maintenir, pour une durée limitée au développement de la
situation, la compagnie militaire française envoyée en octobre 1990 et
chargée d’assurer la sécurité et la protection des ressortissants français. En
février 1991, la déclaration officielle adoptée au sommet de Dar Es-Salam
prévoyait une solution durable du problème des réfugiés rwandais.
Dans le courant du mois de mars 1991, la coopération française
mettait en place un détachement d’assistance militaire et d’instruction, le
DAMI, dans le cadre de l’accord de coopération de 1975.
Le Président de la République devait rencontrer à nouveau le
Président Habyarimana le 3 avril 1991. Dans la note d’entretien élaborée à
cet effet par M. Gilles Vidal, chargé de mission à la présidence de la
République, il était précisé que cette visite intervenait à un moment crucial
pour l’évolution intérieure du Rwanda et que désormais, soit la logique de
paix prévalait et, parallèlement le processus de démocratisation annoncé le
4 août 1990 par le Président rwandais s’engageait, soit la région risquait de
s’installer dans une logique de guerre civile. Cette note précisait par ailleurs
que de nombreux motifs d’inquiétude subsistaient : les réticences du
Gouvernement rwandais à accepter la logique du cessez-le-feu, les autorités
de Kigali redoutant que l’on fasse du FPR un interlocuteur privilégié,
l’attentisme du FPR qui, campant sur ses positions maximalistes -création
d’un gouvernement d’union nationale et intégration de ses troupes dans
l’armée rwandaise- rendait inacceptables ses demandes par les autorités de
Kigali, les retards dans la mise en place du groupe d’observateurs de l’OUA,
le manque de marge de manoeuvre du Président Habyarimana qui devait
composer avec les milieux extrémistes hutus très représentés dans l’armée et
dans son entourage. M. Gilles Vidal indiquait également que le Président
rwandais ne manquerait vraisemblablement pas de solliciter de nouvelles
aides militaires. Il conviendrait alors de rappeler la présence active de nos
coopérants militaires et la fourniture régulière de munitions tout en précisant
que notre soutien ne saurait, en tout état de cause, aller contre les
engagements réciproques pris par les deux parties lors de la signature, sous

l’égide du Président Mobutu, de l’accord de cessez-le-feu du 29 mars 1991.
Il était aussi indiqué que le Président Habyarimana devait être encouragé à la
modération et informé, compte tenu de l’avantage certain des troupes
rwandaises sur le terrain, d’un retrait prochain du détachement Noroît,
suggéré par le Ministre de la Défense, M. Pierre Joxe, et l’état-major
particulier du Président, la mission de ce détachement devenant caduque avec
l’entrée en vigueur du cessez-le-feu. Le Président Habyarimana devait être
incité à améliorer les rapports du Rwanda avec ses voisins en abordant
notamment la question du nécessaire retour au pays des réfugiés qui le
souhaiteraient, ce qui rendrait plus efficaces les efforts déjà déployés par la
France.
Par ailleurs, le Rwanda, confronté à une grave crise économique,
avait signé, en 1991, des accords d’ajustements structurels avec le FMI, la
Banque Mondiale et les pays donateurs. Il était prévu qu’il recevrait dans ce
cadre les aides suivantes au cours de l’année de la signature des accords :
Allemagne (120 millions de francs), Belgique (64 millions de francs), Caisse
française de coopération (70 millions de francs), Etats-Unis (120 millions de
francs), FMI (200 millions de francs en plusieurs versements), soit, pour
l’année 1991, plus de 570 millions de francs d’aides civiles malgré la guerre.
Sur le plan politique, l’adoption d’une nouvelle constitution
rwandaise, le 10 juin 1991, avait instauré le multipartisme et permis la
création d’un poste de Premier Ministre.
Les 18 et 19 juillet 1991, M. Paul Dijoud, Directeur des Affaires
africaines et malgaches, se rendait à Kigali pour une réunion des
ambassadeurs de France des pays concernés et y rencontrait le Président
Habyarimana. Dans une note qu’il avait établie à cette occasion, il reprenait
les thèmes déjà mentionnés à plusieurs reprises : les modalités d’une action
en faveur des réfugiés, la nécessité d’encourager la libéralisation politique au
Rwanda, le soutien de la France à la réconciliation nationale, la relance de
l’action diplomatique de la France dans cette région.
M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que, le 14 août 1991, des
rencontres avaient été organisées à Paris entre les Ministres des Affaires
étrangères rwandais et ougandais et que, le 21 septembre 1991, avait eu lieu
une réunion entre M. Paul Dijoud et M. Paul Kagame à laquelle il avait
participé. Le compte rendu adressé aux ambassadeurs français des pays
concernés précisait qu’il convenait d’associer le FPR à la recherche d’une
solution négociée, de lui faire partager la vision réconciliatrice de la France et
de dissiper tout malentendu concernant la mission des soldats français
stationnés au Rwanda. Il était également indiqué que le Major Kagame
n’avait pas caché sa satisfaction d’être reçu par les autorités françaises, dans

la mesure où il estimait jusqu’alors que la politique française au Rwanda se
caractérisait pas un certain déséquilibre et qu’il se félicitait de l’occasion qui
lui était donnée d’apporter un éclairage différent sur la crise rwandaise, tout
en déplorant certains aspects de notre coopération avec Kigali qui pourraient
laisser penser au Président Habyarimana qu’une solution militaire était
possible. Il s’était enfin déclaré ouvert à toute initiative de notre part pour
mettre en oeuvre un processus de règlement négocié. En conclusion, il était
demandé aux ambassadeurs à Kigali et Kampala de prendre contact avec les
Ministres des Affaires étrangères rwandais et les responsables du FPR en vue
d’organiser à Paris des rencontres confidentielles, dont la tenue paraissait
souhaitable.
Ces rencontres avaient eu lieu les 23 et 25 octobre 1991 et 14 et
15 janvier 1992. M. Jean-Christophe Mitterrand, qui n’était pas présent, a
indiqué, sous réserve de confirmation, que l’une d’entre elles avait dû être
présidée par M. Herman Cohen, sous-secrétaire d’Etat américain, chargé des
affaires africaines.
Le 31 décembre 1991 était formé un “ gouvernement de coalition ”
qui ne comprenait, du fait du refus de participation des trois principaux partis
d’opposition, qu’un seul Ministre n’appartenant pas au MRND du Président
Habyarimana.
La création de la Coalition pour la défense de la République (CDR)
en mars 1992, au moment des massacres de Tutsis dans le Bugesera,
traduisait la radicalisation affichée du sentiment anti-Tutsi.
Enfin, la signature, le 13 mars 1992, du “ protocole d’entente entre
les partis politiques ” appelés à participer au gouvernement de transition
avait permis la nomination de M. Dismas Nsengiyaremye, membre du MDR,
principal mouvement d’opposition, comme Premier Ministre.
M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé qu’à partir du mois de
mars 1992, il s’apprêtait à quitter ses fonctions à la présidence de la
République et qu’il n’était donc pas en mesure de donner des informations
utiles sur la suite des événements. Il a toutefois fait observer que, si l’on
voulait mesurer objectivement l’action de la France, force était de constater
que le Président de la République n’avait pas ménagé ses efforts pour faire
évoluer le régime du Président Habyarimana vers le multipartisme et la
démocratie, faire respecter les droits de l’homme et oeuvrer pour la paix. Il a
estimé que peu d’autres pays pouvaient faire état d’un tel bilan.
Le Président Paul Quilès a remercié M. Jean-Christophe
Mitterrand pour son exposé très minutieux et lui a demandé son opinion sur

l’offensive menée par le FPR en octobre 1990 à partir de l’Ouganda. La
menace du FPR, selon lui, avait-elle été surestimée ? Y avait-t-il eu une
politique d’intoxication sur l’importance de cette attaque afin d’obtenir plus
facilement l’aide de la France ?
M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu qu’il n’en savait rien
mais que la rapidité et la profondeur de la percée des troupes du FPR
tendaient à montrer que celles-ci étaient suffisamment nombreuses, même s’il
fallait prendre en compte la faiblesse traditionnelle de l’armée rwandaise. Il a
demandé au Président Paul Quilès qui était visé par l’accusation
d’intoxication, Kigali ou Paris.
Le Président Paul Quilès a précisé que ces accusations
d’intoxication avaient été portées à la fois contre le Gouvernement de Kigali
et certains milieux tutsis, qui pouvaient trouver un intérêt à surestimer les
moyens d’intervention du FPR.
M. Jean-Christophe Mitterrand a souligné que le FPR bénéficiait
du soutien logistique de l’armée ougandaise, dont étaient issus ses chefs. Il a
déclaré ne rien savoir de l’implication éventuelle du Président Museveni dans
la préparation de l’attaque du FPR, ajoutant que l’attitude de celui-ci avait
varié selon les périodes.
M. Jean-Christophe Mitterrand a fait remarquer que, intoxication ou
pas, seul avait été envoyé un détachement de 150 hommes qui n’était pas au
demeurant une unité destinée à combattre le FPR mais à protéger les
Français.
Le Président Paul Quilès a rappelé que le Président Habyarimana
avait pourtant demandé que la France s’engage plus avant dans les combats.
M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la France avait
toujours refusé de donner suite à cette demande et a répété qu’elle n’avait
cédé à aucune intoxication.
M. Jean-Bernard Raimond a souhaité savoir si, dans le cadre des
missions qui lui étaient confiées par le Président de la République,
M. Jean-Christophe Mitterrand recevait des instructions élaborées en liaison
avec les ministères des Affaires étrangères et de la Coopération, et si un
compte rendu de ces missions était adressé à l’ensemble des acteurs de la
politique extérieure française.

M. Jean-Bernard Raimond a également exprimé sa surprise que le
nom du Ministre des Affaires étrangères n’ait jamais été cité par
M. Jean-Christophe Mitterrand.
M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu qu’il n’avait
pratiquement aucune relation directe avec le Ministre des Affaires étrangères
et que son interlocuteur habituel au Quai d’Orsay, son alter ego, était
M. Paul Dijoud, Directeur des Affaires africaines et malgaches. Il a précisé
qu’il avait de nombreux contacts, en revanche, avec le ministère de la
Coopération.
En ce qui concerne les missions qui lui ont été confiées de 1982 à
1992, M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que toutes, sauf une, qui ne
concernait d’ailleurs pas le Rwanda, avaient été préparées avec la
collaboration des ministères des Affaires étrangères et de la Coopération. Il a
expliqué que ces missions, qui consistaient le plus souvent à remettre un
message du Président de la République ou à expliquer une situation, n’étaient
en rien secrètes : il logeait à la résidence de l’ambassadeur et ce dernier, sauf
exceptions, assistait aux entretiens.
Le Président Paul Quilès a indiqué que la mission d’information
auditionnerait les Ministres des Affaires étrangères et de la Coopération de
cette période.
M. Bernard Cazeneuve a demandé qui donnait l’impulsion, de
l’Elysée, du Quai d’Orsay ou de la Rue Monsieur, en matière de politique
africaine, et, plus précisément, en ce qui concerne les relations diplomatiques,
la politique de développement et la coopération militaire et qui, du Président
de la République, du Ministre des Affaires étrangères ou du Ministre de la
Coopération, prenait la décision de débloquer des fonds, en cas de crise,
pour rendre plus supportable une politique d’ajustement structurel.
Il a souhaité connaître le sentiment de M. Jean-Christophe
Mitterrand sur le jugement exprimé par M. Edouard Balladur, selon lequel il
y aurait eu un infléchissement de la politique suivie par la France au Rwanda
en mars 1993, matérialisé par le retrait du dispositif militaire français. La note
de M. Georges Vidal au Président de la République en date d’avril 1991
semblerait montrer au contraire que ce retrait avait été prévu dès cette
époque, ce qui plaide plus pour une logique de continuité que de rupture.
M. Bernard Cazeneuve a également souhaité savoir si
M. Jean-Christophe Mitterrand estimait que l’ensemble des aides apportées
au Rwanda avait satisfait en tous points aux principes posés par le Président
de la République lors de son discours de La Baule en 1990.

M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que le retrait des
troupes françaises avait été la conséquence des accords d’Arusha et
qu’auparavant la politique constante du Gouvernement français avait été de
retirer une partie des troupes dès lors qu’il y avait accord de cessez-le-feu ou
début de négociations. Les troupes françaises n’étaient pas au Rwanda pour
y rester. L’objectif était de faire pression sur le Président Habyarimana pour
qu’il s’engage dans la voie des négociations et ne cède en rien aux
extrémistes, malgré les menaces dont il pouvait être l’objet.
M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé la politique de la France,
constamment réaffirmée pendant la période considérée, qui voulait que les
troupes françaises ne soient pas présentes de façon durable et a fortiori
encore moins présentes pour participer directement aux combats.
La détermination de notre politique africaine ne dépendait pas de
l’équipe de l’Elysée qui, d’ailleurs, n’a pas d’existence juridique mais qui est
chargée de représenter le Président de la République et, dans certains cas, de
faire passer des messages. S’agissant de l’augmentation de l’aide au
développement accordée par la France au Rwanda, cette décision se
conformait au souci de respecter, comme le Président s’y était engagé au
cours de sa campagne, l’objectif fixé par l’ONU d’une aide représentant,
hors DOM-TOM, 0,7 % de notre PNB. En 1988, la France consacrait 0,6 %
de son PNB à l’aide au développement, ce résultat s’étant un peu dégradé
par la suite. De façon générale, l’impulsion politique venait du
fonctionnement normal de nos institutions : Conseil des Ministres, réunions
de travail entre représentants des ministères et de la présidence de la
République...
L’équipe de l’Elysée ne participait pas aux rencontres régulières
entre le Président, le Premier Ministre et les Ministres des Affaires étrangères
et de la Coopération mais était informée de leurs conclusions. Quant au
budget de la Coopération, celui-ci constitue un instrument d’intervention
classique. Il est soumis, comme tout budget ministériel, aux règles
démocratiques d’adoption et de contrôle par le Parlement et l’Elysée
n’intervient en rien dans cette procédure.
M. René Galy-Dejean a souhaité des précisions sur la présence
mentionnée par M. Jean-Christophe Mitterrand d’un sous-secrétaire d’Etat
américain aux rencontres d’octobre 1991 et de janvier 1992 entre
responsables du gouvernement rwandais et du FPR. L’importance politique
d’une telle participation ne pouvant, par définition, échapper aux
observateurs, comment celle-ci a-t-elle été interprétée par la Présidence de la
République, y a-t-il eu d’autres interventions américaines, et quelle en a été la
nature ?

M. François Loncle, rappellant l’information selon laquelle les
Etats-Unis auraient assuré la formation des soldats du FPR, a demandé à
M. Jean-Christophe Mitterrand s’il disposait d’éléments en ce sens et si,
s’agissant de l’attentat contre le Président Habyarimana, il avait pu se forger
une conviction, ou s’il disposait d’un ou de plusieurs éléments de preuve.
Concernant l’attentat, M. Jean-Christophe Mitterrand a déclaré
qu’il n’avait connaissance que des informations fournies par la presse qui ne
faisaient que formuler des hypothèses et a précisé qu’à cette époque il
travaillait dans une société intervenant en Asie, ce qui l’avait éloigné du
théâtre des événements africains. A propos des réunions qui avaient eu lieu
entre les représentants du FPR et du gouvernement rwandais, il n’a pas pu
affirmer avec certitude la participation américaine mais souligné qu’elle
pourrait être confirmée par ceux qui étaient présents. Quant à dire que les
Etats-Unis sont intervenus activement dans le conflit entre 1990 et 1992, en
Ouganda ou auprès du FPR, cela lui est apparu très peu probable et il a
déclaré n’en avoir jamais entendu parler. En revanche, il est très
vraisemblable que les Etats-Unis ont eu une action ou une influence
indirectes, sous la forme d’une coopération économique. A cet égard, il a
rappellé que les Etats-Unis avaient apporté leur aide au Rwanda et que
l’Ouganda, qui se relevait d’une guerre civile, en avait eu aussi grandement
besoin, comme l’attestait la dégradation, par exemple, de ses chemins de fer.
M. Jacques Myard s’est félicité de la continuité de la politique
africaine de la France, indépendamment des changements de majorité
politique, et s’est demandé pourquoi François Mitterrand avait manifesté
autant d’intérêt à l’égard du Rwanda qui pourtant ne faisait pas partie de ce
que l’on a coutume d’appeler “ les pays habituels du champ ”. Il s’est donc
interrogé sur la vision géopolitique du Président dans cette région et les
raisons qui l’avaient conduit, à juste titre, à y mener une politique de
coopération active. Il a demandé à M. Jean-Christophe Mitterrand comment
il jugeait l’ampleur des critiques formulées à l’égard de la France et l’enjeu
stratégique des manipulations dont ce dossier faisait l’objet.
M. Jean-Christophe Mitterrand a fait état de multiples
manipulations médiatiques et d’amalgames dont il continuait d’être victime.
Ainsi, alors qu’il ne connaît pas les fils du Président Habyarimana,
continue-t-il d’être présenté comme l’ami d’un d’entre eux. A ces procédés
se sont ajoutées les manipulations qui ont eu lieu sur le terrain -il a fait
allusion à la distribution d’un tract dont le verso représentait la photo du
Président François Mitterrand “ meilleur ami du pays ”-, la manipulation
ougandaise et vraisemblablement celle de certains de nos alliés. Les objectifs
de ces manipulations sont divers et l’on ne peut que les rapprocher de

l’instabilité que connaît l’ensemble de la région depuis la survenance du
génocide rwandais, qu’il s’agisse de la chute du régime zaïrois, de la guerre
civile au Burundi, des affrontements au Soudan ou des rebellions dans le
nord de l’Ouganda et plus à l’ouest encore de l’Angola convoité comme
“ éponge à pétrole ”. Au Rwanda lui-même, la situation n’est pas stabilisée.
Le Président de la République, quant à lui, n’a jamais exprimé la
volonté de traiter le Rwanda de façon différente ou privilégiée et n’a jamais
fait de commentaires plus particulièrement élogieux à propos du Président
Habyarimana.
M. Pierre Brana s’est demandé, d’une part s’il n’était pas
inquiétant, l’armée rwandaise étant exclusivement composée de Hutus, que
les militaires français aillent y assurer la formation des jeunes recrues et des
officiers, d’autre part si l’Elysée, via notre ambassade à Kigali, avait disposé
d’éléments l’informant du risque de génocide.
Il a souhaité confirmation de la présence, en 1992, lors des
premières négociations d’Arusha, d’un représentant personnel de
M. Jean-Christophe Mitterrand dans la délégation du Président Habyarimana.
Il s’est également interrogé sur l’information selon laquelle le Crédit
Lyonnais aurait garanti le contrat de livraison d’armes passé par l’Egypte
avec le Rwanda, le 30 mars 1992. Enfin, il a demandé si la cellule de l’Elysée
savait que des officiers français assistaient à des interrogatoires de soldats du
FPR faits prisonniers.
M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé qu’en application des
quotas et des traditions, il n’y avait pas de Tutsis dans l’armée rwandaise
mais que cette situation monolithique ne représentait pas de risque particulier
dans un contexte où le danger ethnique n’existait pas. Il a souligné que tout
pays africain qui n’a pas procédé à la démocratisation de son régime
politique connaît peu ou prou un régime ethnique. Au Rwanda, les
extrémistes hutus se sont trouvés doublement extrémistes à l’égard de la
démocratisation et à l’égard des Tutsis. Quoi qu’il en soit, il a fait observer
qu’en application des accords d’Arusha, le gouvernement de transition,
constitué par des représentants du FPR, de l’opposition intérieure et de
l’ancien parti unique du MRND, aurait été inévitablement un gouvernement à
majorité ethnique hutue mais représentant cette fois une majorité
démocratique.
En 1990, il s’agissait d’une guerre de retour des exilés et les
négociations tendant à la démocratisation du régime avaient également pour
but de permettre l’intégration des réfugiés tutsis. Le FPR avait peu de

chances de prendre le pouvoir de manière démocratique car il ne représentait
pas une force politique très importante dans le pays. D’ailleurs le FPR
évoquait à cette époque la prise du pouvoir par les armes. Ce sont les
accords d’Arusha qui ont mis en place une solution pacifique.
Mentionnant un article du Figaro, selon lequel M. Jeanny Lorgeoux
aurait représenté la présidence de la République française dans la délégation
du Président Habyarimana lors de la négociation des accords d’Arusha,
M. Jean-Christophe Mitterrand a indiqué qu’il l’avait contacté, rappelant
qu’il était ancien député membre de la Commission des Affaires étrangères. Il
a précisé que M. Jeanny Lorgeoux lui avait répondu n’être allé au Rwanda
qu’une seule fois en 1984 au cours du voyage officiel du Président de la
République dans ce pays et s’être rendu en Tanzanie avec une délégation
parlementaire à l’époque de la négociation des accords d’Arusha. Il a
souligné qu’il s’agissait encore d’un amalgame fournissant la matière
d’articles qui ne sont pas faits pour informer mais pour polémiquer.
M. Pierre Brana a indiqué qu’il avait participé en juillet 1992 à une
délégation parlementaire qui s’était rendue en Tanzanie et dont M. Jeanny
Lorgeoux était le Président.
M. Jean-Christophe Mitterrand a ensuite affirmé que les
informations relatives aux contrats d’armement, par exemple ceux entre le
Rwanda et l’Egypte, ne remontaient pas au niveau de son bureau et qu’il
n’avait eu aucun contact, en dix ans de présence à l’Elysée, avec la CIEEMG
dont il ne recevait aucune note, ni information. Enfin, il a espéré qu’aucun
officier français n’avait participé à des interrogatoires de prisonniers tutsis
par les forces armées rwandaises.
Le Président Paul Quilès a indiqué que la question serait posée
aux militaires car elle les concernait.
Après avoir relevé que la position de la France lui paraissait
empreinte d’ambiguïtés, et qu’il pouvait y avoir contradiction entre la
recherche de la démocratisation et d’une solution négociée et le soutien de la
France au régime officiel d’Habyarimana, M. François Lamy s’est interrogé
sur l’intérêt politique, stratégique ou économique de la présence française
dans un pays qui n’est pas une de nos anciennes colonies. Il a souhaité avoir
confirmation de l’arrestation à Paris, pendant une journée, du Général
Kagame en janvier 1992 après sa rencontre avec M. Paul Dijoud et s’est
demandé si celle-ci n’était pas contradictoire avec la volonté de la France de
favoriser les négociations entre les parties. Il a également souhaité des
précisions sur les modalités pratiques de l’approvisionnement des FAR en
munitions. Enfin, il s’est enquis des véritables missions confiées au

détachement d’assistance militaire et d’instruction (DAMI) en 1991 et aux
vingt-deux coopérants militaires encore présents au Rwanda de janvier à avril
1994.
M. Jean-Christophe Mitterrand a affirmé qu’à l’époque il n’avait
pas été mis au courant de l’arrestation du Général Kagame à Paris mais qu’il
s’était immédiatement renseigné auprès du quai d’Orsay, dès qu’il en avait eu
connaissance, il y a une semaine seulement. Il lui a été répondu qu’il
s’agissait d’un incident survenu à l’hôtel où résidait M. Paul Kagame, le
directeur soupçonnant un trafic de drogue et ayant alors appelé la police. Le
quai d’Orsay est alors intervenu immédiatement pour faire libérer M. Paul
Kagame.
Il a indiqué qu’il ignorait comment les livraisons d’armes au Rwanda
se passaient sur le plan technique mais précisé que les demandes étaient
transmises à la suite de rencontres politiques ou par les ambassadeurs, puis
traitées au niveau des services sous la responsabilité des Ministres de la
Coopération et des Affaires étrangères, du Premier Ministre et du Président
de la République. Il a souligné qu’il n’était pas impliqué dans les décisions
relatives aux contrats d’armement et qu’il n’avait jamais participé au cours
de la crise rwandaise aux réunions où ces décisions étaient prises, mais qu’il
en était informé. La décision d’envoyer le DAMI n’a été prise ni par les
services, ni par les conseillers pour les affaires africaines, mais au niveau des
plus hautes autorités de l’Etat.
Relevant qu’il ne voyait pas d’ambiguïtés dans la politique française
à l’égard du Rwanda, il a rappelé que ce pays était entré plus tardivement, en
1975, dans le champ de notre coopération avec nos anciennes colonies mais
que cela avait été aussi le cas pour le Mozambique ou l’Angola, et qu’il
croyait se souvenir qu’un des premiers sommets franco-africains avait eu lieu
à Kigali.
A une question complémentaire de M. François Lamy sur la
présence de soldats français au Rwanda et non au Mozambique, qui
paraissait témoigner d’un traitement particulier réservé à ce pays,
M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la France n’avait pas
envoyé de soldats au Mozambique car le Gouvernement de ce pays ne l’avait
pas demandé.
M. Bernard Cazeneuve a alors émis le souhait que la mission
auditionne M. Robert Galley, alors Ministre de la Coopération, sur les
motivations de l’accord de 1975.

M. Jean-Christophe Mitterrand a répondu que la signature d’un
accord de coopération militaire entrait dans le cadre normal des relations de
coopération de la France avec un pays africain et que notre pays avait ainsi
répondu à une demande exprimée par le Rwanda. On ne peut pas dire que la
France recherchait à cette occasion des richesses en cuivre ou en pétrole.
Evoquant l’attaque du FPR à partir du sud de l’Ouganda en octobre
1990 et la présence dans ses rangs d’agents libyens attestée par certains
témoignages, M. Michel Voisin a souhaité savoir si des soldats d’autres
nationalités encadraient les forces du FPR. Puis il a demandé à
M. Jean-Christophe Mitterrand son sentiment sur le reproche, fait au
Gouvernement français par une des personnes entendues par la mission, de
ne pas s’être acquitté de ses engagements relatifs à la fabrication de nouvelles
cartes d’identité sans mention ethnique.
M. Guy-Michel Chauveau s’est étonné que la décision de
supprimer la mention ethnique, prise en novembre 1990, n’ait pas pu être
exécutée avant avril 1994.
M. Jean-Christophe Mitterrand a rappelé que la France avait
insisté pour la suppression de la mention ethnique sur les cartes d’identité
afin de manifester aux populations rwandaises le souci de réconciliation
nationale et déclaré qu’il avait également lu que le ministère de la
Coopération aurait dû s’occuper de ce sujet. Il a indiqué qu’ayant évoqué le
sujet avec le Président Habyarimana, il avait été surpris de constater que,
pour ce dernier, le problème ne se posait pas puisque la mention ethnique
figurait sur les cartes d’identité depuis la colonisation belge et qu’elle ne
semblait pas soulever d’interrogations philosophiques. Enfin, il a supposé
que les difficultés propres à un pays en guerre civile pouvaient expliquer
l’absence de modifications des cartes d’identité.
Le Président Paul Quilès a mis en avant les conséquences du
maintien de la mention ethnique qui favorisait la mise en oeuvre de mesures
de discrimination et aurait pu, selon certains, faciliter le génocide.
M. Jean-Christophe Mitterrand a fait observer que de nombreux
Hutus modérés avaient été également victimes du génocide, que la mention
de leur appartenance ethnique sur leur carte d’identité ne les avait donc pas
protégés et qu’ils avaient subi des violences sans que leurs papiers ne
mentionnent leur orientation politique. Le changement de carte d’identité
dans un pays en guerre civile où n’existe pas d’état civil est une opération
lourde pour laquelle le temps a manqué. Des agents libyens ont été aperçus
pendant l’offensive d’octobre 1990 et la DGSE a confirmé leur présence.
Mais aucune information ne permet de conclure à la participation de soldats

d’autres nationalités. Les forces du FPR étaient composées de jeunes Tutsis
rwandais nés en Ouganda et qui avaient fait partie de l’armée ougandaise, il
est donc vraisemblable que cette dernière a également participé à l’offensive
d’octobre 1990.
M. Yves Dauge constatant a posteriori le décalage entre
l’engagement officiellement exprimé par le Président Habyarimana de mener
un processus de démocratisation soutenu et encouragé par la France et de
conduire des négociations qui ont débouché sur les accords d’Arusha d’une
part, et la radicalisation dans le même temps du conflit ethnique d’autre part,
s’est demandé si la France avait correctement perçu les dangers des
évolutions internes au Rwanda qui avaient conduit à l’affaiblissement du
Président et de son régime.
M. Jean-Christophe Mitterrand a précisé que la création de la
CDR, fer de lance des massacres, dont des groupes précurseurs existaient
dans l’entourage du Gouvernement et dans l’armée, avait constitué un
élément de pression visant à empêcher le processus de démocratisation ainsi
qu’un catalyseur favorisant l’exacerbation de la haine ethnique. Une fois
structurée en force politique, la CDR avait eu une importance et une
influence croissantes. Ses membres avaient très probablement organisé des
provocations et pris une part active dans les massacres de Tutsis intervenus
en avril 1992, mais aussi dans la campagne de propagande et de
désinformation de la population lors des attaques du FPR.
M. Jean-Christophe Mitterrand a noté à ce propos que ces attaques avaient
provoqué un exode massif alors que le FPR se présentait en libérateur.
L’assassinat du Président Habyarimana et de son chef d’état-major a sans
aucun doute achevé de libérer les passions, dans la mesure où, avec leur
disparition, le pouvoir s’effondrait et tout était possible.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024