Fiche du document numéro 1808

Num
1808
Date
Dimanche 16 mai 2004
Amj
Auteur
Taille
146818
Titre
La « torture-nécessité » au centre d'un procès en diffamation à Marseille
Nom cité
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Partie civile dans un procès qu'il intente à l'auteur d'un
livre-témoignage sur les exactions des militaires durant la guerre
d'Algérie, le général Maurice Schmitt, 74 ans, a détaillé, vendredi 14
mai, devant le tribunal correctionnel de Marseille, ses positions sur
l'usage de la torture. « Tout au long de ma carrière, j'ai pris des
dispositions pour que la personne humaine soit respectée
 », a-t-il
affirmé. Souhaitant que l'armée n'ait plus à assumer des missions de
recherche de renseignements dans la lutte contre le terrorisme, le
chef d'état-major des armées de 1987 à 1991 a précisé qu '« il peut se
trouver des cas limites où il y ait à interroger durement des
suspects. C'est au législatif et au pouvoir exécutif de dire ce qu'il
convient de faire, de prendre leurs responsabilités par des
dispositions exceptionnelles. Ce n'est pas à des exécutants de prendre
l'initiative de transgresser la loi internationale et la loi
nationale.
 »


Le général Schmitt assignait en diffamation Henri Pouillot, 66 ans, un
ancien appelé de la guerre d'Algérie qui, dans son livre La Villa
Susini [1] (éd. Tirésias), a décrit la violence des interrogatoires
pratiqués sous ses yeux en 1961 et 1962 alors qu'il était caporal du
584e bataillon du train. Le 10 octobre 2003, la 17e chambre
correctionnelle de Paris jugeait qu'en le qualifiant de « menteur ou
criminel
 » au cours d'un débat télévisé Maurice Schmitt avait diffamé
Henri Pouillot. Trois jours plus tard, dans L'Humanité, ce dernier
déclarait : « Je crois qu'il est important dans le combat contre la
torture de voir condamné un haut gradé qui a dit et répété que la
torture, demain, pourrait être encore nécessaire en France et que
l'armée serait, dans l'avenir, obligée de se salir les mains à
nouveau.
 »


« Faxer à Rumsfeld »



Le général Schmitt estime diffamatoire cette formulation de ses écrits
et déclarations. « Je n'ai jamais pensé ou dit que l'armée française
pouvait être amenée à torturer à nouveau. J'ai fait, dans mes
fonctions, ce qu'il fallait pour qu'
[elle] ne soit pas amenée à ce
genre de situation. J'ai toujours dit : jamais plus.
 » Le tribunal
s'est vu remettre une fiche destinée aux 10 000 soldats français
engagés dans la guerre du Golfe, baptisée « les Douze Commandements du
soldat
 » et consignant les règles à tenir vis-à-vis des prisonniers,
des blessés et des civils. « On devrait faxer cette fiche à Rumsfeld,
a lancé l'avocat du militaire. Si les Américains avaient eu un général
Schmitt, peut-être auraient-ils fait l'économie de ce qui leur
arrive.
 »


Les défenseurs d'Henri Pouillot et de L'Humanité n'ont pas dénié au
général Schmitt son « aversion pour ceux qui prenaient plaisir à
torturer gratuitement
 » , mais Mes Pierre Mairat et Richard Valeanu
ont puisé dans son livre Alger-été 1957 et dans son témoignage au
procès Aussaresses une justification de la « torture-nécessité ». Maurice Schmitt y déclarait : « Lorsqu'il s'agit de sauver des
innocents qui sont dans un danger immédiat, je choisis de me salir les
mains. Mais je récuse absolument la torture sanction.
 »


Me Mairat a opposé un refus de principe : « La problématique n'est pas
de savoir si l'on peut accepter de torturer quelqu'un pour sauver des
innocents. Dans une démocratie,
a-t-il plaidé, on ne répond pas à la
barbarie par des actes de barbarie.
 » L'avocat répliquait ainsi à Me
José Allegrini, qui, dans son intervention, avait interpellé les « agitateurs de la torture oublieux du terrorisme ». « Si vous avez
entre vos pattes celui qui va déclencher la bombe à Saint-Michel,
qu'est-ce que vous faites ?
 », avait interrogé l'avocat. Le procureur
Olivier Redon s'est borné à constater que les propos d'Henri Pouillot
étaient diffamatoires, en ce qu'ils travestissaient la pensée du
général Schmitt. Cependant, « circonspect sur sa bonne foi », le
parquet s'en est rapporté à l'appréciation du tribunal. « Quelle que
soit la décision, elle sera bonne
 », a dit M. Redon. Jugement le 18
juin.

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