Fiche du document numéro 1199

Num
1199
Date
Jeudi 7 mars 1991
Amj
Taille
153701
Surtitre
Rwanda démocratisation sur fond de tensions ethniques
Titre
Le retour des réfugiés inquiète les dirigeants
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
NAIROBI, correspondance

Le déclenchement, en octobre, dans le nord du pays, d'une guérilla qui
continue à harceler les troupes gouvernementales, notamment dans la
région de Ruhengeri, semble avoir décidé le président Juvénal
Habyarimana à accélérer la démocratisation, annoncée l'été dernier, et
le règlement du problème des réfugiés, vieux de trente ans.

Président-fondateur du Mouvement révolutionnaire national pour le
développement (MRND, le parti unique au pouvoir), le chef de l'Etat
promet le multipartisme. La « commission nationale de synthèse », mise
en place par ses soins, a déjà recommandé la création de partis
politiques, dans un texte qui fait l'objet d'un débat parmi la
population. A la lumière des résultats de cette « consultation », ladite
commission proposera à M. Habyarimana un texte définitif, qui servira de
base à une charte nationale.

Les Rwandais devraient se prononcer sur cette charte, par voie de
référendum, en juin. De source autorisée, on estime, cependant, que ce
scrutin pourrait être différé en raison des combats qui ont lieu dans le
nord du pays. Il reviendra sans doute aux députés du Conseil national de
développement (Parlement) d'inscrire le multipartisme dans la
Constitution, après le feu vert du président.

Un demi-million d'exilés



Les incursions incessantes des rebelles du Front patriotique rwandais
(FPR) ont vraisemblablement incité le chef de l'Etat à faire preuve de
bonne volonté sur la question du retour des réfugiés, afin de ne pas
effaroucher les bailleurs de fonds. Encore que Kigali soit loin d'être
victime d'un quelconque ostracisme de la part des Occidentaux : le
Rwanda bénéficie du soutien de plusieurs pays étrangers en matière
d'armement. Le régime n'est pas non plus menacé militairement, ses
soldats repoussant régulièrement les attaques surprises des combattants
du FPR.

Mais l'insistance des donateurs à voir cette question des exilés enfin
réglée a dû jouer dans les décisions présidentielles de ces dernières
semaines. Le numéro un rwandais a récemment reconnu, à Dar Es Salaam,
devant ses pairs ougandais, tanzanien et burundais, « le droit légitime »
des réfugiés au rapatriement volontaire. Cette déclaration a été
visiblement appréciée par le Haut commissariat aux réfugiés (HCR), qui
avait dépêché un délégué à cette conférence régionale.

On estime officiellement à environ un demi-million les exilés rwandais
installés dans les pays limitrophes du Rwanda, dont quatre-vingt mille
en Ouganda et deux cent soixante-dix mille au Burundi. Le HCR
s'apprêtait à lancer une opération-pilote de consultation dans les camps
en Ouganda, pour déterminer le nombre des candidats au retour, lorsque
le FPR a lancé ses troupes contre le Rwanda, le 1er octobre 1990. « Il
faut tout reprendre à zéro, en suivant les recommandations de Dar Es
Salaam
 », conlut un responsable du HCR, de concert avec l'Organisation
de l'unité africaine (OUA). Mais, les choses seront « plus difficiles »,
car le conflit a exacerbé la méfiance traditionnelle entre les Hutus et
Tutsis. En acceptant le principe du rapatriement, le président
Habyarimana s'est engagé dans une partie délicate. Il n'est pas sûr
qu'il reçoive le soutien de la population à ses initiatives, pourtant
bien accueillies par les Occidentaux. A preuve, la réaction de la foule,
lors d'une audience du procès des sympathisants du FPR, en janvier : les
avocats rwandais, intimidés par des menaces de mort, avaient dû renoncé
à plaider. Le ministre de la justice a admis que des « irrégularités »
avaient été commises, tout en laissant entendre qu'une nouvelle attaque
des insurgés, à ce moment-là, avait sans doute suscité la colère
populaire.

De l'avis des observateurs, le président doit aussi se garder des « durs » du régime, hostiles à toute concession politique, et prêts à agiter
l'épouvantail de la domination tutsie d'autrefois, pour empêcher la
réintégration des exilés. Proches de l'armée, ils publient une revue
ouvertement raciste, condamnant le bon voisinage entre Hutus et Tutsis
(le Monde du 7 février).

L'image ternie de l'Ouganda



Face à ces initiatives présidentielles, les dirigeants du FPR opposent
une fin de non-recevoir, qu'illustre la récente recrudescence des
incursions armées. « C'est une excellente façon d'exaspérer la
population, à 85 % hutue
 », ironise un diplomate. « Celle-ci, encouragée
par l'aile dure du régime, pourrait bien rejeter la politique de M.
Habyarimana
 », ajoute-t-il. Le chef de l'Etat s'en trouverait d'autant
plus fragilisé que les paysans (90 % de la population) le rendraient
responsable des difficultés économiques, aggravées par la chute des
cours du café depuis 1989.

Les autorités ougandaises semblent rechigner à mettre au pas les
guérilleros et les tergiversations du président Museveni commencent à
ternir son image à l'étranger. Tant qu'il laissera les rebelles se
servir de son pays comme d'un sanctuaire, la stabilité économique et
politique du Rwanda restera menacée. A Kigali, on affirme s'adapter peu
à peu à cet état de guerre larvée, qui a rendu les approvisionnements de
ce pays enclavé problématiques. Mais la machine économique n'en tourne
pas moins au ralenti. Il faudra toute la sollicitude des bailleurs de
fonds pour que les gens n'en soient pas affectés.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024