Fiche du document numéro 22453

Num
22453
Date
Jeudi Juin 2017
Amj
Taille
12382366
Titre
« Réarmez-les ! »
Soustitre
Les soldats français reviennent au Rwanda. Ils assistent sans intervenir à la fin du génocide des Tutsi. Conformément aux instructions. Mais certains reçoivent un autre ordre, signé de l'Élysée. Un ordre stupéfiant : fournir des armes aux assassins.
Nom cité
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Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Source
XXI
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
«Réarmez-les! »

Les soldats français
reviennent au Rwanda en
juin 1994, Ils assistent sans
intervenir à la fin du génocide
des Tutsi. Conformément aux
instructions. Mais certains
reçoivent un autre ordre, signé
de l'Élysée. Un ordre stupéfant:
fournir des armes aux assassins.
Par Patrick de Saint-Exupéry

’est une histoire qui s’est « répétée »
malgré la promesse maintes fois
formulée du «Plus jamais ça!»
Le 7 avril 1994, au Rwanda, pays
enclavé au cœur de l'Afrique, com-
mença un «génocide sous sa forme la
plus pure », note sobrement l'historien
Raul Hilberg à la fin de sa somme sur
La Destruction des Juifs d'Europe:
«Le désastre des Tutsi s’est déroulé
au vu et au su du monde. Aucune crise
mondiale n’a éclipsé l’événement.
Aucun manque d'avion ou d'hommes
n’entravait une riposte. Le défi était lancé. Il n’a
pas été relevé. »

ILLUSTRATIONS : MILES HYMAN
NOS CRIMES EN AFRIQUE « RÉARMEZ-LES ! »

«Ça» est arrivé. En trois mois, d’avril à juil-
let 1994, dans les collines du Rwanda, des centaines
de milliers de Tutsi sont exterminés. Assassinés
parce qu’ils sont nés tutsi, tués parce qu’ils doivent
disparaître. Tous : hommes, femmes et enfants. Sur
les cent jours du génocide des Tutsi, la «producti-
vité » est, à l'échelle du pays, deux fois supérieure
à celle de Treblinka, le plus élaboré des camps
nazis de la «solution finale». En un temps bien plus
contracté, «leurs pertes furent proportionnellement
aussi lourdes que celles des Juifs avec leurs cinq mil-
lions de morts», constate Raul Hilberg.

Ce chapitre africain dans l’histoire de l’exter-
mination est une «défaite de l'humanité». Elle est
reconnue par l'ONU, par les États-Unis, par la
Belgique et les dizaines d'acteurs qui y furent mêlés.
Mais un pays, la France, n'arrive pas à s’y confronter.

La porte a pourtant été entrouverte à trois
reprises. Par «une mission d’information parlemen-
taire » qui décide en 1998, sous le gouvernement de
Lionel Jospin, d'examiner la « tragédie rwandaise ».
Par le président Nicolas Sarkozy qui, de passage
en 2010 à Kigali, la capitale rwandaise, affirme
que « la France doit réfléchir à ses erreurs » car «des
erreurs d'appréciation, des erreurs politiques ont été
commises ici et ont eu des conséquences absolument
dramatiques ». Par l'Élysée de François Hollande
qui, en 2014, à l’occasion de la vingtième commé-
moration du génocide des Tutsi, tente d’ouvrir les
archives françaises sur le Rwanda toujours cou-
vertes par le secret.

À chaque fois, rien ou presque. Pas de réactions
après les demi-aveux d’une «mission d’information
parlementaire » aux prérogatives limitées. Un même
silence devant les «erreurs » aux «conséquences
absolument dramatiques » dénoncées par un chef
de l’État. Silence encore sur les archives enfouies
au plus profond. Comme s’il fallait tirer un trait
sur cette «tragédie » qui s’est «répétée ». L’enterrer
comme un secret de famille.

«LA RESPONSABILITÉ ÉCRASANTE
DE LA FRANCE »

Ce secret tient en quelques phrases. Cinquante
ans après la fin du nazisme, il s’est produit une col-
lusion historique d’une extraordinaire intensité.
En 1994, des hommes au plus haut de l'État français
ont été confrontés au résultat de la politique secrète
qu ’ils avaient mise en œuvre. Leur politique a per-
mis l’accomplissement d’un nouveau génocide,
au Rwanda. Cette politique, décidée à l'Élysée et
poursuivie au-delà de toute raison, a compromis
l’armée française et entaché l'honneur d’un pays.

Une séquence du journal télévisé de France 2
en date du 10 juin 1994 témoigne de ce télesco-
page. Accompagné du Premier ministre Édouard
Balladur, le président François Mitterrand célèbre
solennellement le cinquantenaire de la fin de la
Seconde Guerre mondiale à Oradour-sur-Glane,
là «où les morts ont pu se croire abandonnés ». Dans
un discours imprégné du «Plus jamais ça! », le chef
de l’État scande: «Nous ne voulons plus que cela
recommence. »

«Cela » a alors pourtant recommencé. Depuis
deux mois, ces Oradour dont François Mitterrand
dit qu’il ne veut plus «qu’ils soient possibles » se
comptent au Rwanda par centaines, par milliers.
Le président le sait. Mais il se tait.

Trois semaines plus tôt, le docteur Jean-Hervé
Bradol de retour du Rwanda a interpellé l'Élysée
au nom de Médecins sans frontières en pointant
«la responsabilité écrasante de la France »: «Les
gens qui massacrent aujourd’hui mettent en œuvre
une politique systématique d’extermination. Ils sont
financés, entraînés et armés par la France. » Une
lettre ouverte a été adressée à la présidence de la
République.

Aveugle au crime en train de s’accomplir,
l'Élysée soutient en ce mois de juin 1994 les auto-
rités « légales » de Kigali qui, sous couvert d’une
guerre contre une rébellion, ordonnent et dirigent
depuis deux mois un génocide.

Ces faits, documentés mais jamais officiel-
lement admis, posent une question qui travaille
depuis maintenant vingt-trois ans des Français. Ils
sont nombreux: historiens, associatifs, diplomates,
chercheurs, hommes politiques, anciens soldats,
anciens des «services », anciens humanitaires,
anciens témoins...

Ils interrogent les rescapés qui, pour la plupart
en toute bonne foi, ne comprennent pas qu’un
pays comme la France puisse négliger cette épine
plantée en son cœur.

De retour du Rwanda, Jean-
Hervé Bradol interpelle
l'Élysée au nom de MSF:
«Les gens qui massacrent
sont financés, entraînés

et armés par la France.»

XXI - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017
Il a fallu attendre vingt ans
pour que les Tutsi et les
rares rescapés vivant à Paris
disposent d’un lieu où se
retrouver, une stèle dédiée
aux victimes au cimetière
du Père-Lachaise.

Là-bas, sur ces mille collines qui furent autant
d’Oradour, se rejoua tout à la fois la trouble histoire
de la France de l’après-Vichy, le trouble rapport de
François Mitterrand à l’'Holocauste, la trouble rela-
tion de la France avec l'Afrique.

UNE HISTOIRE DÉDAIGNÉE, NIÉE SURTOUT

« Célébrer ces morts que personne ne pleure
car personne n'a survécu», cette phrase, Marcel
Kabanda la prononce le 7 avril 2017. Franco-rwan-
dais, Marcel est historien et président de la branche
française d’Ibuka, une association de soutien aux
rescapés du génocide des Tutsi. Ce jour-là, ilretrace
au «jardin de la mémoire » du parc de Choisy, à Paris,
ces longues années « où on nous regardait sans nous
voir, où on nous écoutait sans nous entendre ».

Une centaine de personnes sont rassemblées
autour de lui, baignées par le soleil. Dans le parc,
il y a des cris d’enfants, des mères attentives, des
trottinements endiablés, de la poussière. Ici, en
France, «pendant ces années, ce fut un parcours du
combattant. Où nous retrouver 2. Comment nous
retrouver ?...»

Des Rwandaiïs, des rescapés, des Français,
des hommes, des femmes, des vieux, des jeunes
l’écoutent figés, recueillis. Je croise Georges, ce
Français qui étudie depuis plus de vingt ans le rôle
de son pays. Il y a aussi ce patriarche rwandais à la
figure familière dont je ne saurais donner le nom. Et
Paul, un jeune activiste, la petite trentaine, qui s’est
rendu plusieurs fois à Kigali «pour comprendre»...

Des années durant, tous se sont retrouvés silen-
cieux le 7 avril, jour officiel du début du génocide
des Tutsi, pour « célébrer ces morts que personne
ne pleure » dans de petites salles au fond d’arrière-
cours ou dans les vieux locaux qu’on leur prêtait.
Encore tétanisés par le «crime des crimes », les
Rwandaïis de France l’étaient aussi par ce pays qui
les accueillait et dont les responsables politiques
réfutaient leur histoire. La dédaignant, la niant
surtout. Aujourd’hui encore.

Ce7 avril 2017, Anne Hidalgo, la maire de Paris,
est l’unique personnalité politique présente au
jardin de la mémoire. C’est peu, ce n’est pas rien.

JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017 - XXI

Marcel termine son discours : « Nous avons tenu à
cause de la mémoire. » Il dit bien « à cause ».

En France, cette mémoire n’a commencé à
émerger symboliquement qu’en 2014 lorsque fut
inaugurée au cimetière du Père-Lachaise une
stèle dédiée aux «plusieurs centaines de milliers de
Tutsi victimes d’un génocide au Rwanda ». Il a fallu
attendre vingt ans pour que les Tutsi et les rares
rescapés vivant à Paris disposent enfin d’un lieu
où se retrouver.

UNE SOMME DE COURAGE
DÉFIANT SOUVENT L’ENTENDEMENT

Cette année 2014, j'étais au Rwanda sur les col-
lines de Bisesero où j'ai retrouvé Éric Nzabihimana,
un rescapé, un ami aussi. Nous nous étions croisés
dans des circonstances dramatiques en juin 1994,
dix-sept jours après les silences de François
Mitterrand à Oradour-sur-Glane. Ce 27 juin, une
journée ensoleillée, Éric menaitun groupe de sur-
vivants pourchassés depuis des mois sur les hau-
teurs de cette magnifique région bordant le lac
Kivu; j'accompagnais un groupe de soldats français
envoyés au Rwanda dans le cadre de l'opération
Turquoise, une opération militaro-humanitaire en
trompe-l’œil que l'Élysée venait de lancer après des
semaines d’indifférence.

Vingt ans plus tard, avec une extrême pudeur,
Eric m'a raconté pour la première fois ce qu'avait
été son après-génocide. « J'avais perdu ma femme,
mes enfants, ma famille, tout le monde. Tu com-
prends, ce n’était pas facile... » Maïs il a bien fallu
continuer, alors il est devenu maire de sa petite
bourgade: «11 ne restait rien. Tout était sens dessus
dessous. Je faisais avec ce que j'avais... » Et il répète
avant de se taire: «Ce n’était pas facile.»

Nous avons bu une gorgée de bière. Quelques
minutes ont passé. D’une voix étreinte, Érica repris:
«Le plus dur, c'étaient les maisons. Beaucoup étaient
abîmées, beaucoup étaient morts. Il fallait les attri-
buer. Et c’est moi, le maire, qui devais le faire, signer le
bon... Quand ceux qui avaient tué ma famille venaient
demander, je devais signer. Oui, je signaïs. » Ce qu’il a
fait. Des mois. Jusqu’au jour où il n’a plus tenu: «J'ai
bu, deux ans...» Et Éric s’est tu, sans plus un mot.

Le souffle coupé, j’essayais d'imaginer com-
ment il est possible d'attribuer une maison à ceux
dont on sait qu’ils ont tué tous les vôtres. Les mots
d'Éric étaient un défi à la raison, mais il ne mentait
pas. Éric attestait du quotidien du Rwanda d'après,
de cette réalité que Paris refuse toujours de voir:
une somme de courage et d’actes défiant souvent
l’entendement.
NOS CRIMES EN AFRIQUE « REARMEZ-LES ! »

Au lendemain du génocide, il ne restait rien
dans ce pays. Des morts par boisseaux, des maisons
sans toit, des ministères sans machines à écrire,
des vélos sans cyclistes. Rien que des vestiges. Les
marques d’une vie d’avant sans traces de la vie en
cours. Ou si peu, si ténues, si faibles, qu’un craque-
ment de branche résonnait en tonnerre, un pleur
de nouveau-né en cascade tropicale.

Dans un silence catatonique, la moindre rumeur
courait les collines, décuplée par l'incertitude, réper-
cutée par l'anxiété, amplifiée pour combler le vide.
Marchant sur une terre gorgée, il fallait s’y accro-
cher pour ne pas glisser alors qu’étaient menés les
travaux d’excavation pour identifier les assassinés
des églises, des collines, des villes, des champs, des
écoles, des chemins, des villages, des mairies, des
forêts, des fosses septiques, des stades, des bas-côtés.

Les travaux s’étalèrent sur des années. La
reconstruction, longue et éprouvante, fut une
bataille de chaque instant. Partant de rien, tout était
à faire. Le Rwanda est aujourd’hui un pays habité,
bruissant, bruyant, etil arrive à Éric de sourire après
une bière. Les sentiers des collines besogneuses
fourmillent de commerçants, les champs de thé
ont retrouvé leur éclat lumineux, les marchés, leurs
foules colorées et Kigali, la capitale méconnaissable,
s'affirme en hub numérique de l'Afrique de l'Est.

LE RIDEAU DE FUMÉE

De cette histoire de l’après-génocide, la France
est absente. Au lendemain de 1994, l'Élysée de Fran-
çois Mitterrand refuse d'admettre ce qui s’est passé.
Le président le nie en affirmant qu’il s’est produit
non pas «un génocide » mais «des génocides », au
pluriel, un ajout pour mieux soustraire ; «des géno-
cides » pour annuler «le génocide ».

Ce rideau de fumée des « génocides » est une
trouvaille. Il nourrit le doute etentretient toutes les
suspicions. Le simple changement de focale permet
de critiquer à outrance le nouveau régime rwan-
dais «issu des fosses communes ». Cet élément de
langage devient un leitmotiv. En un incroyable tête-
à-queue, les nouvelles autorités de Kigali, celles-là
mêmes qui ont mis fin au génocide, sont désignées
comptables de la tragédie qui vient de s’accomplir.
Comme si l’État d'Israël était accusé d’avoir organisé
l’'Holocauste afin de justifier sa création en 1948.

Alimentée par de multiples biais, cette version
permet d’esquiver à bon compte la question du
rôle de l'Élysée. Elle prospère au-delà du départ de
François Mitterrand. Huit ans après sa mort, «les
génocides » sont ressortis du placard par Dominique
de Villepin, ministre des Affaires étrangères.

Aujourd’hui encore, et malgré les vingt-trois
ans écoulés, Hubert Védrine, secrétaire général
de l'Élysée sous François Mitterrand, ministre des
Affaires étrangères dans le gouvernement Jospin,
gérant de la société Hubert Védrine Conseil au
chiffre d’affaires de 1124 900 euros pour 2015 et
habitué des tribunes de presse, s'efforce de lui don-
ner corps, inlassablement.

S’il en est un qui ne cède jamais sur le Rwanda,
c’est bien lui, le fidèle d’entre les fidèles, l’homme
de l'ombre qui veilla à la bonne marche de l'Élysée.
Secrétaire général de la présidence de 1991 à 1995,
il fait remonter les informations au chef de l’État.
C’est par lui que passent les notes de la cellule
africaine de l'Élysée et celles du chef d'état-major
particulier de l'Élysée, le général Quesnot. C’est lui
aussi qui fait appliquer les directives présidentielles.

Quatre années d’intense activité. Quatre années
à gérer en sus du quotidien la première guerre du
Golfe, la cohabitation, le conflit yougoslave, le
Rwanda... mais aussi les incessantes controverses
déclenchées par les poursuites lancées contre les
fonctionnaires «collabos » des années Vichy: René
Bousquet inculpé en 1991, Maurice Papon inculpé
le 22 juin 1992, Paul Touvier jugé en 1994.

Le passé de Vichy fait écho. Il met en jeu l’his-
toire d’Hubert Védrine et celle de celui qu’il sert.
Son père et François Mitterrand, anciens prison-
niers de guerre, se sont rencontrés en 1942, pen-
dant l'Occupation, au commissariat aux prison-
niers. En 1943, ils prêtent serment au maréchal
Pétain, ce qui leur vaut d’être décorés de l'ordre de
la Francisque, n°2172 pour Jean Védrine, n°2202
pour François Mitterrand. «Vichysto-résistants »,
ils étaient «comme des frères », dira Hubert Védrine.

Né après-guerre, en juillet 1947 dans la Creuse,
le jeune homme passe, lui, ses étés dans la maison
familiale de Saint-Silvain-Bellegarde où François

S’ilen est un qui ne cède
jamais sur le Rwanda, c’est
bien Hubert Védrine, qui
veilla à la bonne marche de
l'Élysée. Il faut «cesser de se
focaliser sur le génocide »,
enjoint-il en février 2017.

XXI - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017


Mitterrand s'invite régulièrement. Terminant
PENA à 26 ans, il propose ses services à l’ami de
son père. Député suppléant en 1978 dans la Nièvre,
le fief de François Mitterrand, Hubert Védrine
le suit lorsqu'il est élu en 1981 à la présidence de
la République. C’est l'apprentissage du pouvoir.
À l'Élysée, il est d’abord conseiller pour les affaires
diplomatiques et stratégiques, puis porte-parole,
enfin secrétaire général de la présidence.

AU NOM D’UN «ENGAGEMENT GLOBAL
DE SÉCURITÉ »

La fidélité à un homme et à unetrajectoire s’ins-
crit dans la durée. Par devoir, par conviction, par
nécessité, Hubert Védrine préside depuis 2003
l’Institut François-Mitterrand. Gardien de l’héri-
tage, il entend défendre la place de l’ancien chef de
l'État dans l’histoire. Et se refuse à « l’idée que la
France » puisse avoir «mal agi» au Rwanda.

JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017 - XXI

Cette année encore, cela n’a pas manqué.
À l'approche du 7 avril, jour marquant le début du
génocide des Tutsi, Hubert Védrine est à nouveau
monté au créneau pour s’arc-bouter contre cette
insupportable mémoire de 1994 qui l’encombre,
et qu’il voudrait bien gommer. Il faut « cesser de
se focaliser sur le génocide», enjoint-il, tranchant,
en février 2017 dans l’hebdomadaire Le 1. «Se
focaliser » sur huit cent mille morts, c’est pinailler.

Mais il a beau faire, s’agiter, tempêter, le dos-
sier ne cesse de se fournir. Les hommes parlent,
et les secrets les mieux gardés n’ont qu’un temps.
Le sablier n’a même jamais cessé de couler depuis
ce mois d'octobre 1990 où Jean-Christophe
Mitterrand, nommé par son père à la tête de la cel-
lule Afrique de l'Élysée, décide d'envoyer des soldats
français au Rwanda afin d'y repousser une incursion
de rebelles surgis d’Ouganda. C’est l’Afrique, c’est
comme d’habitude. C’est le début de l’engrenage.

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REPUBLIQUE FRANÇAISE

CONFIDENTIEL DÉFENSE

Paris, le 24 février 1995







N° 109 DEF/DAS/SDQR/PC/CD

DELEGATION
AUX AFFAIRES
STRATEGIQUES

NOTE

OBJET : Evaluation politico-militaire de la crise du Rwanda

L.1.- Jusqu'à l'évacuation de l'Ambassade de France à Kigali. le 12 avril 1994. une
focalisation. dans les TD et les analyses du poste militaire. sur les sujets pouvant intéresser
les autorités gouvernementales françaises : ainsi le primat accordé aux différentes
évolutions des négociations d'Arusha. aux frémissements des dissensions internes au FPR. aux
avancées ou reculs des lignes de front pendant les reprises d'hostilités. a masqué totalement
l'analyse sur les résistances du Président Habyarimana dans l'application des différentes
versions des accords. ou, beaucoup plus grave. la mise en place des réseaux et des milices
responsables du futur génocide. La crise a été pensée tout au long de sa genèse en termes
trop strictement politiques (le FPR contre Habyarimana, anglophonie contre
francophonie...) plutôt que ethniques et sociaux. Ainsi le gouvernement français offrira
l'hospitalité à des personnalités qui se révéleront ensuite être des "V.L.P. du génocide"

- Seule la DGSE dans une note du 12 janvier 1994, a alerté les responsables sur
l'existence de la stratégie de provocation de milices Interhamwe (milices du parti-
gouvernemental ) contre les forces du FPR dans Kigali. et contre les Paras belges. Elle attire
l'attention sur les responsabilités particulières du CEMA des Forces armées rwandaises. Par la
suite. la DGSE fera régulièrement connaître la politique de blocage du Président
Habyarimana, dans le processus de réconciliation. les distributions d'armes à la
population. (Note du 24 février 1994).

1.2.- Après l'évacuation de l'ambassade le 12 avril 1994. la DGSE continuera seule à
fournir des informations. S'intéressant d'abord au déroulement des hostilités, elle attirera assez
vite l'attention (Note du 4 mai 1994) sur l'importance des massacres commis surtout par les
forces gouvernementales, (sans oublier ceux commis. dans une moindre proportion. par le
FPR). La DGSE propose d'ailleurs à cette même date. une condamnation publique sans
appel des agissements de la Garde Présidentielle et du Colonel Bagosora. Directeur de
Cabinet du Ministre de la Défense.

A cette date. la communauté internationale s'est émue depuis quelques jours de la
situation. Le 25 mai. la commission des Droits de l'homme de l'ONU vote une résolution
employant le terme de "génocide".

AU-DELÀ DE L’AVEUGLEMENT

Rédigée six mois après la fin du génocide sur la à un « Plaidoyer pour un réexamen de la politique
base de notes de la DGSE, cette «évaluation » de la française au Rwanda»: «La France n'intervient donc
Délégation aux affaires stratégiques (DAS) démontre pas comme garante de la stabilité du continent, mais
que les autorités françaises savaient. Dans une dans une fonction de simple police, mi-intérieure,
autre note «confidentiel défense » du 10 avril 1993, mi-extérieure. L’engrenage qui a amené la présence
soit un an avant le génocide, la DAS s’est déjà livrée militaire française va devenir de plus en plus banal. »


Dans les jours qui suivent, le risque d’une
«élimination totale des Tutsi» est signalé dans un
télégramme de l’ambassade de France à Kigali.
Mais cet avertissement, le premier d’une longue
série, pèse de peu face à « l'engagement global de
sécurité» que l'Élysée estime devoir à ses alliés afri-
cains. Paris vole donc à la rescousse d’un régime
hutu jugé légitime, ceux-ci «représentant 80 %
de la population », affirme Hubert Védrine en un
saisissant raccourci, lourd de conséquences.

Dès lors, l'Élysée va pas à pas, consciemment ou
non, se rapprocher d’un «noyau dur » d’extrémistes
hutu. Un «noyau dur », précisent les parlementaires
français de la mission d’information sur le Rwanda,
qui ne voit comme seule issue «pour se maintenir au
pouvoir » que « la préparation du génocide ».

C’est cette proximité que dénonce en 1994
Médecins sans frontières en parlant de « la
responsabilité écrasante de la France ». C’est elle
qui explique le silence de François Mitterrand à
Oradour-sur-Glane. Et sa volonté de reprendre la
main sur le terrain pour faire taire les accusations.
D'où l'opération Turquoise, la plus importante
intervention militaire jamais menée par la France
en Afrique, celle qui reste la plus à vif.

«RÉARMER » LES ASSASSINS

Deux semaines après la commémoration
d’Oradour-sur-Glane, deux mille cinq cents sol-
dats français sont envoyés vers le pays des mille
collines. Le contingent français reçoit l’ordre de
rester neutre, armes au pied face à un génocide. Une
mission impossible qui ne dit pas tout. Sous couvert
de Turquoise, un autre ordre est donné: «réarmer »
les assassins. Oui, les «réarmer ». C’est stupéfiant.

Une trace officielle atteste de l'existence de cet
ordre qui viole l’'embargo sur les armes voté par
l'ONU le 17 mai 1994, un mois après le début du
génocide. Selon nos informations, les documents
reposent depuis vingt-trois ans, estampillés du
sceau du secret, au fond d’un carton. Des fonction-
naires les ont lus. Les preuves peuvent disparaître,
mais pas être effacées des mémoires.

La mise au jour de ces preuves remonte à la com-
mémoration des vingt ans du génocide. En 2014,
l'Élysée de François Hollande annonce l'ouverture
prochaine des archives sur le Rwanda. Deux hauts
fonctionnaires habilités au secret sont saisis du dos-
sier. Ils s’enferment dans un bureau pour éplucher
discrètement, sous les lambris de la République, les
cartons couvrant la période 1990-1994. Quelques
documents, déjà connus ou de moindre impor-
tance, sont déclassifiés. Puis, rien.

JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017 - XXI

Un mois après le vote d’un
embargo sur les armes et
l'adoption d’une résolution
de la commission des
droits de l’homme de
PONU employant le

terme de «génocide »,
Paris maintient sans
sourciller son soutien aux
extrémistes hutu.

Que s’est-il passé ? La réponse viendra des mois
plus tard lorsque, après avoir refermé les cartons,
un des deux fonctionnaires habilités à la lecture
des archives rwandaïises ne peut s'empêcher de
raconter ce qu’il a découvert. En privé devant un
cercle restreint, il narre sa plongée dans les car-
tons, sa découverte, son affolement. Son avis est
transmis à l'Élysée qui décide de refermer la boîte
de Pandore.

Avant de donner à lire les confidences de ce haut
fonctionnaire, un avertissement : Hubert Védrine
contestera, il demandera que l’on fournisse la
preuve matérielle.

Nous répondrons au président de l’Institut
François-Mitterrand et aux services de l’État que
le juge de paix sera l’ouverture totale des archives.
Comme le demandent depuis des années les histo-
riens et les associations, comme le demande la jus-
tice française entravée sur de nombreux dossiers
rwandais, comme cela fut envisagé par la prési-
dence de la République en 2014 avant qu’elle ne se
rétracte. Vingt-trois ans après, n'est-il pas temps ?

«L'AUTEUR DE CETTE PETITE NOTE
ÉTAIT HUBERT VÉDRINE »

Dans ses confidences, le haut fonctionnaire
explique qu’«il y avait dans ces cartons des infor-
mations sur le rôle de la France avant le génocide et
jusqu’à l'opération Turquoise ».

Le haut fonctionnaire raconte avoir relevé
«deux choses importantes ». «Au cours de l’opéra-
tion Turquoise, ordre avait été donné de réarmer
les Hutu qui franchissaient la frontière.» Un mois
après le vote d’un embargo sur les armes, un mois
aussi après l'adoption d’une résolution de la com-
mission des droits de l’homme de l'ONU employant
le terme de «génocide », Paris maintient sans sour-
ciller son soutien aux extrémistes hutu.
Le haut fonctionnaire poursuit en précisant
qu«il y avait plusieurs documents sur des cas de
“droit de retrait” que des militaires auraient fait
valoir pour ne pas obéir aux ordres. Il y avait aussi
un document disant que les militaires sur place
ne comprenaient pas cet ordre et ne souhaitaient
pas l'appliquer ». Difficile de fournir des armes à
des assassins.

«Sur un de ces messages », le haut fonctionnaire
dit avoir «vu une note dans la marge disant qu’il
fallait s’en tenir aux directives fixées, donc réarmer
les Hutu... L'auteur de cette petite note était Hubert
Védrine ».

Le haut fonctionnaire raconte avoir alors «refer-
mé les cartons », puis «clairement expliqué qu’il serait
très problématique pour les personnes concernées par
cette affaire que ces documents soient communiqués ».

L’argument a été entendu. Ces documents «pro-
blématiques » sont restés enterrés dans les archives.

64



D’autres documents et témoignages ont, tou-
tefois, déjà fuité. Avec le temps, des responsables,
des soldats, des diplomates, des petites mains, des
hommes de l'appareil d’État ont fait savoir leur
malaise sur ce dossier rwandais.

«PAS QUESTION POUR MITTERRAND
DE CHÂTIER LES AUTEURS DU GÉNOCIDE »

Mis bout à bout et rassemblés comme autant de
pièces d’un puzzle complexe, ces éléments tirent
tous dans une même direction: celle de l’aveu-
glement d’une présidence française qui refuse de
voir, derrière le rideau d’un «engagement global
de sécurité», le génocide en train de se préparer et,
plus tard, de s’accomplir.

C’est un officier français en prise directe
avec le dossier qui s’aperçoit dès le 23 jan-
vier 1991 «qu’une structure parallèle de comman-
dement militaire français a été mise en place »:

XXI - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017
«À cette époque, il est évident que l'Élysée veut que
le Rwanda soit traité de manière confidentielle. »
Au Rwanda, la présidence mène une guerre
secrète. La mission d’information parlementaire
le confirme sous de pudiques «dysfonctionnements
institutionnels ».

C’est le responsable de la cellule Afrique de
l'Élysée, Bruno Delaye, qui détaille en 1994, d’un
ton désabusé, la ligne officieuse : «Le complexe
de Fachoda, la vision francophone contre celle
anglophone, le discours sur les insurgés qualifiés
de Khmers noirs de l’Afrique, nos ennemis... C’est
vrai, tout cela a été dit.» En quelques mots se trouve
énoncé là l’héritage colonial qui fait le nœud de la
«Françafrique ».

C’est le 6 mai 1994, en plein génocide, une note
du général Quesnot, chef d'état-major particulier
de l'Élysée, visée par Hubert Védrine: «À défaut
d’une stratégie directe dans la région qui peut appa-
raître politiquement difficile à mettre en œuvre, nous
disposons des moyens et des relais d’une stratégie
indirecte.» Autrement dit: des financements, des
aides occultes, des barbouzes pour faire en sous-
main ce qu’il est difficile d’assumer à ciel ouvert
quand le génocide est avéré.

C’est pendant l'opération Turquoise la copie
d’une dépêche de l'agence Reuters du 6 juillet 1994
titrée : «Rwanda - Paris prêt à arrêter les membres
du gouvernement » d’extrémistes hutu. Dans la
marge, une note manuscrite signée par Hubert
Védrine: «Lecture du Président. Ce n’est pas ce qui
a été dit chez le Premier ministre.» L'ancien Premier
ministre Édouard Balladur le confirme dans un
courrier du 9 juin 1998 : «11 n’était pas question aux
yeux de François Mitterrand de châtier les auteurs
hutu du génocide. »

C’est un ancien lieutenant-colonel de l’armée
de terre, Guillaume Ancel, qui accuse Paris d’avoir
livré des armes «aux forces génocidaires » sous
couvert de l'opération humanitaire Turquoise à
laquelle il a participé : «C'était durant la deuxième
quinzaine de juillet 1994. Officiellement, le génocide
venait de prendre fin, maïs à cette date, on savait
tout. Il ne pouvait s’agir d’une erreur de jugement.
C'était un acte délibéré. »

AUCUNE « CONDAMNATION PUBLIQUE »

Une synthèse jamais publiée de la Délégation
aux affaires stratégiques (DAS), en charge de
la réflexion sur les choix vitaux de l’État fran-
çais, rend compte des interrogations nourries
au sein même de l’administration. Rédigé
le 25 février 1995, soit six mois après la fin de

JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017 - XXI

Des documents et des
témoignages fuitent. Avec
le temps, des responsables,
des soldats, des diplomates,
des petites mains, des
hommes de l'appareil d’État
ont fait savoir leur malaise
sur le dossier rwandais.

l'opération Turquoise, ce « confidentiel défense »
tient en quelques lignes qui font l’objet d’impor-
tants débats internes.

«D'une analyse a posteriori de la crise rwandaise,
note la Délégation aux affaires stratégiques,
il ressort pour l’essentiel » un aveuglement qui
«a masqué totalement » la «mise en place des réseaux
et des milices responsables du futur génocide ». Ainsi,
les autorités françaises offriront «l’hospitalité à des
personnalités qui se révéleront ensuite être des “VIP”
du génocide ».

La synthèse relève que, pendant le génocide,
la DGSE «attirera assez vite l'attention» dans une
note du 4 mai 1994 «sur l'importance des massacres
commis surtout par les forces gouvernementales »
instruites et appuyées par Paris.

Dans cette même note, poursuit la DAS, la
DGSE «propose une condamnation publique
sans appel» des meneurs du génocide: la garde
présidentielle hutu formée par Paris et le colonel
Bagosora, un haut responsable militaire rwan-
dais, qui sera condamné en 2010 pour «crime
de génocide ». La proposition de la DGSE n’est
pas suivie, Paris persiste dans son soutien au
génocide.

Vingt ans plus tard, Hubert Védrine campe tou-
jours sur ses positions. Le 16 avril 2014, un député
de la commission de défense de l’Assemblée natio-
nale l’interroge sur les fournitures d’armement
après le début du génocide. La question l’ennuie,
Hubert Védrine cingle : « Ce n’est pas la peine de
découvrir sur un ton outragé qu’il y a eu des livrai-
sons qui se sont poursuivies [...] ce n’est pas la peine
de le présenter comme étant une sorte de pratique
abominable masquée. »

Les images de son intervention défilent sur
l'écran de mon ordinateur. Elles sont disponibles,
faciles d'accès. Lunettes sur le nez, très à l’aise,
l'ancien secrétaire général de l'Élysée se veut péda-
gogue. Son phrasé, glacé, hors sol, est terrifiant.
Il insiste : «Ça n'a rien à voir avec le génocide. ».
Non, bien sûr. &£
POUR ALLER PLUS LOIN
«REARMEZ-LES ! »

RER LAB F à rar EL à

Le co plexe

de Fachoda



«Le Petit
Journal» du
26 novembre
1898. Dr

e renoncement par la France au
L contrôle du poste de Fachoda, situé

à 650 kilomètres au sud de la capitale
soudanaise et convoité par les Britanniques,
fut en 1899 le symbole d’une humiliation
nationale.

Cette page d’histoire a donné naissance au
«complexe de Fachoda », expression d’une
rivalité réelle ou imaginée avec l'influence
«anglo-saxonne».

La formule est souvent utilisée pour
décrire la position de Paris dans la

tragédie rwandaise. Elle va de pair avec
«l’engagement global de sécurité» offert

aux pays africains du «pré carré» par
François Mitterrand, selon Hubert Védrine.
Auditionné par la mission d’information
parlementaire, l’ancien secrétaire général de
l'Élysée justifie ainsi la position de Paris au
Rwanda: «Le président François Mitterrand
estimait que la France devait assumer un
engagement global de sécurité à l'égard de
ces pays, qu’il y ait accord de défense ou qu’il
n’y en ait plus, comme au Tchad [...] Parce
que, dans ces régions toujours menacées

par l’instabilité, il considérait que laisser,

où que ce soit, un seul des régimes légalement
en place être renversé par une faction [...]
suffirait à créer une réaction en chaîne qui
compromettrait la sécurité de l’ensemble des
pays liés à la France et décrédibiliserait la
garantie française. »

Au Rwanda, l'engagement de sécurité»
apporté par Paris s’est trouvé, de fait,
doublement «décrédibilisé»:parun
génocide commis par un régime «légal»,
par la défaite de ce même régime «légal ».

À l'ombre

de l'attentat,
un coup
d’État masqué

L’attentat du 6 avril 1994
contre l'avion du président
rwandais a marqué les
esprits. Il est près de 20h30
quand le ciel de Kigali
rayonne de l'éclat de missiles
touchant le jet présidentiel
rwandais, un Falcon piloté
par un équipage français.

Les tueries commencent.
Circonscrites dans les
premières heures à la zone
autour de l’aéroport, elles
gagnent vite l’ensemble de
la capitale placée sous le
contrôle des Forces armées
rwandaises. Le7 avril,
lendemain de l’attentat,
marque officiellement le
début du génocide des Tutsi.

Dès la matinée d’après
l'attentat, les principaux
responsables politiques
rwandais (la Première
ministre, le président de
la Cour constitutionnelle,
plusieurs responsables
politiques modérés) sont
éliminés par les FAR, les
Forces armées rwandaises.
Dix Casques bleus belges
de l'ONU sont tués par ces
mêmes FAR.

Le 9 avril, un gouvernement
dit «intérimaire» est
constitué. Il rassemble des
personnalités connues pour
leurs positions extrémistes.
Dans son ouvrage Rwanda,
de la guerre au génocide, le
chercheur André Guichaoua
note que «ces personnalités
tinrent de nombreuses
réunions à l'ambassade de
France et fournirent ensuite
l'essentiel des effectifs

des membres les plus
extrémistes du gouvernement
intérimaire ».

Ce coup d’État, qui pourrait
être lié à l’attentat, reste
aujourd’hui encore un point
aveugle du dossier rwandais.

Hubert

, e
Védrine

l f ] ,

aprés l'Elysée

près quatorze ans passés à l'Élysée,
A Hubert Védrine entre en 1995

au Conseil d’État. L'année suivante,
il rejoint le cabinet d’avocats Jeantet et
associés.

En mai 1997, le président Jacques Chirac le
nomme ministre des Affaires étrangères
sur proposition du Premier ministre Lionel
Jospin. Il conserve cette fonction jusqu’en
mai 2002.

En 2003, après avoir créé une société

de conseil en stratégie, Hubert Védrine
Conseil, il travaille avec plusieurs

grandes entreprises françaises et noue un
partenariat avec le cabinet d'avocats Gide
Loyrette Nouel. Il devient cette même année
président de l’Institut François-Mitterrand.

Administrateur indépendant de LVMH
depuis 2004, Hubert Védrine décline

en 2007 la proposition du président Sarkozy
de revenir au gouvernement pour reprendre
les Affaires étrangères et rédige un «rapport
au président de la République sur la France

et la mondialisation ». Deux ans plustard,

en 2009 il entre au conseil d'administration
de la société Ipsos, leader mondial des
études de marché.

En novembre 2012, il remet au président
François Hollande un «rapport sur les
conséquences du retour de la France dans
l’Otan, sur la relation transatlantique et sur
l’Europe de la défense ». En 2013-2014, il
préside une commission chargée de rédiger
un rapport sur les perspectives économiques
entre l’Afrique et la France.

Auteur de nombreux ouvrages, Hubert
Védrine vient de publier en mars 2017 un
travail codirigé avec Jean-Yves Le Drian sur
François Mitterrand et la défense (Nouveau
Monde éditions).

XXI - JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017
Le Rwanda
et la justice
française

n France, de nombreuses procédures
judiciaires sont liées au Rwanda.

La plus connue est l'instruction sur
l'attentat du 6 avril 1994 contre l'avion
présidentiel rwandais. Ouverte en 1998 sur
plainte des familles de l'équipage français de
l'avion, l'enquête fut d’abord confiée au juge
Jean-Louis Bruguière. Il se trouva contredit
par son successeur, le juge Marc Trevidic
qui détricota sa construction. L’instruction
est aujourd’hui dirigée par les juges Nathalie
Poux et Jean-Marc Herbaut.

Le premier procès d’un «génocidaire »
refugié en France s’est déroulé en 2014.
Ancien capitaine de la garde présidentielle
reconverti dans la police politique après
un accident qui l’a cloué dans un fauteuil
en 1986, Pascal Simbikangwa était accusé
d’avoir organisé des barrages routiers

et d’avoir livré armes, instructions et
encouragements aux miliciens extrémistes
hutu. Reconnu coupable de génocide et
complicité de crime contre l'humanité,

sa peine de vingt-cinq ans de réclusion
criminelle a été confirmée en appel.

Un deuxième procès a vu comparaître

en 2016 deux anciens bourgmestres
rwandais réfugiés en France. Tito Barahira
et Octavien Ngenzi ont été jugés coupables
de génocide et de crimes contre l’humanité
pour «une pratique massive et systématique
d’exécutions sommaires » en application

d’un «plan concerté tendant à la destruction»
du groupe tutsi. Condamné à la réclusion

à perpétuité, ils ont fait appel.

Ces deux procès, les seuls à ce jour, ont été
menés à la suite de plaintes déposées par le
Collectif des parties civiles pour le Rwanda.
Cette association dirigée par des bénévoles,
le couple Gauthier vivant à Reims, a déposé
plus de vingt plaintes en quinze ans au nom
du collectif.

Une instruction est toujours en cours après
le dépôt d’une plainte contre X en 2005

au Tribunal aux armées de Paris pour
complicité de génocide et crimes contre
l'humanité à Bisesero, une région du bord
du lac Kivu où des responsables militaires
de l'opération Turquoise sont mis en cause
pour avoir abandonné des rescapés tutsi

à leurs tueurs. Dans cette affaire sensible,
les officiers et témoins ont été entendus.

JUILLET/AOÛT/SEPTEMBRE 2017 - XXI

Paul Kagamé, ÎLIRE, | VOIR...

l'ennemi

Vice-président (1994-2000)
puis président de la
République du Rwanda
depuis 2000, Paul Kagamé,
l’homme fort du Rwanda, est
régulièrement décrit par les
responsables français sous
les atours de «dictateur ».

Hubert Védrine l’appelle le
«petit Lénine du coin». Le
polémiste Pierre Péan parle
de lui comme d’un «führer»
qui serait «devenu directeur
de Yad Vashem, le mémorial
de la Shoah». Des officiers ae
supérieurs le désignent
comme l’'éminence première
de «Khmers noirs». Autant
de qualificatifs qui visent
tous à faire de Paul Kagamé
un «ennemi».

TEE CN LE

00 nl EF er

La réalité est plus complexe.
Son autoritarisme est avéré,
son intelligence aigüe aussi.
Héritant d’un pays exsangue
après le génocide, il est
parvenu à force de volonté

à reconstruire le Rwanda.
De nombreux observateurs
lui accordent le mérite
d’avoir apporté stabilité et
croissance économique.

POLITIQUES,
MILITAIRES
AALILIHALILIES
LELIATS
LULU

Revers de la médaille,

des ONG comme Human
Rights Watch et Amnesty
International critiquent
avec insistance les
manquements aux droits
de l’homme relevés au
Rwanda, notamment en ce
qui concerne la liberté de
la presse.






















RWANDA,

MILLE COLLINES,

MILLE TRAUMATISMES

de Colette Braeckman

(Œd. Nevicata, 2014).

Dans ce beau récit personnel,
Colette Braeckman,
spécialiste du Rwanda, passe
en revue avec intelligence

et humanité tout le mystère
de ce pays sans jamais céder
aux raccourcis. Un livre
indispensable qui permet

de relier le passé au présent
et agit en «décodeur ».

UNE INITIATION

de Stéphane Audoin-Rouzeau

(Ed. du Seuil, 2017).

Directeur d’études à
PEHESS, ce spécialiste
reconnu de la Première
Guerre mondiale témoigne
de sa rencontre imprévue
avec le génocide des Tutsi,
un «objet » qui a «coupé» sa
route et «fait voler en éclats
le sentiment de confort un peu
suspect qui atteint ceux qui
ont accompli l'essentiel de leur
chemin». Beau, fort et juste.

POUVOIR ET GÉNOCIDE

de Rafaëlle Maison

(Œd. Dalloz, 2017).

Professeure de droit public

à l’université Paris-Sud,
l'auteure étudie un «angle
mort» du dossier rwandais.
Analysant les jugements du
Tribunal pénal international
d’Arusha, Rafaëlle Maison
montre comment « l’œuvre
judiciaire fait opportunément
disparaître la dimension
postcoloniale du génocide

et la douloureuse question

de la complicité».

POLITIQUES, MILITAIRES
ET MERCENAIRES
FRANÇAIS AU RWANDA

de Jean-François Dupaquier
Œd.Karthala, 2014).

Dans cette «chronique d’une
désinformation», l’auteur,
spécialiste du Rwanda, met
en lumière le jeu d'hommes
de l’ombre: politiques,
militaires et mercenaires.
Un impressionnant travail
d'enquête.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024