Fiche du document numéro 19070

Num
19070
Date
Lundi 5 décembre 1994
Amj
Taille
101408
Surtitre
Exclusif: la justice selon le vrai numéro un rwandais.
Titre
Les vérités de Paul Kagame, l'homme fort de Kigali
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Paul Kagame, vice-président et ministre de la Défense, artisan de la victoire du FPR, veut le droit mais refuse l'amnistie.

Stratège aux qualités reconnues, Kagame, aujourd'hui à Bruxelles, est précédé par sa réputation d'« homme fort » du Rwanda.

Grand, extrêmement mince, le visage sérieux, le commandant en chef du Front patriotique n'a cependant pas l'apparence d'un baroudeur. Il s'exprime posément, à voix basse et lorsque, fugace comme une éclaircie apparaît un sourire malicieux, l'homme semble soudain plus jeune que ses 37 ans... Ce combattant sorti du maquis, qui a fait ses classes dans l'armée ougandaise, considéré comme l'un des meilleurs stratèges du continent, doit aujourd'hui gérer non seulement la victoire militaire du Front patriotique, mais l'avenir d'un pays détruit, dévasté par la haine des hommes.

La première question posée au général Kagame, au Rwanda comme à l'étranger, est celle des droits de l'homme. Si souvent qu'il ne s'en étonne guère, relevant qu'effectivement, arrivant devant certains charniers, où se retrouvaient les squelettes des membres de leurs familles, des soldats sont pratiquement devenus fous, et ont tiré indistinctement. Ils ont été punis et le seront encore.

Mais la situation aurait pu être pire encore: Après le génocide, je m'attendais à un chaos total. L'opinion internationale devrait reconnaître la retenue, la discipline dont nos soldats ont su faire preuve... (...) On ne peut comparer une réaction que nous essayons de contrôler, de punir, avec ces actes planifiés, prémédités qui sont le génocide. (...) Je me demande si cela ne s'explique pas, au plan international, par le besoin qu'ont certains de s'absoudre des erreurs commises dans le passé.

Paul Kagame, confronté à l'opinion étrangère, surtout européenne, aux critiques incessantes, ne semble pas réellement amer, mais il a été surpris par la vigueur de l'offensive visant à discréditer le nouveau régime. Il ne se décourage pas: La réconciliation est un processus qui prendra du temps, les Rwandais doivent apprendre à vivre ensemble, à s'unir sur des priorités qui dépassent les ethnies... À l'intérieur du pays, il y a déjà 5 millions de Rwandais qui travaillent ensemble; arithmétiquement, les réfugiés ne sont pas la majorité de la population.

Tout le monde souhaite cependant leur retour, Kagame aussi, mais pas à n'importe quel prix. Pas au prix de la justice. Or, on nous demande implicitement de décréter l'amnistie, d'élargir notre gouvernement à des personnalités compromises dans la planification du génocide.

Paul Kagame relève les innombrables conditions mises à l'octroi de l'aide étrangère: Elles ont pour but de nous rendre les choses extrêmement difficiles. Je crois qu'on souhaite nous faire échouer... La lutte est plus difficile encore aujourd'hui que durant la guerre.

Pour lui, la guerre et le génocide, ce n'est pas pareil: Les réfugiés voulaient avoir un pays, une identité, et c'est en désespoir de cause que nous avons lancé l'offensive.

Aujourd'hui, la justice, cette obligation morale, préoccupe beaucoup Kagame: Pourquoi faut-il juger les criminels hors du pays, les exempter de la peine de mort cependant prévue dans nos lois, ne retenir que les faits qui se sont déroulés en 1994?

Malgré ces questions, le général rendu à la vie civile demeure confiant: Laissez-nous essayer de construire une patrie pour tous les Rwandais, dans l'esprit des accords d'Arusha; c'est nous qui avons sauvé ce qu'il en reste en constituant un gouvernement de coalition, en voulant créer un État de droit.

Quant aux relations avec la France, elles préoccupent Kagame qui admet que, l'été dernier le FPR a laissé partir 18 militaires français capturés près de Kibuyé, à la demande de Paris: Il est important que personne ne perde la face, donc je ne veux pas parler de cette affaire...

COLETTE BRAECKMAN

Interview page 8

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