Fiche du document numéro 22558

Num
22558
Date
Janvier 1996
Amj
Fichier
Taille
54127
Titre
Billets d'Afrique No. 30
Type
Publication périodique
Langue
FR
Citation
BILLETS D’AFRIQUE N° 30 - JANVIER 1996
ème

Nous venions à peine de publier un 6 Dossier noir sur le « nouveau » dispositif franco-africain de Jacques Chirac, sous-titré
Retour à la case Foccart ?, que nous apprenions les péripéties du Sommet de la Francophonie de Cotonou.
Non seulement il convient de retirer le point d’interrogation, mais l’on peut dire qu’il s’est commis durant cette cérémonie le
type même du « péché contre l’esprit » - l’esprit de la langue et de la culture françaises, dévoyé dans une régression vers le
néocolonialisme le plus caricatural.
En trois jours, l’on a appris ceci :
1° La réforme de la Coopération engagée par Alain Juppé - à partir d’un constat de faillite - est reportée sine die. La rue
Monsieur est confirmée dans sa vocation de ministère des néocolonies...
2° Prétendre que la France a une quelconque « responsabilité » dans ce qui s’est passé en 1994 au Rwanda, c’est, selon Jacques
Chirac, tenir des propos « irresponsables ». Le récent aveu de la trahison des Juifs par la France vichyssoise n’est pas, s’agissant
d’Africains, envisageable avant plusieurs décennies...
Mais il y a pire. Ce Sommet se voulait l’acte de naissance d’une Francophonie politique - affirmant l’utile et nécessaire
contribution de notre langue à un meilleur avenir de la planète (nous ne sommes pas contre, loin de là... ). On a donc parlé
politique. Exit l’assassinat judiciaire dans un pays voisin, le Nigeria, des leaders ogoni non-violents. Exit la répression, souvent
épouvantable, exercée par l’armée algérienne. Il y a trop de pétrole francophone en ces deux pays. Par contre, Jacques Chirac a
cherché à ameuter ses 45 collègues en une ligue contre le petit

FRANCOFOLIES...
Rwanda : il s’agit, via une Conférence de la région des Grands Lacs cousue de fil blanc, de lui imposer une mise sous tutelle
internationale et la réintégration des responsables du génocide - que la France met beaucoup de zèle à protéger. Les Belges ont
sauvé la face du Rwanda, dans la résolution finale. La détermination élyséenne ne change pas pour autant.
Que Jacques Chirac rechute dans les ornières françafricaines qu’il a déjà longuement empruntées, de concert avec ses amis
Mobutu ou Eyadema, n’est guère surprenant. Il est par contre littéralement scandaleux qu’il mobilise pour ses basses œuvres le
lieu où la culture francophone était censée exprimer, pour la première fois, son message politique universel - affublant le
nouveau-né d’oripeaux révisionnistes et archéo-coloniaux. De quoi précipiter un peu plus l’anglophonisation du monde !
Ces francofolies de Cotonou sont de fort mauvais augure. Elles vont nourrir un peu plus la francophobie galopante - au
Cameroun, en Côte d’Ivoire, au Togo, au Zaïre, etc. Certes, nombre d’Africains font la différence entre les méfaits de la
Françafrique, où se réinvestit l’Élysée, et les valeurs dont reste porteur le peuple français. Mais, dans les crises que ces méfaits
attisent, tous ne voudront ou ne pourront faire dans la nuance.
Nous adjurons tous ceux pour qui la France ne se réduit pas à la traite des Noirs, aux massacres coloniaux, à l’antidreyfusisme, à Vichy, aux complaisances pour la torture en Algérie ou pour le génocide au Rwanda - tous ceux pour qui elle a
signifié le refus de l’obscurantisme, l’affirmation des valeurs républicaines et d’une certaine universalité des droits humains :
empêchons, avant qu’il ne soit trop tard, le parti unique de la magouille d’accaparer notre langue, notre culture, notre esprit aux
yeux d’un continent ! dénonçons et grippons la tentative grotesque de brejnéviser une partie de l’Afrique ! 35 ans plus tard, le
« retour à la case Foccart » est une farce tragique...
SALVES
Afro-pessimisme
Annonçant à Cotonou la mise au placard des projets de réforme de la Coopération française, Jacques Chirac a précisé qu’ils y
resteraient au moins jusqu’à la fin de son mandat, en 2002. Et il a fustigé, une nouvelle fois, l’afro-pessimisme. Mais n’est ce pas y
contribuer que faire don, avec sa personne, de 7 ans de glaciation à l’Afrique francophone ?
Gâtisme
Motif du gel des réformes selon Jacques Godfrain, prototype de la foccarto-chiraquie : nous avons cédé à « l’affectueuse
pression de nos amis » (les potentats africains). C’est la formule même dont usait Alain Poher lorsque, à un âge très avancé, il
« acceptait » de se laisser réélire une nième fois à la Présidence du Sénat. Mais la dangerosité potentielle du premier des sénateurs
est beaucoup moindre que celle d’une Françafrique débridée. Certes, elle est condamnée, mais son cerveau spongieux peut
autoriser encore quelques soubresauts de vache folle... (La Croix, 05/12/1995).
Métro Pathé Chirac
Dans la conception politique de Jacques Chirac (et/ou de son homme « d’image » Pilhan, et/ou de son mentor à éclipses, le
revenant Pasqua), le bon peuple métropolitain a besoin à intervalles réguliers d’un spectacle consensuel et Pathétique : ainsi
tressera-t-il des lauriers électoraux à l’organisateur-imperator. À Rome, déjà, l’on préconisait du « cirque » pour la plèbe.
En 1988, le candidat Chirac avait offert à la foule - idolâtre, croyait-on, de ses chaînes cathodiques - un thriller dont le suspense
insoutenable était couplé à celui de l’élection présidentielle : la libération des otages du Liban, débarquant sous les caméras juste
avant que l’électeur-spectateur ne glisse son bulletin dans l’urne. Malheureusement pour la maison de production, un metteur en
scène de raccroc, le docteur Pons, foirait simultanément à Ouvéa un remake des aventures coloniales, aux allures de cinéma-vérité.
Résultat global : un bide !

Billets d’Afrique

N° 30 – Janvier 1996

Il n’est pas inutile cependant de rappeler quelques détails : l’un des hommes clef du réseau Pasqua, le ténébreux Jean-Charles
Marchiani, fut l’acteur principal du dénouement de l’intrigue libanaise, au prix maximum. On accusa aussi le tandem ChiracPasqua d’avoir trafiqué le suspense en faisant capoter les négociations menées, deux ans auparavant, par le gouvernement Fabius.
À l’approche de l’échéance présidentielle suivante, en 1994, le même JCM (pas le Jean-Christophe du réseau Mitterrand !) fut
l’un des pivots de la livraison de Carlos, assortie d’une alliance innommable avec les massacreurs soudanais. Il jouait cette fois
pour le seul Pasqua, qui tentait une alliance alternative - et perdante - avec Édouard Balladur. Pendant ce temps, Jacques Chirac
adoptait un autre style, moins spectaculaire, qui convainquait (?) au final une majorité de Français.
Télé-guidage
L’entracte a été bref. Est-ce le naturel qui revient au galop, ou l’impresario Pasqua ? Après une œuvre très « personnelle » - un
cinéma d’essais (nucléaires) -, la maison Élysée semble vouloir enchaîner les films de série B, co-scénarisés par les publicitaires et
les services secrets, au grand dam du renom de la maison France.
Nous avions commis (n° 28) une longue critique du film baroque Raid sur les Comores, avec Bob Denard en super-star : son
style contourné (en forme de « coup tordu ») nous semblait un mauvais présage. L’épisode de la libération des deux pilotes
français détenus par les Bosno-Serbes, confirme le pronostic ébauché : JC prend les Français pour des demeurés - sans se soucier
des dégâts collatéraux chez les peuples où se tournent ses superproductions franchouillardes.
Est-il besoin de dire - sentant le missile pointé sur le critique : « il n’a pas de cœur ! » -, que l’on se réjouit de la fin des épreuves
subies par les deux pilotes et leurs familles ? Fallait-il pour autant contraindre l’armée française, en la personne de son chef d’étatmajor le général Douin, d’aller abdiquer sa dignité en s’affichant sur le même plateau télévisuel et photogénique que le général
Mladic - le pire criminel contre l’humanité, en Europe, depuis la seconde guerre mondiale ? Le même qui venait de bafouer la
protection française offerte (imprudemment) par le général Morillon aux assiégés de Srebrenica, massacrant au moins 6 000
d’entre eux (cf. Billets n° 29). Le même que le Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie a officiellement inculpé. Le
général Douin, symbole de la force du droit (n° 1 de l’armée de la « patrie-des-droits-de-l’homme »), aurait dû arrêter le général
Mladic, n° 1 de la purification ethnique. Mais il nous a pris deux pilotes en otage : alors, on lui fait mimi...
Qui a agencé ce scénario ? Jean-Charles Marchiani, chaleureusement applaudi par Jacques Chirac. Est ainsi confirmé le retour
au premier plan de Charles Pasqua, dont les intrigues ne réjouissent pas la majorité des acteurs africains. En France même, au cœur
d’une crise sociale sans précédent depuis 27 ans, la moitié des journaux télévisés ont été squattés par une édition spéciale de Perdu
de vue : le retour des otages sur le sol national, avec son trop-plein d’émotion, l’omniprésence du producteur,... et l’oubli de
Srebrenica.
Comme pour la livraison de Carlos, on nous jure que le spectacle n’a rien coûté. « Cadeau ! », répète Hervé de Charette. Mais
l’on pousse une crise d’anti-américanisme aigu quand, avec quelques heures d’avance, Bill Clinton rompt l’embargo sur le happy
end. Et l’on s’apprête à mener un combat de tous les instants contre l’Oncle Sam, qui voudrait remettre à niveau la force militaire
bosniaque (comme chacun sait, nulle puissance occidentale ne compte s’éterniser là-bas pour faire rempart à l’ethno-hégémonisme
serbe et au nationalisme croate).
Grands frères
Pourquoi permettre aux Bosniaques de se défendre seuls ? Ils devraient bien savoir qu’il y aura toujours un général Morillon
pour les bercer, un général Janvier pour refuser de secourir Srebrenica, un général Bachelet pour clamer (inopportunément) sa
serbophilie, un général Douin pour féliciter Mladic, un préfet Marchiani pour pactiser avec les pouvoirs les plus cruels, un Charles
Pasqua insubmersible pour « terroriser les terroristes », et un Jacques Chirac pour tourner une nième fiction : comment j’honore
mes promesses...
En plein chahut du métro-boulot, on voudrait au moins nous assurer le dodo : Bonne nuit les petits ! Pas plus qu’aux habitants
des Balkans, on ne conseillera aux citoyens français et africains d’accepter l’invitation du marchand de sable à un engourdissement
fatal.
Macabres comptabilités (suite)
Comme en ex-Yougoslavie, la qualification (crimes de guerre ou contre l’humanité) et la quantité des exactions ou assassinats
est un enjeu majeur à la fois moral, historique et politique. L’attitude de la communauté internationale ne peut être la même si le
pouvoir serbe a planifié la purification ethnique ou si ses tenants ne sont que les acteurs indifférenciés d’une violence mimétique.
De même, au Rwanda et au Burundi, la nature et l’ampleur des programmes génocidaires - réels ou supposés - sont décisives pour
toute prétention à la légitimité politique : elles sont donc sujettes à toutes sortes de manipulations.
On ne peut que saluer à cet égard la démarche récemment entreprise au Rwanda : établir un Mémorial du génocide - avec la liste
nominative de toutes les victimes. On pressent un décompte proche du million, mais n’anticipons pas : que la vérité se fasse !
Chez tous ceux qui trempèrent ou se complurent dans la conception ou l’exécution du génocide, on désespère de pouvoir nier
efficacement un fait aussi massif. On peaufine donc les excuses de la « colère » ou de la « prévention », et l’on mise gros sur le
filon du « deuxième génocide » - qui aurait été (ou serait) commis par l’APR (Armée patriotique rwandaise). Inutile de dire que
ces efforts sont « suivis » de près par certains milieux belges et français : les rumeurs sont collectées, les « témoins » choyés.
Les crimes ou dérapages dénoncés dans ce contexte ne sont certes pas tous faux. Des sources crédibles et non inféodées imputent
environ 40 000 victimes aux vainqueurs de juillet 1994 : représailles initiales, massacres de Kibeho et Kanama, meurtres
quotidiens, par vengeance ou intérêt. Un tel bilan - qu’il faudrait en tout cas préciser au plus tôt - serait tout sauf tranquillisant.
Ajouter qu’il équivaut à celui de l’épuration en France, en 1944-45, ne suffit pas à rassurer : à quand le terme du processus ?

Billets d’Afrique

N° 30 – Janvier 1996
Inflation

Tous les participants à la Conférence internationale sur le génocide (début novembre à Kigali) ont convenu que l’impunité était
l’une des causes foncières du déchaînement criminel : il y a encore plus de raisons qu’avant d’en refuser la perpétuation. Cela vaut
en particulier pour l’APR, qui accomplit difficilement sa mutation d’une force de guérilla en une armée nationale : la menace
extérieure incite à différer certaines mises en ordre - qu’ailleurs (au Zaïre, Togo, Tchad, etc. ), sans même ce prétexte, on ne songe
pas à faire.
Ceci dit, le Rwanda est encore l’une des contrées d’Afrique qui compte le plus de témoins et d’observateurs internationaux au
km¨ - qui ont par exemple stimulé et obtenu une amélioration notable de la situation des prisonniers. Dans ces conditions, on a
peine à croire l’affirmation de l’ancien Premier ministre démissionné en août, Faustin Twagiramungu (FT), qui chiffre à 250 000
les victimes « post-génocidaires ».
Il affirme disposer de « preuves irréfutables » - qu’il ne produit pas. Sans doute se réfère-t-il à la déclaration de son ami Sixbert
Musangamfura (un ancien journaliste, qui dirigea les Renseignements rwandais jusqu’en août 1995), où il est fait état de relevés
des victimes du FPR par secteur, commune et préfecture, pour un montant total de 312 726 !
D’aucuns suggèrent que rester 14 mois aux plus hauts postes d’un pays où se commettraient 600 meurtres par jour n’est pas un
gage de crédibilité. On sait par ailleurs que circulent en Belgique - où FT s’est exilé - des listes et documents d’une qualité plus
que douteuse, fondés sur des récits dont on a vu la genèse au printemps 1994 : les réfugiés attribuaient au FPR les tueries qu’ils
avaient eux-mêmes perpétrées. On sait encore que la lutte politique s’est aiguisée, y compris au sein du MDR (le parti de FT) : la
surenchère dans la défense des Hutus (statistiquement majoritaires) est une carte tentante, qui peut aussi attirer des soutiens
étrangers.
L’indispensable enquête
Cependant, comme rien n’est impossible au Rwanda - où le génocide a brisé trop de barrières -, des accusations aussi lourdes de
conséquences doivent faire l’objet d’une enquête internationale. Si elles étaient vérifiées, il faudrait en tirer toutes les
conséquences, politiques et judiciaires. Si elles sont diffamatoires, l’on comprendrait mieux pourquoi FT fut démissionné.
ONG et politique
Encore le Rwanda. Certains lecteurs français ou africains nous le reprocheront peut-être. D’autres partagent déjà notre propre
conviction : ce qui s’est passé et se passe en ce pays représente, politiquement et symboliquement, un moment crucial de l’histoire
de l’Afrique. Des enjeux profonds s’y révèlent, dans la crudité de l’après-génocide : à les observer attentivement, d’autres pays
s’épargneront peut-être des tragédies similaires.
Entre autres vaches sacrées, le rôle des ONG et de l’humanitaire a été remis en cause. Sur le second, les interrogations d’un
Rony Brauman, par exemple, restent béantes : que signifie une précipitation soignante qui ignorerait (voire pactiserait avec) les
causes politiques de l’inhumanité achevée ? Même les ONG de développement sont passées au feu de la critique : certaines ont
favorisé l’idéologie ethniste, à partir d’un communautarisme primitif ou d’une « théologie de la libération » dévoyée ; d’autres ont
noué des partenariats avec des « ONG » locales qui n’étaient, en fait, que les courroies de transmission d’un régime fascisant.
Beaucoup s’étaient engagés dans l’humanitaire ou le développement de base par désespoir du politique. Ils l’ont de nouveau
croisé brutalement : à quoi sert de développer l’agriculture et les équipements d’un village si la haine d’une société déchirée va
tout brûler, et massacrer de surcroît les « bénéficiaires » ? La nécessité de conjuguer l’économique et le politique - même si les
donateurs n’aiment pas beaucoup ça -, est confirmée pour quelques-uns, découverte par d’autres, encore refusée par les
« intégristes » du non-gouvernemental.
Tout cet éventail d’ONG est revenu au Rwanda, par centaines, depuis l’été 1994. Pour de bonnes et de moins bonnes raisons : le
désir de venir au secours d’une population martyrisée ; le besoin d’être présent dans un pays dont le nom suscitait des afflux de
dons. Enfin, la « communauté internationale », aussi défiante vis-à-vis du nouveau gouvernement de Kigali qu’elle fut indifférente
au génocide, n’entendait « aider » le Rwanda qu’en passant par le canal des ONG. Le tout a drainé des crédits considérables - bien
ou mal utilisés.
La question politique que ladite « communauté » (à l’exception notable des Pays-Bas) entendait ainsi esquiver avec l’alibi ONG,
ressurgit forcément : ignorer le gouvernement rwandais ne mène nulle part. À multiplier dans un pays ruiné les ONG au train de
vie occidental - certaines, du haut de leurs 4x4, toisant superbement une administration locale démunie de stylos -, on a suscité des
phénomènes de rejet. Dans un acte de souveraineté mêlé d’erreurs et de maladresses, Kigali a décidé de faire le tri : un premier
groupe de 38 ONG a été invité à faire ses valises ; l’action d’un deuxième groupe (18) est soumise à audit ; un troisième, de loin le
plus nombreux (102), est encouragé à rester.
On ne s’étonnera pas, après Cotonou, que plusieurs ONG françaises fassent partie du premier groupe. Elles estimeront, sans
doute, n’être pas responsables de la « politique » africaine de l’Élysée : mais exercent-elles assez leur rôle de contre-pouvoir
civique ? Plusieurs, en tout cas, supportent mal leur éviction, et le font savoir. Cela n’améliorera pas l’image du gouvernement
rwandais...
D’autres, en Europe, ont la réaction politique que l’on attend d’elles. Eurostep, l’un des trois collectifs européens d’ONG, a
considéré que la question n’était pas de savoir si l’on adore ou non le régime de Kigali et chacun de ses actes, mais si des
organisations humanistes sont à la hauteur du défi d’humanité posé au Rwanda : il a décidé de s’engager le 7 avril 1996, comme en
1995, dans la commémoration internationale du génocide rwandais : Ibuka.
Ce n’est que l’un des épisodes d’une indispensable révolution : en période de crise profonde du vivre ensemble, à travers la
planète, il n’est plus possible de déserter le terrain du civisme politique - fut-ce sous les plus saintes bannières.

Billets d’Afrique

N° 30 – Janvier 1996
Réseaux

On parle moins des réseaux giscardiens que de ceux de Foccart, Pasqua, Mitterrand et Cie. De l’âge d’or des années 70 (au Zaïre
notamment), ils ont pourtant conservé quelques affaires africaines. Curieusement, ils s’étaient investis dans une diplomatie
parallèle sur le conflit touareg, via leur chargé de mission Hubert Lassier.
Celui-ci avait affrété le 15 décembre un petit avion pour emmener le leader touareg Mano Dayak à un rendez-vous chez le chef
de l’État nigérien. L’aéronef a explosé de manière fort suspecte, sitôt son décollage. Certes, le rôle joué par Hubert Lassier et
Mano Dayak irritait beaucoup de monde à Niamey et Paris. Mais de là à rejouer l’attentat du 6 avril 1994 à Kigali...
On apprend à cette occasion que, le 17 novembre, le très giscardien Hervé I de Charette avait, accompagné du sieur Lassier, petitdéjeuné avec le maréchal Mobutu au domicile parisien d’icelui. Un délicieux mélange des genres pour le ministre RVI...
(Libération, 18/11/1995).

Bons points
- Le juge Goldstone a annoncé le 12 décembre les 8 premières mises en accusation par le Tribunal pénal international pour le
Rwanda (TPIR).
- Le collectif pour la justice au Rwanda, co-animé par Médecins du monde et Juristes sans frontières, a procédé à une analyse très
pointue du projet de loi d’adaptation de la législation française au statut du TPIR. Il a décelé plusieurs failles, qui risquent
d’entraver la coopération de la France avec le TPIR. Il propose des amendements pour les colmater. Si le gouvernement ne
s’empresse pas de les reprendre à son compte, on décernera une médaille aux parlementaires qui l’inciteront à faire diligence...
- La Conférence du Caire sur les réfugiés dans les pays des Grands Lacs, organisée par Jimmy Carter, a débouché sur un catalogue
de bonnes intentions - sans doute difficiles à mettre en pratique. Au moins a-t-elle désamorcé (provisoirement) la tension zaïrorwandaise. Surtout, la déclaration finale comporte l’amorce d’une reconnaissance internationale des massacres génocidaires (de
Hutus et de Tutsis) qui ont eu lieu au Burundi (en 1972 et 1993 notamment).
- Le sénateur Jean Faure (UC) a suggéré dans un rapport un contrôle parlementaire de l’action des services secrets - comme aux
USA ou en Allemagne. Une proposition ultra-subversive, mais qui mérite de faire son chemin.
- Le dispositif Épervier (800 hommes et des avions) quitterait sous peu le Tchad, et il serait question de fermer plusieurs bases
françaises en Afrique (Bangui, Abidjan, Libreville). (Libération, 01/12/1995).
Fausses notes
- La France n’a toujours pas versé sa contribution au TPIR.
- Jusqu’en octobre, les forces du Hutu power lançaient des raids contre le Rwanda depuis l’île d’Iwawa (lac Kivu). Après sa prise
d’assaut par l’APR, des journalistes ont visité cette base parfaitement équipée. Ils y ont trouvé des rations alimentaires d’origine
française... (Le Soir, 25/11/1994).
ILS ONT DIT
« On ne peut pas en même temps jouer les porte-parole obligés des droits de l’homme et de la liberté, et jouer les Bismarck de
banlieue ». (Jean-François DENIAU, député UDF).
« Les étrangers ont en permanence le sentiment que la France veut voyager en première classe avec un billet de seconde ». (Pascal
BONIFACE, directeur de l’IRIS - Institut des relations internationales et stratégiques).
« Les États-Unis sont, comme la France, un pays messianique, mais avec la puissance d’un pays messianique ». (Pierre
LELLOUCHE, député RPR).
« Quand il y a une vision, le système français est très monarchique. Quand il n’y en a pas, tous les acteurs, administratifs,
politiques, commerciaux, reprennent leur liberté. Aujourd’hui, nous assistons à une parcellisation de la politique étrangère, due à
l’absence de vision ». (Ghassan SALAMÉ, politologue, directeur de recherches au CNRS).
« Il faut faire confiance à la culture française dans sa capacité à produire de la cohésion, du bonheur de vivre, de la richesse
symbolique, et du plaisir. L’enjeu est de ne pas dessécher ce capital extraordinaire en voulant le protéger [...]. Il faut en finir avec le
syndrome de la ligne Maginot ». (Jean VIARD, chercheur au CEVIPOF - Centre d’études de la vie politique française).
[Ces citations sont extraites d’un article percutant de Sandrine Tolotti, Une certaine idée du monde, in Croissance, 12/1995].

« [La] "diplomatie tranquille" [des puissances occidentales envers la junte nigériane] est pure hypocrisie. Combien de gens Abacha
doit-il encore tuer pour qu’on décrète enfin un embargo pétrolier ? [...] Le général Abacha ne laisse pas d’autre voie que la
violence pour obtenir justice. C’est lui qui a déclaré la guerre à la nation, et la nation doit se défendre. Ce n’est pas seulement un
droit, c’est un devoir, une obligation ». (Wole SOYINKA, prix Nobel de littérature, interview à
Libération du 14/12/1995).

[C’est pour esquiver l’embarrassante question de l’embargo pétrolier que le « diplomate tranquille » Hervé de Charette a prononcé le
12/11/1995, à l’Assemblée, un impérissable sermon sur la France-héraut-des-droits-de-l’homme (Billets n° 29)].

Billets d’Afrique

N° 30 – Janvier 1996

À FLEUR DE PRESSE
L’Express, Les démons du Rwanda, 7/12/1995 (Vincent HUGEUX) : « Le général Kagame - du moins se plaît-il à le suggérer - doit
composer avec le "cercle gris des fous furieux" [...], un noyau d’officiers et de hauts fonctionnaires venus d’Ouganda ou du
Burundi, qui voient en tout réfugié hutu un criminel et en toute concession une reddition. [...] Un nom ? Le très influent colonel
Kayumba, ancien patron de la Direction du renseignement militaire (DMI). Les faucons sévissent aussi auprès des ministres
libéraux, dont ils sabotent les audaces. [...] Tel initié juge que le massacre de Kanama trahit un avertissement au jeune général
[Kagame] : les deux tiers des victimes seraient des familiers de l’un de ses fidèles. Bien sûr, Kigali s’évertue à policer sa troupe. [...]
"Donnez-moi les moyens de nourrir mes gars, soutient en privé Paul Kagame, et ils ne tueront plus pour un sac de légumes" [...].
Le temps est-il venu de crier au second génocide ? Non. Ce serait combler les négationnistes, qui distillent leur fiel à Goma
(Zaïre), Nairobi (Kenya) ou Paris. [...]
Pour l’heure, le Rwanda ploie sous le joug d’une maîtresse tyrannique : la peur. Le réfugié tremble à l’idée de croupir en prison ;
le pouvoir redoute les incursions de l’ennemi ; le dignitaire en disgrâce se méfie de ses meilleurs amis [...] et le rescapé craint la
suspicion des exilés fraîchement rentrés [...]. "En plus du deuil atroce, il me faut porter la culpabilité d’avoir survécu", chuchote,
accablé, un juriste tutsi. Quiconque a échappé aux machettes doit avoir pactisé avec les tueurs. Plus pervers encore, quiconque eut
le pouvoir de sauver des vies bénéficiait nécessairement chez les assassins d’une bienveillance suspecte. [...] "Chaque soir, dit un
proverbe, Dieu rentre dormir au Rwanda". Il faut se rendre à l’évidence : ces temps-ci, le Très-Haut découche ».
[Malgré une reconstruction qui étonne de nombreux observateurs, la peur continue de tenailler une société rwandaise dont on ne peut se
représenter la déchirure. C’est clair : le Rwanda a encore plus besoin de justice que de pain. La Justice, c’est l’un des noms de Dieu - mais des
théologiens suggèreront qu’elle a besoin des hommes pour « crécher » quelque part. Le documentaire de Frédéric Laffont, Maudits soient les
yeux fermés..., diffusé sur Arte le 09/12/1995, laisse entrevoir la vague immense des partisans du déni de justice - dans la « communauté
internationale » et au Rwanda même. Seule une conjuration en sens inverse pourra, avec beaucoup de patience, ramener la paix en ce pays.
Ceux qui auront refusé d’y participer auront mauvaise grâce de s’étonner du pire, s’il devait advenir... ].

Libération, Moubarak choisit l’opposition zéro, 9/12/1995 (Christophe AYAD) : « [Une] fraude massive a entaché l’ensemble du
scrutin [des législatives, où l’opposition n’a pu obtenir que 14 sièges sur 444] . Il semble en fait que le pouvoir ait été dépassé par ses
propres troupes. Après quinze ans de "moubarakisme", le Parti national-démocrate (PND) au pouvoir est en effet devenu l’otage de
clientèles toujours plus envahissantes et insatiables. [...] Le Président [...] n’a pu contrôler les appétits des "mafias politicofinancières" ».
citons - brièvement - cet article, sur un pays dont nous ne parlons guère, que pour souligner ceci : les « dérives mafieuses » décrites
[Nous neème
dans le 2 Dossier noir se retrouvent au Maghreb. L’évolution tunisienne est parallèle à celle de l’Égypte. La Françafrique est au mieux avec
les « mafias » de ces deux pays - qui ont bataillé à Cotonou pour empêcher toute résolution significative sur le cas algérien... ].

Le Monde, Hypocrisie, 30/11/1995 (Jean-Pierre TUQUOI) : « Depuis qu’il a été élu président, Jacques Chirac n’a pas mâché ses
mots pour reprocher aux Américains leur égoïsme à l’égard du tiers-monde. [...] Les États-Unis montrés du doigt, la France ne perd
jamais une occasion de se présenter comme un modèle de générosité. Les chiffres publiés, chaque année, par l’OCDE contredisent
ce discours rassurant [...]. La décision de l’Hôtel Matignon de tailler brutalement dans les crédits alloués à des organisations
comme l’Unicef, le HCR ou le PAM ajoute à l’hypocrisie. [...] Avec ces coupes claires, c’est une certaine image de la France,
généreuse pour les faibles et les opprimés, qui est atteinte ».
(Achevé le 18/12/1995).

Les « Dossiers noirs » de la politique africaine de la France, n° 6

Jacques Chirac et la Françafrique
Retour à la case Foccart ?
Agir ici et Survie. Éditions L’Harmattan
Un changement de Président implique un vaste renouvellement au sommet du dispositif franco-africain, et peut donner lieu à
ème
certaines réformes. Qu’en est-il dans le nouvel exécutif chiraquien ? Ce 6 « Dossier noir » tire le bilan de 6 mois de discours,
de nominations, d’actes et de projets. On a pu croire que Jacques Chirac voulait dompter la Françafrique : elle l’a vite rattrapé...
111 p. Disponible à Survie. 49 F. port inclus.

Les « Dossiers noirs » de la politique africaine de la France,
n° 1 à 5, en un seul volume.
Agir ici et Survie. Éditions L’Harmattan
1 - Rwanda : la France choisit le camp du génocide.
2 - Les liaisons mafieuses de la Françafrique.
3 - France, Tchad, Soudan, à tous les clans.
4 - Présence militaire française en Afrique : dérives...
5 - Les candidats et l’Afrique : le dire et le faire.
Index.
L’initiation à la Françafrique...
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