Fiche du document numéro 12652

Num
12652
Date
Lundi 12 octobre 1992
Amj
Taille
24209
Titre
Envoyé spécial : France 2, 20 h 50 La génération sida
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le sida fait des ravages au Burundi et au Rwanda, particulièrement dans les villes, où 30 % de la population serait séropositive. Serge Moati a filmé les familles éclatées, les enfants à l'abandon. RWANDA et Burundi, les pays aux 10 000 collines qui, selon la légende, abritaient le paradis d'où furent chassés Adam et Eve. Rwanda et Burundi, deux petits Etats d'Afrique déchirés par les conflits, laminés par le sida. En ville, 30 % de la population serait séropositive. La campagne, longtemps épargnée, succombe à son tour à grande vitesse. Contaminée lors des mouvements de population dus aux guerres (réfugiés, troupes, soldats démobilisés) ou plus banalement à partir des grandes voies d'accès (chemins de fer, axes routiers) qui amènent vivres et marchandises, mais aussi les maladies.

Le reportage d'Envoyé spécial consacré aux orphelins du sida commence par une visite au cimetière de Bujumbura. Il arrive qu'on y enterre jusqu'à dix personnes dans une même journée, victimes pour la plupart du virus. Les dates gravées sur les croix parlent d'elles-mêmes. Les premières tournent autour des années 60. Les autres répètent avec obstination 1991 et plus encore 1992, années charnières. 1960-1992 : 32 ans ; 1965-1992 : 27 ans ; 1954-1992 : 38 ans. Le fléau touche les forces vives. Toute une génération, celle qui procrée, celle qui porte à bout de bras la vie économique du pays, semble être appelée à disparaître.

Vaincues, les familles éclatent et les orphelinats ne répondent plus à la demande. Les gamins qui n'ont pas pu trouver refuge chez une grand-mère ou un oncle vont grossir les rangs des enfants des rues à la recherche d'un peu de nourriture. A la campagne, ils survivent grâce à une solidarité que la pauvreté grandissante remet en question. Seuls, vulnérables, affamés, ils deviennent des proies faciles pour des adultes peu scrupuleux. « Je ne peux m'empêcher d'être triste. J'ai trop de problèmes, raconte l'un d'eux. Je ne vois pas de solution. Je me demande sans arrêt ce qu'il va m'arriver demain. » Il a peur des autres enfants toujours prêts à voler ce que l'autre a gagné. Peur des adultes qui « veulent me faire faire des choses laides... Je ne vois aucun avenir ».

Un avenir ! Celui-ci passe par la prévention contre la maladie. Elle-même repose sur l'utilisation du préservatif. Or on se heurte en Afrique, plus encore qu'en Europe, à une forte réticence alimentée par les bruits les plus fous. Ainsi, on soupçonne l'Occident d'avoir introduit le virus dans les préservatifs afin d'exterminer les Africains !

Les discours de l'évêque de Kigali (au Rwanda, 80 % de la population est catholique) ne facilitent pas non plus la tâche. Celui-ci voit dans le fléau le châtiment de Dieu donné à une société aux moeurs dissolues, plaide pour la chasteté et la fidélité et jette des doutes sur l'efficacité des préservatifs. Fort heureusement, d'autres catholiques, religieux compris, confrontés quotidiennement aux dégâts, se montrent plus ouverts.

Les organisations non gouvernementales ou internationales (parmi elles, l'UNICEF) viennent en aide à ces Etats dont le budget exsangue ne permet plus depuis longtemps de faire face aux besoins (le coût d'un traitement à l'AZT s'élève à 6 000 dollars par an par habitant, alors qu'en moyenne les dépenses de santé des Etats africains varient entre 8 et 50 dollars par an et par habitant).

Les témoignages de prostituées montrent les limites de leurs efforts. « Ce sont les hommes qui refusent les capotes... As-tu vu ton enfant pleurer de faim ? Dans ces moments-là, tu acceptes tout. Même si tu sais que tu es en train de te suicider », dit l'une. « Mourir de faim ou du sida, quelle importance ? », ajoute une autre. La pauvreté, les maladies, l'impossibilité de se projeter dans un futur meilleur, plongent les hommes et les femmes dans un fatalisme désarmant. Ce sont toujours plus de victimes qui viennent à bout de souffle échouer dans les établissements hospitaliers. Ils sont parfois deux et même trois à partager un lit. Des enfants les accompagnent. Ils dorment à même le sol et attendent que la mort leur prenne leur père, leur mère, sous le regard impuissant des médecins.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024