Fiche du document numéro 2249

Num
2249
Date
Vendredi 1er juin 2012
Amj
Taille
121242
Titre
Rwanda : ces missiles français qui sèment le trouble
Soustitre
Un document de l'ONU daté de 1994 révèle que des missiles sol-air se trouvaient dans les arsenaux de l'armée rwandaise avant le génocide.
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Le dossier rwandais rebondit une fois encore. Les investigations sur
le mystère entourant l'assassinat du président rwandais Juvénal
Habyarimana en 1994, considéré comme le déclencheur du génocide, s'est
enrichi d'une nouvelle pièce: un document de l'ONU, datant de 1994,
indiquant que l'armée rwandaise était en possession de 15 Mistral, des
missiles sol-air de fabrication française, et de missiles soviétiques
de type SA-7, avant l'attentat.

Cette liste, dont l'existence a été révélée par le quotidien
Libération, a été remise aux juges Marc Trévidic et Nathalie Poux qui
enquêtent en France sur les conditions de la mort du chef de l'État
rwandais.

Le juge Bruguière contredit



En janvier dernier, ces magistrats avaient rendu public une série
d'expertises qui éclairaient d'un jour nouveau les conditions de
l'attaque contre l'avion de Habyarimana dans la nuit du 6 avril
1994. Selon leur rapport, le missile qui a touché sous l'aile gauche
le Falcon présidentiel a été tiré depuis le camp militaire de Kanombé,
alors aux mains des Forces armées rwandaises (FAR), loyalistes.

Dès lors, le meurtre ne pourrait être imputé qu'à des militaires hutus
proches de l'Akazu, le parti extrémiste à l'origine du génocide. Ces
conclusions étayées entraient en contradiction totale avec celles
d'une autre enquête française dirigée quelques années plus tôt par le
juge Jean-Louis Bruguière. Dans son travail très controversé, ce
magistrat, s'appuyant sur des pièces que l'on sait aujourd'hui
biaisées, avait affirmé que la responsabilité de l'attentat incombait
sans doute aux rebelles tutsis, et mis en examen des officiels
rwandais.

Pour leur défense, les militaires des FAR avançaient notamment qu'ils
ne possédaient pas à l'époque de missiles sol-air dans leurs
arsenaux. Le document de l'ONU semble démontrer le contraire.

Questions gênantes

 

Certes la liste, découverte par une journaliste britannique dans les
archives de l'ONU, ne permet pas de confirmer définitivement - et,
encore moins, de contredire - la thèse des juges Trévidic et
Poux. Mais c'est un élément intéressant de plus qui s'ajoute à leur
dossier.

Sa mise au jour soulève cependant des questions gênantes. D'abord pour
l'ONU: pourquoi un document aussi important, rédigé le jour même de
l'attentat, n'est-il sorti que de dix-huit ans plus tard - et encore,
par hasard?

Ensuite - et surtout - pour la France. Comment des missiles Mistal
ont-ils pu arriver au Rwanda alors qu'ils étaient en ce temps
interdits de vente à l'étranger? Comment pouvait-on l'ignorer à Paris?
Et, dans ce cas, pourquoi n'en avoir rien dit?

Aucun gouvernement français depuis lors n'a en effet évoqué cette
possibilité. Les responsables, comme Hubert Védrine, secrétaire
général de l'Elysée en 1994, ont toujours dit que l'arme ayant servi à
tirer sur l'avion d'Habyarimana était de fabrication soviétique. « Je
n'ai aucune information particulière sur les armes qu'il y avait alors
au Rwanda. Quand j'évoquais ce sujet, je ne faisais référence qu'aux
rapports sur cette question », affirme aujourd'hui Hubert Védrine.
Des rapports, comme celui de l'ex-capitaine Barril, présent au Rwanda
juste après le génocide, et qui assurait que le missile incriminé
était de type soviétique mais sans jamais parler de la piste de
Mistral.

Collaboration française



La présence de ces derniers avait cependant fait l'objet de nombreuses
rumeurs et avait même été évoquées dans un SAS et, plus sérieusement,
dès 1997 par Alisson Des Forges, une spécialiste de l'ONG Human rights
Watch (HRW). Elle avait été entendue par la Mission d'information
parlementaire française sur le Rwanda en 1998. « Elle n'apportait
aucune preuve de ses dires », se souvient aujourd'hui Paul Quilès, le
président le Mission parlementaire, qui rappelle la publication dans
son rapport de la liste de toutes les armes françaises livrées au
Rwanda, y compris des livraisons illégales. Paul Quilès « s'étonne de
la sortie d'un nouveau document ». « On n'a pas son origine ni ce
qu'il contient exactement. Il faut faire attention avant de tirer des
conclusions ».

Rien ne prouve en effet qu'un Mistral ait été utilisé contre l'avion
d'Habyarimana de loin s'en faut. Reste que la révélation de la
possession de ces missiles par les Rwandais met en évidence, une fois
de plus les nombreuses inconnues qui entourent la collaboration entre
les FAR et leurs homologues français dans les années précédant le
génocide.

Pour Hubert Védrine, le nouveau document, tout comme l'enquête des
juges Trévédic et Poux, ne change pas grand-chose: « Si cela doit
conduire à soupçonner des Hutus dans l'attentat ,cela n'implique pas
la France, au contraire. Cela montre que la politique d'Habyarimana,
soutenue par la France, gênait les extrémistes ».

Pour Bernard Maingain, un avocat des officiels rwandais mis en cause,
la brusque mis au jour de cette liste conduit au contraire à
s'interroger sur « l'enfumage constant » l'enquête sur les origines sur
le plus grand crime de la fin du XXe siècle.

Par Tanguy Berthemet

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