Fiche du document numéro 25473

Num
25473
Date
Mardi Mars 2011
Amj
Taille
362777
Titre
Louis Rwagasore, martyr de l'indépendance burundaise
Page
68-69
Nom cité
Cote
Afrique contemporaine 2010/3 (n°235), pages 68 à 69.
Type
Article de revue
Langue
FR
Citation
LOUIS RWAGASORE, MARTYR DE L'INDÉPENDANCE BURUNDAISE
Christine Deslaurier
De Boeck Supérieur | « Afrique contemporaine »
2010/3 n°235 | pages 68 à 69

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ISSN 0002-0478
ISBN 9782804161187

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Figure emblématique de la lutte
anticolonialiste au Burundi,
le prince Louis Rwagasore demeure,
au grand tableau des héros
des indépendances africaines,
l’un des plus illustres inconnus.
Ce n’est pas que son souvenir ait
été enterré ou sa mémoire bafouée
au gré des vents politiques
violents qui ont soufflé sur
son pays depuis une cinquantaine
d’années. Au contraire,
un consensus à peine ébréché
par les tourments de l’histoire
paraît unir la société burundaise
autour de son évocation quasi
hagiographique, ce qui a de
quoi surprendre dans un pays
où la controverse politique et
historique est forte. Son portrait
et son nom fleurissent sur
les billets de banque et sur
les murs de nombreux espaces
publics ; sa pensée et ses discours
sont convoqués dans la plupart
des débats partisans ; enfin,
son assassinat, neuf mois avant
l’indépendance proclamée
le 1er juillet 1962, est commémoré
chaque année dans de grandes
cérémonies œcuméniques.
Mais en réalité ce « martyr » de
la décolonisation burundaise
est à la mesure de ce qu’a été
et reste son pays à l’échelle
du continent : un réduit dont
la centralité géographique est
d’une part, surpassée par
les dimensions colossales de ses
voisins congolais et tanzaniens
et d’autre part, disputée avec
son faux frère rwandais. La
renommée internationale
du Congolais Lumumba ou
du Tanzanien Nyerere écrase
d’une certaine manière celle
d’un héros national pourtant si
familier dans son petit pays qu’on
l’appelle encore par
son prénom, « Ludoviko ». Quant
à sa fin tragique, elle apparaît
comme subsidiaire dans le récit
des décolonisations belges,
notamment par rapport aux
violences de la Toussaint rwandaise
ou de la débâcle congolaise, et

68 repères

au calvaire de Lumumba.
Dans le débat public au Burundi,
on s’efforce d’ailleurs aujourd’hui
de remédier à son absence de
reconnaissance internationale
en replaçant Rwagasore au
cœur d’une histoire panafricaine
des décolonisations. Quitte à
s’affranchir parfois des faits. On
l’associe ainsi non seulement à
des partenaires qu’il a réellement
côtoyés, comme Nyerere et
Lumumba, mais aussi, au mépris
des données disponibles, à Sékou
Touré et Kwame Nkrumah qu’il n’a
en réalité jamais rencontrés…
Le parcours fulgurant de ce leader
populaire (il est mort à 30 ans)
fonde, depuis des décennies,
une histoire et un imaginaire
politiques aux dimensions
paradoxales, puisqu’il s’agit
d’un prince qu’on adule en
République, du fondateur
d’un parti devenu unique
qu’on loue aujourd’hui même
dans les formations adverses,
d’un Tutsi enfin, ou tout comme (il
est en réalité Ganwa, un groupe
dynastique confondu, à tort, avec
celui des Tutsi), dans un pays où
la question ethnique est décisive1…
Fils aîné du roi Mwambutsa qui
a régné sur le Burundi pendant
toute la période coloniale
belge et jusqu’au lendemain de
l’indépendance (1915-1966),
Louis Rwagasore (1932-1961) a
fréquenté dans sa jeunesse les
meilleures écoles du RuandaUrundi belge. Puis, il a été l’un des
tout premiers Burundais à suivre
des études universitaires en
Belgique, à partir de 1953. C’est
à son retour au pays, en 1956,
qu’il a commencé à exprimer
ses aspirations politiques, en
proposant notamment un projet
de « constitution murundi »,
immédiatement dénigré et rejeté
par la Tutelle belge.
Mais c’est surtout à partir de 1957
que ses initiatives l’ont placé en
position d’adversaire déclaré
de l’administration coloniale,
au moment où il a lancé deux

coopératives de commerce et
de consommation au profit
des producteurs et commerçants
« indigènes ». Considérées par
les autorités belges comme
des « machines de guerre »
anticolonialistes et combattues
à ce titre 2 , ces coopératives ont
fédéré différentes composantes
de la société burundaise jusque
là peu coordonnées, et ont
été à l’origine de la cohésion
populaire sur laquelle le prince
a ensuite capitalisé pour fonder
le parti Uprona (Unité et progrès
national) au tournant des années
1958-1959.
Les Swahilis, souvent considérés
comme des étrangers au Burundi,
ont joué un rôle crucial dans
cette histoire du mouvement
indépendantiste, en lui donnant
une dimension transnationale
déterminante grâce à
leurs contacts et leurs activités
commerciales au Congo et surtout
au Tanganyika. C’est au travers de
leurs réseaux que Rwagasore lia
par exemple connaissance avec
Nyerere, dirigeant actif de la Tanu
(Tanganyika African National
Union), auprès duquel il chercha
conseils et aide financière
pour sauver ses coopératives
et organiser des protestations
contre l’administration coloniale
(contestations fiscales, boycott
des produits européens…).
Le parti Uprona connut une
expansion rapide à partir de 1959,
aussi bien dans les zones urbaines
que sur les collines rurales, dans
les milieux hutu comme tutsi.
Les meetings de Rwagasore, dont
le prestige était lié autant à
sa filiation royale qu’à son charisme
personnel, déplacèrent des foules
enthousiastes. Inquiètes de cette
percée du prince, les autorités
coloniales le neutralisèrent en le
plaçant en résidence surveillée
lors des premières élections
multipartites de la fin 1960, ce
qui permit aux partis rivaux de les
remporter. Mais l’année suivante,
l’administration tutélaire ne put

Afrique contemporaine 235

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Louis Rwagasore, martyr de l’indépendance burundaise

des ouvrages plus récents, ainsi que
des enquêtes menées auprès de
témoins de l’époque et
des contradictions relevées dans
des débats publics au Burundi
depuis 1990. L’espace disponible
ici empêche d’annoter
systématiquement les sources
utilisées, mais les références sont
tenues à disposition du lecteur
si besoin.
2. J.-P. Harroy, Burundi 1955-1962.
Souvenirs d’un combattant d’une
guerre perdue, Bruxelles, Hayez,
1987, p. 265.
3. Sur le procès et les responsabilités
dans le meurtre de Rwagasore, lire J.
Chomé, « L’affaire Rwagasore »,
Remarques africaines (Bruxelles), 4 e
année, n° 41-44, 14 décembre 1962,
p. 341-381.
4. Christine Deslaurier est docteur en
histoire, diplômé de l’université de
Paris I-Panthéon-Sorbonne. Elle est
chargée de recherche à l’UMR 194
EHESS-IRD, Centre d’études
africaines (CEAf), (christine.
deslaurier@ird.fr).

1. Les informations fournies dans cet
article sont le fruit d’un travail mené
depuis une vingtaine d’années sur
la décolonisation burundaise et
son héros national. Elles prennent
en compte des documents anciens
(Archives nationales du Burundi,
Archives africaines du ministère
belge des Affaires étrangères),

repères

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contenir la victoire écrasante
de l’Uprona dans un scrutin
législatif cette fois-ci supervisé
par l’ONU, le 18 septembre 1961.
Rwagasore fut alors nommé
Premier ministre puis forma
le premier gouvernement du
Burundi autonome. Il n’eut
cependant pas le temps de
le diriger : le 13 octobre 1961,
un tueur à la solde de ses adversaires
politiques – qui étaient en outre
ses cousins dynastiques –
l’exécuta d’une balle dans la tête 3 .
Cet assassinat a bouleversé
radicalement les équilibres
que Rwagasore avait mis
en place dans son parti et a
marqué le départ de divisions
ethniques et idéologiques qui
ont ensuite gravement secoué
le Burundi postcolonial. Sa mort
a été mise au service d’un projet
hégémonique de l’Uprona bien
différent de celui qu’il avait
promu de son vivant. En son
nom, ce parti a pu revendiquer
le monopole d’un pouvoir
dominé par des élites tutsi qui
ont sabordé sa vision ouverte
et unitaire du gouvernement
monarchique, ouvrant la voie
à un régime monopartite
exclusif. Finalement, ce sont
les dimensions martyrologiques
de son anticolonialisme qui ont
installé un consensus autour
de sa figure mythique, plus que
sa pensée politique et sociale
pourtant très articulée. C’est
à ce titre en tout cas qu’il a pu
intégrer le glorieux panthéon
des héros indépendantistes
africains, même s’il y tient
une place plutôt secondaire.
Christine Deslaurier4

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