Fiche du document numéro 11824

Num
11824
Date
Jeudi 5 avril 2007
Amj
Taille
128262
Titre
Les heures poignantes du colonel Ballis au parlement rwandais
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le colonel Walter Ballis coule aujourd'hui des jours paisibles dans sa
ravissante maison de Campine. Depuis sa véranda fleurie, il nous relate
d'autres heures, bien plus dramatiques, qu'il passa en avril 1994 au
CND, le Parlement rwandais, qui abritait à l'époque les 600 militaires
du Front patriotique rwandais.

À l'époque, le colonel Ballis faisait partie du contingent belge de la
Mission des Nations unies au Congo, détaché à l'état-major auprès du
général Dallaire. Il y remplissait des fonctions d'adjoint à l'officier
chargé des opérations. À ce titre, il organisait les escortes que la
Minuar fournissait aux personnalités politiques. Des escortes souvent
confiées au peloton Mortier, une trentaine d'hommes qui disposaient en
permanence de jeeps et de radios en ordre de fonctionnement.

Où était Ballis le soir du 6 avril ? « Vers 20 heures, portant une
tenue civile, je me dirigeais vers l'aéroport, dans l'intention d'y
accueillir l'équipage et les hommes qu'amenait le C 130 belge, dont
l'arrivée était annoncée pour 20 h 30. Lorsque j'entendis le bruit de
l'explosion à l'aéroport, j'ai essayé d'avancer pour aller voir, mais au
rond-point situé devant l'hôtel Méridien, j'ai été barré par des jeeps
de l'armée rwandaise et j'ai essuyé un coup de feu. Après m'être replié
vers l'hôtel, j'ai songé, vers 21 h 30, à me rendre au CND, qui abritait
le détachement du FPR, afin de voir ce qui sy passait.
»

Des hommes du FPR auraient-ils pu gagner la colline de Masaka pour
abattre l'avion, ainsi que l'affirme le juge Bruguière ? « Dans la
soirée, il est possible que des hommes ont pu sortir du CND, mais ils
ont dû le faire à pied, pas en voiture... Quant à porter des missiles
sur leurs épaules, c'est inimaginable, ils auraient été repérés tout de
suite.
»

« Cette nuit-là, au CND, tout était calme, les soldats ne bougeaient
pas. Tout le monde semblait attendre des ordres. Des personnalités
politiques importantes se trouvaient au milieu des soldats, Seth
Sendashonga, le numéro deux du FPR, Tito Rutaremera, Jacques Bihozagara,
le porte-parole du Front en Belgique, le major Rose Kabuye... Par la
suite, tous devaient répéter le même et unique message : Arrêtez les
tueries. Dans la soirée, le général Dallaire m'a localisé par radio et
demandé de rester sur place, afin de servir d'agent de liaison entre
lui, les autorités du FPR présentes au CND et le général Kagame depuis
Mulindi.
»

Jusqu'au 11 avril, le colonel Ballis est donc resté aux côtés de la
délégation du FPR et, avec le recul, il s'en félicite : « J'étais
beaucoup plus en sécurité que mes collègues qui se trouvaient en
ville.
» Ses souvenirs sont formels : « Dans la nuit du 6 au 7 avril,
je n'ai constaté aucun mouvement de troupes. Dans le courant de
l'après-midi du 7, quelque 120 hommes sont sortis, pour occuper des
positions défensives à l'extérieur et tenir à l'oeil la garde
présidentielle.
»

Aux côtés des officiels du FPR, Ballis suit les échanges téléphoniques
entre le général Dallaire et Kagame : « Le premier demande au second de
maintenir ses troupes à Mulindi, de ne pas bouger. Transmise par Jacques
Bihozagara, la réponse de Kagame est simple : Je n'entreprendrai rien
sans vous tenir informé. Comme première démarche, j'envoie un bataillon
supplémentaire à Kigali.
»

Dans la nuit du 8 au 9, Ballis voit arriver des hommes qui, à marche
forcée, sont arrivés à pied depuis Mulindi, à plus de 100 kilomètres.
Après un bref repos, ils repartent immédiatement et se dispersent dans
la ville pour tenter de sauver ceux qui peuvent encore l'être.

Alors qu'il se trouve au CND, Ballis apprend que des massacres ont
commencé, que des Belges sont en danger. « Soudain, vers 13 heures,
j'ai entendu sur le réseau Force de la Minuar que treize Belges avaient
été tués, un chiffre qui fut plus tard ramené à dix. De là où j'étais,
je ne pouvais rien faire et je n'ai donc pas bougé.
»

Pour lui, une chose est certaine : la mort des soldats belges est un
assassinat froidement prémédité. « Nous savions que les Belges étaient
en danger. Que les extrémistes hutus spéculaient sur le fait que, si
certains mouraient, Bruxelles allait rappeler le contingent. C'est
d'ailleurs exactement ce qui s'est passé. Et je crois que celui qui est
venu chercher les Belges pour les conduire au camp Kigali effectuait une
mission bien précise : s'emparer de quelques Belges et les mener à la
mort. Rien n'a été improvisé...
» Un autre témoin, Paul Henrion, rentré
chez lui dans la matinée du 7, se souvient que le minibus des Casques
bleus est passé devant sa maison : « Ils étaient couchés en désordre,
leur véhicule était suivi par une Toyota rouge de la gendarmerie...
»

Le mystère des uniformes



Comme tous les hauts gradés de la Minuar, le colonel Ballis avait une
chambre à l'hôtel Meridien. Lorsqu'il y revint le 9 avril, il fut
surpris par un fait auquel, dans un premier temps, il n'attacha pas
d'importance : sa tenue militaire belge, qu'il se souvenait avoir
soigneusement rangée dans la garde-robe de sa chambre, avait disparu,
ainsi que le béret bleu de l'ONU et ses bottines ! Sur le coup, il ne
s'émut pas outre mesure, d'autant moins que le personnel de l'hôtel lui
expliqua qu'à la blanchisserie aussi, des effets militaires appartenant
aux Belges avaient disparu.

Bien plus tard, Ballis eut la surprise d'entendre l'ancien attaché de
presse de la Minuar lui déclarer que certains extrémistes le
considéraient comme le tireur d'élite qui avait abattu l'avion du
président Habyarimana ! Depuis lors, Ballis s'interroge : /« le tireur
n'aurait-il pas été un homme blanc, portant mon uniforme ? Ceux qui
réussirent à lire mon nom sur le revers de ma veste et qui s'en
rappelaient longtemps après devaient être bien près et bien proches de
l'individu... »/

Ces souvenirs du colonel Ballis nous ont rappelé un mystérieux message,
parvenu à la rédaction du /Soir /en juin 1994. Accusant /« deux
militaires français membres du Dami (département d'assistance militaire
à l'étranger) d'avoir abattu l'avion dans le but de déclencher le
carnage »/. Il ajoutait : /« Les Français ont mis des uniformes belges
pour quitter l'endroit et être vus de loin par des soldats de la garde
nationale. »/ Dans la matinée du 7 avril, les dix Casques bleus belges
furent présentés aux militaires du camp Kigali comme les responsables de
l'attentat contre l'avion présidentiel et assassinés dans les heures qui
suivirent.

Un « Dossier noir », dimanche, à la RTBF



Treize ans après l'attentat contre l'avion présidentiel, qui marqua le
début du génocide, la vérité tarde toujours à être complètement
débusquée. A la veille du procès qui verra comparaître en cour
d'assisses le major Ntuhayaga, inculpé de l'assassinat des dix Casques
bleus belges, Frédéric François, qui était à Kigali en avril 1994, et
Frédéric Lorsignol ont retrouvé des témoins importants et amené les
grands décideurs de l'époque, dont le secrétaire général des Nations
unies d'alors, Boutros Boutros Ghali, à s'exprimer en toute franchise
sur cette tragédie.

L'émission « Dossier noir » qui sera diffusée dimanche à 22 h 30, donne
aussi la parole à des témoins qui s'étaient tus jusqu'à présent :
Emmanuel Ruzigana, l'un des transfuges rwandais présentés par le juge
Bruguière pour accuser le président Kagame d'avoir fait abattre l'avion
de Habyarimana, le colonel Walter Ballis, Deus Kagiraneza qui fut
escorté par les Casques bleus belges lors de leur dernière mission dans
l'Akagera. Une enquête minutieuse et émouvante.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024