Fiche du document numéro 26587

Num
26587
Date
2015
Amj
Taille
2309683
Titre
Pauline Nyiramasuhuko, une femme en procès
Soustitre
Le procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda de la première femme condamnée pour crime contre l’humanité et crime de génocide.
Type
Mémoire
Langue
FR
Citation
PAULINE NYIRAMASUHUKO
UNE FEMME EN PROCÈS
Le procès au Tribunal pénal international pour le Rwanda de la première
femme condamnée pour crime contre l’humanité et crime de génocide.

Juin 2001 – Avril 2014.
(Source: The New York Times, 15 septembre 2002)

Juliette Bour
Master 2 Recherche Histoire - Sciences Po Paris
Sous la direction d’Hélène Dumas et de Guillaume Piketty

Sommaire

Table des matières
5

INTRODUCTION
PARTIE I Pauline Nyiramasuhuko, Ministre.

18

CHAPITRE 1: La fille de Butare

20

De la famille de cultivateurs hutu à l’Akazu

20

Butare, une préfecture « en retard » ?

25

Le rôle du gouvernement intérimaire : la réunion du 19 avril

27

CHAPITRE 2 Être Ministre pendant le génocide

34

Une implication personnelle totale

37

L’abandon des prérogatives liées à son ministère ?

38

Une fonction redéfinie

41

Son agenda, source et preuve exceptionnelles

42

CHAPITRE 3 : Autorité militaire, autorité civile : des limites floues au cœur du processus génocidaire47
Une attitude guerrière

48

Une ministre en représentation

50

La guerre civile : un contexte déterminant

53

PARTIE II Promotion féminine et incitation au viol

57

Introduction

57

CHAPITRE 4 : Pauline Nyiramasuhuko et Arsène Shalom Ntahobali, incitation et exécution

62

Shalom Ntahobali, d’étudiant raté à chef de milice

63

Pauline Nyiramasuhuko, une femme « responsable » de viols

64

Le bureau de la préfecture : un espace de refuge ?

64

Le viol systématique comme arme génocidaire

69

CHAPITRE 5 : Une défense genrée. De la négation individuelle à la négation du génocide.

74

1

Une mère dans le prétoire

75

Un processus de victimisation

77

Shalom Ntahobali, bon mari et fer de lance du négationnisme

78

La construction d’un contre-récit négationniste

79

CHAPITRE 6 : Témoigner au TPIR face à Pauline Nyiramasuhuko et Arsène Shalom Ntahobali : les
conditions de la prise de parole des victimes

84

Une prise de parole encadrée

86

Une confrontation visuelle

87

Raconter face à l’Autre

89

Transposer un espace de mémoire

90

Le corps dans le prétoire

93

PARTIE III Un procès « de proximité », une accusée parmi « les siens »

97

Introduction

97

CHAPITRE 7 : Une défense familiale

99

L’hôtel Ihuliro à Butare, le fief de la famille Ntahobali-Nyiramasuhuko

99

Le couple Pauline Nyiramasuhuko-Maurice Ntahobali : distance et influences

103

Une famille à la barre

106

CHAPITRE 8 : Les témoins : voisins, camarades

112

Des réseaux de sociabilité au cœur des massacres

113

La proximité entre accusés et témoins-victimes

115

Des expériences partagées au service d’un récit commun

117

Une prise de parole parfois risquée

119

« Vérité et Condamnation »

120

CHAPITRE 9 : Les accusés : une famille politique en décomposition

123

Un procès collectif justifié

124

Des massacres organisés de concert

125

Des solidarités politiques reniées au TPIR

127

Sylvain Nsabimana, un personnage plus nuancé

130
2

CONCLUSION

135

SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE

140

ANNEXES

157

3

INTRODUCTION

4

« A Woman’s work 1» titre le New York Times le 15 septembre 2002 pour annoncer le procès au
Tribunal

pénal

international

pour

le

Rwanda2

de

Pauline

Nyiramasuhuko.

Pour la première fois, un journal d’envergure internationale écrit à propos du procès d’un
génocidaire rwandais. Parce qu’elle est une femme, la première à avoir été jugée et condamnée
pour crime contre l’Humanité et crime de génocide, Pauline Nyiramasuhuko choque et intrigue
l’opinion. Le titre de l’article condense, à lui seul, ce qui dérange : une femme, responsable des
massacres, dont le « travail » a conduit à la mort de près d’un million de Tutsi3 en moins de trois
mois au Rwanda d’avril à juillet 1994. Gukora, travaillez, demandait le gouvernement à la
population pour l’inciter à tuer.
Condamnée pour une violence qui serait l’apanage des hommes, Pauline Nyiramasuhuko,
ancienne ministre de la Famille et de la Promotion féminine, désacralise la féminité et la
maternité. Elle partage le banc des accusés avec son fils, Arsène Shalom Ntahobali, ancien chef
de milice, avec lequel elle a orchestré les viols systématiques de femmes tutsi. Comment
comprendre

ces

liens

du

sang

qui

s’immiscent

dans

un

procès

politique ?

Pauline Nyiramasuhuko, notamment par son implication dans les crimes de nature sexuelle,
bouscule tous les stéréotypes liés à la « féminité ». Malgré son physique de « gentille grandetante4 » inoffensive, elle a traversé le spectre génocidaire dans toute son ampleur.
Dans le cas de Pauline Nyiramasuhuko « travailler » prend plusieurs sens. Elle est jugée pour sa
fonction de ministre au sein d’un gouvernement génocidaire mais aussi pour son « travail »
personnel dans la préfecture de Butare où, de ses mains, elle a participé directement aux tueries.
Le récit de son implication dans le génocide des Tutsi se déroule tout au long de ce qui fut le
dernier et plus long procès mené par le TPIR, de juin 2001 à avril 2009. Un des cerveaux du
génocide mais aussi un corps exécutant, elle a fréquenté les cercles de pouvoir comme les camps
de réfugiés où elle sélectionne les hommes à tuer et les femmes à violer.
Le parcours politique de Pauline Nyiramasuhuko semble tout aussi paradoxal. Débutant comme
assistance sociale, elle se hisse au poste de ministre de la Famille et de la Promotion féminine en
1992. Elle possède, semble-t-il, tous les attributs d’une protectrice. Pourtant, elle utilisera son
1

P. Landesmann, « A Woman’s work », The New York Times, 15 septembre 2002.
Ci-après : TPIR.
3
En ce qui concerne les termes Tutsi et Hutu : nous ne les accorderons pas afin de respecter l’orthographe du
kinyarwanda.
4
D. Harman,“A woman on trial for Rwanda's massacre”, The Christian Science Monitor, 7 mars 2003.
« With her hair pulled neatly back, her heavy glasses beside her on the table, she looks more like someone's dear
great-aunt than what she is alleged to be: a high-level organizer of Rwanda's 1994 genocide who authorized the
rape and murder of countless men and women. Wearing a green flowery dress one day, a pressed cream-colored
skirt and blouse set the next, the defendant listens stoically to the litany of accusations against her. »
2

5

pouvoir et sa connaissance du terrain pour détruire. Ce paradoxe n’est qu’apparent puisqu’il ne
diffère en rien des grandes dynamiques des massacres de l’année 1994. Le génocide des Tutsi du
Rwanda est en effet un génocide « de proximité », qui a pu être aussi « efficacement » mené car y
ont pris part des gens qui se connaissaient. En cela, son profil cadre parfaitement avec son action
génocidaire.
Si l’on définit le monstre comme une personne ayant un comportement considéré comme déviant
par rapport aux normes et aux valeurs d’une société donnée, Pauline Nyiramasuhuko nous
apparaît comme monstrueuse. Elle rejoint alors le paysage des grands « monstres » de l’histoire.
Sa défense atteste d’ailleurs d’une pleine conscience de ces normes qu’elle a transgressées. En
effet, elle s’illustre par un recours à des arguments moraux, clamant son innocence au nom d’un
leitmotiv : comment une femme, une mère, aurait-elle pu commettre de tels crimes ? Elle avance
cette impossibilité essentialiste, ce paradoxe ontologique pour plaider l’impossibilité des actes
qui lui sont reprochés. Le procès se tisse donc au sein d’un schème manichéen et devient le lieu
d’expression de cette « féminité » malmenée.
Les juges ne suivent pas cette ligne de défense et la condamnent à la perpétuité en avril 2014 au
terme de quatorze ans de procédures.
Arrêtée à la requête du procureur, le 18 juillet 1997 à Nairobi au Kenya, Pauline Nyiramasuhuko
comparaît pour la première fois à Arusha en Tanzanie le 3 septembre 1997. Entre le moment de
son arrestation et la confirmation de l’acte d’accusation, le TPIR enquête sur le terrain afin de
recueillir des témoignages. Elle est accusée en comparution initiale d’«entente en vue de
commettre le génocide», de «génocide» ou alternativement de «complicité dans le génocide»,
ainsi que d’«incitation directe et publique à commettre le génocide», d’«assassinat constitutif de
crime contre l’humanité», d’«extermination constitutive de crime contre l’humanité», de
«persécutions pour des raisons politiques, raciales et religieuses constitutives de crime contre
l’humanité», d’«actes inhumains constitutifs de crime contre l’humanité» et de différents crimes
de guerre. Elle plaide non-coupable. Le 10 août 1999, les «viols constitutifs de crime contre
l'humanité» s’ajoutent aux onze chefs d’accusation retenus contre elle. Elle continue à nier toute
implication individuelle dans le génocide au nom d’un négationnisme d’ordre général. Elle ne
croit pas « à l’histoire » que le procureur lui raconte. Elle fera d’ailleurs appel de sa peine initiale,
réduite à 47 ans d’emprisonnement en décembre 2015.

6

Le terme génocide fut inventé par Rafaël Lemkin5 en 1944 pour décrire le projet hitlérien puis
repris en 1948 dans la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[
]

adoptée par l'assemblée générale des Nations unies, que l’article 2 définit ainsi
« Le génocide s'entend de l'un quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire,
en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa destruction
physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe.6 »

Celle de crime contre l’humanité apparaît en 1915 dans une déclaration franco-russo-britannique
relative aux massacres des Arméniens par les Turcs7.
Le « Procès Butare »
Pauline Nyiramasuhuko est jugée avec son fils et quatre autres co-accusés. Le 6 octobre 1999, le
TPIR a décidé de rassembler leurs cas au sein de ce qu’on appelle « le procès de Butare ». Butare
était en 1994, une des neuf préfectures du Rwanda. Les six accusé sont originaires de la région et
y ont œuvré pour perpétrer le génocide. Pauline Nyiramasuhuko représente le sommet de la
pyramide hiérarchique en œuvre à l’époque en tant que ministre membre du Gouvernement
intérimaire de Jean Kambanda. A ses cotés on retrouve son fils, chef de milice, Joseph
Kanyabashi, bourgmestre de Ngoma, Sylvain Nsabimana, préfet de Butare, Alphonse Nteziryayo,
commandant de la police militaire puis préfet de Butare et Elie Ndayambaje, bourgmestre de
Muganza. Tous étaient donc à différentes échelles, son fils mis à part, des représentants de
l’autorité civile dans la préfecture.
Mis en place dès novembre 1994, le TPIR est un tribunal ad hoc ayant pour objectif de juger les
autorités à l’origine du génocide des Tutsi pour des crimes commis au Rwanda du 1er janvier au
31 décembre 1994.
Il s’ancre dans deux logiques : prouver l’implication des accusés dans les massacres commis à
5

R. Lemkin, Axis Rule in Occupied Europe, Washington, Carnegie, 1944.
Nations Unies, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Article 2, 1948
7
Voir sur ce sujet : J. Sémelin ; « Du massacre au processus génocidaire. », Revue internationale des sciences
sociales, n°174, avril 2002, p483-492.
6

7

l’encontre des Tutsi à l’échelle de Butare, où près de 220 000 personnes ont péri, ainsi que la
condamnation de crimes commis contre des individus particuliers, nommés dans les actes
d’accusation des différents accusés. L’accusation doit donc : démontrer la culpabilité de Pauline
Nyiramasuhuko et qualifier ses crimes dans le cadre du génocide de 1994. Cette dimension
contextuelle apparaît essentielle pour le TPIR comme pour notre démarche historienne. L’accusé
est ici « […] un maillon d’une longue chaîne de responsabilités dans la perpétration d’un crime
étendu, multiple et complexe8 ». Pauline Nyiramasuhuko, par son statut hiérarchique, se trouve au
sommet de cette pyramide qui a encadré et planifié les massacres dans la préfecture.

Butare, préfecture du sud du pays à la frontière avec le Burundi, est un des grands centres
culturels et intellectuels du pays. Les Tutsi représentent un pourcentage important de la
population et y vivent en relative harmonie avec les Hutu alors que le pays connaît des tensions
ethniques de plus en plus fortes depuis la révolution sociale hutu de 1959. La société demeure par
ailleurs ethniquement assez mixte et son climat politique est apaisé9. Son préfet jusqu’au 19 avril
1994 est d’ailleurs le seul Tutsi à ce poste dans le pays.
Quand débute le génocide, les autorités enregistrent un « retard » du côté de la préfecture qui ne
suit pas le mouvement général des tueries. Alors que les massacres se généralisent dès l’attentat
contre le président Habyarimana le 6 avril 1994, laissant éclater une tension qui atteint alors son
paroxysme après trois ans de guerre civile entre les Forces Armées Rwandaises 10 et le Front
Patriotique Rwandais11. Pauline Nyiramasuhuko et le reste du gouvernement intérimaire décident
d’intervenir à Butare en prenant des mesures spécifiques pour combler ce « retard ».
Butare représente donc un lieu-clef pour comprendre le rôle qu’ont joué les autorités dans le
déclenchement du génocide. Un nombre important de recherches lui sont d’ailleurs consacrées.
Pourtant, aucune ne concerne exclusivement Pauline Nyiramasuhuko, qui s’y est impliquée à
différentes échelles : en tant que ministre de la Promotion féminine et de la Famille, mais aussi en
tant que femme originaire de la préfecture qui a su mobiliser ses réseaux de sociabilité et sa
connaissance du terrain pour perpétrer les tueries.

8

Née et élevée à Butare, Pauline

Y. Ternon, Guerres et génocides au XXe siècle : architecture de la violence de masse, Odile Jacob, 2007, p80.
Sur ce point voir: A. Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999, J.P Kimonyo, Rwanda : un
génocide populaire, Karthala, 2008.
10
Forces armées rwandaises (FAR) : troupes de l’armée rwandaise.
11
Front patriotique rwandais (FPR) : créé en Ouganda, en 1987-1988 par les exilés tutsi de la première et de la
deuxième république du Rwanda. Doté d’une branche militaire, l’Armée patriotique rwandaise, le FPR mène une
er
première offensive vers le Rwanda le 1 octobre 1990 afin de reprendre le pouvoir et de permettre le retour des
exilés tutsi.
9

8

Nyiramasuhuko atteste d’une surenchère dans la violence dès qu’il s’agit de « nettoyer » sa
préfecture.
Plus particulièrement, les archives du procès sont vierges de toutes recherches. Par conséquent, le
procès en tant qu’objet d’étude à part entière et lieu de mise en récit de l’itinéraire de la ministre
n’a pas été commenté. Ces sources nous renseignent exclusivement sur l’année 1994 à Butare,
d’où l’approche biographique centrée sur cette année proposée ici. Si le cadre chronologique et
géographique des évènements évoqués est réduit, les sources sont denses et attestent de
l’implication totale de la ministre dans les massacres. Elle dépasse largement les prérogatives
liées à son ministère pour créer un rôle à la mesure de la mission qu’elle se donne. Son
implication à l’échelle locale tient en effet d’une logique guerrière qui nécessité l’émergence
d’une fonction hybride, à la limite entre autorité civile et militaire.
C’est le contexte idéologique qui a permis de mener au génocide des Tutsi qu’il s’agit de faire
ressortir des sources. Nous chercherons ainsi à replacer Pauline Nyiramasuhuko dans la société
rwandaise de l’époque afin de comprendre en quoi elle a pu se distinguer, ou non, dans l’horreur.
L’accusée est imprégnée d’une vision racialisée extrêmement répandue dans le Rwanda des
années 1990. En faisant attention à la tentation téléologique, biais important lors de toute
approche biographique, il s’agit de rappeler la préparation du génocide dans les esprits. Comme
l’écrit l’historien Jacques Sémelin « Pour vivre, les hommes ont besoin de donner du sens à leur
existence. Pour tuer, il en est de même. Ce tremplin mental vers le meurtre de masse repose sur
les interactions constantes entre imaginaire et réel, à travers lesquelles toute limite est abolie 12».
Pauline Nyiramasuhuko reprend en effet à son compte une vision fantasmée de « l’ennemi »
Tutsi. Comment en est-on arrivé à cette idée prégnante chez Pauline Nyiramasuhuko qu’il faut
« détruire le “eux” pour sauver le “nous” 13» ? Le « mouvement de bascule du fantasme à
l’action» peut en effet sembler insaisissable et doit donc être appréhendé dans sa complexité
comme « processus de bascule, complexe, imbriquant des dynamiques collectives et
individuelles, de nature politique, sociale, psychologique, etc. 14»
Pauline Nyiramasuhuko, la fabrication d’un récit

12

J. Sémelin, Purifier et détruire. Usages politiques des massacres et génocides, coll. « La Couleur des idées », Paris,
Le Seuil, 2005, p287.
13
Ibid. p70.
14
Ibid. p16

9

Notre objectif n’est donc pas de dresser une étude linéaire du procès, ou même d’écrire
l’histoire du génocide dans la préfecture de Butare à partir des archives de celui-ci.
Le procès au TPIR de Pauline Nyiramasuhuko permet d’entrevoir la manière dont se fabrique le
récit du génocide au sein d’une institution de justice pénale internationale. Un portrait clair,
précis et unilatéral de Pauline Nyiramasuhuko n’émerge pas de ces sources. Au contraire,
ressortent des témoignages de nombreuses facettes du personnage. Celles-ci s’opposent et se
complètent, nous permettant d’appréhender l’accusée dans toute sa complexité. Contrairement
aux juges, l’historien ne cherche pas, face à de telles sources, à se ranger au tableau brossé par le
TPIR. Au contraire, « la vérité juridique » doit être tenue à distance. L’action de la justice pénale
internationale participe depuis 1945 à l’élaboration de discours de mémoire. Ces normes sont
conçues comme ayant une validité universelle et ont été rendues sensibles si l’on peut dire, à
travers les catégories du « génocide » et du « crime contre l’humanité » 15.
L’ambivalence et les contradictions, si elles nécessitent d’être rejetées dans le cadre d’un
jugement, sont extrêmement fertiles du point de vue de l’historien.
Même si le récit des événements tel que présenté par le TPIR, demeure indispensable et
représente la base de notre travail, il s’agira surtout de s’intéresser à la manière dont les récits
autour de Pauline Nyiramasuhuko se construisent.
Pour cela, il s’agit de rappeler la double-temporalité dans laquelle s’ancre le procès de Pauline
Nyiramasuhuko : les évènements de 1994 et l’évènement procès qui s’étend de 2001 à 2009. Les
sources nous permettent donc d’approcher Pauline Nyiramasuhuko comme une construction, un
monument de mémoire. La distance qui, à la fois, sépare et lie les deux évènements relève du
souvenir. Pauline Nyiramasuhuko n’apparait qu’à travers la parole des témoins, à charge et à
décharge. Ils parlent d’elle près de dix ans après les faits, dans des récits eux-mêmes orientés par
l’institution judiciaire. Les portraits qu’ils nous proposent tendent à s’opposer radicalement. Si
certains sont là pour la faire condamner, d’autres sont présents pour la défendre. Les témoignages
à décharge nous invitent par exemple à reconsidérer sa « monstruosité ». Elle reste une figure
maternelle protectrice pour les membres de sa famille qui témoignent au procès. Ces
témoignages, s’ils sont stériles sur la question du génocide, nous permettent par contre de
découvrir l’intimité de la ministre.

15

F. Jacquet-Francillon, « Le discours de la mémoire », Revue française de pédagogie, n°165, 2008, p5-15.

10

S’il y a deux temps, il y a aussi deux lieux : Butare et Arusha. La cour, blanche et aseptisée,
devient le lieu la scène d’une représentation qui remobilise le « Butare de 1994 ». En effet, tous
les témoins en sont originaires et les différents réseaux de sociabilité en vigueur au moment du
procès se recréent dans le prétoire.
Cette transposition nous permet d’appréhender le contexte idéologique dans lequel s’est construit
Pauline Nyiramasuhuko et surtout, ce qu’elle a représenté aux yeux de ses contemporains, qu’ils
furent victimes ou bourreaux.
Le TPIR comme producteur de sources historiques16
Au lendemain du génocide, le 8 novembre 1994, le Conseil de sécurité de l’ONU crée, par
l’adoption de la Résolution 955, le Tribunal pénal international pour le Rwanda dont le siège se
situe à Arusha en Tanzanie. Soixante-quinze personnes ont été jugées au sein de cinquante-cinq
procès.
Le procès Butare est le dernier et le plus long tenu au TPIR : six accusés et 159 témoins se
succèdent à la barre pendant près de dix ans. Il s’arrête, reprend, les audiences parfois tirent en
longueur. Les sources qui émanent de l’institution sont à l’image du procès.
Face à ces sources l’observateur peut se reconnaître dans ces propos de la survivante de la Shoah
Marie-Claude Vaillant-Couturier lus en introduction lors du premier procès au TPIR, celui de
Jean-Paul Akayesu 17:
«Pour en revenir au déroulement du procès, je me souviens de mon jugement critique à l'époque,
notamment sur la lenteur des débats que je trouvais extrêmement tatillons pour des crimes
indiscutables et une culpabilité des accusés qui ne l'était pas moins. Je pensais que l'on cherchait à
gagner du temps pour sauver des têtes.
Aujourd'hui, avec le recul et face, par exemple, à tous ceux qui nient l'existence des chambres à
gaz, je pense qu'il n'est pas mauvais que la procédure ait été tatillonne, que beaucoup de témoins à
charge et à décharge aient été entendus et que les possibilités de se défendre aient été garanties
aux accusés de façon indéniable.18 »

En effet, ces sources peuvent paraître austères mais se révèlent passionnantes. Le jugement à lui
seul compte près de 1800 pages. Présenté de manière thématique, il suit pour chaque allégation le
16

Sur ce sujet voir la thèse de O. Rovetta, Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda comme
source d’histoire ?, sous la direction de P. Lagrou, Université Libre de Bruxelles, 2014.
17
TPIR, Le Procureur c. Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-T, Jugement portant condamnation.
18
Marie-Claude Vaillant-Couturier, communication sans titre dans : Le procès de Nuremberg. Conséquences et
actualisation, Actes du colloque international, Université Libre de Bruxelles, 27 mars 1987, Bruxelles, Éditions
Bruylant – de l’Université Libre de Bruxelles, coll. « droit international », 1988, p. 21.

11

même schéma : un retour sur les faits, les procédures utilisées par l’accusation et par la défense,
la présentation des moyens de preuves (pièces à conviction et témoignages) et les délibérations de
la chambre. Il forme la base de mon travail et a orienté la lecture du reste du corpus. Il regroupe
par thème des éléments épars dans la chronologie du procès. La défense, par exemple, ne
présente ses éléments à décharge qu’en 2005, une fois que l’accusation a présenté les siens
pendant quatre ans.
Les dépositions des témoins oculaires et témoins-experts sollicités par le TPIR sont en effet
déconstruites par la chambre qui les approche selon l’organisation de l’acte d’accusation. Ainsi,
le jugement est une première mise en récit de l’implication de Pauline Nyiramasuhuko dans le
génocide. Il faut alors entrer dans « le rituel judiciaire ».
Aux transcriptions d’audiences – environ 1000 documents - et pièces à conviction – environ 300s’ajoutent les actes d’accusation des différents accusés, les mémoires finaux et les déclarations
des différents protagonistes du procès. Toutes les transcriptions ne m’ont pas été utiles mais,
n’ayant été ni classées ni archivées au préalable, il a fallu procéder à ce travail pour savoir
lesquelles concernaient Pauline Nyiramasuhuko directement. Les pièces à conviction sont de
natures diverses. On y trouve des photographies, des plans, des schémas, des déclarations de
témoins, des transcriptions de discours. Par de-là son côté « pratique », comment déconstruire la
narration établie par le TPIR ?
Nous serons particulièrement attentifs au contexte historique qui émerge du récit des différents
acteurs du procès. Leur histoire du génocide est évidemment sélective, voire absente dans la
bouche des accusés. Ces sources nous permettent de brosser le tableau des grandes dynamiques
du génocide à Butare mais nécessitent d’être complétées par des travaux plus généraux qui
permettent de nuancer le récit proposé par le TPIR. En effet, « pour un tribunal, la reconstitution
des événements est subordonnée à l’établissement de la culpabilité 19» le procès est une
construction, qui se saisit des faits à travers le prisme judiciaire et « par des crimes
particuliers20 ». Ainsi, nous n’hésiterons pas à utiliser certains témoignages invalidés par la
chambre, notre démarche étant différente.
Il faut cependant revenir sur une des pièces à conviction qui apparaît comme une source majeure
et exceptionnelle : l’agenda de Pauline Nyiramasuhuko. L’ancienne ministre a en effet rendu
19

P. Lagrou, « Réflexions sur le rapport néerlandais du NIOD : logique académique et culture du consensus »,
Cultures & Conflits, numéro « Srebrenica 1995 », n°65, printemps 2007, p. 63-79.
20
A. Garapon, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner : pour une justice internationale, Paris, Odile Jacob,
2002, p. 199.

12

compte dans un carnet de ses activités pendant le génocide. Traduit et analysé dans le cadre du
procès par André Guichaoua, témoin-expert de l’accusation, il constitue une des bases de notre
travail puisqu’il permet de cerner, malgré un style lacunaire, les centres d’intérêt de Pauline
Nyiramasuhuko à cette période, sa présence sur de nombreux fronts ainsi que quelques envolées
lyriques qui peuvent nous en dire plus sur son caractère. Mais si André Guichaoua lui consacre
certains chapitres dans son ouvrage Les Politiques du Génocide à Butare21, la question du genre
est absente, tout comme elle tend à s’effacer lors du procès. Par genre, nous entendons toutes les
constructions sociales et culturelles qui attribuent des comportements et des rôles différenciés aux
hommes et aux femmes. Son étude de cette pièce à conviction majeure demeure cependant
extrêmement riche, c’est pourquoi nous nous appuierons largement sur son travail. Cependant, les
principales sources que nous utiliserons seront les témoignages, par ailleurs plus à même de
questionner la question des représentations et la transgression des normes genrées et sociales chez
Pauline Nyiramasuhuko.
Si les procès du TPIR sont encore très peu étudiés, d’autres cours de justice pénale internationale
ont mobilisé une importante historiographie. Les sources sont « nouvelles » mais la démarche ne
l’est pas. L’essentiel des études sur le génocide sont héritières de l’approche juridique22. Ainsi,
les études des procès nationaux et internationaux de l’après Seconde Guerre Mondiale, des procès
pour crimes contre l’humanité en France ou des procès du Tribunal pénal international pour l’exYougoslavie23 ont guidé notre travail24.
Le procès de Pauline Nyiramasuhuko nécessite donc d’être inscrit dans la généalogie des grands
procès des crimes contre l’humanité.
Les historiens n’ont eu de cesse d’approcher « procès historiques » en questionnant la spécificité
du corpus. Nous ne ferons pas ici l’histoire du procès mais l’histoire d’une accusée à travers les
matériaux produits par l’institution juridique.

Ainsi, il s’agira de s’interroger sur la façon dont le procès de Pauline Nyiramasuhuko au TPIR
nous permet de mesurer son implication dans le génocide à plusieurs échelles : nationale, locale
et individuelle. De l’incitation à l’exécution, des foules à ses proches, Pauline Nyiramasuhuko a
21

A. Guichaoua, Rwanda 1994 : Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005.
J. Sémelin ; « Du massacre au processus génocidaire. », Revue internationale des sciences sociales, n°174, avril
2002, p483-492.
23
Ci-après : TPIY.
22

24

13

couvert toute l’ampleur du spectre génocidaire en déjouant toutes les normes attachées à sa
« féminité ». En s’attachant au contexte de l’émergence de sa violence et afin d’analyser ce qui
dans son comportement tient de la déviance, nous pourrons nous demander si Pauline
Nyiramasuhuko, au sein de ce procès historique qui clôt l’action du TPIR, apparaît comme un
« monstre au féminin ». Pouvons-nous encore évoquer la « banalité » du mal face à une femme
dont l’engagement, s’il est lié à son rôle politique, a largement dépassé toutes ses prérogatives ?
Est-elle finalement un homme comme les autres ? Mère et génocidaire, loin d’être « une nonpersonne » comme le Hitler de Ian Kershaw25, Pauline Nyiramasuhuko existe dans la cité comme
dans l’oïkos. La polyphonie caractéristique du corpus enrichit le récit de son implication dans le
génocide. L’accusée elle-même n’est que peu actrice de cette narration et apparaît donc comme
un monument de mémoire. Qui fut Pauline Nyiramasuhuko pendant l’année 1994 : monstre ou
fruit d’une époque ? Tueuse ou mère de famille ? Son cas nous montre que ces différentes
catégories ne s’opposent pas nécessairement et nous invite à reconsidérer les normes genrées et
morales qui entourent les auteurs de violences de masse.

Pauline Nyiramasuhuko représente avant tout le gouvernement intérimaire au sein de ce procès
où elle est jugée en tant que ministre de la Promotion féminine et de la Famille. Son parcours est
exceptionnel. Elle se hisse des foyers sociaux de province aux plus hautes sphères de l’Etat. A
l’aise sur tous les terrains et dans tous les milieux, elle demeure la fille de Butare tout en
s’engageant de manière totale dans sa mission au service du gouvernement. Elle mobilise ainsi
tous les moyens en son pouvoir pour encourager les massacres dans sa préfecture d’origine.
Cependant, au moment du génocide, elle redéfinit la fonction ministérielle par l’amplitude de son
implication dans les violences. Elle crée une fonction hybride, où elle transgresse ses prérogatives
d’autorité civile pour se faire chef de guerre. Elle s’inscrit ainsi dans un contexte particulier où se
recoupent échelle nationale et locale mais où elle intervient aussi de manière individuelle. Si elle
dévie souvent de sa fonction, son comportement s’explique cependant par le contexte dans lequel
elle

évolue :

celui

d’un

génocide

perpétré

par

des

civils

en

arme.

Mais au-delà de son rôle politique, l’implication personnelle de Pauline Nyiramasuhuko dans les
crimes de nature sexuelle organisés de concert avec son fils, pose question en termes de déviance.
Arsène Shalom Ntahobali rappelait en effet à ses miliciens que ses viols étaient encouragés et
25

I. Kershaw, Hitler, tome 1: 1889-1936, Flammarion, 1999, (éd. originale : Hitler, 1889-1936 : Hubris, Penguin
Books, Londres, 1998).

14

cautionnés par sa mère. De l’incitation à l’exécution, mère et fils ont œuvré ensemble à la
destruction de la femme tutsi, haïe et déshumanisée, par des viols que le TPIR a reconnus comme
arme génocidaire. Le duo qu’elle forme avec son fils interroge les stéréotypes liés aux violences
sexuelles. Pourquoi violer ou faire violer avant de tuer ? Si les témoignages l’accablent, cette
transgression complète de toutes normes « morales » est reprise et contournée par sa défense qui
dresse le portrait d’une femme, d’une mère, incapable au nom de ses attributs sexués de
commettre de tels actes. Ces crimes qu’elle nie en bloc, n’émergent d’ailleurs qu’à travers le récit
des témoins-victimes, qui à la barre se souviennent avec douleur et émotion, de la Pauline
Nyiramasuhuko de 1994.
Enfin, l’accusée n’est pas seule dans le prétoire. On assiste, au sein de l’espace aseptisé d’Arusha,
à une transposition du Butare de 1994 où sont remobilisés les différents réseaux au sein desquels
elle a évolué. Le procès peut ainsi être qualifié de « procès de proximité » où l’accusée s’entoure
des « siens » au sens large. Non seulement ses témoins à décharge sont tous des membres de sa
famille proche, mais parmi les victimes on trouve d’anciens voisins ou camarades. Les autres
accusés apportent également leur regard sur l’accusée, au sein d’un procès où les anciennes
solidarités se décomposent. Les bourreaux, leurs proches et leurs victimes se retrouvent au sein
du prétoire. Cependant, la distance et les hiatus inhérents au système des cours pénales
internationales ne sont pas absents, et la prise de parole peut s’avérer complexe. Mais, en tant que
personnage principal de ce microcosme réactualisé, Pauline Nyiramasuhuko apparaît comme le
centre de ces anciennes sociabilités remobilisées au nom de la construction du récit de son
implication dans les tueries de 1994.

15

Chronologie du procès de Pauline Nyiramasuhuko au TPIR.

Arrestation

Nairobi (Kenya)

18 juillet 1997

Comparution initiale

Arusha (Tanzanie)

Plaide non-coupable pour les 5 chefs d’accusation
retenus contre elle

3 septembre 1997

Modification de l’acte
d’accusation

Arusha (Tanzanie)

Rajout du viol en tant que crime contre l’humanité, ce
qui porte le nombre de chefs d’accusation à 11

10 août 1999

Réponse de l’accusée

Arusha (Tanzanie)

Plaide non-coupable

12 août 1999

Décision d’un procès
collectif

Arusha
(Tanzanie)

Nyiramasuhuko et cinq autres personnes accusées de
crimes commis dans la préfecture de Butare au
Rwanda en 1994 seront jugés ensemble

6 octobre 1999

Ouverture du procès

Arusha (Tanzanie)

Le procès, intitulé «procès collectif du groupe de
Butare», s’ouvre devant la deuxième Chambre de
première instance du TPIR.

12 juin 2001

Présentation des moyens à
charge

Arusha
(Tanzanie)

Du 12 juin 2001 au
16 décembre 2004

Présentation des moyens à
décharge de Pauline
Nyiramasuhuko

Arusha
(Tanzanie)

Du 21 janvier 2005
au 24 novembre
2005

Présentation des moyens à
décharge de Shalom
Ntahobali

Arusha
(Tanzanie)

Du 28 novembre
2005 au 26 juin
2006.

Présentation des moyens à
décharge de Sylvain
Nsabimana, Alphonse
Nteziryayo, Joseph
Kanyabashi et Elie
Ndayambaje

Arusha (Tanzanie)

Du 26 juin 2006 au
2 décembre 2008.

Clôture des auditions

Arusha (Tanzanie)

25 février 2009

Plaidoiries finales

Arusha (Tanzanie)

Le procureur requiert la prison à vie contre
Nyiramasuhuko

30 avril 2009

Condamnation

Arusha (Tanzanie)

Nyiramasuhuko condamnée à la perpétuité par le
TPIR. Elle et ses 5 co-accusés font appel du jugement.

24 juin 2011

Début du procès en appel

Arusha (Tanzanie)

Plaide non-coupable

14 avril 2015

Fin du procès en appel

Arusha (Tanzanie)

Condamnée à 47 ans d’emprisonnement

14 décembre 2015

16

PARTIE I
Pauline Nyiramasuhuko, Ministre.

Les neuf préfectures du Rwanda avant le génocide. Source : http://www.grandslacs.net/assets/cartes/rwanda-pol.gif

17

Carte de Butare utilisée comme pièce à conviction. N°D543.

18

CHAPITRE 1 : La fille de Butare
« Voyez-vous, je suis originaire de Butare, et si j’y passe et que je constate que quelque chose de
mauvais est en train d’être commis, je peux m’en saisir (sic.) de la situation 26 »

Pauline Nyiramasuhuko naît et grandit dans la préfecture de Butare. Son origine géographique est
essentielle pour comprendre le personnage et la façon dont elle a encouragé et participé au
génocide dans cette préfecture. Le procès de Pauline Nyiramasuhuko prend d’ailleurs le nom de
« Procès Butare » au TPIR, car elle-même, comme ses co-accusés en sont originaires et sont
poursuivis pour leur action au sein de cette région du sud du Rwanda. Tous sont des personnalités
connues de la population, y ayant tissé des liens forts. Et pour comprendre l’ascension de Pauline
Nyiramasuhuko, issue d’une famille pauvre de cultivateurs hutu qui parvient à se hisser jusqu’à
l’Akazu27,

il

faut

s’attacher

à

regarder

de

plus

près

ses

origines

familiales.

En effet, pourquoi s’est-elle efforcée à faire de Butare une préfecture « exemplaire » dans la
perpétration des massacres ? Il faut rappeler à cet égard la situation exceptionnelle de Butare au
début du génocide - comme s’y attèle une grande partie du procès - pour comprendre en quoi
l’implication de Pauline Nyiramasuhuko en tant que ministre et en tant que figure locale, a été
décisive dans la marche vers le génocide.

De la famille de cultivateurs hutu à l’Akazu

C’est à Butare, plus précisément dans la cellule de Rugara, secteur de Ndora, au sud du Rwanda
et proche de la frontière du Burundi, que naît Pauline Nyiramasuhuko le 27 d’avril 1946. Issue
d’une famille hutu, elle fait partie d’une communauté agricole. Sa famille est pauvre et a même
dû s’exiler en Tanzanie pendant la Seconde Guerre Mondiale pour échapper à la misère. Son
nom, Nyiramasuhuko, « fille de celui qui est parti aller chercher à manger ailleurs », rappelle les
difficultés économiques qu’ils ont connues28. Selon des déclarations recueillies par le New York
Times29, son arrière-grand-père était Tutsi. Son fils revient sur ces allégations lors du procès :

26

CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p7.
Akazu: nom donné au cercle intime des plus proches collaborateurs du Président Habyarimana.
28
Il n’y a pas de patronyme au Rwanda. Les noms sont donnés selon les circonstances de la naissance.
29
P. Landesman, “A Woman’s Work”, The New York Times, 15 septembre 2002.
27

19

Q.

Confirmez-vous que vous êtes d’origine hutu ?

Shalom Ntahobali :
R.

Oui, c’est du moins ce que m’ont dit mes parents.

Q.

Confirmez-vous également que votre épouse, Béatrice Munyanezi (sic), est également
d’origine hutu ?

R.

Selon les informations qui sont à ma disposition, elle est hutu.

Q.

Selon les informations que vous avez à votre disposition, confirmez-vous également que
votre père et votre mère sont d’origine hutu ?

R.

S’agissant de mon père, il me semble que personne n’a jamais affirmé le contraire. Mais en
ce qui concerne ma mère, un journal a une fois écrit qu’elle était Tutsi. Alors, je ne peux
pas me prononcer quant à son origine ethnique. Cependant, en ce qui qu’on... en ce qui me
concerne, je suis convaincu qu’elle est hutu30.

Elle fréquente l’école primaire de Karabunda où elle fait une rencontre décisive, celle d’Agathe
Kanziga, future épouse du président Habyarimana, qui prend le pouvoir par la force en 1973
après un coup d’Etat militaire. Les deux femmes se lient d’amitié et préservent ce lien jusqu’à
aujourd’hui. L’ascension fulgurante de Pauline Nyiramasuhuko au sein de l’Etat rwandais ne peut
pas être envisagée sans que ne soit prise en compte cette amitié d’enfance. Elle s’engagera
ensuite dans une formation d’assistance sociale. A la fin de ses études en 1964, elle travaille,
pendant trois mois, au foyer social central dans la préfecture de Cyangugu. Elle effectue ensuite
un stage de formation de quatre mois sur le développement communautaire et l’alphabétisation
des adultes en Israël. Il faut noter qu’il est rare pour une femme rwandaise de voyager à des fins
professionnelles alors qu’elle est célibataire et donc non accompagnée. Le profil de Pauline
Nyiramasuhuko est donc déjà exceptionnel. À son retour, elle continue à travailler comme
formatrice, mais cette fois-ci dans la préfecture de Gitarama. Elle est ensuite mutée à Kibungo où
elle dispense les mêmes cours de formation en 1966 et au début de 1967. Elle devient inspectrice
des centres sociaux de développement et mène à bien ses missions depuis son bureau au ministère
des Affaires sociales à Kigali jusqu’en 1968. Elle a sillonné le pays dès ses premières années en
tant qu’assistance sociale et semble dotée d’une forte capacité d’adaptation.
En 1968, elle épouse Maurice Ntahobali, qui témoigne lors du procès en tant que témoin à
décharge. Aux côtés de cet intellectuel butaréen, elle construit d’abord sa carrière dans son ombre
tout en profitant de son aura, avant de s’affirmer sur le devant de la scène. Elle quitte alors Kigali
30

CRA 1er juin 2006, Ntahobali, p38.

20

et s’installe à Butare. Elle est affectée au centre social de développement de la préfecture situé
dans

la

commune

de

Ngoma



elle

sert

en

tant

que

formatrice.

Leur fils, Arsène Shalom Ntahobali, avec lequel elle partage le banc des accusés, naît en 1970 en
Israël où elle s’est rendue pour assister à un séminaire organisé à l’intention des femmes
dirigeantes d’Afrique. Vers 1972, elle dispense des cours de formation destinés aux épouses des
militaires. En 1974, elle est mutée au bureau du personnel du Ministère de la santé où elle sert
jusqu’en 1976, date à laquelle elle retourne à Butare31 pour suivre son mari qui y avait été nommé
directeur adjoint de l’IPN32. Elle continue à servir au ministère de la Santé, mais dans la région
sanitaire de Butare jusqu’à ce que son mari soit affecté à Kigali, par suite de sa nomination en
mars 1981, en tant que ministre du gouvernement rwandais. Nyiramasuhuko et ses enfants l’y
rejoignent à la fin de cette même année.
En 1982 ou 1983, Nyiramasuhuko reprend ses études et s’inscrit à un stage de perfectionnement
en comptabilité publique. En novembre 1985, elle obtient un diplôme en service social qui lui
permet de s’inscrire à l’université. En 1986, après avoir déménagé de Kigali pour s’installer à
Butare, elle entame des études de droit à l’Université nationale du Rwanda, au campus de Butare,
où elle obtient son Baccalauréat en droit à l’issue de deux années d’études. Elle reçoit son
diplôme « avec satisfaction ». Elle sollicite ensuite une bourse pour entreprendre des études du «
deuxième cycle » universitaire, mais celle-ci lui est refusée. Par la suite, elle servira au ministère
de l’Intérieur à Butare de fin 1990 ou début 1991 à avril 1992 en qualité de responsable du
secrétariat du comité préfectoral du MRND33. Le 16 avril 1992, elle est nommée ministre de la
Famille et de la Promotion féminine au sein du premier gouvernement multipartite dirigé par le
Premier ministre Nsengiyaremye. Elle est parallèlement élue membre du Comité national du
MRND en qualité de représentante de la préfecture de Butare. Ces différentes promotions au sein
des ministères sont directement liées à son amitié avec la Première dame, Agathe Kanziga,
mariée au Président Juvénal Habyarimana. Elle demeure très proche du couple présidentiel et fait
partie de ce qu’on appelle l’Akazu, le cercle intime des collaborateurs et amis du Président, dont
Agathe

Kanziga

est

la

véritable

tête

de

file34.

Même lors de sa fuite au Zaïre, après la défaite militaire face aux troupes du FPR, elle poursuit
son travail social, notamment au sein du camp de réfugiés d’Inera à Bukavu où elle s’occupe en
particulier des enfants non-accompagnés. Parallèlement, elle continue, avec plusieurs membres
31

On parle de la commune de Ngoma, commune urbaine de la préfecture de Butare.
IPN : Institut pédagogique national.
33
MRND : Mouvement révolutionnaire national pour le développement. Parti unique jusqu’en 1991, date d’entrée
en vigueur du multipartisme.
34
A. Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999, p58-59.
32

21

du gouvernement intérimaire déchu à la création d’un mouvement politico-militaire, « front de
libération nationale », et se fait remarquer par son activisme. Mais elle n’intègre pas le
gouvernement en exil, comme les autres membres de l’Akazu. 35.
Son ascension professionnelle est impressionnante. Un témoin, membre du MRND s’en étonne :
« Celle-ci était inconnue dans les instances du parti jusqu’à sa nomination surprise comme
ministre. En effet, au cours des tractations qui ont précédé la composition du Gouvernement élargi
à l’opposition interne, Amandin Rugira, après consultation, avait proposé au président
Habyarimana, deux noms de ministrables : Barabwiria Runyinya et Jean-Gualbert Rumiya. Tout le
monde s’attendait donc à ce que ce soit l’un deux qui soit nommé. A la surprise générale, lors de la
prestation de serment, la radio annonça Nyiramasuhuko Pauline. Personne n’a rien compris. 36».

Pour comprendre, il s’agit de s’intéresser au contexte spécifique dans lequel le personnage
politique de Pauline Nyiramasuhuko émerge. Suivant l’analyse d’André Guichaoua, qui décrit les
liens entre Pauline Nyiramasuhuko et « le ministère des femmes » 37, la stature internationale dont
elle jouit est en grande partie l’œuvre d’Agathe Kanziga, tête de file du mouvement féministe
rwandais. Ce « ministère des femmes » est dirigé par la Première dame depuis 1975. Elle choisit
de promouvoir ou de déchoir telle ou telle femme à des postes politiques importants et contrôle
les associations féminines officielles. Autour d’elle on trouve des femmes éminentes, membres
ou épouses de membres du MRND. Pauline Nyiramasuhuko intègre d’ailleurs la présidente de ce
ministère des femmes à son cabinet ministériel. Dans ce contexte, l’évolution rapide de la
ministre apparaît moins surprenante puisqu’elle découle d’une longue familiarisation avec les
arcanes de la famille présidentielle. Déterminée, dévouée, elle entretenait un rapport privilégié
avec Juvénal Habyarimana lui-même et bénéficiait de son soutien. Elle est d’ailleurs la principale
rivale d’Agathe Uwilingiyimana, Première Ministre du gouvernement depuis juillet 199338.
C’est donc essentiellement grâce à ses relations qu’elle passe des foyers sociaux de province aux
grands ministères de la capitale en quelques années à peine. Pauline Nyiramasuhuko est aussi une
femme éduquée, elle fait partie de minorité féminine à poursuivre des études supérieures, et si
« Sa qualification académique tardive suscitait l’ironie dans les milieux intellectuels de Butare et
de la capitale, même si beaucoup reconnaissaient malgré les performances modestes dont elle fit
35

Tous ces détails concernant son parcours proviennent du CRA du 31 octobre 2005, Nyiramasuhuko.
Témoignage recueilli par A. Guichaoua, les Politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p54-55.
37
A. Guichaoua, « Les femmes rwandaises accusées devant les juridictions nationales et internationales», Jacques
Fierens (dir.), Femmes et génocide, le cas rwandais, ED. LA charte, Bruxelles, 2003.
38
Démocrate hutu, assassinée dès le 7 avril par des militaires.
36

22

preuve, l’effort personnel qu’elle dut s’imposer pendant ses années d’études 39». Les jugements
personnels la concernant sont toujours sévères, femme « qui parlait trop », « disait n’importe
quoi », qui « s’emportait 40», ses propos en conseil gouvernemental étaient souvent rapportés
dans

les

milieux

politiques

pour

être

tournés

en

dérision.

Ces faits semblent ne pas cadrer avec le profil d’une grande criminelle de masse et seront
d’ailleurs utilisés par sa défense. En effet, le fait qu’elle ait travaillé au plus près des populations
peut étonner. Or, sa proximité avec les populations locales représente l’un de ses caractères
distinctifs et se trouve au cœur de sa stratégie génocidaire : elle connaît parfaitement le terrain.
Son parcours « social » est d’ailleurs commenté ainsi par Jean Kambanda qui parle de Pauline
Nyiramasuhuko comme étant : «quelqu’un de formation sociale, qui était capable d’approcher
facilement, d’avoir des contacts faciles avec les personnes 41». Elle connait les communes et ses
habitants, elle sait qui doit être éliminé, qui est Tutsi ou non. Elle a su jouer de cette connaissance
du terrain. En ce sens, son profil cadre parfaitement avec la manière dont le génocide des Tutsi
s’est organisé. Ceci est parfaitement perceptible à travers les listes de noms qu’elle retranscrit
dans son agenda, en tant qu’individus à cibler, tout comme au cours des audiences où se
succèdent à la barre d’anciens camarades ou voisins.
En effet, près de un million de personnes furent tués en cent jours. Si les massacres ont été aussi
rapides et destructeurs c’est justement parce que ce fut un génocide dit de proximité où des gens
qui se connaissaient, des amis, des voisins, des familles, se sont mués en tueurs.

Butare, une préfecture « en retard » ?
Elle est jugée pour son rôle en tant que ministre du gouvernement intérimaire et son implication
dans les tueries de la préfecture de Butare. Pour attester de la nécessité pour le gouvernement
intérimaire, formé le 9 avril soit trois jours après la mort du Président Habyarimana, d’intervenir
à Butare, le procureur cherche à prouver la situation exceptionnelle de la préfecture d’origine de
Pauline Nyiramasuhuko dans la chronologie des massacres. La définition de génocide selon le
Statut de TPIR insiste en effet sur le caractère systématique et « l’entente en vue de commettre
les massacres ». En effet, alors que les tueries sont déclenchées dès le 6 et 7 avril, directement
après l’attentat contre l’avion de Président Habyiramana, celles-ci ne se gagneront la Préfecture
de Butare vers le 20 avril, après que des mesures spécifiques ont été prises par le gouvernement
39

A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p55.
Ibid, p323.
41
Déposition de Jean Kambanda, référence TPIR T2-K7-29, 1er octobre 1997.
40

23

intérimaire. Le procureur explique ce « retard » à Butare dès l’acte d’accusation : « trois facteurs
importants ont retardé le début des massacres » : la domination du PSD42 (plutôt que le parti
présidentiel MRND) d’où des milices Interahamwe moins structurées, la présence du préfet
Habyalimana, seul préfet tutsi du Rwanda à cette date, ainsi que le nombre important de Tutsi à
Butare 43. Sur ce dernier point, si les Tutsi de Butare représentent un quart de la population tutsi
du pays, précisions qu’il existe une importante fluidité en termes d’appartenance ethnique. Les
mariages inter-ethniques ne sont pas rares, tout comme le fait que des Hutu aient pu devenir Tutsi
à l’époque de la monarchie, et donc avoir des enfants tutsi, une femme tutsi alors que d’autres
membres de leur famille sont hutu. A partir des registres démographiques de la préfecture de
Butare, Jean-Paul Kimonyo met en évidence le nombre important de mariages mixtes. Malgré la
transmission patrilinéaire de l’ethnie, il affirme que l’intégration par le mariage tendait à faire
disparaître les distinctions entre Hutu et Tutsi44. A cela s’ajoute le poids important des milieux
intellectuels, c’est en effet

à Butare que se trouve l’Université Nationale du Rwanda et

représente donc un pôle culturel essentiel. Ces éléments spécifiques expliquent que les nouvelles
autorités gouvernementales mobilisent des moyens politiques énormes pour que les gagne les
communes de la préfecture.

Trois personnalités locales se retrouvent à la tête de l’Etat rwandais après l’attentat contre l’avion
présidentiel : Pauline Nyiramasuhuko, Théodore Sindikubwabo et Jean Kambanda. Le nouveau
Président du gouvernement intérimaire est une personnalité peu appréciée à Butare. Après
l’assassinat d’Agathe Uwilingiyimana le 7 avril, la sphère politique butaréenne est solidaire et se
voit en position de se débarrasser de ses opposants politiques pour s’emparer de la préfecture.
Leur objectif est d’assurer l’unité des Hutu face au FPR et ses alliés, le Tutsi en général. Le mot
d’ordre est de « neutraliser quiconque veut semer les troubles dans le pays45». La modération
politique disparaît à Butare, préfecture où le MRND n’a jamais été majoritaire, et les acteurs
locaux sont appelés à intervenir dans la poursuite de la guerre. Parmi ces acteurs locaux nous
trouvons les co-accusés de Pauline Nyiramasuhuko : Sylvain Nsabimana en tant que nouveau
Préfet choisi par le gouvernement intérimaire, Elie Ndayambaje, bourgmestre de Muganza,

42

PSD : Parti social-démocrate. Parti fondé en 1991, surtout implanté dans la région de Butare et rassemble aussi
bien des Tutsi que des démocrates hutu.
43
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 6.19
44
JP Kimonyo, Rwanda, un génocide populaire, Karthala, 2008, p255-259.
45
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du du 9 avril « Mise en place du
gouvernement ».

24

Joseph Kanyabashi, bourgmestre de la commune de Ngoma ainsi que Alphonse Nteziryayo
commandant de la police militaire et responsable de la défense civile qui remplace Sylvain
Nsabimana en juin 1994 comme préfet. La situation géographique de Butare dans le sud du pays
l’avait préservée des conséquences de la guerre, d’où le calme relatif qui y régnait. La ligne de
front est en effet éloignée et les populations n’ont que peu subi les conséquences des années de
guerre civile. « L’usage de la violence suppose un apprentissage, une déstructuration des liens
sociaux, une disqualification des institutions incarnant l’Etat de droit ou assurant la
transmission des valeurs morales.46» or, le sentiment régional semble y dominer largement toute
polarisation ethnique.
Ici, il faut pourtant prendre un peu de distance avec les sources judiciaires. En effet, l’accusation
a tout intérêt à prouver que la situation à Butare est exceptionnellement calme et que
l’intervention du gouvernement intérimaire y était indispensable. Or, si cela est vrai pour la
majorité des communes de la préfecture, il ne faut pas éluder la diversité des situations. Jean-Paul
Kimonyo rappelle que des violences ont pu avoir lieu dans des zones rurales dès le 6 avril et
même avant. Retraçant minutieusement l’histoire politique de la région, il écrit : « L’atmosphère
de libéralisme et de tolérance qui régnait dans la ville de Butare et dans une grande partie de la
préfecture tranchait avec la violence et l’intimidation régnant dans les terroirs sous domination
du MDR situés dans le Sud-Ouest. C’est du fond de ces terroirs embrigadés par le MDR que
partira l’impulsion du génocide dans Butare.47 ». Il dresse à cet effet une typologie où il
distingue trois groupes de communes, celles où les violences ont débuté avant le 6 avril, celles
qui ont débuté après le 19 avril et celles qui ont résisté même après. Dans le premier comme dans
le dernier cas, la perpétration des massacres comme la résistance, découlent de dynamiques
internes aux communes et non d’une quelconque action gouvernementale. Cette partie du procès
se concentre donc plus particulièrement sur une zone spécifique de la préfecture de Butare, la
commune de Ngoma, où en effet l’influence du Préfet Jean-Baptiste Habyalimana ne peut être
négligée.

Le rôle du gouvernement intérimaire : la réunion du 19 avril
Mais il n’empêche que le fait que la population de Butare dans son ensemble ne suive pas le
mouvement de violence général est jugé problématique par le gouvernement intérimaire. Celui-ci
46
47

A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p110.
JP Kimonyo, Rwanda, un génocide populaire, Karthala, 2008, p191.

25

prend donc des mesures rapides. D’abord, avec l’éviction et l’assassinat du préfet Habyalimana et
son remplacement par Sylvain Nsabimana. Jean-Baptiste Habyalimana, préfet depuis 1992, avait
en effet maintenu le calme dans la préfecture en maitrisant la situation politique et sécuritaire
avec le soutien de l’administration locale. Il était notamment appuyé par le commandant de la
gendarmerie Cyriaque Habyarabatuma.
La ministre joue un rôle direct dans cette décision, malgré ses dénégations lors des audiences. Le
choix de son éviction se fait lors d’une réunion le 11 avril 1994, à laquelle Pauline
Nyiramasuhuko participe. Tous les préfets y sont conviés, à l’exception remarquable de JeanBaptiste Habyalimana. Le procureur émet une hypothèse à ce sujet qu’elle soumet à Pauline
Nyiramasuhuko :
Q.

« Je vous suggère que le préfet Jean-Baptiste Habyarimana qui était, le 11 avril, préfet de
la préfecture de Butare ne s'est pas rendu à la réunion du 11 avril, à Kigali, avec les
ministres, parce qu'il avait été menacé d'être tué en raison du fait que, jusqu'au 11 avril, il
avait empêché les massacres dans sa préfecture.

Pauline Nyiramasuhuko :
R. Ces raisons-là n'ont pas été portées à ma connaissance. Je ne les connais pas. L'on nous a dit
tout simplement que le préfet de Butare n'était pas venu. Le Premier Ministre nous a dit qu'il ne
connaissait pas les raisons de son absence. Nous avons constaté effectivement qu'il n'était pas
présent. 48 »

Surtout, le sort de l’ancien Préfet demeure une grande inconnue encore aujourd’hui, puisque son
éviction précède de peu son assassinat ainsi que de celui de toute sa famille dans des
circonstances jamais éclaircies. Pauline Nyiramasuhuko, quand elle est interrogée à ce sujet,
répond : « Jusqu’à l’heure où je vous parle, je ne sais pas ce qu’il est advenu de lui.49 ». Elle nie
en effet avoir cherché à le tuer et s’exprime en ces termes extrêmement forts :
« Je ne suis ni meurtrière... Mais écoutez, comment pouvais-je devenir immédiatement... plutôt
meurtrière à mon âge alors que je ne l’avais jamais fait depuis ma naissance ? Je ne peux même
pas tuer une poule. Et je vous dirais que [tous] ces gens ont raconté des mensonges en ce qui me
concerne50 ».

48

CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p28.
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p6.
50
CRA 28 septembre 2005, Nyiramasuhuko, p60.
Cette métaphore de la poule qu’on ne peut pas tuer revient à plusieurs reprises. WCQME dira par exemple à
propos de Shalom Ntahobali : « C’est comment j'ai vu Monsieur le Président, la réaction de Shalom, quelqu'un qui
n'a pas pu… capable de tuer un coq, comment il peut tuer une personne ? Ce n'est pas compréhensible. », CRA 13
décembre 2005, témoin WCQME, p75.
49

26

Pourtant, une réunion a lieu le 17 avril, où l’on décide non seulement de le limoger mais aussi de
l’éliminer51.
La corrélation entre le remplacement du préfet et le début des massacres est, elle, mise en
évidence par de nombreux témoins. SJ établit le lien devant la chambre en expliquant : « Je ne
connais ni la date ni le jour de la semaine où [Sylvain Nsabimana] a été nommé préfet. Mais il a
été nommé au cours de « cette » semaine, pendant lesquelles on a commencé à brûler les
maisons et à tuer les gens.52». La cérémonie de prestation de serment du 19 avril 1994 de
Sylvain Nsabimana est d’ailleurs animée par des discours incendiaires appelant la population à se
méfier de l’ennemi, prononcés par le Président du gouvernement intérimaire Théodore
Sindikubwabo et Jean Kambanda, son Premier ministre, eux-mêmes originaires de Butare. A
cette occasion, Jean Kambanda prévient Sylvain Nsabimana que son rôle ne sera pas aisé :
« Monsieur le Préfet, dans votre préfecture, ne pensez pas que vous entrez au paradis : vous
arrivez au mauvais moment. ( une brève interruption) ; approchez vos bourgmestres, organisez
souvent des réunions avec eux, demandez à chacun d’eux ce dont il a besoin, ce qui lui manque, et
quand vous jugerez qu’il y a moyen de lui fournir, trouvez-le-lui ; Si vous concluez qu’il est
paresseux ou insouciant, dites-lui de se mettre au travail au lieu de laisser tout le lot aux
autres.(…) Ces traitres qui sont allés s’entrainer au maniement des armes pour nous exterminer,
vous les connaissez, mais moi, je ne les connais pas. Que celui qui les connait nous le dise et qu’on
nous en débarrasse 53».

Pauline Nyiramasuhuko est présente lors de ces discours. Voici un extrait de celui prononcé par
l’ancien Premier ministre Jean Kambanda le 19 avril qui tend à installer un sentiment de menace
au sein de la population hutu, l’appelant à aider le gouvernement à arrêter le Front Patriotique
Rwandais:
«Ce programme s'étendra sur d'autres préfectures et nous continuons à demander aux
bourgmestres de faire tout ce qui est en leur pouvoir pour :
- Premièrement, assurer la sécurité de la population.
- Deuxièmement, sauvegarder la souveraineté nationale.
Cela signifie qu'ils doivent empêcher les membres de la population de se dresser les uns contre les
autres, garder à l'esprit que nous luttons contre le FPR et que la souveraineté du pays va de pair
avec la sécurité de chaque commune. I1 ne sied pas qu'une quelconque commune soit infiltrée par
l'ennemi, le FPR. Nous faisons confiance aux membres de la population. Nous espérons qu'ils vont
nous aider parce qu'ils en ont la capacité et la volonté. Ils n'accepteront pas que nous retombions

51

Pièce à conviction P.110B, Rapport d’expertise d’Alison Des Forges, p. 15.
CRA 5 juin 2002, témoin SJ, p16.
53
Extrait du discours du président Théodore Sindikubwabo prononcé à Butare le 19 avril 1994, transcription du 25
août 1999, référence TPIR K0129406.
52

27

sous le joug de 1959.

54

».

Plusieurs points méritent d’être explicités si l’on veut comprendre la portée de ces paroles que
Sylvain Nsabimana qualifie lui-même d’« incendiaires55 ». Tout d’abord, le fait d’assurer la
sécurité de la population passe par le biais de la mise en place de milices locales entrainées. Ces
milices appelées milices Interahamwe, du nom donné aux hommes qui les composent, ne sont
pas présentes à Butare avant le 6 avril et méritent donc d’être mieux organisées. Elles seront les
principaux fers de lance des massacres. De la même façon, assurer la souveraineté nationale et se
défendre des Inkotanyi porte à confusion puisqu’on pourrait croire que le Premier ministre
n’appelle la population qu’à s’en prendre exclusivement aux troupes du FPR. Or, depuis quelques
années déjà la propagande étatique a rassemblé sous le terme d’Inkotanyi tous les Tutsi, même
ceux de l’intérieur du pays, qui dans une connivence ethnique remettraient en cause la supériorité
hutu afin de revenir au régime d’avant 1959, c’est-à-dire une domination des Tutsi sur le reste des
Rwandais. La ministre est d’ailleurs interrogée sur cette dénomination et commence par la
réfuter, mais la remarque de l’assistante du procureur est très révélatrice de la situation qui
prévalait à l’époque :
Pauline Nyiramasuhuko :
« Mais si vous prétendez que quiconque hébergeait les Tutsi était contre le Gouvernement, mais
chez moi à la maison, il y avait des Tutsi et je n'étais pas contre le Gouvernement. Tout Tutsi n'est
pas Inkotanyi. Un Tutsi, c'est un Rwandais.
Mme Arbia : [assistante du Procureur]
Je vous suggère qu'en avril 1994, toute personne qui n'avait pas le privilège d'être ministre et qui
n'était pas évêque, avec confiance du Gouvernement, chaque fois qu'elle hébergeait des Tutsi était
soupçonnée de garder des Inkotanyi. 56 »

Cette assertion se trouve renforcée par les propres notes de Pauline Nyiramasuhuko qui n’opère
aucune distinction entre Tutsi et troupes du FPR dans son agenda, ou par les nombreux
témoignages à charge qui attestent de la haine viscérale de l’accusée contre les Tutsi en général.
Il est important de s’intéresser à la fois aux discours que Pauline Nyiramasuhuko a pu tenir et
aussi à ceux qu’elle a entendus pour comprendre à quel type d’idéologie son comportement se
rattache. En ce qui concerne les discours du 19 avril, Pauline Nyiramasuhuko n’a pas été invitée à
parler. Comment alors interpréter son silence? Celui-ci semble éminemment complice puisqu’elle
54

Pièce à conviction D.282B, Discours de Jean Kambanda du 19 avril 1994.
« A mon avis, les trois interventions incitaient à la haine. C’était incendiaire », Sylvain Nsabimana, entretiens
téléphoniques avec Alison Des Forges, mars 1996, référence TPIR document IX, K0045090.
56
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p24.
55

28

mentionne cette cérémonie dans son agenda57 sans jamais se dissocier des propos tenus.
D’ailleurs, on retrouve dans son agenda les éléments qui l’ont marquée lors de la cérémonie :
« Abatera imvururu bafite intwaro ziruta izo abaturage [Ceux qui provoquent les querelles ont des
armes plus puissantes que celles dont dispose les paysans]
Mot du Présirep.
Badukize baturebera abagambanyi babadukize cyane cyane abagiye kwiga uburyo bwo kutwica
Gvt y’abatabazi iz’abagambanyi ntizizongera
[Qu’on nous enlève ceux qui nous observent sans nous aider, les traîtres, surtout ceux qui ont été
entraînés pour tue

r

Le gouvernement Abatabazi58 connaît les traîtres. Ils ne recommenceront pas.] 59»

Ce sont les deux phrases les plus violentes prononcées par Sindikubwabo qu’elle choisit de
retranscrire. Ceci laisse entendre qu’elle comprend le sens véritable du message présidentiel.

Les délibérations de la chambre à propos de la situation exceptionnelle de Butare et du limogeage
de Jean-Baptiste Habyalimana sont déterminantes. Elle est confrontée à plus de douze témoins à
charge et trois témoins experts qui attestent du caractère exceptionnel de la situation à Butare : en
effet, si les tueries y ont commencé plus tard que dans le reste du pays, le remplacement
d’Habyalimana est un moment clef pour comprendre la spécificité du génocide dans la
préfecture. Se posent également les questions du rôle attribué par le gouvernement intérimaire au
nouveau préfet, alors que l’ancien est perçu comme un bouclier aux tueries, et surtout, de celle de
l’influence de Pauline Nyiramasuhuko au sein du gouvernement intérimaire. Elle apparait en
effet, par ses origines et par sa formation, comme la plus à même de comprendre la situation et de
répondre aux problèmes rencontrés à Butare. Paradoxalement, alors qu’elle dit à la chambre
n’avoir que très peu de marge de manœuvre, elle se contredit en déclarant qu’elle aurait aimé
avoir eu connaissance plus tôt des massacres afin de pouvoir les arrêter. Dans sa déposition Jean
Kambanda exprime la nature de l’influence de sa collaboratrice dans la Préfecture :
« Il [le rapport pour limoger le préfet] n’originait pas (sic.) directement de Pauline mais elle
appuyait, c’est-à-dire que c’était une personne-ressource, si on devait faire quelque chose à

57

Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 19 avril 1994.
Abatabazi : nom donné au gouvernement qui signifie « les sauveurs ».
59
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, dates du 10 et 11 février 1994.
58

29

Butare, on ne pouvait pas ne pas tenir compte de son avis dans la mesure où elle était censée être
mieux informée que quiconque au niveau du gouvernement sur la préfecture. 60 »

Son agenda montre qu’elle avait connaissance des massacres et qu’elle les encourageait. Ses
propos revêtent d’ailleurs un paradoxe de taille : comment peut-elle prétendre vouloir rétablir la
paix et nier dans le même temps les massacres ? Pauline Nyiramasuhuko a d’ailleurs pris part au
Conseil des ministres des 16 et 17 avril 1994 au cours duquel le gouvernement intérimaire prend
la décision de révoquer le préfet Habyalimana. Et même si Pauline Nyiramasuhuko nie avoir été
en charge de ma « pacification » à Butare, les propos de son ancien Premier ministre la
contredisent quand il déclare que :
« Dans le cadre de la pacification du pays, le gouvernement, avant le 23 avril 1994, avait attribué
des ministres désignés des régions à pacifier. Dans ce cadre, Pauline Nyiramasuhuko se vit
attribuer la préfecture de Butare. Ce qui peut justifier sa présence dans cette préfecture, de toute
façon elle y résidait avec sa famille(…)61»

Qu’elle fût ministre en charge de la pacification ou non, la préfecture est au centre de ses intérêts.
Elle fait partie d’un système extrêmement hiérarchisé, en continuité avec le gouvernement
précédent, et opérationnel, qui a permis au génocide d’être perpétré dans cette préfecture
singulière. Pourtant, c’est son profil individuel qui fait d’elle un élément à part au sein même du
gouvernement intérimaire.
Le procureur fait valoir que les massacres perpétrés aux quatre coins de Butare s’inscrivent dans
le cadre d’une stratégie planifiée par Nyiramasuhuko et à laquelle elle a non seulement adhérée
mais qu’elle a également articulée. Un habitant de Butare interrogé en 1995 par African Rights
Watch, témoigne de l’implication personnelle de Pauline Nyiramasuhuko :
« Dans notre commune, les Hutus ont commencé à menacer les Tutsi vers le 16 avril en raison de
ce qu’ils avaient vu à Gikongoro. Là-bas ils avaient incendié toutes les maisons des Tutsi. (…)
Mais la situation a été aggravée par les visites incendiaires de Pauline Nyiramasuhuko qu’elle
multipliait dans notre commune pour inciter à la haine. Tous connaissaient sa camionnette qui
venait diffuser dans le mégaphone le message selon lequel les Hutu devaient combattre l’ennemi
commun qui était complice des Inkotanyi. Elle faisait allusion aux Tutsi de l’intérieur du pays. 62».

« Un génocide populaire »

60

er

Extrait de la déposition de J. Kambanda, référence TPIR T2-K7-29, 1 octobre 1997.
61
Extrait de la déposition de J. Kambanda, référence TPIR T2-K7-58, 15 mai 1998
62

African Rights, Rwanda, Moins innocentes qu’il n’y paraît, Quand les femmes deviennent des meurtrières, African
Rights, 1995, p103.

30

Les sources judiciaires comportent cependant un biais important. Le récit qu’elles cherchent à
établir peut nous amener à manquer une des spécificités du génocide des Tutsi : son caractère
populaire. En effet, le TPIR veut démontrer le rôle clef de Pauline Nyiramasuhuko et des
différentes autorités locales dans le déclenchement du génocide à Butare. A la lecture des sources
un phénomène pourtant essentiel est occulté: l’implication majeure des populations civiles. JeanPaul Kimonyo dans le cadre de son étude sociolo-historique met en lumière le caractère
déterminant de la participation des civils pour permettre l’exécution de plus d’un million de Tutsi
en moins de trois mois. Sans cette large implication des civils, la politique meurtrière de l’Etat
n’aurait pu être si « efficace ». Jean-Paul Kimonyo démontre quels facteurs ont poussé des
paysans lambda à s’engager, directement ou indirectement, dans les massacres de leurs voisins,
leurs amis... Il décrit entre autres : le poids de la révolution de 1959, l’enracinement d’une
idéologie raciste et la mainmise de l’État sur un peuple habitué à obéir.
Ce sont en effet les civils, et non pas l’armée, qui ont tué la majeure partie des victimes. Ainsi,
« à lui seul, l’État rwandais n’aurait jamais eu les moyens de préparer en si peu de temps la mise
à mort de tous les Tutsi 63».

Le cas de Pauline Nyiramasuhuko semble donc symptomatique de ce « génocide populaire » qui,
cependant, a « d’abord été un projet étatique qui, en 1994, a saturé l’espace politique,
médiatique et social du pays64». Nous sommes en effet face à une personnalité politique locale
qui a joué de sa connaissance du terrain et de son propre réseau de sociabilité au sein de la
préfecture pour mettre en œuvre le génocide. Si elle ne fût jamais une personnalité extrêmement
appréciée, elle disposait d’une aura et d’une influence indéniables. La fille de Butare, même une
fois à la tête de l’Etat rwandais, a conservé son attachement à sa région d’origine en cherchant à
la rendre conforme aux plans du gouvernement intérimaire.
C’est en tant que ministre d’un gouvernement génocidaire qu’elle s’est démarquée, et que son
rôle et son influence doivent d’abord être envisagés.

63

Chrétien Jean-Pierre, Kabanda Marcel, « Chronique bibliographique. Débats sur le Rwanda quinze ans après»,
Politique africaine, mars 2009 (N° 115), p. 211-220.
64
JP Kimonyo, Rwanda, un génocide populaire, Karthala, 2008, p231.

31

CHAPITRE 2 : Être Ministre pendant le génocide
Pauline Nyiramasuhuko :
« J'ai décidé de faire partie de ce Gouvernement pour faire tout ce que je pouvais faire pour
protéger le pays et les Rwandais. J'ai fait tout ce que j'ai pu, j’ai lancé des cris d'alarme à partir
du moment où le Gouvernement a été installé le 9. Nous avons fait tout pour essayer d'amener les
gens qui nous avaient attaqués sur une table de négociations, afin de mettre un terme à la guerre.
Nous avons fait tout pour demander à la communauté internationale de nous venir en aide. Nous
avons fait tout pour que la MINUAR 65 qui avait un armement adéquat reste au Rwanda.

66

»

Promue au poste de ministre de la Famille et de la Promotion féminine en 1992 dans le
gouvernement du Premier ministre Dismas Nsengiyaremye, Pauline Nyiramasuhuko conserve ce
siège le 9 avril 1994 lors de la constitution du gouvernement intérimaire de Jean Kambanda qui
intervient après la mort du Président Habyarimana, lui-même remplacé par Théodore
Sindikubwabo. Elle prête serment avec les dix-huit autres ministres, exclusivement des
personnalités hutu67. Une seule autre femme se trouve à ses côtés, Agnès Ntamabyaliro68,
ministre de la Justice, qui s’impliquera à son tour directement dans le génocide. Les ministres
exécutent la politique définie par le Premier ministre Jean Kambanda 69, originaire lui aussi de
Butare, dont Pauline Nyiramasuhuko est très proche.
Une grande partie du procès vise à démontrer l’activité effective du gouvernement intérimaire
pendant le génocide afin de prouver que celui-ci a bel et bien été opérationnel. C’est le cœur du
rapport d’André Guichaoua qui, grâce notamment à l’agenda de Pauline Nyiramasuhuko, a dressé
une liste de toutes les réunions tenues par ce gouvernement. Entre le 6 avril et le 17 juillet le

65

Mission des Nations Unies pour l’Assistance au Rwanda créée en octobre 1993 et dissoute en mars 1996. Voir sur
ce point le témoignage du Général R. Dallaire, J'ai serré la main du diable, Libre Expression, 2003, p115.
66
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p14.
67
Toutes issues des factions « power » des partis politiques.
68
Ce sera d’ailleurs l’unique membre du gouvernement intérimaire à être jugée au Rwanda.
69
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 3.1.

32

conseil des ministres s’est réuni au moins à quinze reprises 70. C’est comme membre de ce
gouvernement que Pauline Nyiramasuhuko est jugée ainsi que le souligne son acte d’accusation:
« Lors des évènements visés dans le présent acte d’accusation, Pauline Nyiramasuhuko exerçait
les fonctions de Ministre de la Famille et de la Promotion féminine au sein du gouvernement de
Jean Kambanda.
gouvernement

72

71

». Une partie complète de cet acte d’accusation est consacrée au rôle du

qui a « adopté des directives et donné des instructions (..) [qui] visaient à

inciter, encourager et aider à commettre les massacres73».
Pauline Nyiramasuhuko n’est pas l’unique ministre du Gouvernement intérimaire à avoir été
inculpée par le TPIR. Treize autres de ses membres y ont comparu. Parmi eux, le ministre de
l’Intérieur Édouard Karemera, le ministre du Plan Augustin Ngirabatware, le ministre de la
Jeunesse Callixte Nzabonimana, le ministre de l’Enseignement supérieur Jean de Dieu
Kamuhanda, le ministre des Finances Emmanuel Ndindabahizi, le ministre de l’Information
Eliézer Niyitegeka ont eux-aussi été condamnés. D’autres, le ministre des Affaires étrangères
Jérôme Bicamumpaka, le ministre de la Santé Casimir Bizimungu, le ministre des Transports et
des Communications André Ntagerura, le ministre de l’Education primaire et secondaire André
Rwamakuba, le ministre du Commerce Justin Mugenzi et le ministre de la Fonction publique
Prosper Mugiraneza ont été acquittés. Parmi ceux ayant écopé de la perpétuité figure également
le Premier Ministre Jean Kambanda, qui a plaidé coupable lors de son procès, et s’est exprimé
plus tard à propos du gouvernement dans son ouvrage Rwanda face à l’apocalypse de 1994, dans
lequel il revient sur ses aveux de 1998 et minimise le rôle du gouvernement pour se défendre a
posteriori : « L’homme que je suis n’a commis aucun crime contre aucun individu. Je plaide
coupable d’avoir dirigé un gouvernement qui n’a pas été capable de protéger son peuple,
l’ensemble de son peuple, et non pour un quelconque acte criminel que j’aurais personnellement
commis ou commandité. 74». Soulignons que cet ouvrage représente un véritable revirement par
rapport aux propos tenus lors de son procès. Alors qu’il a plaidé coupable au TPIR, il nie à
présent le génocide et le rôle meurtrier joué par son gouvernement.
La défense de Pauline Nyiramasuhuko soutient que le Gouvernement intérimaire « avait hérité
d’une situation préexistante de violence et qu’il s’était employé à faire cesser les tueries en
70

Voir sur le site d’A. Guichaoua : Rwanda, de la guerre au génocide, Annexe 97 :
http://rwandadelaguerreaugenocide.univ-paris1.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_97.pdf
71
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 4.1.
72
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par.6.10 à 6.16.
73
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 6.14.
74
J. Kambanda, Rwanda face à l’apocalypse de 1994, Contribution aux progrès de la justice et aux efforts de
réconciliation du peuple rwandais, EME éditions, 2015.

33

communiquant avec les responsables de l’administration.75 ». Selon Pauline Nyiramasuhuko,
c’est dans ce contexte de conflit qu’il faut comprendre son rôle de ministre qui exprime à de
nombreuses reprises l’incapacité du gouvernement à faire cesser les tueries.

« Voyez, par exemple, les victimes de tsunami ; s'ils savaient que « la » tsunami allait avoir lieu,
ces personnes ne mouraient pas. Voilà. Nous avons connu la même situation. Nous ne savions pas
que la prise du pouvoir, après effusion de sang, allait avoir lieu. Si nous avions su que nous avions
76

été livrés, la situation aurait été toute autre. »

En effet, elle n’a de cesse de défendre le gouvernement dont elle faisait partie. Niant toute
implication et planification des massacres, elle entretient un véritable dialogue de sourds avec
l’accusation. Elle tient ces propos symptomatiques de son approche du procès : « « Le Procureur
voit un plan partout parce qu’en fait, il ne l’a jamais trouvé. 77». Cette défense négationniste ne
diffère pas de celles des autres membres du gouvernement intérimaire poursuivis par le TPIR. La
référence au tsunami appartient d’ailleurs à une métaphore récurrente chez les anciens membres
du gouvernement intérimaire qui vise à décrire le génocide sous les aspects d’une catastrophe
naturelle78. Face à la vague de violence du FPR, le gouvernement n’aurait eu d’autre choix que de
répliquer.
Dans cette optique, Pauline Nyiramasuhuko répond au procureur, qui l’interroge sur les tueries:
« pour ma part les massacres n’ont pas censé avoir eu lieu.79 ». Or malgré sa totale négation, il est
attesté que dès sa prestation de serment, lors de cette même réunion du 9 avril, le gouvernement
intérimaire s’est attaché à organiser le massacre des Tutsi.
La première partie du procès s’attèle en effet à prouver l’activité du génocidaire du gouvernement
intérimaire en s’appuyant sur plusieurs points généraux: la question de « « l’entente en vue de
commettre le génocide », la communication au sein du gouvernement intérimaire au sujet des
massacres de civils, l’armement des milices et leur formation, la question de la « pacification », le
bon fonctionnement de l’administration locale qui obéit aux ordres du gouvernement et la mise en
place de barrages routiers dès les premiers jours du génocide. Pour prouver l’implication du
gouvernement intérimaire sur ces différents points, le procureur s’appuie sur les réunions tenues
régulièrement par ce dernier d’avril à juin 1994. Elles sont fréquentes en avril : les réunions du 9, 10,

75

Mémoire final de Nyiramasuhuko, par. 527.
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p14.
77
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p16.
78
H. Dumas, « Banalisation, révision et négation: la « réécriture » de l'histoire du génocide des Tutsi. », Esprit, mai
2010, p. 85-102
79
CRA 15 novembre 2005, Nyiramasuhuko p31.
76

34

11, 16, 17, 21 et 23 avril font l’objet de poursuites dans l’acte d’accusation de Pauline
Nyiramasuhuko, ainsi que celle du 17 juin. Toutes ces réunions ont retenu son intérêt puisqu’elles
sont retranscrites sous forme de notes dans son agenda.

Si Pauline Nyiramasuhuko ne prend pas forcément la parole lors de ces réunions, sa présence
indique son approbation des mesures mises en place, puisqu’elle ne s’est jamais distanciée des
propos tenus.

Une implication personnelle totale
Au demeurant, son agenda révèle son implication totale dans la perpétration du génocide. Elle y
recense les personnalités à cibler lors de ses différents déplacements80. Par exemple, aux pages du
7 et 8 janvier, elle cite vingt noms. Des Tutsi dans la majorité des cas ou des opposants à la
politique de son parti, après avoir écrit « PSD organisateur de troubles81 ». Elle ajoutera ensuite
des croix à côté de ces noms pour signaler leur décès. L’ancien Premier ministre Jean Kambanda
s’exprime d’ailleurs à ce sujet, lors de son propre procès, en la décrivant comme l’un des
membres les plus dangereux de son ancien gouvernement : « J’ai dit que s’il fallait juger une
personne par le discours qu’elle tient, elle serait la personne qui aurait éliminé tous les Tutsi du
Rwanda. C’est du moins le discours qu’elle tenait en privé82. ». Son obsession anti-Tutsi se lit à
chaque page de son agenda, en témoigne cette remarque à la page du 10 janvier : «Kwishisha
abahandi cg(cyangwa) bo mudusangiye ubwoko [Ne pas faire confiance dans les autres et se
méfier des gens avec lesquels vous ne partagez pas l’ethnie].83». Cette haine viscérale est
présente

bien

avant

avril

1994

et

illustre

le

caractère

planifié

des

tueries.

Elle s’inquiète de la logistique liée à la destruction de « l’ennemi » Tutsi. A cet égard on
remarque les nombreuses mentions visant le financement des jeunesses Interahamwe. Elle
cherche à pallier le retard que les milices ont enregistré à Butare. A la page du 24 mars, elle
écrit :
« L’engagement des jeunes muli FPR b’i Butare Tugomba natwe kugira urubyiruko rwacu
kugirango ruhangane n’urwabo/ Guhuza urubyiruko, la formation, kubaha iki ?/ Cherchons les
moyens financiers/(…)/ faire un devis kubikenewe donc relever interahamwe très urgent./ Avoir au
moins 50 jeunes par commune. [L’engagement des jeunes de Butare au FPR. Nous devons nous

80

er

Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, dates du 14 avril, du 1 mai, du 3mai, du 6 mai, du
8 mai entre autres.
81
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, dates du 7 et 8 janvier.
82
er
Déposition de Jean Kambanda, T2-K7-28 du 1 octobre 1997.
83
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 10 janvier 1994.

35

aussi avoir une aile de jeunesse afin qu’elle puisse s’opposer à la leur. Réunir à la jeunesse, la
formation, que faut-il lui donner ? Cherchons les moyens financiers.] 84».

Cet intérêt pour l’embrigadement de la jeunesse est présent dans toutes ses notes. Elle opère une
association entre jeunes Tutsi et combattants du FPR. Se dessine alors nettement ce sentiment de
menace obsidionale : l’ennemi se cache en tout Tutsi, particulièrement chez les jeunes hommes
auxquels il est impératif d’opposer une force armée équivalente. Ce type de remarques se
multiplie une fois le génocide commencé.

L’abandon des prérogatives liées à son ministère ?
Mais qu’est-ce spécifiquement qu’être ministre pendant le génocide ? Le procès au TPIR nous
renseigne précisément sur les particularités de ce poste en tant de crise, mais très peu sur les
prérogatives liées au ministère dont a la charge Pauline Nyiramasuhuko. Son rôle de ministre en
guerre rend-il caduques ses attributions initiales ? A la lecture de ses discours nous devons
nuancer cette position. En effet, elle n’oublie pas ses responsabilités envers la famille et les
femmes – même s’il s’agit exclusivement des femmes hutu. On assiste donc, comme souvent
lorsqu’il s’agit de Pauline Nyiramasuhuko, à la mise en place d’un rôle inédit. Elle n’est pas
seulement une ministre en guerre se fondant dans un moule indifférencié mais une ministre de la
famille en guerre, de la femme en guerre.

Ce rôle de ministre en guerre a été précisé par le président Rwanda Théodore Sindikubwabo qui
dans son discours du 19 avril à Butare déclare que : « Les ministres sortiront des bureaux et
descendront sur le terrain. Ils auront des jours où ils seront au bureau et d’autres pour
travailler… au niveau de la population. Les problèmes seront étudiés de concert et auront des
solutions concertées.

85

. » Ces prérogatives cadrent parfaitement avec le profil de Pauline

Nyiramasuhuko qui se démarque par l’extrême diversité de son implication dans la commission
du génocide.
Le procureur cherche à démontrer son implication dans les massacres comme ministre en
s’appuyant sur son agenda :
Q.

« Je vous suggère que, compte tenu des notes qui figurent dans votre agenda, ces références
à la défense civile… ces références à l’organisation de la défense civile, ce qui vous

84
85

Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 24 mars 1994.
Pièce à conviction P.151A, discours prononcés le 19 avril 1994 à Butare.

36

intéressait en 1994, c’était seulement la défense civile et l’organisation des massacres ?
Pauline Nyiramasuhuko
Lorsque vous dites cela, vous me surprenez. Je suis étonnée parce que je n’ai pas participé
aux massacres. Parce que je ne me trouvais pas à Butare, je n’ai pas été informée des
massacres de Butare.
Quant à la défense civile, je n’ai participé qu’à deux petites réunions, à savoir le 16 mai
1994 et le 31 mai 1994. Les points qui figuraient à l’ordre du jour sont ceux qui ont été
portés à ma connaissance. Je ne pouvais pas inventer un autre ordre du jour alors que je
n’étais pas l’administrateur de la préfecture de Butare.86 »

Mais, si André Guichaoua note dans son rapport que son bilan en tant que ministre de la
Promotion féminine et de la Famille est mince pendant la période du génocide 87, elle représente
tout de même l’interlocutrice privilégiée du gouvernement avec les femmes rwandaises hutu. Les
discours qu’elle a prononcés sur la Radio Télévision Mille Collines en apportent une illustration.
Un mois avant le début du génocide, pour la journée de la Femme du 8 mars 1994, elle répond
aux questions de Valérie Bemeriki88, présentatrice emblématique de ce « média de la haine89».
Elle s’adresse directement aux femmes rwandaises en ces termes :
« Cette année, notre pays commémore la Journée de la femme pendant qu'il connait des problèmes
innombrables et épineux. En effet, nous sommes confrontés à des problèmes d'ordre économique,
ceux d'ordre politique consécutifs à la guerre et à l'insécurité qui prévaut dans notre pays ainsi
qu'à ceux qui sont liés à la famine et aux maladies endémiques tel que le SIDA. Les conséquences
de tous ces problèmes affectent la femme rwandaise d'une manière plus particulière, et c'est
pourquoi la jeune fille et la femme rwandaise souhaitent la paix. Dans ce cadre, personne n'ignore
les évènements malheureux ni les difficultés que connait notre pays depuis bientôt plus de trois ans.
Plusieurs familles ont dû quitter leurs biens. Elles passent toute la journée à errer au lieu de
travailler et de cultiver. D'autres ont été victimes de la guerre, elles ont été tuées. Le nombre de
veuves et d'orphelins ne cesse d'augmenter. »

Puis, elle prononce ces paroles fortes : « Nous, les femmes, nous donnons la vie, nous ne semons
pas la mort 90 » . Enfin, la femme rwandaise « veut la paix, non seulement l’absence de guerre et
d’insécurité mais également le respect de la justice sociale, de la justice économique, et le

86

er

CRA 1 septembre 2005, Nyiramasuhuko, p40.
A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p.338.
88
Valérie Bemeriki fut elle-même condamnée à perpétuité pour incitation à la haine par le biais de la RTLM. On
peut l’entendre s’exprimer sur son rôle durant le génocide dans le documentaire A Mots couverts, tourné dans la
prison de Kigali. Voir V. Violaine, A. Westphale, A Mots Couverts, Les Films de l’Embellie, 2014.
89
J.P Chrétien (dir.), Rwanda, les médias du génocide, Khartala, 2002.
90
Pièce à conviction D367B, discours RTLM 8 mars 1994.
87

37

respect de tous les droits de l’homme et des libertés fondamentales au sein de notre société ».
Elle insiste également sur des thèmes plus classiques tels que la promotion de l’éducation chez
les jeunes filles ainsi que l’égalité des sexes.
Plus curieux apparaissent ses propos concernant la guerre puisqu’elle appelle les femmes,
premières victimes de la guerre selon elle, à œuvrer pour la paix et la réconciliation même si
« face à ces excès de violence, les femmes n’ont pas jusqu’ici le pouvoir d’en changer les cours.
(…) Nous voulons porter notre participation contre la guerre. Pour la création des camps de
paix. Nous voulons intervenir dans l’éducation en matière de paix afin de promouvoir l'égalité
entre les races et les ethnies91, la tolérance et la coopération entre tous les Rwandais. La femme
qui est porteuse de la vie et qui la donne condamne toutes les violences, les assassinats et les
massacres de populations innocentes». Ce discours a été présenté par la défense pour illustrer sa
volonté de pacification, il faut évidemment le remettre dans son contexte et l’analyser à la
lumière du double langage utilisé lors de toute cette période par les membres du gouvernement.
Nous savons évidemment qu’elle considère comme victimes uniquement les femmes hutu, qui, à
cause de l’attaque du FPR, sont obligées de quitter leurs terres et d’errer. Ses remarques sur la
paix entre les ethnies relèvent d’une intégration de la vision racialisée de la société rwandaise.
En plein génocide, le ton se veut martial ; comme en témoigne cet extrait diffusé à la RTLM le 21
juin 1994 :
« La femme rwandaise, comme les autres Rwandais, est sur le champ de bataille, combattant
l’ennemi qui est de la famille du FPR. Son travail est plus dur que celui de son frère parce qu’elle
doit se battre tout en prenant soin de ses enfants. Les femmes Rwandaises ont été plus affectées par
la guerre parce que même quand elle se bat avec des armes, elle doit chercher à manger pour ses
enfants et son mari.(…) préparer la nourriture, comme vous le savez, est un moyen de combattre,
parce que vous ne pouvez pas combattre le ventre vide.92 »

Pauline Nyiramasuhuko se pose ici en porte-parole des femmes et de la famille en guerre. Elle
différencie « l’ennemi » Tutsi, infiltré, des « victimes » Hutu.
« Nous, en tant que le Gouvernement, nous avons jugé de les protéger tous, les honnêtes gens, les
malhonnêtes. Nous avons assuré la protection de tout le monde jusqu'au moment où le nombre
d'infiltrés s'est accru et a pris le dessus sur les gendarmes. Et, par la suite, ils nous ont délogés de
ces lieux.93 »

Elle est accusée de ne pas avoir porté assistance à ses administrés, en particulier aux femmes et
91

Elle utilise de manière indifférenciée les termes de race et d’ethnie, ce qui est représentatif de l’idéologie raciale
diffuse au sein de la société rwandaise à l’époque.
92
Pièce à conviction D.284C, Interview accordée par Nyiramasuhuko à la RTLM, 21 juin 1994.
93
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p25.

38

aux enfants. Lors des audiences, elle se défausse de sa responsabilité en soulignant l’incurie des
autres ministres. Comme ici, concernant l’enlèvement d’enfants d’un camp de réfugiés :
Mme ARBIA [assistante du Procureur]
Q.

« Je vous suggère que parmi les attributions de votre ministère, du Ministère de la famille et
de la promotion féminine, il y avait aussi des compétences concernant les femmes, les
enfants et les personnes âgées ?

R.

Oui, cela faisait partie de mes compétences, mais le problème qui consistait à venir en aide
aux personnes en difficulté avait été transféré au ministre Habineza94, et il a fait de son
mieux. 95 »

Une fonction redéfinie
Mais Pauline Nyiramasuhuko dépasse largement les prérogatives liées à son rôle de ministre de la
Famille et de la Promotion féminine et semble avoir adopté un rôle extrêmement flexible. Le
témoin à décharge de Sylvain Nsabimana, Filip Reyntjens, chercheur en droit à l’Université
d’Anvers, atteste du rôle spécifique de la ministre en guerre dans la Préfecture de Butare : « Je
dis simplement qu’il y avait des structures informelles où des gens… même des gens qui avaient
une position au sein de l’appareil de l’État, par exemple un ministre a pris des initiatives qui ne
sont pas de sa compétence. (…) il y a plusieurs éléments d’information qui montrent que
Madame Nyiramasuhuko a joué ce rôle de notable, parce que c’était en tant que notable
butaréen que, donc, en tant que notable, elle « ait » pris un certain nombre d’initiatives qui
n’étaient pas du ressort du Ministre de la condition féminine ou quelque chose du genre.96 » En
effet, Pauline Nyiramasuhuko rejette l’allégation selon laquelle elle aurait été en charge de la
pacification à Butare. Or ses liens étroits avec la Préfecture et sa présence sur place, attestée par
de nombreux témoignages, entre avril et juin 1994, démontrent que son rôle, s’il n’est pas
officiel, est bel et bien réel, puisqu’elle a participé à tous les rendez-vous politiques et a été très
présente au bureau de la Préfecture.
Lors de ce moment clef que fut la prestation de serment du Préfet Nsabimana du 19 avril 1994,
qui fait suite à la décision prise par ce même gouvernement d’évincer le Préfet Habyalimana. Elle
invoque le « hasard » pour expliquer sa présence à des conseils politiques à Butare : « Je n’ai
94

Il s’agit probablement d’une erreur de transcription du sténotypiste, puisqu’il n’existe pas de ministre du nom
d’Habineza.
95
CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p10.
96
CRA 20 Septembre 2007, Reyntjens, p50.

39

participé à ces Conseils que par hasard. Si j’étais quelqu’un sur lequel ces gens espéraient
quelque chose, on m’aurait invitée à ces réunions. Sinon, je n’y ai participé que par hasard. (…)
Dans tous les cas, je vous ai dit qu’on ne m’a jamais fait part des problèmes qu’il y aurait eu à
Butare.97 ». Elle se campe en personnalité politique mineure, n’ayant donc qu’une très faible
influence dans la préfecture, laissée de côté : « Je peux vous donner un exemple : Il y a eu des
réunions à Butare, il y a — par exemple — la réunion que le Président de la République a tenue,
il a visité les préfectures et les communes. Kambanda a rendu visite à Butare, je n’en ai pas pris
connaissance et je n’étais pas présente sur les lieux. Personne ne m’a invitée, par exemple, lors
du remplacement du préfet.98»
En tant que ministre, elle représente cependant la supérieure hiérarchique des administrateurs
locaux de Butare. D’ailleurs, son co-accusé Sylvain Nsabimana, ancien préfet de Butare, n’a de
cesse de rappeler à la chambre qu’il n’est qu’une figure de proue, un simple exécutant face à des
ordres qui viennent d’en haut.

Son agenda, source et preuve exceptionnelles
Comme nous avons pu le constater, c’est son agenda qui fournit des informations sur le « modus
operandi de l’exercice du pouvoir à l’époque.99» Il représente la principale pièce à conviction
pour attester de l’activité du gouvernement intérimaire. Il

s’agit également d’une source

exceptionnelle pour l’historien qui justifie à elle seule l’intérêt porté à la ministre. En effet, dans
le contexte du Rwanda des années 1990, il est très rare qu’une figure politique, rende compte
aussi précisément de ses activités par écrit100. Cet agenda se présente sous forme de notes assez
succinctes. Elle cite les paroles entendues lors des réunions auxquelles elle assiste, et note
également ses impressions personnelles. C’est une source complexe à utiliser car le caractère
elliptique de ces notes appelle une interprétation. Il ne s’agit en effet pas d’un journal et sa forme
est fragmentaire. Ce fut le travail du témoin-expert André Guichaoua de traduire et de mettre en
ordre les différentes notes. En effet, parfois Pauline Nyiramasuhuko retranscrit sur une page de la
date X un évènement ayant eu lieu à une date Y. Il s’agit de préciser ces décalages pendant
l’audience :

97

CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p11.
CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p7.
99
Pièce à conviction P.137B, Rapport d’expertise d’André Guichaoua.
100
D’autres hommes politiques jugés au TPIR ont tenu des agendas : Jean Kambanda et Théoneste Bagosora par
exemple.
98

40

Mme Arbia [assistante du Procureur] :
« Madame l’Accusée, est-ce que ces notes, à partir de « Akayesu » de cette page du 9 février de
l’agenda, se rapportent à la réunion du 18 avril 1994 à Murambi101 ?102 »

André Guichaoua partage son interprétation de la source lors des audiences et sa parole
s’oppose à celle de l’accusée, confrontée elle-même sans cesse à sa prose. L’intérêt principal de
l’agenda réside dans le fait qu’il nous offre un aperçu des centres d’intérêts de Pauline
Nyiramasuhuko durant toute la période. Des thèmes reviennent en effet régulièrement : la
préfecture de Butare, sa proximité avec les jeunesses Interahamwe et l’avancée des troupes du
FPR.
M. LE PRÉSIDENT :
Q.

« Mais que dit la phrase sur cette question ? Si vous dites que vous l'avez écrite parce que
cela était impossible, que dit la phrase ? Peut-être que vous pourriez nous donner des
éclaircissements sur ce point.

Pauline Nyiramasuhuko :
Dans ce conseil des ministres, il a été question de fournir des informations. Il n'y a pas de
décision, mais il n'y a que des informations, un grand nombre d'informations. Et
l'information qui suit celle-ci est la suivante : « Achat d'avions » ; j'ai mis un marque… une
marque d’exclamation, et suit : « Sept camps de réfugiés de Tutsi à Gitarama prêts à sauter
sur nous, il faut les désarmer ». Je n'ai rien noté d'autre. Alors, ce que j'ai fait ici, c’est de
vous

expliquer

les

circonstances

qui

m’ont

poussée

à

placer

ces

entrées.

Un exemple : Ici, lorsque vous lisez : « Achat d'avions » et avec une exclamation, vous ne
pouvez pas savoir s'il s'agissait des avions de combats, à moins que quelqu'un vous
l'explique. Je ne sais pas si... Je ne sais pas pourquoi on n'a pas cherché à retrouver les
comptes rendus de ces conseils des ministres. Si quelqu'un lit ces comptes rendus, il peut
bien comprendre ce qui s'est dit au cours de ces conseils des ministres.103 »

La source nous renseigne également sur ses fréquentations. Des noms connus reviennent à
plusieurs reprises comme celui de Jean-Paul Akayesu104, qu’elle n’hésite pas à défendre :
Mme ARBIA :
Q. «

Madame l’Accusée, est-ce que ces notes, à partir de « Akayesu » de cette page du 9 février

101

Le Gouvernement intérimaire déménage à Murambi, préfecture de Gitarama, le 12 avril 1994.
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p9.
103
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p23.
104
Jean-Paul Akayesu était le bourgmestre de la commune de Taba, il fut condamné à perpétuité par le TPIR le 2
septembre 1998 pour sa participation au meurtre de 2000 Tutsi dans sa commune.
102

41

de l’agenda, se rapportent à la réunion du 18 avril 1994 à Murambi ?
R.

Tout à fait.

(…)
R.

Nous voyions qu’effectivement, [Jean-Paul Akayesu] avait un problème. Pour plusieurs
raisons que j’ai déjà expliquées, sa commune était tout près de Kigali. Cela veut dire que
toutes les personnes qui prenaient la fuite transitaient d’abord par sa commune parce qu’ils
fuyaient à pied. Et lorsqu’ils arrivaient dans sa commune, ils commençaient à se dresser les
uns contre les autres.
Rappelez-vous qu’en date du 12, les Inkotanyi ont attaqué un camp où se trouvaient
un million de personnes ; c’était à Nyacyonga. Ces personnes sont parties en débandade,
certaines

sont

passées

par

Taba

et

d’autres

par

d’autres

lieux.

Que ce soient donc ces personnes de Nyacyonga et celles qui partaient de la ville, toutes ces
personnes ont transité par Taba. Et, donc, à cet endroit-là, il y a eu beaucoup de
problèmes.105»

Ce qui ressort du jugement au TPIR de Jean-Paul Akayesu est bien éloigné du discours que tient
Pauline Nyiramasuhuko. En effet, entre le 7 avril et la fin juin 1994, des centaines de civils ont
cherché refuge au bureau communal, la majorité d’entre eux était Tutsi. Beaucoup y ont été
assassinés et les femmes réfugiées ont été soumises à des sévices sexuels par des miliciens locaux
et policiers communaux sous les yeux de Jean-Paul Akayesu qui a facilité leur commission. Le
TPIR a mis en évidence, grâce à de nombreux témoins, que c’est après la réunion du 18 avril
évoquée ci-dessus que les massacres du Tutsi à Taba ont réellement démarré.106
Concernant son écriture on peut remarquer quelques envolées lyriques. Souvent l’accusée
s’exprime en apophtegmes, «Ngo iyo umugabo abyobora urugo umugore abayobora isi yose
[On dit que quand l’homme dirige le foyer, la femme gouverne la terre entière].107» Cette phrase
atteste de son caractère ambitieux et féministe à sa manière. On remarque en effet qu’elle perçoit
sa réussite professionnelle d’une manière genrée.
Elle inscrit donc cette ambition dans la continuité du gouvernement précédent. D’une certaine
manière on peut se demander si elle n’a pas été dans la surenchère justement en tant que femme,
alors même qu’on sait que les autres membres du gouvernement ne prennent que rarement son
avis en considération et la perçoivent comme une simple « épicière108 », justement à cause du
caractère éminemment pragmatique de ses intérêts. André Guichaoua nous dit par exemple à ce
sujet qu’elle avait l’habitude de soigner le Président Habyariamana, « assurait
105

CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p10.
TPIR, Le Procureur c. Akayesu, affaire n° ICTR-96-4-T, Jugement portant condamnation.
107
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 9 avril 1994.
108
A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p.20-325.
106

42

les

rafraichissements des membres du gouvernement intérimaire et surveillait la nourriture.109». Elle
s’occupe également de ravitailler le restaurant familial à Butare, qui sert de point de rencontre des
miliciens. Elle associe les stéréotypes liés à son genre, être une femme dans un milieu masculin,
mais sait en jouer pour se rendre indispensable.

Le comportement de Pauline Nyiramasuhuko bouscule nos représentations liées à un rôle
classique de ministre. D’ailleurs, certains des témoins à charge expriment leur surprise quant aux
faits qui lui sont reprochés, justement parce qu’elle est ministre, et nous renseignent ici non
seulement sur l’image qu’avaient les ministres à l’époque, mais aussi sur la popularité de Pauline
Nyiramasuhuko à Butare. Par exemple quand il s’agit de prouver que la ministre n’a pas distribué
de préservatifs à des miliciens à Butare, le témoin à décharge MNW déclare : « Nyiramasuhuko
était rwandaise, mariée, mère de plusieurs enfants et occupait aussi un poste de Ministre de haut
rang 110». Elle ne pensait donc pas qu’un ministre aurait pris le risque de distribuer des
préservatifs car il aurait été qualifié de « personne mal éduquée 111». WZNA, également témoin
à décharge de Pauline Nyiramasuhuko, ajoute qu’ « elle n’aurait pas eu le temps d’accomplir de
tels actes vu le poste ministériel qu’elle occupait 112». Il ajoute que si son ami, concerné par la
distribution de préservatifs, avait été en compagnie de Pauline Nyiramasuhuko en juin 1994, il lui
en aurait parlé car « cela aurait été tout à fait inhabituel pour lui de se trouver en compagnie
d’un ministre 113». D’autre part, les témoins à charge réfugiés à la Préfecture, s’étonnent que ce
fût « La ministre chargée de la famille qui était en train de les conduire à la mort 114». Ces
témoignages se fondent uniquement sur leurs représentations du travail de ministre avec des
considérations d’ordre moral importantes. Au-delà des faits, ils illustrent le caractère inédit du
rôle endossé par Pauline Nyiramasuhuko. Elle crée en effet un poste nouveau, celui d’une
ministre en guerre, dévouée à la cause génocidaire, aux attributions si diverses qu’il dépasse
l’imaginaire collectif de l’époque.

109

A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p.324.
CRA 10 février 2005, témoin MNW, p89.
111
CRA 14 février 2005, témoin MNW, p14.
112
CRA 4 avril 2005, témoin WZNA, p40-41.
113
CRA 4 avril 2005, témoin WZNA, p41.
114
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p85-88.
110

43

.

CHAPITRE 3 : Autorité militaire, autorité civile : des limites floues au cœur du
processus génocidaire
Me Bergevin [avocate de Pauline Nyiramasuhuko]
« Comment décririez-vous le pouvoir ou la stature dont jouissait Nyiramasuhuko dans la commune, en
1994?
Témoin

SU
En 94, étant donné qu'elle était Ministre de la famille, je dirais plutôt qu'elle a exterminé
les familles alors qu'elle avait la responsabilité de protéger ces familles. 115»

Ministre le jour, habillée de blanc116, chef de guerre la nuit, camouflée et en tenue militaire,
Pauline Nyiramasuhuko se situe dans un entre-deux caractéristique des situations de guerre civile.
115

CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p28.

44

Elle transgresse à la fois son rôle social, celui d’autorité civile, et les normes de genre en se
parant d’attributs guerriers. Comment ce personnage de femme en guerre se manifeste-t-il
visuellement ?
Le portrait qui nous est livré provient exclusivement des victimes. Pauline Nyiramasuhuko nie,
en effet, toute implication dans l’exécution directe de violences. Ce personnage guerrier n’est
donc jamais évoqué par sa défense : il n’existe pas. Tous les témoignages à charge, eux, font état
de l’adoption d’une attitude de milicienne.
Le procureur a bien senti les limites floues qui entourent le personnage de Pauline
Nyiramasuhuko durant tout le génocide. Dans sa déclaration liminaire il déclare : « Beaucoup de
témoins vont venir nous dire qu’elle avait… elle était habillée comme un militaire ; elle portait
un uniforme militaire. Elle était vraiment bien dans son rôle de Ministre militant de femmes, qui
a perdu toute sensibilité117 ». Il lie directement cette caractéristique morale, sa perte de
« sensibilité » à sa tenue.

Quand, et dans quelles circonstances revêt-elle son costume guerrier ? Une grande partie du
jugement s’attèle à prouver son implication dans les enlèvements de réfugiés au bureau de la
préfecture de Butare. En effet, alors qu’entre 500 et 1000118 Tutsi de la province s’étaient réfugiés
au bureau, la ministre est venue régulièrement à la nuit tombée, accompagnée de miliciens
Interahamwe et parfois de militaires, pour sélectionner des hommes et des femmes et les
emmener à la mort avec sa camionnette. Ces visites représentaient aussi l’occasion pour les
miliciens de commettre de nombreux viols sous les ordres de Pauline Nyiramasuhuko. 119 Est
également mise en cause son attitude au niveau des barrages routiers – instaurés pour contrôler
les cartes d’identité et identifier les Tutsi – et qui sont des lieux de massacres importants durant
toute la durée du génocide.

116

CRA 21 octobre 2002, témoin SU, p10.
Déclaration liminaire du Procureur p10, CRA 12 juin 2001, p19-120.
118
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant
condamnation,«3.6.19.3.1 Éléments de preuve à charge », p667-p730.
119
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali : p.6.30 (à l’appui des chefs 2 et 3, 5 et 6 ainsi que 8 à 10
contre Nyiramasuhuko et Ntahobali) ; par. 6.31 (à l’appui des chefs 2 et 3, 5 et 6 ainsi que 8 à 11 contre
Nyiramasuhuko et Ntahobali) : « entre le 19 avril et fin juin 1994, Nyiramasuhuko et Ntahobali, accompagnés
d’Interahamwe tels que Jumapili et Nsengiyumva ainsi que de militaires, se sont rendus au bureau de la préfecture
de Butare pour y enlever des réfugiés tutsi. Ceux d’entre eux qui avaient tenté de résister avaient été agressés et
dans certains cas tués. Nyiramasuhuko et Ntahobali obligeaient souvent les Tutsi à se dévêtir complètement avant
de les forcer à monter à bord des véhicules qui allaient les conduire à leur mort. »
Nous reviendrons plus précisément sur ces points dans la seconde partie.
117

45

Une attitude guerrière
Lors des périodes de grande violence, les femmes guerrières transgressent généralement les
normes de genre en s’armant. Pauline Nyiramasuhuko ne déroge pas à la règle. Le témoin QY
décrit cette scène:
« Lors d'un autre évènement a la Préfecture, j'ai revu Pauline et les Interahamwe Cette fois, je les
ai vu de nouveau transporter des Tutsi vers le champ de mort. J’ai remarqué que Pauline était en
tenue militaire ce jour-là et qu'elle portait un grand fusil. C'était le même type de fusil que celui
que portaient d'habitude les soldats (…). J'ai vu Pauline frapper une jeune fille avec la crosse de
son arme à feu. Je l'ai entendu dire « Vous êtes tous des lnkotanyi. Vous devez être tués. » Pauline
a apparemment frappé la fille avec son arme à feu pour l'obliger à monter dans le même véhicule
déjà mentionné ci-dessus. 120 »

Si elle adopte ici l’attitude d’une guerrière, son rapport aux armes et d’autant plus complexe de
par sa posture de dirigeante.
En effet, Pauline Nyiramasuhuko est très proche des miliciens Interahamwe121, et leur a fourni
des armes. Son agenda le confirme, le problème de l’armement est une de ses priorités et
concerne aussi bien les troupes des Forces Armées Rwandaises que les civils. Considérations
bien éloignées de ses prérogatives de ministre. A la date du 16 avril 1994, elle note dans son
agenda : « apprendre notre population à manier les armes122». Le 3 mai 1994 elle écrit cette
fois : « 4. (…) Défense civile : inyangamugayoimbunda [les gens intègres] [les armes] 123». Le
terme intègre, on peut l’imaginer, n’a rien à voir avec des caractéristiques moraux, mais
désignerait plutôt des civils fidèles à la cause génocidaire.
Prisca Mukagashugi, dès 1995, décrit le rôle de Pauline Nyiramasuhuko vis-à-vis de l’armement
de la population à Butare. Selon elle, « Pauline Nyiramasuhuko apportait un soutien logistique
aux miliciens venus de Kigali pour mettre le feu à Butare. Elle distribuait des grenades et
fournissait l’essence destinée à brûler les maisons dans les zones rurales. Elle a distribué des
machettes et autres instruments utiles aux assassins124». Le témoin FAS participe à ce portrait en

120

Pièce à conviction D466B, déclaration du témoin QY du 21 avril 1997 ;
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par.5.11 : « les dirigeants du MRND ont soutenu les
Interahamwe ».
121

122

Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 16 avril 1994.
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, date du 3 mai 1994.
124
-African Rights, Rwanda, Moins innocentes qu’il n’y paraît, Quand les femmes deviennent des meurtrières,
African Rights, 1995, p101.
123

46

rapportant les propos que la ministre aurait tenus au bourgmestre lors de l’attaque lancée au
stade de Mutunda. La ministre l’aurait invité à: « laisser les membres de la population tuer ces
serpents de Tutsi et tous ceux qui ressemblent aux Tutsi » en ajoutant que « s’ils avaient besoin
d’armes à feu elle leur en fournirait125 ». Tous les témoignages concordent pour la désigner
comme la supérieure de miliciens Interahamwe, sont toujours armés «de machettes, de grenades
et de couteaux »126.
Son agenda atteste de son implication auprès des miliciens. Aux pages du 25-26 janvier (qui
correspondent à la date du 7 mai), elle rassemble des informations concernant sa rencontre avec
« le comité d’Interahamwe127 ». Sa proximité avec cette structure décrite comme l’une « des plus
actives dans les massacres et le génocide128» est attestée. Elle sera d’ailleurs mise en accusation
pour sa participation à plusieurs réunions regroupant le comité Interahamwe- réunions auxquelles
elle ne nie pas avoir participé mais durant lesquelles la question d’un génocide n’aurait pas été
évoquée129. Elle répondra d’ailleurs à la question de savoir si les Interahamwe constituent une
milice : « Non, ce n’est pas vrai. C’est faux. C’est un nom qu’on a diabolisé. Les Interahamwe
sont des gens du MRND. Ce sont des gens qui n’ont jamais été divisés et qui ne le sont toujours
pas. 130»
Ces témoignages montrent donc qu’elle transgresse son rôle de ministre pour se faire chef de
guerre. Sur ce point écoutons SU, elle-même réfugiée au bureau de la préfecture :
« Nyiramasuhuko a dit aux Interahamwe “Commencez par ce côté-ci, où sont couchés les réfugiés.
Prenez des femmes et des hommes, et embarquez-les dans le véhicule” »(…). « Quand elle parlait,
elle s'agitait et montrait du doigt le côté par lequel on

devait commencer, en disant : “

Commencez par-là, et par-là, et par-là”.131».

Elle donne les ordres. SU le met en évidence à nouveau en décrivant une de ses rencontres avec
Pauline Nyiramasuhuko : « Au moment où je me trouvais entre les deux arbres, elle

s'est

déplacée parmi les réfugiés, et elle donnait des instructions, en disant aux Interahamwe :
“Mêlez les hommes et les femmes, embarquez-les.” C'est comme si elle sensibilisait ces
125

CRA, 28 avril 2004, témoin FAS, p35.
CRA, 14 octobre 2002, témoin SU, p60-61.
127
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko, dates du 25-26 janvier.
128
A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p396.
129
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
« 3.6.30 Réunions avec les Interahamwe (7 et 12 mai 1994) », p1024-1029.
130
Extraits d’une interview de la BBC août 1995 retranscrits dans African Rights, Rwanda, Moins innocentes qu’il n’y
paraît, Quand les femmes deviennent des meurtrières, African Rights, 1995.
131
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p61.
126

47

gens.132 ». Sa gestuelle est celle d’un commandant qui circule parmi ses troupes et parmi ses
victimes. Le témoin mime dans le prétoire les indications de la ministre, funestes gestes qui
désignent ceux qu’elle emmènera avec elle. TA confirme cette impression d’autorité en déclarant
« qu’il lui semblait que les Interahamwe relevaient de l’autorité de Nyiramasuhuko et de son
fils », qu’elle était « confortée de ce sentiment par le fait que lorsque Nyiramasuhuko désignait
les

gens,

ceux-ci

étaient

ensuite

emmenés.

133

»

Les nuits où Pauline Nyiramasuhuko se montre sont des nuits sans espoir pour les réfugiés. QBP
décrit avec émotion les quelques jours de répit qui prennent fin avec l’arrivée de la ministre : «
Les jours suivants, les tueurs nous ont laissés tranquilles. Mais cela a pris fin, une nuit, lorsque
Pauline Nyiramasuhuko est venue. 134

Une ministre en représentation
Elle assume sa position hiérarchique. Mais si c’est un rôle militaire qu’elle endosse, son attitude
reste pourtant celle d’une ministre, notamment dans la façon dont elle s’entoure et se déplace.
Elle ne débarque pas au bureau de la préfecture ou aux barrages routiers, seule au volant de son
4X4 Hilux. Elle ne conduit d’ailleurs jamais elle-même la camionnette. Les témoins sont précis
sur ce point : elle est toujours accompagnée. Elle reste donc ministre, protégée, bénéficiant d’une
garde rapprochée : « Madame Nyiramasuhuko était ministre, elle avait un officier de... elle avait
une personne qui assurait sa sécurité et un chauffeur, mais quand elle montait à bord de son
véhicule, je n'étais pas à côté d'elle, mais le fait est qu'elle ne s'est pas présentée à la préfecture à
pied. 135»
La défense n’hésite pas à s’appuyer sur l’apparente contradiction entre ces rôles pour déstabiliser
les témoins. En effet, remarquons que si Pauline Nyiramasuhuko transgresse, pendant le
génocide, toutes les normes attendues, cela semble être en toute conscience car c’est précisément
sur ce retour aux normes, sur l’impossible transgression, que se fonde toute sa défense. Son
avocate, Me Bergevin pointe ce paradoxe lors du contre-interrogatoire de SS :

Me Bergevin :
« Madame, selon votre témoignage, Pauline Nyiramasuhuko, ministre, connue de la population de
132

CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p67.
CRA, 25 octobre 2001, témoin TA, p76-77, 29 octobre 2001, p50-51.
134
CRA 28 octobre 2002, témoin QBP, p135.
135
CRA 15 octobre 2002, témoin SU, p167.
133

48

Butare-ville, est présente à une barrière, en plein jour, devant chez elle, avec un cadavre découpé
qui gît à cet endroit, à la vue de tous. C’est ce que vous dites à cette Chambre ?

Témoin SS
Je le déclare devant la Chambre puisque j’en ai été témoin.136 »

De la même façon, QPB rejette les analyses de la défense et l’appelle à revenir aux faits: « Moi,
je vous dis que j'ai vu

Nyiramasuhuko et ce qu'elle faisait.

Quant à ce qui concerne le

Gouvernement et ses activités officielles, là je n'en sais rien, c'est (sic.) pas moi qui l'ai nommée
ministre.137 » Une ministre ne peut pas se conduire ainsi. Mais comme nous l’avons vu, être
ministre pendant le génocide devient une fonction hybride qui consiste à mettre tout son pouvoir
en œuvre pour la bonne marche des massacres.

Ce mélange des rôles et des genres est également marqué visuellement. Pauline Nyiramasuhuko
apparaît dans le procès comme un personnage qui endosse plusieurs costumes : ses tenues
changent en fonction des « tâches » qu’elle a à accomplir. Souvent, le jour et lors de réunion
officielles, elle porte des tenues civiles féminines – robes, boubous- alors que la nuit, quand elle
s’attèle à ses travaux officieux relevant d’une logique guerrière, elle se camoufle de même que
son véhicule. Dès lors qu’elle transgresse ses attributions de ministre, elle quitte sa tenue civile et
se pare d’habits militaires. Pourtant, elle ne rejoint pas la masse des autres militaires. Comme le
montre la réponse de FAP lors de son contre-interrogatoire mené par ME Bergevin :

Me Bergevin :
Q. «Madame, vous nous avez dit que, cette nuit-là, Madame Nyiramasuhuko aurait porté un uniforme militaire, du
moins, à la partie supérieure ; c’est exact ?
Témoin

FAP :
R.

Q.

Oui.

Madame, saviez-vous que, parmi les militaires de l’ESO 138 qui étaient tout près, il y avait plusieurs
femmes militaires chargées de la sécurité dans la ville de Butare ?

R.

Oui, je le savais. Mais la différence est que, cette nuit-là, c’était la deuxième fois que Pauline
Nyiramasuhuko se présentait. Et ces militaires, quand elles venaient, ne donnaient pas des

136

CRA 5 mars 2003, témoin SS, p22.
CRA 28 octobre 2002, témoin QBP, p133.
138
ESO : Ecole des sous-officiers
137

49

instructions, alors qu’elle a donné des instructions. En plus, il y a son fils qui était venu avec elle,
qui a prononcé ces paroles, en s’adressant à une dame, en disant : « C’est ma mère qui m’envoie
vous chercher ». C’est ça la différence entre Pauline et ces femmes militaires. »139

Supérieure des soldats, c’est une femme en tête des opérations, mi-ministre mi-militaire, portant
pagne kitenge et chemise camouflage. Son véhicule gouvernemental lui aussi devient militaire.
Alors qu’elle nie avoir eu à sa disposition tout véhicule durant la période du génocide, tous les
témoins mentionnent son Hilux blanche140 : « Une Hilux, bariolée d'une couleur dont je n'ai pas
pu distinguer, mais qui semble être de la bouse, et j'ai appris que c'est de la... c'est de cette façon
qu'on peint le véhicule, au moment de la guerre. 141»
Quand elle vient de jour, elle ne se fait pas aussi discrète. Lors de l’une de ses visites au bureau
de la préfecture, « elle portait une robe blanche. (…) Elle parlait à haute et intelligible voix, sans
essayer de cacher quoi que ce soit.142»

Ce personnage ambivalent qu’incarne Pauline Nyiramasuhuko s’insère dans un contexte où le
brouillage des normes était la règle. En effet le génocide des Tutsi du Rwanda présente cette
spécificité qu’y ont participé des militaires, mais surtout des miliciens entrainés et de simples
civils.
L’historienne Alison Des Forges, dans son rapport en tant que témoin expert, nous renseigne sur
le rôle de l’armée. Si, selon elle, celle-ci a joué un rôle essentiel, elle n’avait pas à elle seule les
ressources pour exécuter des massacres à une telle échelle. Elle insiste sur l’importance de
l’administration civile qui a permis la mobilisation de la population143. Pauline Nyiramasuhuko,
en se faisant chef de guerre, s’intègre donc dans un processus plus général. La limite autorité
civile / autorité militaire, soldats/ civils n’a absolument pas lieu d’être.

La guerre civile : un contexte déterminant
Rappelons que le génocide se déroule dans un contexte de guerre civile sur lequel joue la défense
de la ministre. En effet, depuis 1990, les Forces Armées Rwandaises (FAR) et le Front
Patriotique Rwandais (FPR) s’affrontent. Dans ce contexte, la menace du FPR et de ses
139

CRA 13 mars 2003, témoin FAP, p6.
Même l’ex Premier ministre confirme cette information. Cf TPIR, Déposition Jean Kambanda TPIR, T2-K7-58, 15
mai 1998.
141
CRA, 14 octobre 2002, témoin SU, p58.
142
CRA, 21 octobre 2002, témoin SU, p10.
143
Pièce à conviction P.110A, rapport d’expertise d’Alison Des Forges.
140

50

« infiltrés » (les Tutsi de l’intérieur – tous les Tutsi en fait d’après la propagande
gouvernementale), est omniprésente et catalyse les peurs de la population.
Pauline Nyiramasuhuko nie le génocide et s’attache pour sa défense à insister sur ce contexte de
guerre civile. La guerre civile est considérée comme une situation extraordinaire, un moment
anormal qui justifie des mesures d’exception, où le droit se mue en mécanisme de défense.
Pauline Nyiramasuhuko, en transgressant les normes, est au cœur d’une fiction politique où l’on a
dressé le portrait d’un l’ennemi intérieur. Pauline Nyiramasuhuko justifie ainsi la création de
milices et leur armement ou encore la mise en place de barrages. Mesures qu’on peut regrouper
sous le terme « d’autodéfense civile ». Le mot autodéfense est essentiel puisqu’il montre que le
gouvernement intérimaire ne fit que réagir à une attaque. La défense s’attache à prouver ce point
à de nombreuses reprises, comme dans ce contre-interrogatoire d’André Guichaoua, témoin
expert, mené par l’avocate de Pauline Nyiramasuhuko :

ME BERGEVIN :
« (…) Est-ce que ce n’est pas clair Monsieur Guichaoua, dans les notes qui apparaissent à cet
endroit, que c’est une défense civile à titre préventif ? Et l’ennemi qui, comme vous dites, n’est pas
à Butare en date du 16 mai, il n’est pas allé au bout du monde, Monsieur Guichaoua, il est tout
près, il est à Kigali, tout près. C’est rien pour eux de partir avec leurs jeeps et de se rendre à
Butare.
- Est-ce que vous ne pensez pas que les gens, si vous vivez à 150 kilomètres ou je ne sais trop – je
pense que c’est moins – en tout cas dans ces environs, d’une guerre, que vous ne prendrez pas des
mesures préventives ? Est-ce anormal ça, Monsieur Guichaoua ? 144 »

Cette ligne de défense est déjà présente bien avant le procès chez Pauline Nyiramasuhuko. Elle
nie en effet le génocide en insistant sur la guerre dès 1995, dans une interview donnée à la BBC
alors qu’elle est réfugiée dans un camp au Zaïre. Elle explique ainsi à la journaliste:
«Nous savons que le FPR était composé exclusivement de Tutsi. Et les Tutsi du Rwanda étaient des
collaborateurs. Ce qui s’est passé, c’est qu’un jour les gens ont commencé à s’entretuer parce que
le FPR s’emparait de leur territoire. Si le FPR avait accepté un cessez-le-feu, ce qui est arrivé ne
se serait jamais produit… Je vivais dans le Sud du pays. A l’université, il y avait une brigade du
FPR qui dressait une liste de Hutu à tuer, affirmant que si le FPR arrivait, nous les
massacrerions… Nous avons les documents. » Elle ajoute que « lorsque le FPR est arrivé, les gens,
pris de panique, se sont entretués. C’est la guerre. Il est faux de dire qu’il s’agit d’un génocide.

144

CRA, 29 juin 2004, témoin expert André Guichaoua, p76.

51

Nous avons déclaré avoir été attaqués de l’extérieur… Ce sont les Tutsi qui ont massacré les Hutu.
145

»

Pauline Nyiramasuhuko insiste à de nombreuses reprises sur le fait que sa propre famille était en
danger à cause de la guerre et des troupes du FPR qui se rapprochaient.

Confrontée aux directives du 25 mai 1994146 énonçant les principes d’orientation du
gouvernement pour le programme de défense civile, elle s’appuiera sur cette absolue nécessité de
se protéger du FPR. Concernant les barrages par exemple, elle rapporte une discussion avec le
colonel Munyengango qui lui aurait dit que « ceux qui tenaient ces barrages étaient des
personnes intègres, connues de l’administration communale et qui avaient reçu une certaine
formation. » ou encore « les barrages rentraient dans le cadre de la défense civile et qu’il y avait
un problème avec les militaires, ceux-ci se trouvaient dans le nord de la préfecture de Butare,
alors que les Inkotanyi étaient déjà dans le voisinage. » d’où le fait que « des armes à feu
avaient été distribuées dans le cadre de la défense civile. 147 » L’armement de la population est
présenté comme indispensable.
André Guichaoua, qui a étudié cette pièce à conviction dans son rapport, explique à la chambre,
lorsqu’il est contre-interrogé sur ce point, en quoi consistent ces directives que Pauline
Nyiramasuhuko a approuvé avant leur diffusion. André Guichaoua nous dit qu’y figurent « Des
éléments extrêmement précis sur à la fois les objectifs et, particulièrement, sur les formes
d’organisation [de la défense civile]. Il indique des critères hiérarchiques des niveaux de mise en
œuvre, et c’est un document extrêmement élaboré. (…) La formulation des directives est claire,
toutes les forces sont sollicitées pour participer à l’éradication des ennemis de l’intérieur. À ce
titre, on y retrouve des militaires, des gendarmes, la police communale, des miliciens, les comités
mis en place par les autorités territoriales, « le » recrue, et le tout fonctionnait d’une manière
relativement homogène et en tout cas hiérarchisée.148»
Les différentes strates de l’administration locale sont concernées par l’organisation de la défense
civile. Pourtant, à Butare, il faut souligner l’implication particulière de Pauline Nyiramasuhuko.
Pour le témoin expert André Guichaoua, « elle y était impliquée à différents titres, non pas

145

Extraits d’une interview de la BBC août 1995 retranscrits dans African Rights, Rwanda, Moins innocentes qu’il n’y
paraît, Quand les femmes deviennent des meurtrières, African Rights, 1995
146
Pièce à conviction P.121A, Directives du gouvernement sur l’autodéfense civile du 25 mai 1994.
147
CRA 12 octobre 2005, Nyiramasuhuko, p6-8.
148
CRA, 29 juin 2004, témoin expert André Guichaoua, p52.

52

uniquement du fait de ses fonctions, mais d’une part, parce que son fils était lui-même chef
milicien et qu’avec sa mère, ils firent installer une barrière particulièrement redoutée devant leur
propre domicile, ce que même certains membres du Gouvernement intérimaire trouvèrent
quelque peu inconvenant au regard de la position ministérielle qu’elle occupait. ». Cette dernière
remarque du témoin-expert sur l’inconvenance de la barrière devant le domicile de Pauline
Nyiramasuhuko témoigne du fait que la transgression qu’elle opère, le mélange des rôles est
beaucoup plus poussé dans son cas. Elle semble être dans une sorte de surenchère.
André Guichaoua, quand on l’interroge sur bénéfice que des intellectuels ou des cadres pouvaient
tirer du génocide, nous propose une analyse intéressante en ce qui concerne la ministre : « Le fait
de vivre une période exceptionnelle, au cours de laquelle il était possible de transgresser la
quasi-totalité des règles du jeu social, a joué un rôle extrêmement important. Accessoirement,
pour ceux qui avaient des ambitions politiques, au cours de cette période, il était possible de
conduire ces opérations, de se promouvoir, d’arriver à des positions de monopole dans l’exercice
du pouvoir local et régional dans des situations d’impunité.149» Nous remarquerons cependant
que dans ses analyses André Guichaoua n’évoqué jamais une quelconque transgression de son
genre ou même de son rôle d’autorité civile.
Femme ambitieuse, polyvalente, prête à tout, Pauline Nyiramasuhuko a su endosser toutes les
casquettes, décidée à couvrir le spectre génocidaire dans toute son amplitude.
Peut-on pour autant parler, en ce qui concerne son implication en tant que ministre, d’une attitude
monstrueuse? En effet, si elle fût en effet une ministre zélée et au profil atypique, son
comportement ne se démarque pas singulièrement des normes en vigueur à l’époque des faits. Le
gouvernement dont elle faisait partie a dicté de nouvelles règles en encourageant et organisant les
massacres. Cependant, les transgressions qu’elle opère ainsi que l’adaptation de sa fonction de
ministre sont particulièrement marquantes. Ce qui, dans son comportement, bouscule surtout nos
représentations et nous amènent à la considérer comme « un monstre » se trouve moins dans son
implication politique que dans sa « féminité ». En effet, son personnage perturbe lorsqu’on en
vient à aborder sa responsabilité dans les crimes de nature sexuelle

149

CRA, 29 juin 2004, témoin expert André Guichaoua, p62.

53

PARTIE II
Promotion féminine et incitation au viol

« Nous, les femmes, nous donnons la vie, nous ne semons pas la mort. 150 »

Introduction
150

Pièce à conviction D367B, discours RTLM 8 mars 1994.

54

Nous avons donc examiné de quelle manière Pauline Nyiramasuhuko a participé à la planification
des massacres et à la mobilisation de la population en tant que ministre du Gouvernement
intérimaire. Mais l’ampleur de son implication dans le génocide des Tutsi dépasse largement son
rôle ministériel. C’est surtout en tant qu’individu, en tant que femme hutu, produit de la société
rwandaise de son époque, qu’elle s’est engagée dans les tueries. Elle se caractérise par une
surenchère dans la violence qui n’a pas échappée à ses contemporains, notamment ses proches
collaborateurs.

Pauline Nyiramasuhuko est une femme. Si, à la lecture du procès on tend à l’oublier – son sexe
est rarement mentionné et ses crimes se noient parmi ceux de ses co-accusés masculins - c’est
pourtant un élément essentiel si l’on veut comprendre le caractère éminemment singulier de
l’accusée. Loin des clichés évoquant une solidarité féminine marquée par le pacifisme, elle s’est
attaquée, en tant que femme, à des femmes en raison même de leur sexe. Une femme hutu contre
des femmes tutsi qui n’ont plus de femmes que le nom. Pourtant, le procès supprime le sexe de
l’accusée comme des témoins, désignés par des lettres. La justice pénale internationale ne
semble avoir à faire qu’à des personnes neutres, asexuées. Que reste-t-il de la « féminité » à
Arusha ?
Le cas de Pauline Nyiramasuhuko invite à déconstruire l’idée selon laquelle seul l’homme est
capable de commettre de telles atrocités, que la femme représente la paix, la quiétude du foyer.
On a ici une femme bien loin de son oïkos qui s’affirme dans la sphère publique en se posant en
chef de guerre, et qui n’hésite pas à se montrer aussi cruelle qu’un homme. Faut-il comprendre
cette « féminité » comme un facteur explicatif spécifique ou un stéréotype à déconstruire151?

Concernant les recherches sur les criminelles de guerre, rares sont encore les approches en termes
de « femmes ordinaires », à l’instar de celle de Christopher Browning152. Mais plus nombreuses
sont celles inspirées par les études de genre et le féminisme. Celles-ci critiquent les stéréotypes
essentialistes liées à la « féminité » : la femme serait fragile, monstrueuse mais par déviance, et
aurait des pratiques différentes de celles des hommes génocidaires. Pas une fois, lors du procès au
TPIR de Pauline Nyiramasuhuko ces explications classiques de violence féminine ne sont
évoquées. La folie, par exemple, n’est jamais plaidée par la défense. Cela n’a rien d’étonnant tant

151

I. Delpla, « Les femmes et le droit (pénal) international. », Clio, janvier 2014, n°39, p.183-204
C. R. Browning, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police allemande et la solution finale
en Pologne, Les Belles Lettres, 1994.
152

55

son comportement est réfléchi et répond à une stratégie planifiée qui est caractérisée par sa
volonté d’efficacité et de systématicité – en cela elle ne diffère pas de ses homologues masculins.
Elle ne se distingue pas, en effet, par un comportement qui serait « typiquement » féminin. On
n’assiste pas à une minimisation de sa carrière ni de son rôle politique. Mais sa qualité de femme
n’est jamais questionnée ni par la chambre, ni par les témoins-experts.
C’est plutôt dans la couverture médiatique du procès, qu’on retrouve cet étonnement essentialiste
face au fait « qu’une femme ait pu » organiser des massacres, enlever des personnes et faire
violer des femmes. Cette contradiction inhérente à son genre est également reprise par sa défense,
comme nous le verrons plus précisément. L’écart entre image sociale de la femme et carrière
génocidaire est particulièrement net dans le cas de Pauline Nyiramasuhuko, qui était assistante
sociale avant de devenir ministre et soigne une apparence de douce réserve au procès.

Il faut absolument revenir sur les spécificités d’une action meurtrière qu’elle a menée en tant que
femme en charge des femmes. Pauline Nyiramasuhuko a appelé aux massacres mais aussi au
viol. Cela peut paraitre paradoxal non seulement parce qu’elle est elle-même une femme mais
aussi parce qu’elle est la ministre de la Promotion féminine. Mais, ce hiatus se révèle moins
perturbant au regard du contexte général de haine envers la femme Tutsi. Et c’est justement cette
contextualisation de son comportement destructeur qui semble échapper au TPIR.

En effet, le génocide des Tutsi a eu cette spécificité, reconnue pour la première fois par la justice
pénale internationale, que les viols et agressions sexuelles menés à l’encontre des femmes Tutsi
ont été reconnus comme crime de génocide. L’article 2 de la Convention pour la prévention du
génocide de l’ONU de 1948 définit le génocide comme :
« quelconque des actes ci-après commis dans l'intention de détruire, en tout ou en partie, un
groupe national, ethnique, racial ou religieux, comme tel :
a) Meurtre de membres du groupe ;
b) Atteinte grave à l'intégrité physique ou mentale de membres du groupe ;
c) Soumission intentionnelle du groupe à des conditions d'existence devant entraîner sa
destruction physique totale ou partielle ;
d) Mesures visant à entraver les naissances au sein du groupe ;
e) Transfert forcé d'enfants du groupe à un autre groupe 153»

153

Nations Unies, Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, Article 2, 1948.

56

Après le procès au TPIR de Jean –Paul Akayesu154, cette définition du terme génocide a été
élargie : les violences sexuelles sont comprises comme constitutive du crime de génocide et sont
définies comme telles :
« Tout acte sexuel commis sur la personne d’autrui sous l’empire de la coercition. L’acte de
violence sexuelle, loin de se limiter à la pénétration physique du corps humain, peut comporter des
actes qui ne consistent pas dans la pénétration ni même dans des contacts physiques 155».

On inclut donc les mutilations génitales, l’esclavage sexuel, ou les humiliations à caractère sexuel
telle que la nudité forcée qui fut monnaie courante au Rwanda comme l’illustrent les témoignages
des victimes présentes au TPIR. Le témoin QBP, par exemple, évoque cette humiliation «
Pendant une accalmie, mon violeur m'a amenée à Butare. Au camp des réfugiés, j'ai trouvé deux
de mes enfants dont j'avais été séparée. J'étais à moitié nue.156 ».
La femme tutsi représente la principale cible de la propagande raciale étatique, et cette idéologie
est au cœur des représentations des femmes hutu. Elles perçoivent la Tutsi comme une rivale
dangereuse, séductrice et mangeuse d’hommes. Quand le génocide éclate, cette rancœur, cette
jalousie triviale, cette haine larvée émerge au grand jour et devient un moteur du processus
génocidaire. En s’attelant à analyser cet imaginaire revanchard racial qui entoure la femme tutsi,
le comportement de Pauline Nyiramasuhuko s’inscrit alors dans un schème plus général.
Violer une femme tutsi prend une signification symbolique forte. Depuis la révolution sociale de
1959 et la prise de pouvoir de la majorité hutu, la propagande raciale associe les supposés
caractéristiques physiques des femmes Tutsi à des critères moraux. Elles sont définies comme
étant des espionnes au service de leur ethnie, des femmes perfides, mauvaises, vicieuses,
comploteuses par essence. Les Allemands comme les Belges ont en effet essentialiser la femme
tutsi en célébrant ses prétendus traits fins et « caucasiens ».

Jugées inaccessibles, elles

deviennent vulnérables au moment du génocide, où les violeurs sont souvent choisis parmi les
hommes les plus laids, les vieux, les infirmes, les malades afin d’humilier ces femmes perçues
comme hautaines. Pauline Nyiramasuhuko reprend ces représentations à son compte, comme le
rapportent les paroles du témoin QBP :
« « Ce sont là les complices qui restent ici. » Puis elle a poursuivi : « Je vois qu'ici, à la préfecture,
il y a encore beaucoup de saleté, telle que ces femmes tutsi qui, jadis, étaient arrogantes et ne

154

Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Le Procureur contre Jean-Paul Akayesu, Jugement, 2 septembre
1998.
155
Tribunal Pénal International pour le Rwanda, Le Procureur contre Jean-Paul Akayesu, Jugement, 2 septembre
1998, paragraphe 688, p.275.
156
CRA 28 octobre 2002, témoin QBP, p113.

57

voulaient pas épouser des Hutus; maintenant, c'est à vous, Hutu, de faire ce que vous voulez
d'elles. » 157»

Dans le film documentaire A Mots Couverts158, cette curiosité envers ces femmes enfin
rabaissées apparait comme un véritable leitmotiv dans les témoignages des femmes génocidaires
interviewées. Elles racontent leur fascination pour le corps de l’ennemie, voulant voir « comment
les Tutsi sont faites », accourant une fois les corps mis à nus exhibés après un viol ou un meurtre.
Ce système de croyances rwandais est issu d’une construction sociale opérée par des
«entrepreneurs identitaires» : les politiques et les médias159. Pour comprendre l’idéologie
diffusée dans la société par le biais de la propagande, voici quelques extraits du Manifeste des
Bahutu – « Les 10 commandements du Hutu 160 »– publié dans le journal extrémiste Kangura161,
qui concernent les femmes Tutsi.
« 1. Tout Muhutu doit savoir que Umututsikazi162 où qu'elle soit travaille à la solde de son ethnie
tutsi. Par conséquent, est traitre tout Muhutu
- qui épouse une Mututsikazi ;
- qui fait d'une Umututsikazi sa concubine ;
- qui fait d'une Umututsikazi sa secrétaire ou sa protégée.
2. Tout Muhutu doit savoir que nos filles Bahutukazi 163 sont plus dignes et plus consciencieuses
dans leur rôle de femme, d'épouse et de mère de famille. Ne sont-elles pas jolies, bonnes
secrétaires

et

plus

honnêtes

!

3. Bahutukazi, soyez vigilantes et ramenez vos maris, vos frères et vos fils à la raison. »

Cette propagande est dégradante pour la femme tutsi tout comme pour la femme hutu qui se voit
obligée de redoubler d’effort pour garder son homme auprès d’elle. Cette supposée infériorité
semble avoir été intégré par un certain nombre de femmes hutu qui nourrissent leur rancœur
envers leur rivale tutsi.
Nous devons cependant être prudents et ne pas lire cette propagande de manière téléologique. Si
ces représentations sont effectivement diffuses, les relations inter-ethnies sont bien plus
complexes et nuancées. Nous l’avons vu avec Butare, le Rwanda est une société mixte où les
157

CRA 24 octobre 2002, témoin QBP, p169.
V. Baraduc, A.Westphale, A Mots Couverts, Les Films de l’Embellie, 2014.
159
J. Sémelin, Purifier et détruire – Usages politiques des massacres et génocides, Paris, Éditions du Seuil, 2005,
p.78.
160
“Les 10 commandements des Bahutu », Kangura, février 1994, n°56.
161
Kangura (le « réveil ») était une revue rwandaise extrémiste, fondée en octobre 1990 et rédigée
en kinyarwanda et en français. Voir à ce sujet J.P Chrétien (dir.), Rwanda : les médias du génocide, Karthala, 1995,
p.397.
162
Femme tutsi.
163
Femmes tutsi au pluriel.
158

58

mariages entre Hutu et Tutsi ne sont pas exceptionnels et où les identités demeurent floues.
Marie-Louise, interviewée par Jean Hatzfeld, lui avoue : « Je ne crois pas à cette histoire de
beauté et de complexe d’infériorité. Sur les collines, les femmes tutsi comme les femmes hutu
étaient pleines de boue et brises à cause du travail, en ville, les enfants hutu comme les enfants
tutsi étaient beaux et souriants.164 »
A l’encontre des stéréotypes entourant les violences de masse, le génocide des Tutsi du Rwanda
a en effet mis en lumière la capacité meurtrière des femmes. Pauline Nyiramasuhuko ne s’est, en
ce sens, pas démarquée par sa spécificité puisqu’elle est loin d’avoir été la seule femme
génocidaire et doit donc être rattachée à un phénomène général caractéristique du génocide des
Tutsi du Rwanda. Pauline Nyiramasuhuko partage-t-elle ces représentations et cet imaginaire
commun ? Est-elle finalement une femme génocidaire « ordinaire » ?

CHAPITRE 4 : Pauline Nyiramasuhuko et Arsène Shalom Ntahobali, incitation et
exécution
Ntabobari165Shalom :
« Est-ce que je peux violer quelqu’un devant ma mère ? (rire) C’est…c’est…anormal.
Robert Petit :
Et si votre mère n’était pas là ?
Ntahobari Shalom
Moi, j’ai…j’avais ma femme je ne peux pas…pourquoi aller violer ?
Robert Petit
Les hommes mariés ne violent pas ?
164
165

J. Hatzfeld, Dans le Nu de la vie, Seuil, 2000.
On trouve de manière indifférenciée les deux orthographes : Ntahobari ou Ntabobali.

59

Ntahobari
Non, je ne sais pas, sauf les malades. Moi je ne suis pas malade. 166 »

Ces mots de Shalom Ntahobali recueillis par le procureur Robert Petit témoignent du caractère
monstrueux, immoral du duo que forment Pauline Nyiramasuhuko et son fils. Mariage et
maternité, mais aussi folie sont tour à tour invoqués. Il faudrait être « malade », « un malade »
pour agir ainsi. Shalom Ntahobali reprend à son compte ces normes, qu’il a pourtant
transgressées en toute conscience, pour appuyer l’improbabilité de ses actes. Son comportement
déroge à toutes les normes liées à la famille et plus spécifiquement aux relations mère-fils, en
particulier en ce qui concerne la place de la relation sexuelle, encouragée et sublimée par la mère.

Ces interrogations morales, comment une mère peut-elle encourager son fils à violer et tuer, sont
éludées lors du procès. Si les hiérarchies sont sans cesse interrogées, ils partagent d’ailleurs leur
acte d’accusation,

la spécificité de celui qui unie Pauline Nyiramasuhuko et son fils est

complètement éclipsée. Pourtant, si Shalom Ntahobali est un milicien de Butare, c’est aussi et
surtout son fils, et l’influence de Pauline Nyiramasuhuko prend alors une autre image.
Shalom Ntahobali, d’étudiant raté à chef de milice
Arsène Shalom Ntahobali apparait par son parcours comme par son comportement lors du procès
comme un personnage marqué par la médiocrité et la fadeur. Effacé derrière sa mère. D’étudiant
raté167, il se mue en tueur, comme s’il pouvait enfin prendre l’envergure qui lui était jusque-là
refusée.
Né à Tel Aviv (Israël) en 1970 et étudiant à l’Université nationale de Butare à l’époque des faits,
il est parallèlement le chef de file d’un groupe d’Interahamwe sur lesquels il exerce son autorité.
« On entendait ces Interahamwe dire : « Shalom, chef », lorsqu'il passait.168 » atteste le témoin
TK. Entre avril et juillet 1994, il est responsable du barrage routier érigé devant son domicile à
Butare. Il mobilise ce barrage pour identifier, enlever, violer et tuer des Tutsi. Accompagné ou
non de sa mère, il se rend à de nombreuses reprises au bureau de la préfecture. Là aussi, il viole et
tue des réfugiés. D’autres sont emmenés dans divers endroits de la préfecture, notamment à
proximité de l’Ecole Evangéliste du Rwanda, où ils sont exécutés. Le TPIR insiste sur le fait que
166

Interview avec le procureur Robert Petit (K 0134315), Cassette KT00-0066, p.28
Il échoue à ses examens en 1993.
168
CRA 23 mai 2002, témoin TK, p111.
167

60

ces victimes ont souvent été contraintes de se dénuder avec d’être forcée à monter dans son
véhicule.
Il s’associe également aux autres co-accusés. Il seconde Joseph Kanyabashi à l’hôpital
universitaire de Butare pour sélectionner, enlever et tuer les Tutsi qui y étaient réfugiés. Il a
également commis au moins un viol, contre une dénommée Rose, au sein de l’hôpital. Avec
Alphonse Nteziryayo, il empêche l’évacuation, à partir de Butare, d’environ 300 orphelins et
adultes

qui

les

accompagnaient.

Surtout, il a violé et participé à l’enlèvement de nombreuses femmes tutsi. Il a encouragé ses
camarades Interahamwe à faire de même, et à « prendre des Tutsi pour femme », euphémisme
pour en fait en faire des esclaves sexuelles. Lors du procès, de nombreuses femmes ont témoigné
à propos de leurs viols, commis par Shalom Ntahobali et ses miliciens. TA raconte notamment
comment il a violé une dénommée Immaculée après avoir jeté son enfant à terre. TN, elle, évoque
son enlèvement par Shalom Ntahobali et ses miliciens, qui les ont ensuite gardées dans des
conditions d’esclavage sexuel pendant six jours. Il fuit le Rwanda dès juillet 1994 et se réfugie
dans un camp au Zaïre puis se rend au Kenya où il est en fuite pendant trois ans avant d’être
arrêté

le

24

juillet

1997.

Pauline Nyiramasuhuko, une femme « responsable » de viols
Il est intéressant de souligner que sa mère elle-même est jugée « responsable » de viols. La
déclaration liminaire du procureur est très claire à ce propos :
« Une femme de la société rwandaise, une femme ministre, députée à la condition de la femme.
Une femme qui a perdu toute sensibilité. C’est la possibilité des conséquences qu'une femme peut
subir d'un viol, d'un viol devant ses parents, ses familiers, ses enfants, même. Non, elle avait perdu
toute sensibilité parce que, en sa présence, les viols les plus graves, dans les circonstances les plus
cruelles, étaient applaudis par Pauline Nyiramasuhuko, qui encourageait même son fils à faire
autant, qui avait tout mis son corps et son âme.169 ».

Il insiste ici sur la « féminité » et la « maternité », mention rare lors du procès. Est-ce plus
« monstrueux » de cautionner de tels actes lorsqu’on est une femme ?
Il évoque aussi le fait qu’elle soit « une femme de la société rwandaise », comme nous l’avons
169

Déclaration liminaire du Procureur, CRA 12 juin 2001, p119-120.

61

vu, cette mention du contexte duquel elle émerge n’est pas anodine. En observant les paroles
prononcées par Pauline Nyiramasuhuko lors des viols, nous pouvons observer à quel point sa
vision de la population est racialisée et à quel point la Tutsi est animalisée, déshumanisée. En
témoignent ces propos récurrents concernant la « saleté » au bureau de la préfecture, terme
qu’elle utilise pour désigner les Tutsi qui y sont réfugiés.
A ce propos nous nous intéresserons plus particulièrement aux faits concernant le bureau de la
préfecture où Pauline Nyiramasuhuko a fait quelques apparitions destructrices en compagnie de
son fils.

Le bureau de la préfecture : un espace de refuge ?
LE TÉMOIN TK :
« À la préfecture, se sont déroulées plusieurs scènes horribles, je ne sais pas pourquoi vous ne
voudrez pas l'accepter ainsi. (…)
Ce sont des scènes dont j'ai été témoin, mais je les ai gardées en moi-même. 170 »

Photographie du bureau de la préfecture de Butare 171

170

CRA 23 MAI 2004, témoin TK, p137.

62

Sur ce terme de « refuge », la défense cherche à minimiser les crimes qui y ont été commis en
insinuant que la situation aurait été bien pire ailleurs :
Me KADJI [avocate principale au TPIR]:
« D'accord. "Je suis restée à cet endroit, parce que cela me paraissait être le meilleur
endroit pour rester". Le témoin parle de la préfecture.
(…)
Me KADJI :
Témoin SJ, en lisant cette phrase, n'avez-vous pas le sentiment que vous êtes aujourd'hui
en vie parce que justement, vous vous êtes réfugiée sur cette place qui vous semblait, à
l'époque, être le meilleur endroit où rester ?172 »

Le témoin SJ rétorque rapidement à ces allégations, en insistant sur la dureté des
conditions de vie extrêmes au bureau de la préfecture.
LE TÉMOIN SJ :
« C’est pénible pour moi de répéter la vie que nous avons menée à cet endroit. Il n’y avait pas
d’eau, et même les petits enfants que nous envoyions chercher de l’eau dans la vallée où se
trouvaient les fontaines, ces enfants étaient tués.
Je n’ai aucun plaisir à vous répéter les conditions de vie que… dans lesquelles nous avons vécu
pendant ces événements.173 »

Elle insiste également sur la façon dont les réfugiés ont été livrés à eux-mêmes, dans des
conditions de délaissement total.
LE TÉMOIN SJ.
« Personne de la Croix-Rouge ne s’est présenté à cet endroit, personne ne nous a approvisionnés
en

vivres.

(…)

Pensez-vous que c’est un plaisir pour moi de m’asseoir devant ces personnes ? J’ai tellement peur.
Je voudrais vous dire qu’on passait des journées entières — d’ailleurs plusieurs jours — sans se
laver, et le corps était presque couvert de poux. Quand on se grattait la tête, on en sortait une
poignée de poux. Il n’y avait pas d’eau pour se laver.174 »

Les témoignages laissent entrevoir le degré de vulnérabilité dans lequel furent maintenus les
réfugiés à la préfecture. C’est dans ces conditions que Pauline Nyiramasuhuko et son fils vont
choisir

certains

d’entre

eux

afin

de

171

les

amener

à

Pièce à conviction ERN K0182403-K0182408 référence TPIR, Photo NO.001-005, 18 juin 2001.
CRA 5 juin 2002, témoin SJ, p108.
173
CRA 5 juin 2002, témoin SJ, p51.
174
CRA 5 juin 2002, témoin SJ, p54.
172

63

la

mort.

Pauline Nyiramasuhuko remarque la saleté de l’endroit, mais pour elle, celles-ci est due aux
réfugiés eux-mêmes, ces «cafards » comme on appelait les Tutsi à l’époque, dont il faut
absolument se débarrasser. Tous les témoins à charge présents au bureau de la préfecture au
moment des faits relatent de manière précise ses paroles : SJ, à nouveau, déclare à la chambre :
« Lorsque Pauline a quitté la réunion et est montée dans la voiture, je l’ai entendue prononcer
les mots suivants : « Cet endroit est sale ». Pauline ne voulait pas que tous les réfugiés restent
sur la place de la préfecture.175 ». SU corrobore le témoignage de SJ :
« À la fin de la première réunion, nous étions devant le bureau de la préfecture, et j'ai vu
Nyiramasuhuko pendant qu'elle se frappait sur la tête et sur les cuisses, en disant : « Mais qui sont
ces petites gens? » Et, en parlant de « petites gens », elle faisait référence aux Tutsi qui s'y
trouvaient, et elle a continué en disant : « C'est ici, à la préfecture, que la saleté reste. » (…) Et j'ai
autre chose à ajouter. Elle s'agitait en disant : « C'est ici, à la préfecture, que reste la saleté.
Ailleurs, dans les communes, on a fini de faire le finissage (sic.). 176»

Pauline Nyiramasuhuko se désole, contrairement au reste de la préfecture, il reste ici un trop
grand nombre de Tutsi. C’est pourquoi elle entreprend avec son fils de « nettoyer » les lieux lors
de ses expéditions nocturnes. Une ambiance d’angoisse y règne : « Lorsque nous étions au
bureau préfectoral, les réfugiés ne pouvaient en aucun cas se rendre au marché. Nous vivions
dans la peur de la mort, nous étions résignés sur place en attendant notre mort177. »

C’est en ce lieu que se déroulent la majorité des viols relatés lors du procès. Les témoignages
sont extrêmement durs. Les hommes ont majoritairement été tués au bureau de la préfecture, les
femmes ont, elles, subies d’autres sévices, et sont donc les plus nombreuses à témoigner. De leurs
paroles il ressort que femmes et enfants ont été traités aussi durement que les jeunes hommes –
jugés pourtant plus dangereux car étant de possibles infiltrés du FPR- et témoignent donc d’un
aspect essentiel de toute politique génocidaire : la rupture radicale de la filiation.
SU raconte devant la chambre de quelle manière Pauline Nyiramasuhuko incitait les miliciens à
violer des femmes :

« Elle a interpellé les Interahamwe qui étaient présents, leur a dit de chercher encore des gens à
embarquer dans le véhicule, elle leur a dit de sélectionner des femmes qui sont encore d'un jeune

175
176
177

CRA 5 juin 2002, témoin SJ, p33.
CRA 15 octobre 2002, témoin SU, p167.
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p40.

64

âge et des filles, et puis de les violer, car, auparavant, elles avaient refusé de marier... Et quand
elle disait ces propos, elle faisait les cent pas, là où les réfugiés étaient couchés.178 ».

Revanchard, son argumentaire est mu par les représentations diffuses dans la société rwandaise
de l’époque. SU met également en avant le comportement de la ministre vis-à-vis des mères et de
leurs enfants : « Au niveau des épaules, on m'a administré un coup de couteau qui a tué l'enfant
dont (sic.) je portais au dos... sur le dos. Et sur la tête, on m'a blessée avec des gourdins
cloutés.179 » Elle évoque également le sort d’une autre femme:« La femme a poussé des cris, elle
a dit : « Ce ne sont que des petits enfants. » Et les personnes qui tiraient les enfants ont demandé
: « Ils ont quel âge? » Aussitôt, on « l'a » asséné un coup de machette, au niveau du cou. La
femme a commencé à hurler, et Nyiramasuhuko a dit : « Alors, allaite tes enfants! 180» Les propos
qu’elle prête à l’Accusée révèlent l’absence d’une quelconque solidarité maternelle puisque
l’injonction à s’occuper de ses enfants est profondément ironique.
QBP évoque même le plaisir que celle-ci aurait ressenti en livrant ces femmes aux Interahamwe:
« Elle a juste encouragé les personnes qui devaient participer aux viols. C'est cela qui lui faisait
plaisir. Son plaisir consistait à nous jeter dans les bras des ennemis.181 »
Ces appels au viol sont récurrents, FAE témoigne à propos d’une visite de Pauline
Nyiramasuhuko à Butare en juin 1994 où elle distribue des préservatifs à des miliciens, les
invitant à se protéger lorsqu’ils violent des femmes Tutsi :
« Distribuez ces préservatifs à nos jeunes hommes pour qu’ils violent les Tutsi et, après les avoir
violées, qu’ils les tuent. En plus, ce sont ces femmes tutsi qui volent nos maris. Aucune d’entre elles
ne doit survivre. Violez-les d’abord et utilisez des préservatifs – puis après les avoir violées, tuezles. Qu’aucune Tutsi ne survive.182»

Ces paroles sont révélatrices du caractère génocidaire du viol. Le viol doit mener à la destruction sur
la durée de l’ethnie tutsi. La diffusion du VIH fut au cœur du processus génocidaire. QBQ qui
témoigne en ce sens devant la chambre : « À un certain moment, j’étais incapable de marcher. Je

suis restée longtemps sans pouvoir me déplacer, vous comprenez que j’ai subi une sorte de
paralysie à cause des fractures que j’ai subies et, en plus, les assaillants m’ont contaminée… j’ai
178
179

CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p118.
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p19.

180

CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p69.
CRA 29 octobre, témoin QBP, p8.
182
Déclaration du témoin FAE du 7 mai 1999 cité dans : Prosecutor’s Closing Brief, p. 109.
181

65

contaminé des maladies à cause de ces assaillants.183 ». Mais ce sont les miliciens que Pauline
Nyiramasuhuko cherche ici à protéger des maladies générées par les femmes Tutsi pendant les mois
qui ont précédés : « Remets ceci à nos jeunes militants qui doivent les utiliser avant de violer les

femmes tutsi qui pourraient avoir le SIDA. En distribuant ces préservatifs, nous protégerons nos
fils

SIDA184 »

du

Pauline Nyiramasuhuko, Shalom Ntahobali et leur défense s’évertuent à discréditer les
témoignages. Pourtant, nombreuses sont les femmes qui viennent soumettre un récit douloureux à
la chambre. Toutes ces audiences concernant les viols sont extrêmement dures, et rendues encore
plus insoutenables par la précision exigée par les juges.
Temoin SU :
« Je l'ai vu de mes propres yeux. À ce moment-là, personne ne pouvait avoir honte, et les gens
s'étaient transformés en animaux.
(…) Il s'agit de ces Interahamwe hutus ET MEME LES personnes qui donnaient des instructions
s'étaient transformées. On ne respectait plus l'être humain, pendant cette période. 185 »

Des femmes de tout âge sont violées. SU témoigne à ce propos, elle dont l’âge aurait pu la
protéger du viol :
Témoin SU :
«Ils m'ont braqué la lumière d'une torche, ils ont levé ma tête, et je leur ai dit : « Attention, je ne
suis qu'une vieille dame. » Et j'ai dû « déshabiller » le pull over que je portais, pour leur montrer
mes

seins.

Q.

Pourquoi l'avez-vous fait?

R.

Je l'ai fait parce que j'avais maigri. Donc, j'avais complètement maigri de façon que ça

dépassait, même, le cas d'un sidéen. J’ai dit : « Écoutez, je ne suis pas une personne que vous
pouvez violer. » J'ai enlevé mon pull-over pour leur montrer dans quel état je me trouvais, parce
que ma peau était sèche, j'étais comme une personne atteinte de sida,

j'avais tellement de

problèmes, je n'étais pas en état, j'étais pas une personne présentable qui pouvait être violée. 186»

Cette perception d’elle-même, comme une personne repoussante de saleté et de maigreur, irrigue
tout le témoignage de SU. C’est d’ailleurs en invoquant sa déchéance physique qu’elle explique
qu’elle n’ose pas s’approcher de Pauline Nyiramasuhuko. Les vêtements de SU n’avaient pas « la
183

CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p9.
CRA 18 mars 2004, témoin FAE, p45.
185
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p115.
186
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p112.
184

66

classe de ceux que Nyiramasuhuko portait187» et elle ajoute « je ne me suis pas rapprochée d'elle
parce que je n'étais pas au même rang qu'elle.188 ». A la hiérarchie sociale et politique s’ajoute la
honte de ces haillons, qui ne la rendent pas « présentable » à une femme joliment habillée. La
problématique genrée et ces représentations des femmes entre elles – victimes comme coupableapparait alors centrale.
Le viol systématique comme arme génocidaire
Le nombre exact de viols commis pendant les cent jours que durèrent le génocide n’est pas
connu. Mais les témoignages de rescapées confirment qu’il fut systématique. Dans le rapport d’
Human Rights Watch, « Les vies brisées, violence sexuelle pendant le Génocide rwandais et sa
conséquence »189, presque toutes les survivantes ont été violées. Le viol a été la règle et non
l’exception. D’après l’association Avega, 80% des femmes survivantes ont été violées et 66,7%
d’entre elles ont été infectées par le VIH. Au procès, sur les 59 témoins à décharge, au moins 13
sont là pour témoigner sur la question des viols.
En effet, les quelques témoignages recueillis en 1996 à Butare par Human Rights Watch mettent
en lumière l’immense violence dont ont été victimes ces femmes. Toutes ne se rendent pas au
TPIR mais leurs récits sont semblables à ceux entendus devant la chambre. Josepha, âgée de
trente-huit ans, originaire de la commune de Shyanda (préfecture de Butare) témoigne auprès de
l’association. Cachée dans un champ de sorgho elle fut « attrapée par des miliciens. » Ceux-ci
l’ont frappée à la tête et l’ont trainée par les jambes et les bras. Une fois à terre, parmi les
bouteilles brisées elle fut violée par deux d’entre eux. « Le viol est un délit plus grave que le
meurtre 190» déclare-t-elle. Goretti était, elle, âgée de vingt-six ans et vivait dans la commune de
Rusatira (préfecture de Butare), et fut violée plusieurs fois pendant le génocide. Elle connaissait
ses agresseurs qui étaient des voisins et des amis. « Les Interahamwe partageaient les femmes.
Chacun s’emparait d’une femme ou d’une jeune fille. Ils les prenaient en chasse. La plupart était

187

CRA 17 octobre 2002, témoin SU, p43.
CRA 17 octobre 2002, témoin SU, p45.
189
Human Rights Watch/Afrique et Human Rights Watch/Projet Droits des femmes (HRW), « Les vies brisées,
violence sexuelle pendant le Génocide rwandais et sa conséquence », 1996.
188

190

Human Rights Watch/Afrique et Human Rights Watch/Projet Droits des femmes (HRW), « Les vies brisées,
violence sexuelle pendant le Génocide rwandais et sa conséquence », 1996, p22, entretien du 2 avril 1996.

67

prises par deux miliciens. Je fus prisonnière d’un seul qui me garda pendant deux semaines
(…).191»
Consilda, âgée de trente-huit ans, se cachait également dans les champs de sorgho quand les
violences ont commencé. Elle vivait dans la commune de Ndora (préfecture de Butare) et
explique que les violences y ont commencé après la visite192 de Théodore Sindikubwabo et de
Jean Kambanda que nous avons déjà évoquée. En fuite, elle se fait violer par des miliciens, dont
certains étaient des voisins de sa famille, à un barrage. « Huit hommes jeunes firent de mauvaises
choses ; je ne pouvais plus respirer ». Elle relate leurs paroles après le viol : « Nous pensions
que les Tutsi étaient différentes, mais en fait elles sont pareilles.193 ». Frappée à la tête, évanouie,
elle fut emmenée dans une maison où elle apprit que sa sœur avait été assassinée par une flèche
plantée dans son vagin. L’utilisation d’objets pour commettre les viols n’est pas marginale. Le
témoin TN soutient devant le TPIR avoir été violée par Shalom Ntahobali et sept autres
Interahamwe à l’aide « d’un manche à raclette194 ».

Les témoins présents au TPIR attestent d’expériences similaires puisque le modus operandi des
viols fut le même dans toute la préfecture. Mais l’exigence de précision demandée par la
chambre et l’attitude de la défense rendent la prise de parole difficile pour des témoins dont la
véracité des propos est sans cesse mise en doute. Cet échange entre TA et la défense de Shalom
Ntahobali atteste de la difficulté des questions:
«Q. Avez-vous touché le pénis de Shalom ?
Témoin TA :
Je n'avais pas de raison de le toucher.
Q. Comment a-t-il introduit ce pénis dans votre vagin ?
(…)
Q. Seriez-vous en mesure de dire aux juges de la Chambre de céans, s’il était circoncis ou
pas ?195 »

Malgré tout, les femmes présentes livrent des récits poignants.

191

Ibid., p32, entretien du 23 mars 1996.
Visite du 19 avril où ont été prononcés les discours incendiaires.
193
Ibid., p34, entretien du 2 avril 1996.
194
CRA 3 avril 2002, témoin TN, p.181-185.
195
CRA 31 octobre 2001, témoin TA, p82.
192

68

Celles qui se réfugiaient au bureau de la préfecture insistent sur le processus de sélection mis en
place par Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali lors de leurs visites nocturnes.
« Q.

Témoin QBQ, vous avez dit qu’on les a emportés pour aller les jeter quelque part ; qui sont
ces gens qui les ont emmenés ?
Témoin QBQ

R.

Ce sont les Interahamwe avec Shalom et Nyiramasuhuko qui ont acheminé ces gens vers
ledit endroit. (…)

R.

Ils sont revenus. Après avoir déchargé leur cargaison, ils sont revenus prendre d’autres
personnes. Moi-même, j’ai été réveillée. Ils se sont mis encore à tirer les gens vers le
véhicule en les traînant par le bout du nez. Et ils les ont embarqués dans le véhicule pour
les conduire à Kumukoni où on les jetait dans un trou.
(…) On m’a réveillée, on m’a tirée par le nez, on m’a mise de côté, et comme on
sélectionnait les gens, un à un, et comme j’avais un bébé qui dormait, je suis allée voir le
bébé qui commençait à pleurer. Et j’ai ainsi pu réchapper. On a embarqué les autres et,
moi, je suis restée sur place.196 »

Le duo mère-fils ne laisse aucun espoir aux réfugiés sur place: « Nous vivions dans la peur de la
mort, nous étions résignés sur place en attendant notre mort.197 ». Et pour les femmes qui ne sont
pas emmenées, ce qui les attend sur place et perçu comme bien pire que la mort. SS évoque les
conversations qu’elle a pu avoir avec des femmes victimes de viols : « J’ai constaté que les
jeunes filles et les dames ont été enlevées et restées pendant deux ou trois jours ; et j’ai
également vu les Interahamwe conduire les femmes derrière le bureau de la préfecture et abuser
d’elles. (…) Elles nous ont répondu ceci : « Il n’y a pas plus atroce que la mort ou ce qu’on nous
a fait subir. Imaginez-vous si six personnes devaient faire le tour, toutes sur vous! » 198». Elle
continue son récit en insistant à nouveau sur l’horreur des viols collectifs : « Certaines ont été
violées sur le poste de couche, là où elles passaient la nuit, et d’autres ont été violées à l’arrière
du bureau préfectoral, sous les avocatiers. Et parmi celles qui ont été amenées à l’arrière du
bureau préfectoral, il y a une fille qui est revenue, elle nous a dit : « Mieux vaut être tuée que
d’être

violée

par

quatre

ou

plus

de

quatre

personnes ».199 ».

Shalom Ntahobali, les Interahamwe mais aussi des militaires se livrent régulièrement à des viols
collectifs :

196

CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p20.
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p40.
198
CRA 3 mars 2003, témoin SS, p62.
199
CRA 11 mars 2003, témoin SS, p62.
197

69

Me Bergevin [avocate de Pauline Nyiramasuhuko]:
« Q. Vous avez dit que Ntahobali, s’amenait avec des militaires handicapés pour violer les femmes.
Est-ce qu’il n’y a eu que ces militaires qui ont violé les femmes ?
LE TÉMOIN TK :
R.

Non, ces militaires étaient accompagnés par des Interahamwe et avec d’autres militaires.

Q.

Est-ce que ces scènes de viol se passaient dans la cour de la préfecture ?

R.

Je n’ai pas vu les militaires se livrer au viol dans la cour de la préfecture, mais les

Interahamwe le faisaient sur place. Généralement, les militaires, prenaient les filles un peu à côté
et, au retour, les filles disaient ce qui leur était arrivé.200 ».

Mais peu nombreuses sont celles qui peuvent aujourd’hui témoigner. TK évoque le cas d’une
famille décimée pendant le génocide dont au moins une des filles a été victime de Shalom
Ntahobali : « J’ai vu Shalom en discussion avec la femme de Mbasha et du fait qu’il voulait avoir
des relations sexuelles, prendre pour femme une de leurs jeunes filles qui n’avait, alors,
qu’environ neuf ans. Toutes les personnes de cette famille Mbasha ont été emmenées et je ne les
ai plus jamais revues en vie. »201. L’histoire de la famille Mbasha souligne l’indifférence des
violeurs pour l’âge de leurs victimes. QBQ parlera également de ces femmes dont « aucune n’est
revenue202 ».

Les viols se déroulent dans un contexte d’extrême violence et toujours sous la menace des
armes et s’accompagnent de mutilations irréversibles dont attestent de nombreux témoins. Le
souvenir de cette violence est lié à l’image du violeur lui-même : « Les Interahamwe étaient euxmêmes armés de gourdins, de lances, de machettes et d'autres armes traditionnelles. Ils se sont
aussitôt jetés sur nous, prenant nos biens et violant les femmes. Moi-même j'ai été violée par un
homme à l'apparence très sale.203»
Ces actes commis à leur égard font douter les réfugiés Tutsi de leur propre humanité, comme
l’explique TK : « Je dois vous avouer qu’à ce moment-là, il y avait… il restait très peu de Tutsi.
Et en fait, ceux qui restaient étaient considérés comme des gens qui devaient mourir d’ellesmêmes (sic). Et lorsqu’un Tutsi s’interrogeait sur sa raison d’être, il se disait qu’il n’était plus un
être humain, et ne savait plus que faire de sa propre personne ou de son appellation même de
200

CRA 28 mai 2002, témoin TK, p64.
CRA 23 mai 2002, témoin TK, p20.
202
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p64.
203
CRA 29 octobre 2002, témoin QBP, p109.
201

70

« Tutsi ».204 ». En effet, la mort était perçue comme inexorable. Ces actes commis au bureau de la
préfecture encouragés par Pauline Nyiramasuhuko sont survenus dans toute la région. Le procès
s’attache également à juger ceux commis aux barrages routiers, à l’Ecole Evangeliste du Rwanda,
à l’Hopital Universitaire et dans d’autres lieux où étaient rassemblés des réfugiés. Ces méthodes
d’extermination étant soutenues par la ministre et le reste du Gouvernement intérimaire elles ont
pris une forme systématique. Et, pour laisser la parole à SU, même si Pauline
Nyiramasuhuko « Quand elle parlait, elle s'agitait et, apparemment, elle était triste. Mais il y
avait d'autres personnes tristes plus qu'elle.205 »

CHAPITRE 5 : Une défense genrée. De la négation individuelle à la négation du
génocide.
« Je suis prête à discuter avec la personne qui m’accuse d’avoir pu tuer. Je ne peux même pas tuer
un poulet. Si une personne déclare qu’une femme, qu’une mère, a tué, alors je suis prête à lui être
confrontée… Le FPR a mis sur sa liste les noms de tous les intellectuels hutu. Je fais partie de ces
Hutu qui ont poursuivi des études universitaires. J’ai étudié le droit. Toutes les femmes qui ont
suivi des études supérieures sont considérées comme des tueurs.

206

»

Ces paroles prononcées par Pauline Nyiramasuhuko attestent de deux échelles dans sa défense
qui se recoupent malgré leur apparente contradiction. Elle nie d’abord ses crimes au nom d’une
individualité caractérisée par sa féminité. A cela s’ajoute un négationnisme plus général qui
consiste à faire appel à la notion de légitime défense et à un procédé de victimisation. Elle se
rapproche en cela de l’attitude de tous les cerveaux du génocide, en insistant sur la guerre ayant
opposé le FPR aux FAR. Elle n’a donc pas commis de génocide car il n’y pas eu de génocide.
Elle déclare d’ailleurs face aux accusations du procureur :
« Il s’agit d’une histoire que vous racontez ! Mais je ne la connais pas.

207

»

En effet, excepté l’ancien Premier ministre Jean Kambanda208, tous les membres du
Gouvernement intérimaire ont plaidé non coupable et ont adopté une défense négationniste. Lors
204

CRA 23 mai 2002, témoin TK, p15.
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p96.
206
Interview de Pauline Nyiramasuhuko avec Lindsey Hilsum, BBC, août 1995.
207
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p5.
205

71

du procès Butare, cette négation de principe structure les témoignages de tous les accusés (sauf
peut-être chez Sylvain Nsabimana qui apparaît plus nuancé) et de la majorité des témoins à
décharge. Cette posture stérile se couple, dans le cas de Pauline Nyiramasuhuko, à l’argument
selon lequel elle aurait été, en tant que femme, incapable de commettre de tels actes. Pourtant,
nous l’avons vu, les stéréotypes liés à sa féminité ont perdu toute pertinence eu égard à son
comportement lors du génocide. Surtout, plus qu’une déviance, nous sommes face à une femme
qui a su mener une carrière et assumer un rôle politique comparable à ses homologues masculins.
Sa défense en termes genrés se révèle peu efficace aux yeux des juges. Elle est plutôt reprise par
la presse et les commentateurs209. La chambre la considère comme un individu neutre. Le fait
qu’elle soit une femme n’est perçu ni comme un facteur aggravant ni comme un élément
d’atténuation de sa responsabilité.
Pauline Nyiramasuhuko aurait été « triste210». Triste, certes, car c’est une femme, une mère, une
grand-mère et qu’elle a donc une sensibilité, un instinct maternel, un désir de protection qui
l’auraient empêché de tuer. Mais cette tristesse attendue est absente. Comme sont absentes toutes
les réactions qu’on associerait volontiers à une femme dans une situation de violence. Ces
stéréotypes de genre sont pourtant ceux utilisés par sa défense tout au long du procès. Cette
stratégie révèle donc la permanence des normes sociales et morales liées aux femmes et à la
monstruosité

de

celle

qui

les

transgresserait.

Pauline Nyiramasuhuko n’est jamais perçue comme une folle, une hystérique, mais comme un
ovni, « une vieille tante 211» qui surprend par sa présence sur le banc des accusés. Et c’est sur ce
hiatus ontologique concernant ce qu’une femme peut faire et être que se concentre la négation des
allégations émises contre elle.

208

D’ailleurs même si Jean Kambanda a plaidé coupable lors de son premier procès, il est revenu sur ses aveux en
appel et est aujourd’hui l’un des plus virulent défenseurs de la négation du génocide.
209
C. Sperling, « Mother of Atrocities: Pauline Nyiramasuhuko’s Role in the Rwandan Genocide », Fordham Urban
Law Journal, Vol. 33, p637, 2006. "La presse, qui semble plus concentrée sur [la condition de femme de
Nyiramasuhuko] que sur l'importance de ses crimes et ses poursuites, s'interroge : comment une mère, une femme
qui semble si féminine, a pu commettre de telles atrocités ?"
210
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p96. « Quand elle parlait, elle s'agitait et, apparemment, elle était triste. Mais
il y avait d'autres personnes tristes plus qu'elle ».
211
D. Harman,“A woman on trial for Rwanda's massacre”, The Christian Science Monitor, 7 mars 2003.
« With her hair pulled neatly back, her heavy glasses beside her on the table, she looks more like someone's dear
great-aunt than what she is alleged to be: a high-level organizer of Rwanda's 1994 genocide who authorized the
rape and murder of countless men and women. Wearing a green flowery dress one day, a pressed cream-colored
skirt and blouse set the next, the defendant listens stoically to the litany of accusations against her. »

72

Une mère dans le prétoire
Son « instinct maternel » se concentre sur la relation mère-fils qui unit les deux co-accusés,
Pauline Nyiramasuhuko et son fils Shalom Ntahobali. Ils adoptent une défense conjointe. Leur
acte d’accusation étant commun cette manœuvre n’est guère surprenante. Les témoignages de
chacun des deux accusés corroborent toujours la version de l’autre. Par exemple, la défense de
Ntahobali affirme à de nombreuses reprises « au nom de Nyiramasuhuko » que l’Acte
d’accusation est « teinté de vices de formes » afin que de nouvelles allégations – notamment celle
de viols212- ne lui soient pas imputées. Une solidarité familiale se crée dans le prétoire. Pourquoi
cette stratégie ? Quel intérêt pour Shalom Ntahobali, lui qui pourrait s’attacher à se présenter
comme un simple subordonné ? Est-ce au contraire pour présenter un bloc de défense ? Les liens
du sang semblent être bien au-dessus d’une quelconque stratégie et jamais mère et fils ne se
contrediront.

Pauline Nyiramasuhuko incarne alors comme la figure maternelle qu’elle tente de mettre en
avant. Quand l’accusation par exemple, s’attache à revenir sur le parcours de Shalom Ntahobali
en le qualifiant d’étudiant médiocre, Pauline Nyiramasuhuko le défend comme une mère et non
pas comme une co-accusée, en laissant surgir ses affects :
« Il était dans la faculté des sciences exactes, ces professeurs disaient que Shalom n'était pas un
étudiant médiocre.
(.. )
Vu que la plupart du temps c'est moi qui allais lui rendre visite au moment où il était étudiant au
secondaire, il était le premier de la classe à l’école au secondaire, et il était dans la section des
sciences donc, je dirais qu'il n'était pas un étudiant médiocre.
À l'université, je sais qu'il a eu un problème car il venait juste de se marier, mais lorsqu'on a un
échec scolaire pour les professeurs qui connaissaient la pédagogie, ils ne pouvaient pas tirer une
conclusion comme quoi il était un étudiant médiocre. Ce serait une conclusion injuste. J'ai entendu
un des professeurs déclarer dans une cassette qui se trouve ici au Tribunal, il a parlé des points de
Shalom dans son cours et il a dit qu'il était parmi les premiers de la classe.

213

»

Pauline Nyiramasuhuko n’a de cesse d’insister sur sa féminité, son parcours professionnel et sa
maternité. Elle se fonde quasiment exclusivement sur des arguments moraux. Son mémoire final
212
213

Mémoire final de Ntahobali, par. 97 et 98, 106 et 147 à 160.
CRA 12 octobre 2005, Nyiramasuhuko.

73

affirme en effet qu’il « était contraire à la] moralité de Nyiramasuhuko, qui avait consacré toute
sa vie à aider les femmes du Rwanda d’ordonner de commettre des meurtres et des viols. 214 ».
Les témoins à décharge que sa défense appelle à la barre reprennent ces mêmes arguments
stéréotypés d’ordre moral. MNW par exemple, explique à la chambre que Nyiramasuhuko, en
tant que mère, n’aurait pas pu accomplir les actes qui lui sont reprochés – ici la distribution de
préservatifs à des miliciens Interahamwe en les incitant à violer des femmes Tutsi. Elle qualifie
les allégations retenues contre elle de « honteuses » car « Nyiramasuhuko était rwandaise,
mariée, mère de plusieurs enfants et occupait aussi un poste de Ministre de haut rang. » Ainsi,
elle « ne pense pas » qu’une ministre aurait pris ce risque car elle aurait été qualifié de «
personne mal éduquée ».215 Ce témoignage, s’il ne repose que sur des représentations, demeure
néanmoins intéressant puisqu’il nous renseigne sur le rapport des femmes rwandaises de l’époque
au sexe féminin. En ce sens, Pauline Nyiramasuhuko apparait comme étant à contre-courant de
tous ces codes « féminins ».

Un processus de victimisation
Elle cherche à soigner son apparence de fragilité en invoquant, notamment lorsqu’il s’agit
d’alibis, des raisons prouvant sa vulnérabilité. Elle insiste notamment sur ses crises de paludisme
qui l’auraient « clouée au lit 216» à de nombreuses reprises quand on l’accuse d’avoir été au
bureau

de

la

préfecture.

Elle met également en avant la situation de danger dans laquelle se trouvait sa famille. Elle se
pose en pilier protecteur.
Par exemple, elle insiste sur la précarité dans laquelle se trouvait sa famille alors qu’elle devait se
démener

pour

procurer

des

vivres

aux

siens et

à

ses

collaborateurs :

« Je pense que la situation qui prévalait à l'époque état précaire ; et pour trouver à manger, nous
étions obligés de faire des cotisations. Cela est noté dans mon agenda. J'allais faire des
approvisionnements pour nous trouver à manger. Nous avions une situation très précaire. Même si
nous traversions des moments difficiles, je voyais que j'avais un problème particulier.

217

»

En ce qui concerne ses différents aller-retours entre Butare et Murambi – où le gouvernement
intérimaire est installé- elle évoque les nombreuses difficultés qu’elle avait pour se déplacer et
214

Mémoire final de Nyiramasuhuo, par. 617, 696, 698, 725, 796, 834 et 857.
CRA 10 février 2005, témoin MNW, huis clos, p71-72.
216
Mémoire final de Nyiramasuhuko, par. 617, 696, 698, 725, 796, 834 et 857.
217
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p45.
215

74

disposer d’un véhicule : «Je ne le nie pas parce que je résidais à Murambi, c’est comme si j’étais
presqu’en détention, parce que je n’avais pas de moyens de déplacement.». En somme, elle
présente sa situation pendant la guerre comme n’étant pas meilleure que celle de ses
compatriotes.
Elle mentionne également son empressement à évacuer sa famille de Butare. Elle se présente
comme étant la seule personne consciente du danger. Elle raconte par exemple s’être rendue le 30
mai 1994 à l’hôtel Ihuliro , où résidaient les membres de sa famille, et avoir été « surprise » par le
fait qu’ils étaient en train de célébrer l’anniversaire de sa nièce au moment même où elle était
venue pour les évacuer. Elle aurait reçu des informations selon lesquelles les combats se
rapprochaient. Elle quitte donc la ville dès le 31 mai avec « les enfants », sa fille Denise et sa
petite-fille218.

Shalom Ntahobali, bon mari et fer de lance du négationnisme
Ce même argumentaire se retrouve dans la défense de son fils. Un des témoins à décharge de
Shalom Ntahobali n’est autre que sa femme Béatrice Munyenyezi. Celle-ci explique à la chambre
que son mari n’a pu violer des femmes et tuer car il était amoureux d’elle et n’a jamais été un
mari infidèle. Elle rappelle également que Shalom Ntahobali était un jeune père de famille219 à
l’époque et qu’elle était enceinte, preuve de leur amour et donc de l’impossibilité pour son mari
d’avoir commis de tels actes. A cela s’ajoutent des questions matérielles, concernant le meurtre
de Rwamukwaya que Shalom Ntahobali a commis. Sa femme dit ne pas comprendre pourquoi il
aurait tué quelqu’un pour sa voiture alors qu’il disposait d’assez d’argent pour s’en acheter
une220. Son témoignage apparaît surtout marqué par un négationnisme forcené puisqu’elle ajoute
n’avoir jamais entendu parler « de tensions ethniques envers les Tutsi » ni de quelconques
violences survenues à Butare.
Cette fausse naïveté est omniprésente dans les témoignages de Shalom Ntahobali lui-même qui
pousse la négation du génocide à son paroxysme en utilisant le terme mensonge dès qu’une
allégation est prononcée contre lui. A l’accusation il déclare par exemple : « Votre allégation est

218

TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
p3.6.19.3.2.1 « Témoignage d’alibi de Pauline Nyiramasuhuko », CRA septembre, octobre, novembre 2005, p768778.
219
220

CRA février 2006, Béatrice Munyenyezi.

75

un mensonge dénué de tout fondement. Je n’ai jamais fait de mal à un Tutsi, un Hutu, un Twa ou
un expatrié. Je n’ai jamais fait de mal à personne. 221 »
Il nie tout recours à la violence, notamment aux barrages routiers et décrit la situation à Butare
comme étant calme :
« Non, je n’ai jamais vu de cadavres sur la route. J’ai décrit les circonstances dans lesquelles j’ai
vu des cadavres. Et d’ailleurs, je ne les ai pas vus tout près de moi, je n’ai jamais vu des cadavres
qui gisaient sur les routes dans Butare, du moins, partout où je me suis rendu dans cette région de
Butare.

222

»

Il refuse de reconnaitre l’existence de massacres systématiques contre les Tutsi et se perd dans un
argumentaire complotiste :
« Je ne sais pas qu’on a tué systématiquement des milliers mais d’où vient ceux qui sont au
Rwanda ils viennent de…moi je ne sais pas je n’étais pas dans tout le pays mais à ce que je voyais
et à ce que je vois aujourd’hui il y a dans le pays comme vous me l’avez dit bien avant le pays a
beaucoup des personnes, beaucoup des Tutsi sont revenus ils sont revenus d’où ? De leurs
tombes ? Ou bien ils sont revenus là où ils étaient cachés ou bien on ne sait pas moi je ne peux
223

affirmer que…ce que je ne connais pas.

»

La construction d’un contre-récit négationniste
Ce procès est en effet perçu par Shalom Ntahobali et Pauline Nyiramasuhuko comme un
immense complot orchestré par le gouvernement rwandais actuel et les puissances occidentales.
L’ancien Premier ministre Jean Kambanda dans une lettre ouverte dont le titre même, La
Planification du génocide des Tutsi et des Hutu par Paul Kagamé, donne le ton y développe les
grands traits de l’argumentaire négationniste :
« Le monde doit savoir qu’avec la condamnation de Pauline NYIRAMASUHUKO pour crime
d’entente en vue de commettre le génocide, crime qui aurait eu lieu les 17 et 19 avril 1994 à
Butare, la Chambre de première instance II présidée par le juge William H. SEKULE, le TPIR a
donné le ton de la manipulation judiciaire pour prouver l’absurde. En effet, si le TPIR établit le
génocide à partir de sa planification, qu’en est-il des personnes condamnées pour des faits
prétendument commis avant la date du 17 avril 1994?

221

er

CRA 1 juin 2006, Ntahobali, p47.
er
CRA 1 juin 2006, Ntahobali, p55.
223
Interview avec le procureur Robert Petit, (K 0134315) Cassette KT00-0066, p36.
222

76

Le TPIR se garde bien de vouloir affronter la réalité de la situation rwandaise et reste piégée dans
le moule du mensonge et de la manipulation et se comporte comme une institution manifestement
corrompue au service du général KAGAME, véritable auteur et planificateur désormais incontesté
du génocide du peuple rwandais et congolais pour ses propres intérêts et pour ceux de ses
sponsors occidentaux bien connus.

224

»

Un contre-récit est prodigué par tous les anciens génocidaires qui n’ont de cesse de remettre en
question la dénomination même de génocide ou de revendiquer l’existence d’un « doublegénocide » ou « génocide croisé » ayant vu les Hutu se faire massacrer par les troupes du FPR de
Paul Kagamé. Shalom Ntahobali déclare par exemple :
« Monsieur le Président, à mon avis, il est triste que des Rwandais soient morts à partir du
1er octobre 1990 jusqu’aujourd’hui, pour des raisons politiques, pour des luttes politiques pour le
pouvoir. Et des Hutu, comme des Tutsi et des Twa sont morts, et même des étrangers sont morts.
225

»

Cette omniprésence du contexte guerrier ainsi que l’insistance de Pauline Nyiramasuhuko sur les
difficultés matérielles liées au conflit sont loin d’être anodines. Elles servent un projet
négationniste d’une ampleur qui dépasse largement son cas individuel. En mettant en avant son
statut de victime elle nie en effet la spécificité de la violence exercée contre les Tutsi et invoque
la légitime défense, contre les intimidations du FPR envers sa famille et le peuple hutu en
général.
Nous pouvons citer à ce titre la question rhétorique de Valérie Bémériki dans le documentaire A
Mots Couverts226 qui alpague les réalisateurs en leur demandant « Quand-est-ce qu’une défense
est légitime ? ». Son attitude ne diffère pas de celle de Pauline Nyiramasuhuko qui s’acharne à
démontrer que le génocide ne fut qu’une réponse à l’attaque du FPR et que toutes les allégations
qui pèsent sur elle sont donc faussées.
Elle reprend lors du procès les arguments concernant les « infiltrés » Tutsi et leur supposée
omniprésence dans les camps de réfugiés, arguments fantasmatiques qui ont par ailleurs mené au
génocide :
« À Gitarama, il y avait beaucoup de camps, plus de sept. Et c'est dans sept camps où il y avait des
réfugiés tutsi envoyés par le FPR. Et, d'ailleurs, Dallaire

224

227

l'a dit. Je ne sais pas dans quelles

er

J. Kambanda, La Planification du génocide des Tutsi et des Hutu par Paul Kagamé, 1 novembre 2011.
225
CRA 1 er juin 2006, Ntahobali
226
V. Baraduc, A. Westphale, A Morts Couverts, Films de l’Embellie, 2014.
227
Roméo Dallaire est un ancien responsable de la MINUAR.

77

circonstances il l'a dit ; il a dit que le FPR envoyait des groupes de 50 à 100 personnes dans des
camps de Gitarama pour encercler Gitarama. C'est quelque chose que vous pouvez lire dans les
documents des Nations Unies. L'infiltration était donc réelle. La personne qui a fourni
l'information au Gouvernement a dit que c'était dans sept camps de réfugiés où il y avait des
infiltrés armés. Alors, nous avons vu qu'il était impossible de désarmer ces gens, car cela aurait pu
provoquer la panique au sein des réfugiés et que des troubles allaient s'en suivre. Et nous avons
donc décidé que les gendarmes devaient assurer la protection des réfugiés pour éviter une
éventuelle provocation de la part d'un camp sur un autre.

228

»

Cette « protection » s’est manifestée sous la forme de massacres de tous les Tutsi présents dans
ces camps au nom de leur supposée appartenance au FPR-Inkotanyi. Si le terme «complice » ne
renvoyait qu’au seul FPR, il aurait été superflu de la part de Kambanda de faire mention dans ses
instructions du 27 avril 1994229 du FPR-Inkotanyi et de ses complices. L’accusation n’hésite pas à
pointer du doigt ces dérives de langage mais Pauline Nyiramasuhuko rétorque :
« Non, ce n'est pas cela que cela signifiait. Par « infiltrés », on voulait dire « toutes les personnes
qui avaient été envoyées par le FPR » (..) la majorité des gens qui ont attaqué le Rwanda étaient
du groupe ethnique tutsi (…) Et l'histoire récente du Rwanda nous démontre que les informations
que cette personne nous a livrées et qui nous faisaient peur se sont avérées vraies. Les gens qui ont
attaqué Gitarama ne sont pas venus du front, ce sont ces infiltrés-là qui ont attaqué. Ils ne sont
venus de nulle part. (…) Ils ne sont pas venus de loin. Ils faisaient partie des infiltrés… de ces
infiltrés-là.

230

»

Ces quelques mots sont extrêmement éclairants car ils révèlent les différentes strates du
négationnisme de Pauline Nyiramasuhuko. Son argumentaire est à la fois caractéristique des
anciens génocidaires mais aussi d’une certaine opinion publique aujourd’hui : la victimisation des
bourreaux, la légitime défense et aussi le pouvoir actuel « tutsi » qui continuerait à opprimer les
Hutu.
Cette négation passe également par une autre stratégie de défense récurrente lors des audiences :
la discréditation des témoins à charge. La Défense de Pauline Nyiramasuhuko n’a de cesse
d’affirmer que « les dépositions des témoins ne sont pas crédibles » voire « fabriquées de toutes
pièces ».231 C’est d’ailleurs sur ces questions de vice de forme liées aux témoignages que s’est
construite sa demande en appel qui lui a permis de ramener sa peine à 47 ans de prison.

228

CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p24.
Pièce à conviction P.118C, Instructions du Premier Ministre Kambanda visant le rétablissement de la sécurité
dans le pays.
230
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p24.
231
Mémoire final de Nyiramasuhuko, par. 617, 696, 698, 725, 796, 834 et 857.
229

78

L’avocate de Pauline Nyiramasuhuko, Me Bergevin, cherche à amener les témoins sur ce
contexte de guerre mais se heurte toujours à leur version, bien éloignée de sa démonstration :
Me Bergevin :
« Q.

Et, Madame, n’est-il pas exact que tous les Hutus regroupés à cet endroit ont été déplacés

ailleurs et ont été directement exécutés par des militaires du FPR ?
Témoin FAE :
R.

232

Ce n’est pas exact.

»

Elle réitère en ce sens avec le témoin QBQ
Me BERGEVIN :
Q.

Madame, est-ce que parmi ces personnes déplacées, lesquelles vous nous avez dit
provenaient de Kigali, est-ce que j’ai raison, Madame, de dire qu’il y avait parmi ces
personnes autant de Tutsi que de Hutu ?

Témoin QBQ
R.

Non, Maître. Il y avait un domestique hutu, c’était le seul Hutu qui était parmi ces
réfugiés.233

Mais nul témoin ne corrobore cette thèse d’un double génocide et tous rappellent sans cesse
devant la chambre que la violence a visé la destruction de l’ethnie tutsi.

Pauline Nyiramasuhuko ne croit donc pas à cette « histoire que lui raconte234 » le procureur. Il
s’agit d’étudier le contexte plus général du négationnisme, notamment chez les autres accusés du
TPIR, pour comprendre dans quel contexte ces arguments s’ancrent. Le TPIR s’est heurté, lors de
chaque procès, à cette remise en question du génocide des Tutsi. La longueur des procès
s’explique par cette nécessité de prouver la planification lors de chaque affaire. Cette procédure
est exploitée par les accusés pour réduire le génocide à une « thèse», une version des faits qu’ils
peuvent donc légitimement mettre en doute. Pour pallier ces complications procédurales, la
chambre d’appel du TPIR rédige le 16 juin 2006 le constat judiciaire du« Fait n°6 » : « Entre le 6
avril 1994 et le 17 juillet 1994, un génocide a été perpétré au Rwanda contre le groupe ethnique
tutsi 235». Aucune remise en question n’est plus possible.

232

CRA 18 mars 2004, témoin FAE.
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p30.
234
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p5.
235
Chambre d’appel, le Procureur c. Karemera et al., 16 juin 2006, par.36
233

79

Cette stratégie négationniste a été préparée par les membres du gouvernement génocidaire dès
leur exil en 1994 alors qu’ils avaient pris le contrôle de camps de réfugiés au Zaïre. Pauline
Nyiramasuhuko se dit d’ailleurs, lors d’une interview donnée à la BBC en 1995, « prête à parler
à la Justice internationale 236».
Comme l’écrit avec justesse Georgina Holmes dans son ouvrage consacré aux femmes
génocidaires et à leur représentation dans les médias, Pauline Nyiramasuhuko joue délibérément
avec les médias et prépare sa défense dans l’opinion publique dès les premiers mois de son
exil237. Elle est en représentation et maitrise sa communication. Son comportement s’ancre dans
une campagne mise en place par l’ancien gouvernement en exil dès juillet 1994 bien avant que le
TPIR ne soit mis en place en novembre 1994.
Leur défense se fonde donc sur un argumentaire victimaire et sur ce leitmotiv « si nous ne les
tuons pas, ils nous tuerons, nous serons leurs victimes, comme cela a toujours été le cas 238»,
caractéristique des procès des criminels de masse.
L’idée d’un double génocide est présente dès les années 1990 et se trouve en fait au fondement
du génocide des Tutsi puisque la population Hutu a été appelée à se défendre en massacrant les
Tutsi avant qu’eux-mêmes ne soient massacrés239.La propagande étatique et médiatique, en
insistant sur l’infiltration de soldats du FPR au sein de la population a créé une paranoïa justifiant
les massacres de voisins, d’amis, de camarades. D’où le terme judicieux « d’autodéfense civile »
240

pour désigner les mesures comme l’entrainement de miliciens et la distribution d’armes. « Au

moment même où il est commis, le génocide est justifié, promu et travesti en vastes accès de
fureurs populaires, de vengeance aveugle, de règlement de comptes domestiques, en guerre
contre l’ennemi.241 ».
Enfin, « le registre compassionnel242» est récurrent dans la défense de Pauline Nyiramasuhuko,
elle qui insiste sur la situation de danger dans laquelle se trouvait sa famille et, ce faisant,
236

Interview de Pauline Nyiramasuhuko par Lindsey Hilsum, BBC, août 1995

237
G. Holmes, Women and War in Rwanda: Gender, Media and the Representation of Genocide, I.B.Tauris, 2013,
p80.
238

E.Claverie, « Ménager la victime ? Ménager le coupable ? Jugement, révision et histoire devant le Tribunal pénal
pour l’ex-Yougoslavie », Droit et cultures, n°58, février 2009.
239
J.P. Chrétien, Rwanda : les médias du génocide, Karthala, 2000.
240
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation, par.
3.7.10 « Défense civile », p1583-1630.
241
H. Dumas, « Banalisation, révision et négation : la « réécriture » de l’histoire du génocide des Tutsi », Esprit,
n°364, mai 2010, p.85-102.
242
Article cité, Dumas, p.85-102.

80

banalise le génocide des Tutsi. Hutu et Tutsi auraient tous été des « victimes » d’une guerre
sanguinaire.

En cela, le procès au TPIR de Pauline Nyiramasuhuko ne se démarque pas de ceux de ses anciens
collaborateurs puisque tous font front commun au nom d’une défense préparée de concert.
Même l’insistance sur le registre du privé et de l’intime doit être replacée dans une stratégie
compassionnelle qui tend à justifier les agissements des génocidaires. Le fait qu’elle soit une
femme est à ce titre un argument de plus pour accentuer cette compassion. La véritable stratégie
se fonde en effet sur la discréditation des témoins à charge qui, comme nous allons le voir, voient
leur parole sans cesse mise en doute au sein d’un processus judiciaire complexe.

CHAPITRE 6 : Témoigner au TPIR face à Pauline Nyiramasuhuko et Arsène
Shalom Ntahobali : les conditions de la prise de parole des victimes
Témoigner au Tribunal face à Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali, c’est avant tout se
souvenir. Les évènements doivent revivre sous les yeux de la chambre. Le TPIR devient alors un
véritable théâtre. Chacun y rejoue son rôle passé en entrant dans un autre rôle, procédurier cette
fois, nécessaire à l’émergence de la parole. Ce processus de remémoration prend différentes
formes: il faut parler mais aussi montrer, positionner, identifier, que ce soit des lieux, des visages
ou

des

voix.

Se souvenir c’est aussi se confronter. Se confronter aux accusés tout d’abord, à leurs visages et
leurs récits, se confronter à la chambre et à des procédures inconnues. Mais aussi à sa propre
mémoire, à des traumatismes qu’on réveille, à des contradictions minimes sur lesquelles la
défense

s’acharne.

On l’imagine, de tels enjeux entrainent des tensions. Parler et se faire comprendre n’est pas aisé.
Non seulement à cause de la langue et de sa traduction mais aussi des problèmes de
compréhension dus à des notions qui ne sont pas partagées par les différents interlocuteurs et
brouillent les échanges. Les témoins sont face à un espace, un temps, un langage qui ne sont
qu’altérité.

Surtout, en ce qui concerne les témoins à charge, il s’agit d’une véritable épreuve. Ils ne sont pas
81

considérés par des victimes par le TPIR et sont donc dépourvus d’avocats. Pourtant c’est bien à
des témoins-victimes que nous avons à faire dans la grande majorité des cas. Comme nous
l’avons vu tout au long de cette partie concernant les violences sexuelles, les faits dont sont
accusés la ministre et son fils sont d’une violence inouïe.
Pourtant cette prise de parole n’est pas facilitée par les procédures du TPIR. Et c’est souvent à un
réveil brutal des traumatismes vécus que s’exposent les témoins confrontés à des accusés qu’ils
n’ont pas revus depuis l’époque des faits. La chambre souligne à cet égard, dans ses remarques
préliminaires « que de nombreux témoins ont vécu des événements particulièrement
traumatisants, et elle reconnaît qu’il est possible que les réactions émotionnelles et
psychologiques qui peuvent découler du fait de les revivre contribuent à mettre à mal la capacité
de certains d’entre eux à présenter des récits clairs et cohérents. De surcroît, lorsqu’un laps de
temps substantiel s’est écoulé entre les faits imputés dans les actes d’accusation et le procès il
n’est pas toujours raisonnable de s’attendre de la part des témoins qu’ils se souviennent avec
précision de tous les détails des actes qu’ils relatent.243 ». Le génocide a par ailleurs inauguré une
temporalité spécifique. Mais, si la chambre fait effectivement preuve dans ses jugements et
remarques d’une certaine indulgence, ces précautions à l’égard des témoins semblent disparaitre
au moment des audiences. La Fédération internationale des droits de l’homme a publié un
rapport244 à ce sujet après que des associations de victimes ont dénoncé par voie de presse et par
des lettres au TPIR plusieurs problèmes liés au traitement des témoins invités à témoigner. Cette
mission de la FIDH a rencontré sept témoins. Tous notent la faiblesse de la préparation au
témoignage. Celle-ci consiste à une révision de la déclaration du témoin avec un membre du
bureau du procureur et la visite de la salle d’audience. Cependant, il n’y a aucune préparation au
contre-interrogatoire par l’avocat de la défense. Les témoins savent juste qu’il

« posera

beaucoup de questions. »245. Or, comme nous l’avons constaté jusqu’ici, les contreinterrogatoires sont des moments éprouvants. Surtout, rappelons-le, au TPIR, le témoin n’est pas
considéré comme une victime et n’a donc pas d’avocat. Il est seul face à la défense. Sur ce point,
plusieurs témoins relatent avoir pensé que le représentant du procureur était leur avocat et ne
s’être rendu compte qu’après le procès qu’ils n’en avaient pas. A ce manque de renseignement
s’ajoute l’absence d’encadrement psychologique durant toute la durée du procès.

243

Or ces

TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation, p50.
Fédération internationale des droits de l’homme, « Entre illusions et désillusions : les victimes devant le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda », La Lettre, n°343, octobre 2002.
245
Ibid, FIDH.
244

82

« témoins-victimes »246 ont vécu des situations traumatisantes. S’ils arrivent à se maintenir dans
leur vie quotidienne au Rwanda, l’éloignement induit par le déplacement à Arusha, la
confrontation avec l’accusé mais surtout le fait de devoir revivre les évènements ainsi que les
questions très détaillées, ravivent le traumatisme.
Dans quelles conditions les témoins se confrontent-ils aux accusés ? Quelles sont les difficultés
rencontrées par ces témoins dans un procès où les échanges se placent souvent sous le signe du
hiatus ?

Une prise de parole encadrée
Pour comprendre comment se déroule précisément le témoignage devant la chambre, laissons la
parole au Président. Il explique ici la procédure à QBQ et réitère la manœuvre pour chaque
témoin qui se présente devant lui.
M.

LE

PRESIDENT

« Témoin QBQ, vous venez de prêter serment. Au cas où vous ne savez pas très bien comment vont
se dérouler… va se dérouler votre déposition, nous allons vous expliquer quelques points avant
que

vous

ne

commenciez.

Le Procureur va procéder à votre interrogatoire principal, et il est assis de ce côté-ci de la salle
d’audience ; après l’interrogatoire principal, la Défense procédera au contre-interrogatoire en
vous posant des questions, et la Défense est assise de l’autre côté de cette même salle d’audience.
Les Juges… le Banc des Juges qui se trouve devant vous pourrait également vous poser des
questions pour éclairer… clarifier certains points, si jamais votre déposition a laissé quelques
points

d’ombre.

Si une question qui vous est adressée n’est pas claire ou si vous ne « le » comprenez pas, dites-le,
et cette question sera ou reprise ou explicitée. Si une question mérite une réponse par « oui » ou
par « non », répondez par « oui » ou par « non » ; autrement, répondez brièvement pour nous
permettre d’aller de l’avant247. ».

246

Ibid, FIDH.
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p4.

247

83

C’est ensuite au témoin de prêter serment. Le procès est un théâtre où chacun a un rôle précis et
ne doit pas l’excéder. On voit en effet que le Président s’attache à bien définir les limites de la
prise

de

parole

du

témoin.

La présentation du témoin est guidée par les questions posées par les assistants du procureur ou
par les avocats de la défense comme ici avec SU qui répond à l’avocate de Pauline
Nyiramasuhuko, Me Bergevin:
« R.

Bonjour, Maître. En 1994, j'étais de nationalité rwandaise et de l'ethnie tutsie.

Q.

Quel est votre niveau d'éducation?

R.

J'ai fait les six années de l'école primaire.

Q.

Présentement, portez-vous des lunettes ou avez-vous besoin de lunettes pour lire, par exemple

R.

Oui, j'ai besoin de lunettes.
Qu'il soit consigné au procès-verbal que, présentement, le témoin ne porte pas de lunettes.248 »

Q.

Ce sont des questions d’ordre pratique. Il est en effet important de connaître le niveau
d’éducation du témoin, s’il sait lire ou non, ou ici s’il peut bien voir les différents documents ou
même les accusés sur le banc en face de lui. La question de « l’ethnie » est récurrente lors du
procès, on a ici un vrai retour au passé puisque les catégories ethniques ne sont plus en vigueur au
Rwanda.

Une confrontation visuelle
Vient ensuite la confrontation visuelle avec l’accusé. Jamais les témoins et les accusés n’entrent
en dialogue direct. Ce contact visuel, le seul autorisé, est donc central. Les témoins à charge n’ont
plus revu Pauline Nyiramasuhuko et son fils depuis le moment des faits. Le témoin revoit les
accusés et s’expose aussi à leur regard. En effet, l’anonymat du témoin sert exclusivement à le
protéger de la presse. Même à huis-clos, l’accusé et sa défense connaissent son identité et le
voient. Ce moment de contact visuel est d’ailleurs institutionnalisé puisque chaque témoignage
s’achève par l’identification des accusés par le témoin.
Plus de dix ans après les faits, un tel exercice peut s’avérer complexe, la chambre le sait et le
prend en compte. Dans ses remarques préliminaires, elle note ainsi qu’« en ce qui concerne
l’appréciation de l’identification faite des accusés par les témoins, la chambre se doit de faire
preuve de la prudence voulue (…).Elle se doit notamment de prendre en considération les
248

CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p14.

84

éléments énumérés ci-après : le fait pour le témoin d’avoir connu l’accusé avant l’infraction ;
l’existence d’une situation propre à permettre aux témoins de voir l’accusé agir ; la fiabilité des
dépositions des témoins ; l’influence éventuelle de tiers ; l’existence de conditions de stress au
moment des faits ; le laps de temps qui s’est écoulé entre le moment des faits et la déposition des
témoins, et la crédibilité générale des témoins.249»
Les témoins sont interrogés sur leur capacité à identifier les accusés et insistent sur les difficultés
qu’ils peuvent rencontrer alors. Cette série de questions adressée à QBQ l’illustre parfaitement:

ME

BERGEVIN
« Q.

Et cette personne que vous appelez… vous avez appelée à plusieurs reprises Shalom,

l’avez-vous vue depuis 1994 ?
R.

Non.

Q.

L’avez-vous revue ? Serez-vous en mesure de reconnaître cette personne, si vous la voyez
aujourd’hui ?

R.

Il y a de cela très longtemps ; je ne me souviens pas de cette personne, je ne serais pas en mesure
de le reconnaître.

Q.

Cette personne que vous avez appelée Nyiramasuhuko, l’avez-vous vue depuis ou l’avez-vous revue
depuis 94 ?

R.

Non.

Q.

Serez-vous en mesure de la reconnaître si vous la revoyez aujourd’hui ?

R.

Il y a de cela très longtemps. Je pense que je ne serais pas en mesure de la reconnaître. Vous
remarquez que, moi-même, je ne suis plus dans les mêmes conditions que celles qui étaient les
miennes en 94. 250»

Au-delà du temps passé, la chambre note le fait «que l’ensemble des circonstances qui entourent
un procès sont forcément de nature à permettre à un tel témoin d’identifier la personne qui est en
train d’être jugée (ou, lorsqu’il y en a plusieurs, celle qui ressemble le plus à l’homme qui a
commis le crime reproché), la Chambre a estimé qu’aucune valeur probante n’allait être
accordée à ces « identifications opérées dans le prétoire 251». En effet, Pauline Nyiramasuhuko
est directement concernée par ce dernier point puisque c’est la seule femme sur le banc des
accusés. Son avocate Me Bergevin ne manque pas de le faire remarquer et s’offusque du fait
249

TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation, p48.
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p23.
251
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
« 2.7.3.2 Identification des accusés », p47-48.
250

85

que : « [Pauline Nyiramasuhuko] [soit] la seule femme ici, et que c'est l'enfance de l'art de faire
des dark252 identification en l'espèce.253 »
Dans ces conditions particulières, la grande majorité des témoins identifie les accusés avec
succès. Ce face à face qui clôt leur témoignage fait d’ailleurs l’objet de remarques de leur part.
Parfois, leur proximité avec les accusés en ressort. QBP, par exemple, lors de l’identification de
Pauline Nyiramasuhuko, adresse une surprenante demande à la chambre :

« Même s'il y a de cela très longtemps, je pense qu'on n'oublie pas la personne que l'on a connue à
un certain moment. Je pense que je peux faire un effort et la reconnaître.
Si je ne me trompe pas, elle est assise à la deuxième rangée; et si c'est bien elle, je voudrais lui dire bonjour. 254 »

Raconter face à l’Autre
Après ce premier contact suit la prise de parole. Raconter, tout simplement, seul, devant un public
et en respectant les procédures, avec des échanges en plusieurs langues, n’est pas chose aisée.
Chaque interrogatoire commence par renseigner la ou les langues parlées par le témoin.
Certaines réponses laissent présager des échanges compliqués comme lorsque SU répond à la
question de savoir si elle comprend le français : « Je ne connais même pas très bien le
kinyarwanda. 255»
D’autres au contraire maîtrisent les différentes langues utilisées au TPIR ce qui provoque d’autres
types de problèmes. Le témoin FAI, par exemple, voit son témoignage interrompu parce qu’il
souhaite parler en kinyarwanda mais corrige l’interprète lorsque celui-ci traduit sa réponse en
français256.

Le Président doit également interrompre les témoins à de nombreuses reprises quand leurs
réponses sont trop longues ou trop riches et les invite à « parle[r] plus lentement » ou à « diviser
cette réponse en parties257».

252

Ce qu’elle entend par « dark identification » n’est pas clair. Cela ne relève pas d’un vocabulaire juridique
particulier.
253
CRA 22 octobre 2002, témoin QBP, p180.
254
CRA 24 octobre 2002, témoin QBP, p196.
255
CRA 16 octobre 2002, témoin SU, p23.
256
CRA 31 octobre 2002, témoin FAI, p96-97.
257
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p19.

86

Les noms de lieux ou de personnes sont également problématiques et leur évocation entraine de
longs débats orthographiques. Il faut épeler tous les noms comme ici, lorsque QBQ évoque une
fosse commune :
« R.

Il s’agit des réfugiés tutsis qu’on a embarqués pour aller les jeter dans un trou qui se trouvait à
l’endroit appelé Kumukoni [K-U-M-U-K-O-N-I].

M. LE PRÉSIDENT :
Pouvez-vous épeler à nouveau cet endroit, s’il vous plaît ?258 »

Les interprètes interfèrent lorsqu’ils ne parviennent pas à suivre ou ne comprennent pas. Leur
agacement est perceptible dans certaines de leurs interventions, comme lorsque l’interprète de SS
rappelle à l’ordre Me Bergevin en demandant vivement: «Est-ce que quelqu’un peut appeler
l’attention de Maître Bergevin sur cette question ? Elle complique notre tâche ! On n’arrive pas
à suivre. 259»
Cela donne lieu à des échanges longs et peu fructueux où les deux parties s’irritent. En témoigne
la réponse de Me Bergevin et de SS elle-même après l’interruption provoquée par l’interprète :
Me BERGEVIN :
« Q.

Alors, Madame le Témoin, est-ce que vous pourriez, s’il vous plaît, m’aider et me dire quelle
question vous n’avez pas comprise ? Est-ce que c’est celle que je viens juste de poser ou la
précédente ?

R.

C’est vous qui devez savoir la question que je ne comprends pas, parce c’est vous qui la posez260».

La tension est ici palpable et l’incompréhension mutuelle et parfois pas seulement de nature
linguistique. Les témoins rappellent la Défense à la réalité des faits. Comme ici le témoin SJ
lorsqu’elle répond à une question de Me Bergevin qui lui paraît absurde:
« Mais là, vous me posez des questions vraiment un peu pertinentes, parce que je ne vois pas pourquoi vous pensez
que ces gens avaient l’opportunité de changer des vêtements. Et puis, du reste, ils ne se rendaient
pas à une fête ou à une cérémonie quelconque ; il n’y avait pas de raison de changer d’habits… de
vêtements, ce n’était même pas un environnement propice à changer les habits. 261 »

s’agit, en effet, de reformuler un espace de mémoire. Témoigner c’est faire revivre des lieux qui n’existent
plus et les décrire au sein du tribunal. Nous avons ici une configuration que ne comprend pas la
Défense.
258

CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p19.
CRA 4 mars 2003, témoin SS, p9.
260
CRA 4 mars 2003, témoin SS, p11.
261
CRA 3 juin 2002, témoin SJ, p35.
259

87

Transposer un espace de mémoire
La parole des témoins est aussi confrontée à des pièces à conviction, notamment des images et
des films. Le rapport entre témoin et image est complexe. L’image est là pour appuyer ou
préciser son témoignage mais la défense s’en sert aussi pour pointer des contradictions. Il y a un
fort risque « de voir la personne du témoin disparaître derrière les quelques faits dont il s’agit de
restituer la vérité.262»
Les témoins sont donc souvent placés face à des photographies et à des films qui montrent ces
lieux et où ils doivent attester de leur position. Or, ils éprouvent les plus grandes difficultés à se
repérer face à ces documents visuels. Le décalage est patent entre les informations extrêmement
précises demandées par la chambre et le souvenir des témoins. Non seulement le temps a atténué
les détails mais surtout les témoins ne partagent pas les mêmes notions de mesure et ne sont pas
habitués à décrypter et analyser les documents qui leur sont montrés.
Ce hiatus dans la perception de l’espace est tout particulièrement perceptible lorsqu’il s’agit
d’évaluer des distances. Pour les témoins le kilométrage n’a pas de sens, seul compte le temps de
trajet à partir d’un véhicule. Ainsi si Kigali n’est pas « loin » de Butare pour les juges263, c’est
une grande distance pour les témoins264. Cela complique les témoignages.
Les scènes les plus absurdes se déroulent lorsqu’il s’agit de montrer une position à l’aide d’une
photographie. On essaie de transposer la distance au moment des faits à des distances à l’intérieur
même du tribunal. Voici l’extrait d’un échange entre QBQ, le procureur Mme Adeboyeho, le
Président et un assistant greffier :
« Mme ADEBOYEJO :
Q.

Madame le Témoin, pouvez-vous à nouveau pointer du doigt l’objet ou la distance que vous
indiquez ?

R.

Le banc qui se trouve juste devant moi.

Q.

Vous parlez du banc du Greffe ? Ce monsieur devant vous qui vient de se lever ?

R.

Juste devant moi, là où se trouve le monsieur qui est debout.

(…)
Mme ADEBOYEJO :
262

C. Delage, La Vérité par l’image, De Nuremberg au procès Milosevic, Denoël, 2006, p81.
Environ 135km.
264
En temps de guerre le trajet peut prendre plus de 5 heures en voiture, CRA 11 octobre 2005, Nyiramasuhuko.
263

88

Avec le concours du Greffe, nous allons relever cette distance, Monsieur le Président.
(La distance est mesurée par les greffiers d’audience)
M. LE PRÉSIDENT

:

Vous avez pris cette distance à partir du siège du témoin, n’est-ce pas ?
C’est à partir de là où je suis assise.

R.

M. LE PRÉSIDENT :
Quelle est la distance, Monsieur du Greffe ? 2 mètres, dites-vous ? 2 mètres à partir du siège du témoin. (…)
M. LE PRÉSIDENT :
Vous dites « environ 2 mètres » ou « 2 mètres » ? 265 »

Il s’agit ici de connaitre l’emplacement exact où dormait le témoin par rapport à un goyavier
évoqué dans sa déposition. L’espace aseptisé de la Cour devient le bureau de la préfecture pour
quelques

instants.

Ce décalage s’observe également dans le rapport des témoins au temps. Me Bergevin dans le
contre-interrogatoire de QBQ fait face à ce hiatus :

« Q.

Et Madame, cet incident où des femmes ont été violées, des gens tirés par le nez, ç’aurait

duré combien de temps, selon vous ?
R.

Cela s’est déroulé pendant une durée assez longue.

Q.

Est-ce que, Madame, vous pourriez être un peu plus précise ? Est-ce qu’on parle de

plusieurs heures ?
R.
Q.
pluriel ?

Je ne suis pas en mesure de vous donner la durée exacte.
Alors, Madame, une approximation ; est-ce qu’on parle de minutes ou d’heures au
266

»

QBQ s’avère incapable de répondre à la question, non seulement parce que ses références ne
sont pas les mêmes, mais surtout nous pouvons imaginer que des moments d’une telle intensité
aient pu lui faire perdre toute mesure rationnelle du temps. Le témoin SJ répond à l’accusation
en ce sens :
« À un certain moment, j’avais dit lors de ma déposition que, lorsque quelqu’un se trouve dans des difficultés telles
que celles-là, il est difficile d’indiquer la durée de tel ou tel incident, parce qu’on ne peut pas bien
observer ce qui se passe, on ne peut donc pas vous indiquer la durée de cet événement.

265

CRA 3 févier 2004, témoin QBQ, p9.
CRA 3 févier 2004, témoin QBQ, p63.

266

89

Je le dis et je le répète que, lors de cet incident, il y avait beaucoup de cris… les gens poussaient des cris, il y avait
des gémissements, des plaintes de personnes, à telle enseigne que je ne peux pas vous dire la durée
qu’a pris cet événement.»267

Ces décalages, ces incompréhensions engendrent souvent une tension mutuelle entre les parties.
Le témoin éprouve le sentiment d’être harcelé, la défense a l’impression de ne pas avancer. Cette
frustration débouche sur des échanges tendus.

Me BERGEVIN :
« Q.

Madame, j’ai compris que vous ne vous rappelez pas l’année ; est-ce que, Madame, en faisant un
effort, c’était un an avant les événements, deux ans avant les événements, quatre ans ? Est-ce que
vous pourriez me donner une estimation, s’il vous plaît ?
Je voudrais répondre à cette question. Je suis consciente que je suis devant la Chambre. S’agissant

R.

des événements dont j’ai été témoin en 94, j’oublie certains de ces événements à cause des
mauvaises conditions dans lesquelles j’ai vécu. »268

En règle générale les témoins ne se laissent pas impressionner et rappellent eux-mêmes quand et
pourquoi il leur est impossible de répondre.

Le corps dans le prétoire
Témoigner c’est aussi montrer. Les transcriptions d’audience sont extrêmement précises quant à
la gestuelle des témoins. Le traumatisme qu’ils ont subi est parfois physique et il s’agit donc aussi
d’en attester. Le rapport au corps des témoins est un élément à prendre en compte lors des
interrogatoires et contre-interrogatoires. Le procureur Mme Adeboyejo amène le témoin QBQ à
attester des souffrances endurées :

Q.

Pourriez-vous dire à la guerre (sic) quelles sont les souffrances que vous avez endurées à

cause de la guerre ?
R.

J’ai été traumatisée ; on m’a fracturé les os, pendant que l’on me frappait. Si vous voulez,

je peux vous le montrer. En peu de mots, on m’a rendue handicapée, on m’a contaminée des
maladies, tout simplement on a endommagé mon corps.
(…)
Mme ADEBOYEJO :
267

CRA 3 juin 2002, témoin SJ, p31.
CRA 4 mars 2003, témoin SS, p17.

268

90

Q. Madame le Témoin, pourriez-vous montrer à la Chambre la partie de votre corps qui avait été fracturée ?
M. LE PRÉSIDENT :
Non, non, qu’elle le fasse depuis le box des témoins.
(Le témoin s’exécute)
Comment pourriez-vous décrire cela, Madame le Procureur ?
Mme ADEBOYEJO :
Je pense que c’est la vertèbre supérieure de…
M. LE PRÉSIDENT :
Mais, Maître Marquis, comment décririez-vous cela — parce qu’il y a juste une enflure — pour les besoins du
procès-verbal ?
Me MARQUIS :
Je ne sais pas… je ne sais pas, il est difficile de dire que c’est l’omoplate ou, alors, la colonne vertébrale.
Mme ADEBOYEJO :
Il semblerait que ce soit la colonne vertébrale. »269

es moments, extrêmement délicats, revêtent une forte intensité émotionnelle pour le témoin comme pour la
chambre. L’implication personnelle des témoins est entière. On comprend donc que l’attitude
parfois peu précautionneuse de la défense puisse provoquer des tensions.
« Pourquoi me harcèle-t-on? 270» demande SU après une longue série de questions dont elle ne
comprend pas l’intérêt. Sa réaction est légitime tant l’attitude de la défense semble déplacée,
même pour le simple lecteur du procès. Le TPIR s’inspire en effet de la common law où la
pratique

du

contre-interrogatoire

s’impose.

Tous

les témoins

interrogés

lors

de

l’enquête271précédemment évoquée, se disent perturbés par cette procédure. C’est même la raison
avancée par tous ceux ne voulant plus coopérer avec Arusha. Ils se plaignent non seulement du
contenu des questions, mais aussi de la manière dont elles sont posées et de la durée de
l’interrogatoire. Les témoins se sentent méprisés, mis eux-mêmes en accusation. A cela s’ajoute
la solitude ressentie dans le prétoire et le manque de soutien. Cela n’est pas seulement dû à une
méconnaissance des procédures, puisque les témoins-experts se rangent également à cet avis.
Plutôt que de multiplier les exemples, nous nous intéresserons au cas du témoin TA. Cette affaire
269

CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p25-26.
CRA 15 octobre 2002, témoin SU, p188.
271
Fédération internationale des droits de l’homme, « Entre illusions et désillusions : les victimes devant le Tribunal
Pénal International pour le Rwanda », La Lettre, n°343, octobre 2002.
270

91

représente un moment clef dans la chronologie du procès et illustre les dérives de l’attitude de la
défense.
« Affaire du témoin TA : trop c’est trop »272 titre l’agence Hirondelle pour évoquer en janvier
2002 la suspension de la collaboration entre les associations de survivants et le TPIR. Cette
interruption intervient après que trois juges ont ri lorsque le témoin TA racontait les circonstances
de son viol. Ce sont les questions de la défense de Shalom Ntahobali, jugées scabreuses, qui
auraient provoqué l’hilarité des trois juges. TA décrivait alors la façon dont elle avait été
déshabillée avant d’être violée. Les témoins présents à cette audience se sont dits choqués par
l'absence de réaction des juges et des substituts du procureur pour préserver son intégrité. A cela
s’ajoutent les lenteurs de son contre-interrogatoire, qui a duré plus d’une semaine entre le 24
octobre

et

le

8

novembre

2001.

La présidente du TPIR a nié toute responsabilité des juges à l'audience du 31 octobre 2001,
prétendant que le président du siège a fait tout ce qui était en son pouvoir pour protéger le témoin
TA. Les associations AVEGA et IBUKA ont ensuite appelé l’opinion à condamner la façon qu’a
le TPIR « d'abuser de la bonne foi des victimes du génocide et de les humilier devant une
instance internationale qui, par nature, devrait les réhabiliter dans leurs droits273». Cette affaire
montre les dérives de certains contre-interrogatoires.
Les témoins expriment à de nombreuses reprises leur volonté de faire une pause. « Oui,
j'aimerais me reposer un tout petit peu274» demande SU après un long contre-interrogatoire. Mais
n’oublions pas que les témoins ont conscience de l’importance de leur présence au procès.
Rafaëlle Maison, dans son ouvrage consacré au procès de Naser Oric, écrit très justement que les
témoins au Tribunal Pénal pour l’Ex-Yougoslavie, comme ceux du TPIR, arrivent à
échapper « au récit difficile qu’ils sont venus livrer et formulent des commentaires qui indiquent
une distance et une conscience claire du contexte dans lequel ils s’expriment.275» Nous l’avons
272

Fondation Hirondelle, agence de presse Hirondelle à Arusha (TPIR), « Affaire du témoin TA : trop c’est trop »,
News du 25 janvier 2002.
273
Dans leur communiqué de presse du 24 janvier 2002, Ibuka et Avega se plaignent, en effet, de " la sécurité des
témoins à charge à Arusha et après déposition de leurs témoignages qui laisse encore à désirer; la persécution et le
harcèlement des témoins à charge, principalement des dames, en provenance du Rwanda; l’incrimination de
l’Association Ibuka et de ses associations membres et leur qualification de groupements de délateurs par des
avocats de la défense en présence de Juges du Tribunal; la non-représentativité des rescapés aux procès en cours à
Arusha alors que ce droit est reconnu aux présumés auteurs du génocide; le fait que les survivants du génocide n’ont
pas le droit d'exercer l’action civile auprès du TPIR ni le droit à une assistance et une protection physique et
psychologique en tant que témoins vulnérables pour certains, tels les infirmes et les personnes qui ont été inoculées
du VIH-SIDA comme arme du génocide, alors que leurs bourreaux bénéficient des traitements spéciaux et appropriés
à Arusha, etc."
274
CRA 14 octobre 2002, témoin SU, p19.
275
R. Maison, « L’affaire Naser Oric ou la résistance combattante devant la justice internationale », Mélanges en
l’honneur de Danièle Lochak, Paris, 2007.

92

vu, ce sont les témoins eux-mêmes qui rappellent aux membres du Tribunal le contexte difficile
dans lequel ils s’expriment. Pourtant, parler est aussi perçu comme un soulagement pour eux.
Des témoins d’autres grands procès se sont exprimés sur ce rapport paradoxal à leur propre
mémoire. On assiste en effet à dépossession de leur expérience intime. Jorge Semprun, rescapé
des camps et témoin à Nuremberg, nous dit par exemple que face aux photographies des camps
visionnées lors du procès que : « ces images de mon intimité me devenaient étrangères (…). Elles
cessaient d’être mon bien et mon tourment : richesses mortifères de ma vie. Elles n’étaient plus,
ou n’étaient enfin que la réalité radicale, extériorisée, du Mal : son reflet glacial et néanmoins
brulant.276» Ainsi, QBQ exprime la sérénité qu’elle trouve dans le partage de ses souvenirs.
«Lorsque je parle de ces événements que j’ai vécus, je sens une certaine… je me sens un peu
apaisée277», confesse-t-elle à la chambre en évoquant le VIH dont elle a été infectée lors du
génocide et les problèmes psychiques qui en ont découlé. Témoigner peut donc parfois prendre
des allures thérapeutiques et s’avérer essentiel.

défense de Pauline Nyiramasuhuko met donc en avant les contradictions qui entourent son personnage pour
démontrer l’improbabilité de ses actes. Quelle femme aurait pu commettre de tels crimes ? Elle
oppose donc la femme qu’elle serait vraiment au personnage monstrueux construit par le TPIR.
Or, cette opposition morale qu’elle tend à plaider dérange d’autant plus qu’elle atteste d’une
conscience des normes qu’elle a déjouées. Les crimes de nature sexuelle pour lesquels Pauline
Nyiramasuhuko est jugée, souvent de concert avec son fils, font donc souvent partie du domaine
de l’indicible pour les témoins, surtout devant le TPIR ou la prise de parole est encadrée et mise
constamment en doute. Pourtant c’est grâce à ces récits que la complexité de Pauline
Nyiramasuhuko peut être abordée. Et les témoins qui se succèdent à la barre, à charge comme à
décharge, attestent des multiples facettes de l’accusée, et leur présence participe à la transposition
du « Butare » de 1994.

276

C. Delage, La Vérité par l’image, De Nuremberg au procès Milosevic, Denoël, 2006, p83
CRA 3 février 2004, témoin QBQ, p27.

277

93

PARTIE III
Un procès « de proximité », une accusée parmi « les siens »

Me Bergevin au témoin SU :

« Vous savez, ce n'est pas... ce n'est pas Paris là, hein, la commune dont on parle, c'est petit.
Alors, les gens se connaissent. 278»

Introduction
La transposition du contexte de l’année 1994 au TPIR à Arusha passe par la représentation des
faits à travers la parole des différents acteurs, la confrontation aux images, aux pièces à
convictions, aux discours. Mais celle-ci prend une dimension beaucoup plus concrète grâce aux
différents réseaux de sociabilité qui se recréent au sein du prétoire.
En effet, si le génocide des Tutsi a été un « génocide de proximité », c’est-à-dire perpétré par des
personnes qui se connaissaient et se fréquentaient au sein d’espaces communs restreints, le procès
de Butare peut être également qualifié de « procès de proximité », tant les liens entre les
différents acteurs tendent à recréer « le Butare » de 1994. La comparaison avec les tribunaux
gacaca est ici pertinente : ces audiences organisées sur les lieux des tueries ont permis de
fabriquer les récits du génocide avec les versions des victimes, des accusés et des juges. Chacun y
rejoue le passé. Au TPIR, évidemment, la distance topographique mais aussi institutionnelle avec
la présence de juges, d’avocats extérieurs doit être prise en considération, mais cette distance tend
à s’effacer tant les sociabilités en vigueur lors du génocide sont remises en présence. Les accusés
entre eux, les témoins entre eux mais aussi et surtout les accusés et les témoins : tous se
connaissent et leur parole atteste de liens anciens qui ressurgissent au moment des audiences.
Pauline Nyiramasuhuko est donc une accusée parmi les siens, qui se trouve confrontée à la parole
d’anciennes connaissances, au sein de « retrouvailles » forcées qui éclairent cette proximité
caractéristique du génocide des Tutsi du Rwanda.
C’est en analysant ces réseaux de sociabilité que la transposition temporelle et spatiale qu’opère
278

CRA 15 octobre 2002, témoin SU, p193.

94

le procès est mise en lumière. Pour comprendre en quoi le parcours de Pauline Nyiramasuhuko
n’est pas une anomalie il est important de s’intéresser à ces rapports sociaux avec les différents
acteurs – bourreaux, victimes et témoins - pour percevoir quelle est la véritable nature de son
implication dans le génocide à Butare et quelles en furent les conséquences sur son entourage
direct.
La métaphore théâtrale, souvent utilisée pour décrire les procès, se déploie ici de manière
évidente. La tragédie de 1994, aux allures grecques tant les tensions familiales règnent, se rejoue
à travers les monologues et les dialogues des différents acteurs, qui attestent des relations
complexes et enchevêtrées englobant Pauline Nyiramasuhuko. Dans l’espace aseptisé d’Arusha,
l’accusée est remise dans son monde.

On décrit les cours pénales internationales comme des espaces blancs, impersonnels, avec une
présence quasi oppressante des outils technologique : ordinateurs, microphones, oreillettes de
traduction, qui compromettent et aseptisent la parole des différents protagonistes. Pourtant, à la
lecture des transcriptions d’audience, on peut voir que cette distance concrète n’empêche pas un
rapprochement avec les faits.
Cependant, notons que s’il s’agit bien d’un procès qu’on peut qualifier de proximité, tous ses
acteurs juridiques sont extérieurs à la situation. Les avocats de Pauline Nyiramasuhuko, Me
Nicole Bergevin et Me Guy Poupart sont tous deux d’origine canadienne, tous comme ceux de
Shalom Ntahobali, Me Normand Marquis et Me Bertrand St-Arnaud. Le Président de la chambre,
William H. Sekule, est tanzanien et ses consœurs Arlette Ramaroson et Solomy Balungi Bossa
sont respectivement malgache et ougandaise. Si les témoins et les accusés parlent bien la même
langue et émergent d’un contexte commun, les décalages avec les membres de l’institution du
TPIR sont fréquents et limitent cette idée d’une transposition absolument complète.

95

CHAPITRE 7 : Une défense familiale
La spécificité de la défense de Pauline Nyiramasuhuko s’ancre dans son caractère familial. En
effet, ses principaux témoins à décharge se recrutent parmi les membres de sa famille proche.
Presque une familia au sens médiéval, un bloc uni, où se jouent des alliances intimes complexes,
afin de défendre ses membres mis en accusation. Dans le prétoire on retrouve son mari, deux de
ses trois filles, sa nièce, sa sœur, sa belle-fille. De même contribuent à son équipe de défense les
époux de ses filles Clarisse et Denise. Leur parole, si elle nous dit peu sur le génocide lui-même,
est à prendre en compte du point de vue des représentations et de l’émergence d’une culture
négationniste familiale. Plus qu’à deux co-accusés, nous sommes face à un groupe qui les a
fréquenté pendant toute la période où leur crime ont été commis, et qui, malgré la violence des
actes reprochés, se caractérise par une fidélité inaltérable. Pour les membres de sa famille,
Pauline Nyiramasuhuko est loin d’être le monstre qu’on l’accuse d’être.

L’hôtel Ihuliro à Butare, le fief de la famille Ntahobali-Nyiramasuhuko
L’émergence de cette défense trouve son origine dans un lieu clef de l’histoire familiale et donc
de l’histoire du génocide à Butare : l’hôtel Ihuliro. L’hôtel, résidence de la famille Ntahobali
d’avril à juillet 1994, peut en effet être considéré lui-même comme un acteur du procès. Une
partie du jugement lui est consacrée, en ce qu’il a représenté un véritable fief pour Pauline
Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali : ce fut à la fois un lieu de protection pour les accusés et
leurs proches – domestiques et amis Tutsi inclus - et un lieu de danger pour les autres.
L’hôtel au complet est recréé dans le prétoire à travers la présence de ses anciens résidents sur les
bancs des accusés et des témoins. Cette description virtuelle, par la précision des témoignages,
prend alors une dimension extrêmement concrète.
Pauline Nyiramasuhuko, à l’hôtel, apparaît alors comme un pilier, un chef, une protectrice. La
facette d’elle-même qu’elle cherche à montrer à la chambre y prend toute son ampleur.
La transposition s’opère d’autant plus que de lieu de protection en 1994, l’hôtel sert encore à la
protéger au moment du procès puisqu’il représente son principal alibi. Tous les témoignages
partent de l’hôtel.
En découle alors une dichotomie déclinable à l’infini, avec la cristallisation au sein de l’hôtel de
toutes les facettes qui composent le personnage de Pauline Nyiramasuhuko.
96

Se succèdent la Pauline Nyiramasuhuko de l’intérieur de l’hôtel, de la sphère du privé, de
l’intime, de l’oïkos, où elle apparaît comme une femme ordinaire, animée par un désir de vie et
de protection. Celle-ci même qui pousse sa famille à quitter Butare en leur disant : « Écoutez,
qu’est-ce que vous voulez que je fasse ? Vous allez risquer de mourir ici, tous. Il faut partir !279 ».
Cette Pauline Nyiramasuhuko s’oppose à celle qui sévit à l’extérieur de l’hôtel, espace de mort et
de danger où elle oppose les siens à l’Autre, l’ennemi. Ces deux femmes, la mère malade,
fatiguée, inquiète et celle « publique » insensible, qui sort la nuit pour sévir ne sont pas forcément
à opposer. Nous sommes face à « plusieurs » Pauline Nyiramasuhuko qui ne s’opposent pas
nécessairement. Monstrueuse pour ses victimes, attachante pour ses proches. La polyphonie du
procès nous permet de toucher à ces différents aspects du personnage : la meurtrière mais aussi la
mère, la tante, la sœur :
Q.

« Alors, Madame, qui était cette grande sœur, cette sœur aînée dont vous venez de

parler ? Mme NYIRANEZA :
R.

Il s’agit de Pauline Nyiramasuhuko.280 »

Les témoins à charge comme à décharge sont amenés à décrire l’hôtel Ihuliro. Le témoin FA
évoque un grand bâtiment de trois étages dans la cellule de Butare-ville (commune de Ngoma).
De sa cachette, elle observe les différents résidents, parmi eux « des personnalités de race
blanche » qui travaillaient pour l’ONU, mais qui sont partis

« à un moment ».281

La famille Ntahobali vit dans une aile de la résidence, l’hôtel abritait aussi des commerces et FA
dit s’y être rendue plusieurs fois pour y acheter des légumes.
Shalom Ntahobali, qui en est le principal résident, insiste sur la dimension commerciale de
l’hôtel. Il décrit avec précision le rez-de-chaussée où se trouvaient le restaurant, le bar et la
réception de l’hôtel, ainsi qu’une épicerie et une pharmacie. Huit chambres composaient le
premier étage et il explique que sa propre chambre se trouvait derrière la pharmacie, donc au rezde-chaussée. Pourtant il refuse qu’on l’assimile à un gestionnaire de l’hôtel :
« Moi, je n’étais pas un serveur. Je vous ai dit que lorsque je quittais l’Université après les cours,
je pouvais travailler pour m’occuper s’il y avait quelque chose à faire. Moi, je n’étais pas un
salarié, c’était donc une occupation auquel... à laquelle je me livrais, comme pourrait le faire un
enfant d’un agriculteur qui peut aller sarcler dans les champs ou ramener un régime de bananes à
279

er

CRA 1 juin 2005, paroles rapportées par le témoin WBUC, p9.
280
CRA 24 février 2005, Céline Nyiraneza, p52.
281

CRA 30 juin 2004, témoin FA.

97

la maison. Mais après le décès d’Habyarimana, il était difficile pour les employés de l’hôtel de
venir. Et, des fois, je les remplaçais ; mais c’était en quelque sorte une façon d’épauler ceux qui se
trouvaient sur les lieux. 282»

Son récit nous renseigne sur ces « personnalités de race blanche » mentionnées par FA. Ce sont
des militaires de la MINUAR qui après la mort du Président Habyarimana sont venus rejoindre
les militaires de Butare stationnés à l’hôtel. La plupart sont repartis vers Kigali le 10 avril 1994
puis les autres ont fait de même le 20 avril 1994. L’hôtel apparait donc comme un lieu clef à
Butare : centre d’une économie de quartier, de rassemblement, de mondanités, et le lieu de
prédilection pour les Occidentaux présents à Butare.

L’hôtel est présenté par les témoins à décharge et par les accusés comme un lieu de protection. La
sœur de Pauline Nyiramasuhuko l’exprime en ces termes :
«C'est tout le groupe qui avait trouvé refuge à l'hôtel Ihuliro. Ce sont donc les membres de notre
famille qui ont pris la route.283 »

En s’associant à l’hôtel, Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali insistent sur leur propre
rôle de protecteurs :
Shalom

Ntahobali :

« Ce qui était important, c’était ma famille, ma femme et mes enfants que j’avais laissés sans
moyen de survie, ce qui était important pour moi, c’était mon père qui était incarcéré ; tout le reste
n’avait pas d’importance pour moi. 284 »

Tous les anciens résidents de l’hôtel déroulent le même récit : celui d’une totale ignorance des
violences à Butare et de l’innocence de leurs proches mis en accusation. Comme si la vie à l’hôtel
tenait du huis-clos, d’un espace hors du monde alors que les violences y sont présentes ou toutes
proches. En effet, devant l’hôtel Ihuliro se trouve un lieu de mise à mort et d’exactions : le
barrage que tous les témoins décrivent comme celui de la famille, dirigé par Shalom Ntahobali.
Les nombreux plans et photographies montrent la proximité entre le barrage et l’hôtel. Il est là
pour protéger la famille et pour contrôler le passage. Shalom Ntahbali y est présent presque tous
les jours, parfois accompagné de sa mère. C’est là que le témoin TN et cinq ou six autres filles
282

CRA 25 mai 2006, Ntahobali.
CRA 24 février 2005, Céline Nyiraneza, p52.
284
CRA 25 mai 2006, Ntahobali.
283

98

ont été arrêtées avant d’être séquestrées à l’hôtel Ihuliro puis violées à plusieurs reprises par
Shalom Ntahobali et d’autres miliciens285. Ses proches interrogés nient en bloc, comme ici sa
nièce désignée sous le nom WBUC :
« Je dirais que cela n'est pas vrai ; si je me réfère au fait que Shalom était jeune marié, je ne vois
pas comment il aurait pu violer une fille ; une personne qui se respecte comme lui ne peut pas faire
de telles choses.286 »

De la même façon, sa tante le défend en usant du même argumentaire moral :
« Tout ce que je peux dire, c’est que ces propos sont des mensonges ! C’est un moyen de salir
l’image de Shalom. Sinon, tous ces événements n’ont jamais eu lieu ; s’ils avaient eu lieu, je
l’aurais su et l’épouse de Shalom l’aurait su également. À cette époque, il y avait de la sécurité. Je
ne vois pas pourquoi une personne pouvait être séquestrée à l’hôtel. Les gens circulaient. La
boutique fonctionnait. Je pense que cela était complètement impossible. À cette époque, cela était
impossible. Ce sont des mensonges ! Sinon, j’en aurais été informée et tout le monde aurait été
informé. Cela était impossible et cela n’a pas eu lieu.287 »

Une convergence s’établit entre ses activités de gérant de l’hôtel et son rôle au barrage : Grégoire,
un des miliciens que Shalom Ntahobali décrit comme un des responsables du barrage devant
l’hôtel, est aussi son fournisseur :
«Grégoire était l’un des distributeurs... Non, plutôt, ce n’est pas « distribué », mais il était
fournisseur ; il était parmi les fournisseurs de l’hôtel Ihuriro en matière de bière.288 »

On voit bien qu’il n’existe plus aucune limite précise des rôles. Le barrage apparaît comme une
véritable extension de l’hôtel, d’ailleurs, le témoin H1B6 explique qu’on connaissait ce barrage
sous le nom éponyme de « barrage Ntahobali 289».

285

CRA 21 juin 2006, Ntahobali.
er
CRA 1 juin 2005, témoin WBUC, p63.
287
CRA 28 février 2005, Céline Nyiraneza, p21.
288
CRA 25 mai 2006, Ntahobali.
289
er
CRA 1 décembre 2005, témoin H1B6. « On disait que c'était un barrage routier de chez Ntahobali, du moins
certaines personnes le qualifiaient ainsi. Ça, c'est vrai. Mais ce barrage routier n'était pas installé devant chez
Ntahobali. Mais on avait tendance à donner des noms à ces barrages par rapport au domicile des personnes
influentes qui étaient non loin de là. Mais le barrage routier n'était pas plus proche de chez Ntahobali que le
bâtiment de chez Mujeri. Je pense qu'on a plutôt utilisé le nom d'une personne qui était plus connue. Par exemple,
on ne disait pas que le barrage du rectorat était le barrage du rond-point, on disait que c'était le barrage du rectorat
ou de Bihira. Mais ça dépendait des gens. »
286

99

C’est aussi à l’hôtel que se tiennent de nombreuses réunions d’Interahamwe290.

Shalom

Ntahobali répète à de nombreuses reprises à la chambre avoir été obligé – en tant que simple
citoyen - de tenir le barrage. La chambre évoque le contexte familial et les statuts d’autorité de
ses parents pour justifier son engagement, pourtant bel et bien volontaire, au barrage :
ME MARCHAND [avocat de Joseph Kanyabashi] :
« Q.

Monsieur Ntahobali, votre mère était ministre en fonction, alors que votre père était recteur de
l’Université nationale du Rwanda après avoir été Président du CND, c’est-à-dire le Conseil
national de développement, c’est-à-dire le Parlement ; alors, Monsieur Ntahobali, si ne vouliez pas
aller au barrage, n’aurait-il pas été possible de les faire intervenir afin que vous ne soyez pas
obligé d’y aller ?

R. (…) Ce que vous dites n’était pas possible. J’étais un simple citoyen, je ne pouvais pas me servir du fait
que j’avais une origine quelconque pour ne pas faire ce qui était stipulé. Et ce que vous dites
n’était pas possible. (..)
Me MARCHAND :
Q.

Monsieur Ntahobali, est-ce que vous l’avez dit à votre mère et votre père, que vous ne vouliez pas
aller au barrage ?

R.

(…) je ne me suis adressé qu’au conseiller. Je ne pouvais pas m’adresser à mon père parce que
mon père n’était pas une autorité administrative dans cette localité. 291 »

Le couple Pauline Nyiramasuhuko-Maurice Ntahobali : distance et influences
Au cœur de ce microcosme, un personnage intrigant, Maurice Ntahobali, mari de Pauline
Nyiramasuhuko et père de Shalom Ntahobali.
Maurice Ntahobali est l’intellectuel de la famille. Il est de confession anglicane alors que Pauline
Nyiramasuhuko est catholique. La religion semble d’ailleurs tenir une part minime dans la vie
familiale, Pauline Nyiramasuhuko n’y faisant jamais référence au cours du procès. Il se présente
donc en intellectuel, déconnecté de la sphère politique, qui a choisi de rester dans l’ombre de la
carrière de la femme. Pourtant, lui-même a joué un rôle politique dans la préfecture et surtout a
été impliqué à son échelle dans le génocide, notamment en ce qui concerne les nombreuses
purges d’intellectuels Tutsi au sein de l’Université Nationale du Rwanda localisée à Butare dont
290

Voir TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
3.6.30 « Réunions avec les Interahamwe (7 et 12 mai 1994) », p1024- 1027.
291
CRA 25 mai 2006, Ntahobali.

100

il est le recteur. Sa brève carrière politique, qui l’a placé en concurrence avec le président du
Gouvernement intérimaire Théodore Sindikubwabo, ne relevait en aucun cas d’une quelconque
popularité au sein de la préfecture. Shalom Ntahobali se rappelle de sa candidature aux élections :
« J’ai fait référence aux élections qui ont eu lieu à la fin des années 80. Je ne me rappelle pas
l’année précise, mais je me rappelle que mon père était candidat aux élections législatives. C’est
peut-être en 1988 ou alors en 1987, mais je ne suis pas sûr de l’année. Cependant, c’était autour
de ces années-là — 1988, 1989 —, sans être précis. 292»

Eloigné des cercles mondains, son ascension provenait essentiellement du cœur du pouvoir.
Lorsqu’il fut mis à l’écart, il libère la place pour l’entrée en politique de Pauline Nyiramasuhuko.
Beaucoup voient d’ailleurs dans cette promotion un moyen de limiter le mécontentement de
Maurice Ntahobali et de le conserver dans le camp présidentiel. Quand elle fut chargée du suivi
de l’activité du MRND à Butare, Maurice Ntahobali siégeait au conseil central. Profitait-elle de
l’aura d’intellectuel de son époux, elle dont les capacités ne furent jamais vraiment reconnues ?
Alors qu’on parle souvent des femmes de l’ombre qui décident à la place de leur mari, Maurice
Ntahobali semble tenir ce rôle en la faisant profiter de sa connaissance du milieu politique et de
ses analyses. André Guichaoua évoque par exemple un texte signé de Maurice Ntahobali
concernant sa lecture des travaux du sociologue Roger Mucchielli. Cette note de synthèse du
mois de novembre 1991 à partir du manuel Psychologie de la publicité et de la propagande.
Applications pratiques293 applique à la situation rwandaise l’idée que la propagande assimilée à la
subversion est l’arme principale du combat politique et des guerres modernes. Alison Des Forges
a d’ailleurs retrouvé quelques pages d’une note exposant comment se servir de cet ouvrage pour
fanatiser les foules294. Les travaux de Mucchielli étaient en effet extrêmement populaires chez les
intellectuels hutu extrémistes295. Les techniques de propagande sont mises en œuvre à l’intérieur
de l’Etat par « l’action d’agents subversifs organisés en petits groupes de partisans », présentés
comme « émanant du peuple même », « spontanément » qui suscitent un « processus de
pourrissement de l’autorité et des institutions ». On retrouve dans ce texte la théorisation de la
technique dite « de l’accusation en miroir296 » que les organisateurs du génocide mirent en
292

CRA 1er juin 2006, Ntahobali, p41.

293
R. Mucchielli, Psychologie de la publicité et de la propagande : connaissance du problème, applications
pratiques, Entreprise moderne d’édition, 1972.
294

A. Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999.
J.F. Dupaquier, Politiques, militaires et mercenaires français au Rwanda. Chronique d'une désinformation,
Karthala, 2014, p20.
295

296

A. Guichaoua, Rwanda 1994, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, p45.

101

application, comme nous avons pu le voir dans le chapitre concernant la défense de Pauline
Nyiramasuhuko.
Ce texte serait, selon André Guichaoua, « le vade mecuum » de son épouse « pour affronter dans
les meilleures conditions les combats politiques inaugurés par le multipartisme naissant 297». Si
Maurice Ntahobali dispose du recul nécessaire pour aborder avec distance ces thèses, Pauline
Ntahobali l’utilise au premier degré en assurant « les travaux pratiques « et en vérifiant
« l’application sur le terrain298 ».
Installé d’abord à Buye dans une villa de l’Université Nationale du Rwanda, il fait ensuite
construire l’hôtel dont la gestion est confiée à Shalom Ntahobali.
Si, d’un point de vue biographique, Maurice Ntahobali apparait plutôt en retrait, il est difficile à
croire, malgré ce qu’il avance au procès, qu’il fut gardé complètement à l’écart des agissements
de sa femme et de son fils. Il explique devant la chambre ne jamais évoquer avec Pauline
Nyiramasuhuko son poste au ministère.
Pourtant, parmi les pièces à conviction, on trouve un discours prononcé par Maurice Ntahobali
lors de la visite du Premier ministre Kambanda sur l’invitation des membres du MDR de la
communauté universitaire à la mi-mai 1994. Cette réunion s’est tenue au campus universitaire de
Butare et avait pour objet de diffuser des informations concernant la situation politique.
L’enregistrement sonore299 des discours de Kambanda et de Maurice Ntahobali diffusé le 15 mai
1994 nous renseigne sur les sujets évoqués lors de cette réunion et donc sur les points d’intérêt du
mari de Pauline Nyiramasuhuko.

Le Premier ministre Kambanda s’est exprimé sur la

pacification et la défense civile. Maurice Ntahobali affirme devant la chambre que Jean
Kambanda n’a pas exhorté les responsables en charge de la défense civile à exterminer les Tutsi
mais simplement appelé le monde universitaire à coopérer pour mettre fin à la guerre contre le
FPR. Maurice Ntahobali a pris la parole pour exprimer son soutien et celui de la communauté
universitaire aux institutions de la République, au Président et au Gouvernement de Jean
Kambanda. Selon Maurice Ntahobali, les professeurs d’université avaient le sentiment que les
Accords d’Arusha n’avaient plus aucune valeur parce que le FPR en tirait beaucoup trop
avantage, et ils estimaient qu’il fallait sensibiliser la population pour qu’elle sache se défendre

297
298

Ibid Guichaoua, p41.
Ibid Guichaoua, p42.

299

Pièces à conviction P.117 B à D, transcription des discours du 14 mai en kinyarwanda, anglais, français.

102

elle-même300. On n’a donc une véritable convergence entre le monde « intellectuel » et
l’administration, convergence que le couple Ntahobali-Nyiramasuhuko symbolise d’une certaine
manière et qui laisse penser que Maurice Ntahobali ne demeure pas autant en retrait par rapport
aux prérogatives politiques de son épouse.

Les interrogatoires et contre-interrogatoires cherchent à mettre en évidence les liens entre les
différents membres de la famille pendant le génocide et leur façon de se représenter celui-ci :
M. ADENUGA [assistant du Procureur] :
Q. «

Je répète la question : Est-ce que vous avez eu à vous entretenir avec votre maman au
téléphone entre le 6 et le 7 avril 1994 ?

Shalom Ntahobali :
R.

Oui.

Q.

Est-ce que vous avez eu à parler du crash de l’avion présidentiel quand vous vous êtes
entretenu avec votre maman ?

R.

Oui.

Q.

Est-ce que vous vous rappelez si un autre membre de la famille a eu à lui parler au cours de
cet entretien ?

R.

Elle a eu une conversation avec mon père.

Q.

Après cet entretien téléphonique, quand est-ce que, pour la prochaine fois, vous avez eu à
vous entretenir avec votre maman ou à la rencontrer ? 301»

Par leurs conversations quotidiennes, tous ont partagé de nombreuses informations et donc on eu
à peu près la même appréciation du génocide.

Une famille à la barre

Maurice Ntahobali et Pauline Nyiramasuhuko ont quatre enfants, parmi lesquels figure Shalom
Ntahobali. Deux de leurs trois filles, Clarisse et Denise, sont présentes à la barre des témoins à
décharge. Brigitte, la benjamine, faisait ses études en Allemagne et n’était donc que partiellement

300
301

CRA 16 septembre 2005, Maurice Ntahobali.
CRA 25 mai 2006, Ntahobali

103

présente pendant l’année 1994 à Butare. Toutes trois résidaient à l’hôtel Ihuliro au moment des
faits, le témoin FA, voisine de l’hôtel, dit les avoir vues souvent entre avril et juillet 1994. Elle
les décrit comme des filles « corpulentes » dont elle ignore les noms302. Clarisse Ntahobali assure
la supervision de l’hôtel avec son frère. Sont également entendues la sœur de Pauline
Nyiramasuhuko, Céline Myiraneza, et la femme de Shalom Ntahobali déjà mentionnée, Béatrice
Munyenyezi, ainsi que la fille de Denise Ntahobali et donc petite-fille de Pauline
Nyiramasuhuko, désignée comme le témoin WBUC et qui considère Pauline Nyiramasuhuko
« comme sa mère » et Shalom Ntahobali « comme son frère303 ». Les témoignages des membres
de la famille nous renseignent sur la vie intime des accusés durant la période du génocide. Après
plus de trois mois passés au sein de l’hôtel, nous sommes face à un clan soudé, malgré des
querelles inévitables sur lesquelles on revient lors des audiences comme par exemple lors de cet
échange entre l’épouse de Shalom Ntahobali et l’accusation :
« Pourquoi avez-vous accepté de revenir à Butare alors que Denise, votre belle-sœur, la fille du
propriétaire des lieux, de la maison, s'y trouvait encore et que vous vous étiez disputée avec elle ?
Béatrice Munyenyezi :
Monsieur le Président, j'étais mariée. J'étais mariée à mon mari pour le meilleur et le pire. Le fait
que Denise se trouve à l'hôtel n'allait pas me séparer de mon mari. Et puis, Denise ce n'est pas un
tueur, un assassin ; elle n'allait pas me tuer. 304»

Denise Ntahobali, évoque elle-même les relations entre Shalom Ntahobali et son épouse :
«Est-ce que, Madame, vous qui avez vécu avec l’épouse de Shalom pendant ces mois particuliers à
l’hôtel Ihuriro, vous pourriez nous d’écrire cette femme, telle que vous l’avez connue pendant cette
période, et sa relation avec vous ?
R.

Personnellement, j’avais de bonnes relations avec elle parce que, dans notre culture, elle
me considérait comme sa belle-mère. Elle me respectait comme une belle-fille doit respecter
sa belle-mère. Je n’ai pas remarqué de mauvais comportement chez elle, du moins, en ce
qui me concerne. Mais d’après ce que je constatais, c’était une jeune dame qui voulait
qu’on l’aime beaucoup, qui avait besoin d’amour. Voilà tout ce que je peux vous dire à
propos d’elle.

Q.

Est-ce que, Madame, vous pourriez nous dire comment était Béatrice avec son mari
Shalom ?

R.

Ils vivaient très bien ensemble. Et, si je me réfère à son comportement de recherche

302

CRA 30 juin 2004, témoin FA, huis clos, p56.

303

CRA 1er juin 2005, témoin WBUC, p62-64.
CRA 28 février 2006, Béatrice Munyenyezi, p28.

304

104

d’amour, c’est une personne qui voulait que Shalom l’entoure. Pendant cette période, elle
était enceinte de quelques mois, à tel point qu’elle voulait que Shalom ne la quitte pas.
Pendant cette période de guerre, vous savez, tout le monde a peur. Et cette femme pensait
que sa seule sécurité résidait dans la présence de Shalom.305 »

Photographie de Shalom Ntahobali, de son épouse Béatrice Muyenyezi et de leur premier né en 1994 306

L’analyse de Denise Ntahobali est exclusivement fondée sur des affects et elle cherche à montrer
son frère sous son meilleur jour. L’accusation la met d’ailleurs face à cette évidence :

« Q. Je vous suggère, Madame le Témoin, que vous ne direz jamais des choses qui pourraient nuire
à votre mère Pauline Nyiramasuhuko ou encore à votre frère Shalom Ntahobali ; qu’est-ce que
vous en dites ? (…) ce que je vous suggère, c’est que, compte tenu des relations que vous avez avec
ces deux personnes, vous ne direz jamais des choses qui pourraient les incriminer.
R. S’il y avait quelque chose que ce soit qui les incriminerait, je le dirais ; mais tout ce que je peux
vous assurer, c’est que je suis venue ici pour dire la vérité.307 »

Précisons également que le mari de Denise Ntahobali faisait partie de l’équipe de défense de
Pauline Nyiramasuhuko jusqu’en 2001, et même si elle affirme n’avoir pas parlé de l’affaire avec

305

CRA 28 février 2005, Céline Nyireneza, p17.
Pièce à conviction D.397, photographie de famille de Shalom Ntahobali prise en 1994, 10 avril 2006.
307
CRA 13 juin 2005, Denise Ntahobali, p26.
306

105

son conjoint, on peut en douter. Son beau-frère faisait partie de cette même équipe de défense et
elle confesse avoir abordé le sujet avec lui :
« Q.

Et votre époux Daniel est actuellement employé par l'équipe de défense de Pauline
Nyiramasuhuko en tant qu'enquêteur ; n'est-ce pas, Madame le Témoin ?

(…)

Madame le Témoin, est-il donc juste de dire que de 1999 — le mois d'août — jusqu'au début
de cette année [2005], il était effectivement enquêteur pour la Défense de Pauline
Nyiramasuhuko ?

R.

Oui, c'est exact.

Q.

Et pouvez-vous nous dire ou plutôt votre sœur, Clarisse Ntahobali est mariée à Damas
Birekeraho ; n'est-ce pas ? (…) Et Damas Birekeraho est également enquêteur de l'équipe
de la défense de Pauline Nyiramasuhuko ; n'est-ce pas ?

R.

Oui, c'est exact.

Q.

Et il a été enquêteur de cette équipe depuis novembre 1994 jusqu'à ce jour ; n'est-ce pas
— novembre 1999 ?

R.

Je ne sais pas quand il a commencé à travailler au sein de cette équipe, mais il est
enquêteur jusqu'à ce jour.

Q.

Madame le Témoin, vous avez discuté de ce procès avec votre époux Daniel Tuyizere ;
n'est-ce pas ?

R.

Non, on ne discute jamais de ce procès.

Q.

En avez-vous discuté avec Damas Birekeraho ?

R.

Oui, on en a discuté.

( …)
Q.

Et votre autre sœur, Brigitte, est mariée à Deo ; n'est-ce pas ?

(…)
Q.

Je vous suggère, Madame le Témoin, qu'il travaille pour l'équipe de la défense de

Nsengiyumva ; qu'en dites-vous ? 308 »

On est donc face à une véritable affaire de famille avec un front uni pour défendre la version des
faits des deux co-accusés. Des membres de cette famille, les maris des filles de Pauline
Nyiramasuhuko sont même partie intégrantes de l’institution. C’est un soutien certainement
308

CRA 13 juin 2005, Denise Ntahobali, p43.

106

psychologique important, mas qui ne se révèle pas vraiment efficace puisque la chambre note
bien et à plusieurs reprises qu’elle abordera ces témoignages avec toutes les précautions
nécessaires. Leur parole n’a en effet que peu de valeur.
Les associations de rescapés IBUKA et AVEGA se sont d’ailleurs exprimées publiquement pour
dénoncer ce qu’elles considèrent comme une anomalie : « l'engagement comme enquêteurs du
TPIR de personnes impliquées directement dans le génocide, et l'engagement comme enquêteurs
de la défense de personnes ayant des relations familiales et parentales directes avec les présumés
auteurs du génocide309 ».
Les autres témoins à décharge, dont les liens précis avec Pauline Nyiramasuhuko sont préservés
pour des questions de protection de leur anonymat, sont également des proches de l’accusée.
Quand Me Poupart, le second avocat de Pauline Nyiramasuhuko, demande au Président de la
chambre si le témoin WFGS peut rendre visite à l’accusée en prison, il en appelle à sa
sollicitude :
« Advenant que votre décision implique que votre témoin n’a plus besoin de venir, il n’y aura pas
moyen pour le témoin et pour Madame Nyiramasuhuko de partager quelques minutes ensemble,
puisque le témoin est un témoin protégé et pris en charge par la Protection des témoins et qu’il ne
pourrait pas rencontrer et saluer Madame Nyiramasuhuko.(…)
Alors, je voulais vous dire qu’elle pourrait se retrouver dans une situation où elle n’aurait pas
l’occasion de pouvoir partager quelque moment sur le plan humain avec Madame Nyiramasuhuko.
(…) je demanderai — si votre décision était que la présence du témoin n’est plus nécessaire,
d’intervenir et de rendre une ordonnance pour faciliter la rencontre de ces deux témoins (sic)
310

strictement que sur le plan humain, ce sont des êtres humains qui sont ici. »

Cette demande atteste de la relation d’amitié entre les deux femmes, qui aimeraient profiter de
l’occasion que représentent le procès et la présence de WFGS à Arusha pour se retrouver.
Pauline Nyiramasuhuko et son fils, au sein de ce contexte familial extrêmement soudé,
apparaissent dans toute leur complexité. Parmi les leurs ils ne peuvent pas être simplement
ramenés à leur monstruosité. Si ces témoignages n’ont que peu de valeur sur le plan juridique, ils
sont intéressants pour l’historien qui cherche à remettre en contexte l’activité et les réseaux au
sein desquels évoluaient les deux accusés. Surtout, dans le cas de Pauline Nyiramasuhuko, cela
309
310

Fondation Hirondelle- Agence de Presse Hirondelle à Arusha TPIR, News, 25 janvier 2002.
er
CRA 1 février 2006, témoin WFGS, p70.

107

nous aide à comprendre cette image de chef de clan qu’elle s’est forgée et surtout la richesse de
son emploi du temps et de ses préoccupations pendant le génocide. Nous ne sommes pas face à
un individu isolé mais très entouré qui sait encore s’appuyer sur les liens du sang pour se
protéger.

Arbre généalogique des membres de la famille Ntahobali/Nyiramasuhuko mentionnés lors du procès.

CHAPITRE 8 : Les témoins : voisins, camarades

108

Témoin SJ
« [Nyiramasuhuko et Ntahobali] étaient mes voisins et … c’étaient de bonnes personnes, et je n’ai
pas compris comment ils ont changé 311»

Ces paroles du témoin SJ attestent d’un retournement de situation caractéristique du génocide des
Tutsi au Rwanda. Dans leur grande majorité, les victimes connaissaient leurs bourreaux, qui
avaient pu être d’anciens amis, d’anciens voisins voire même des membres de leur famille. Ces
liens anciens ont été brisés lors du génocide et se sont même retournés contre eux.
Un tel retournement s’observe dans le cas des témoins à charge présents au procès. Même dans
le camp de l’accusation, ils peuvent aussi être considérés comme faisant partie d’un procès de
proximité. En effet, tous côtoyaient de près ou de loin Pauline Nyiramasuhuko et sa famille. Ils
l’ont fréquentée, que ce soit sur les bancs de l’école ou dans leur vie quotidienne à Butare. Butare
est en effet une petite ville. En 1994, la population de la Préfecture représente environ 70 000
habitants et la commune de Ngoma (Butare-ville) environ 22 000312. Bien souvent les témoins
rappellent cette spécificité liée à la taille de la préfecture : « à Butare, tout le monde se
connaissait.313»
Pauline Nyiramasuhuko y représente une figure locale importante et son rôle de ministre lui
confère une véritable aura. Au-delà de sa notoriété politique, le personnage de Pauline
Nyiramasuhuko est perçu par les témoins à partir des relations personnelles qu’ils ont pu
entretenir avec elle. Ces sociabilités anciennes ressortent de leurs témoignages. Au moment
même du procès, elles ressurgissent et la confrontation avec l’ancienne figure locale représente
un moment important dans la production de leur propre récit du génocide.
À ce titre, le procès de Butare n’est guère exceptionnel comme le montre cette remarque de
Rafaëlle Maison, à propos du procès au Tribunal Pénal pour l’Ex-Yougoslavie de Naser Oric :
« Ces scènes, rapportées par la réitération extrêmement vivante du dialogue originel, montrent la
proximité des acteurs locaux : les interlocuteurs se connaissent, ils parlent le même langage
(…) 314». Le constat est le même au TPIR où la présence à Arusha des témoins et la proximité
retrouvée avec les accusés sont souvent vécues comme des retrouvailles, retrouvailles
douloureuses et forcées, avec des personnes bien connues qu’ils n’ont pas revues depuis le
moment

des

311

CRA, 29 mai 2002, témoin SJ, huis-clos, p148.
A. Guichaoua, Les politiques du génocide à Butare, Karthala, 2005, encadré p26.
313
CRA 7 février 2005, témoin WKKTD, p62.
314
R. Maison, Coupable de Résistance ? Naser Oric, défenseur de Srebrenica devant la justice internationale,
Armand Colin, 2010, p48.
312

109

faits.

On peut alors parler d’une accusée « parmi les siens » au sens large : les personnes qui
témoignent contre Pauline Nyiramasuhuko et les autres accusés font partie d’une même
communauté. Communauté géographique, familiale et affective. Les réseaux anciens, que le
génocide a tendu à faire disparaître, renaissent à Arusha. C’est en effet, grâce à sa connaissance
de la population et des lieux, accrue par son implication dans la vie politique et sociale locale,
que le génocide a pu être mis en place de manière aussi efficace par Pauline Nyiramasuhuko et
ses co-accusés à Butare.

Des réseaux de sociabilité au cœur des massacres
En effet, le génocide des Tutsi surprend par son efficacité. Celle-ci a été rendue possible par des
réseaux de sociabilité qui furent au cœur des massacres. Un exemple lors du procès l’illustre,
celui du sort réservé à l’ancien préfet tutsi de Butare, Jean-Baptiste Habyalimana, assassiné peu
après son éviction. Il fut un ami de la famille Ntahobali-Nyiramasuhuko et était même présent au
mariage de Shalom Ntahobali en 1993. Or, ses liens avec la famille des accusés ne l’ont pas
préservé. Au contraire, ils furent à l’origine de sa perte. Les Ntahobali-Nyiramasuhuko savaient
où le préfet pouvait se cacher, qui il fréquentait et qui pouvait donc le protéger.
Pauline Nyiramasuhuko insiste d’ailleurs elle-même sur cette relation d’amitié avec le préfet :

Q.

Est-ce votre témoignage que Jean-Baptiste Habyalimana a été l’un de vos amis ou des amis
à vous et de votre famille ?

Pauline Nyiramasuhuko :
Oui. Cela est exact. Parce qu’il y avait beaucoup de choses qui nous unissaient. C’est exact.
Q.

Je vous suggère que, étant Ministre du Gouvernement intérimaire, vous n’avez rien fait
pour protéger votre ami Jean-Baptiste Habyalimana ni sa famille.

R.

Pour vous dire la vérité, même si je n’avais pas la compétence de faire quoi que ce soit, je
n’ai pas eu ces informations.315 »

Et, si elle nie toute implication dans son éviction et son assassinat c’est justement au nom de ces
liens qui les unissaient. A nouveau, elle reprend les codes et les normes sociales qu’elle a
déjouées pour justifier l’impossibilité des allégations portées contre elle.
Cette « disparition » s’inscrit néanmoins dans un contexte politique spécifique, mais, même les
victimes les plus ordinaires, attestent d’un lien avec l’accusée. C’est surtout en tant que femme
politique originaire de la commune que Pauline Nyiramasuhuko est connue par les témoins. La
315

CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p5.

110

défense pose de nombreuses questions au caractère biographique visant à prouver qu’il s’agissait
bien de Pauline Nyiramasuhuko dans les actes évoqués et que le témoin ne la confond pas avec
une autre. QBQ revient ainsi sur leur origine géographique commune :
« Je la connaissais parce que nous partagions la même commune; et quand elle était nommée
ministre, je l'ai connue. Et je vous dis que je la connais suffisamment 316. »

Le terme « suffisamment » montre l’agacement du témoin face à ces questions concernant ses
relations avec Pauline Nyiramasuhuko, alors même qu’il s’agit d’une personnalité qui ne passait
pas inaperçue et qui, par ses actes meurtriers, est entrée dans l’intimité du témoin.
Le témoin SU a une réaction similaire alors que la défense de Pauline Nyiramasuhuko enchaîne
les questions concernant le parcours de l’Accusée :

ME Bergevin :
« Alors, Madame, je vais vous reposer la question : Est-ce que vous pouvez me dire en quelle
année Madame Nyiramasuhuko est sic. déménagée de son propre secteur, de Ndora, dans la
commune de Ndora?
TEMOIN

SU :

Merci de me poser une question relative à l'identité de Madame Nyiramasuhuko, mais ce n'est pas
moi qui l'ai donnée en mariage.317»

Le témoin SU semble chercher ici à rétablir une certaine distance dans ses relations avec
l’accusée. Si elle la connaissait, du moins de réputation et de vue, elle n’était pas une amie et ne
fut jamais considérée comme telle. D’ailleurs, beaucoup de témoins continuent à l’appeler
« Madame la Ministre Pauline Nyiramasuhuko

318

», ce qui illustre l’autorité qu’elle représentait

et représente encore à leurs yeux.
Émerge alors une figure quasi légendaire du duo Pauline Nyiramasuhuko-Shalom Ntahobali au
sein des récits des témoins et exprime leur influence sociale et leur réputation au moment du
génocide. SS relate à la chambre les cris des réfugiés du bureau de la préfecture à l’arrivée de la
mère et du fils : « Puisque Pauline et son fils Shalom viennent d’arriver, nous ne sommes pas
sûrs de survivre.319». Cette aura morbide qui entoure le duo mère-fils justifie à bien des égards
cette impression de proximité des témoins vis-à-vis des deux co-accusés.

316

CRA 24 octobre 2002, témoin QBP, p119.
CRA 16 octobre 2002, témoin SU, p16.
318
CRA 11 mars 2003, témoin SS, p63.
319
CRA 11 mars 2003, témoin SS, p53.
317

111

La proximité entre accusés et témoins-victimes
Mais certains d’entre eux attestent également d’anciennes relations de camaraderie avec Pauline
Nyiramasuhuko et présentent ces liens comme autant de facteurs aggravants des crimes commis à
leur encontre. Dans la bouche de ces témoins, Pauline Nyiramasuhuko – et les tueurs de manière
générale – ont déchu de leur humanité, eux qui n’ont pas ressenti les émotions attendues face aux
violences perpétrées contre des gens qu’ils connaissaient. La croyance en l’indéfectibilité des
socles familiaux et affectifs (amitié, amour) fut largement ébranlée par le génocide.
Dès le moment des exactions commises contre eux, les témoins-victimes cherchent à rappeler à
Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali les liens qui les unissent, afin de susciter la pitié,
celle qui ne vient jamais. « Ntugengeke320 », « n’aie pas pitié », répétait d’ailleurs Shalom
Ntahobali aux miliciens Interahamwe sous ses ordres.
Le témoin SJ rappelle à la chambre le cas de cette ancienne camarade de classe de Pauline
Nyiramasuhuko dont Shalom Ntahobali a enlevé les enfants :

LE TÉMOIN SJ :
« Lorsque Shalom a demandé à ces Interahamwe de se retirer et en leur montrant par où
commencer, il est resté avec cette dame, et Shalom lui a demandé : « Est-ce que vous me
connaissez ? » Et la dame de répondre : « Je vous connais, vous êtes... » Et Shalom de dire : « Où
est-ce que vous me connaissez ? » La dame a répondu : « Vous êtes le fils de Nyiramasuhuko, et
j'ai été à... j'ai été à l'école avec votre maman ». Et Shalom a dit : « Effectivement, vous me
connaissez, c'est vrai ce que vous dites ». 321 »

Les relations de camaraderie sur lesquelles s’arrêtent les témoins ont été annihilées par les
auteurs des massacres.

Le domaine scolaire est sans cesse évoqué, notamment dans le cas de Shalom Ntahobali qui était
étudiant à l’époque. Contrairement à sa mère, Shalom Ntahobali demeure plutôt anonyme dans la
préfecture. Sa réputation s’accroit en effet seulement au moment du génocide lorsqu’il devient un
des chefs de file des miliciens Interahamwe. Sa « notoriété » récemment acquise répand peu à
peu son aura au sein de la population. Il est d’autant plus reconnaissable qu’il semble être l’un
des très rares Rwandais à porter ce prénom d’origine hébraïque.
320
321

CRA 29 mai 2002,témoin SJ, p58-60.
CRA 29 mai 2002, témoin SJ, p31.

112

Le réseau de sociabilité dont il dispose est donc moins vaste et se fonde sur des liens classiques
chez les jeunes de son âge. Il se vante sans cesse d’avoir des amis aussi bien Hutu que Tutsi et
d’avoir entretenu de bonnes relations avec toute la population durant le génocide. Le thème de
l’harmonie passée est récurrent. Nous avons vu qu’il existe une forte solidarité locale dans la
province et que la taille de la ville fait que les différents protagonistes des audiences entretenaient
des relations de voisinage au sens large. Shalom Ntahobali, enfant de Butare, insiste lui-même sur
ces sociabilités locales :
« Je suis né et j’ai grandi dans la ville de Butare, et j’ai fait une partie de mes études secondaires
dans cette ville. Ensuite, nous avons habité cette ville. Je connaissais donc les gens de Butare, et
plus particulièrement les gens de ma génération. 322 »

Le témoin TG appartient à la génération évoquée par Shalom Ntahobali. A la barre il dit avoir
fréquenté le même groupe scolaire. Alors que l’accusé était en première année, lui-même
poursuivait sa sixième année. Dans sa déclaration écrite du 4 décembre 1996323 il explique même
avoir été son ami. WCQME se remémore son ancien camarade d’université ainsi :
« Ce que je peux dire, Shalom, depuis que je l’ai connu, même à ce moment-là, il avait tout le
temps le sourire sur les lèvres, il avait du charme, il... en tout cas, il restait toujours le même.324»

Certains témoignages attestent du fait que ces anciennes sociabilités entre les génocidaires et
leurs victimes aient pu rendre les tueries plus efficaces. TQ raconte par exemple devant la
chambre comment il a été intercepté par Shalom Ntahobali au barrage de l’hôtel Ihuliro alors
qu’il était accompagné d’une femme tutsi. TQ avait conseillé à la femme de ne pas présenter sa
carte d’identité où son ethnie figurait. Mais Shalom Ntahobali a insisté parce qu’il savait que
cette femme était Tutsi. Les manœuvres pour dissimuler son identité ne fonctionnent donc pas
face à l’interconnaissance. Cependant, Shalom Ntahobali a cédé aux négociations de TQ qui a
continué à soutenir que cette femme faisait partie de sa famille. TQ savait que si cette femme
était identifiée comme tutsi elle n’aurait pas pu franchir le barrage325.

Ces liens d’amitié concernent également les autres accusés, ce qui participe à la création d’un
vaste réseau mobilisé au sein du TPIR.

322

CRA 25 mai 2006, Ntahobali, p42.
Déclaration du témoin TG, 4 décembre 1996, communiquée le 4 novembre 1998.
324
CRA 13 décembre 2005, témoin WCQME, p65.
325
CRA 7 septembre 2004, témoin TQ, huis clos, p12-13.
323

113

Le témoin QAQ, tutsi et ancien fonctionnaire de la commune de Muganza raconte à la barre qu’il
a connu Elie Ndayambaje lorsque celui-ci était en sixième année de l’enseignement primaire. Il a
ajouté que jusqu’à la survenue des événements de 1994, ils avaient été amis et qu’ils se rendaient
régulièrement des visites à leurs domiciles respectifs326.
Des expériences partagées au service d’un récit commun
Les témoins, entre eux, se fréquentaient. Témoins de la défense et de l’accusation se sont côtoyés.
Les témoins à décharge sont d’ailleurs souvent présents pour tenter de décrédibiliser les témoins
à charge en usant de leur ancienne proximité.
Le témoin à décharge de Pauline Nyiramasuhuko WZNA était par exemple la voisine du témoin
FAE, témoin à charge qui a vu Pauline Nyiramasuhuko distribuer des préservatifs aux miliciens
en juin 1994. Il donne des indications biographiques sur FAE, avançant que celle-ci était Tutsi
alors que son compagnon était Hutu et qu’ils avaient six enfants. Il la décrit aussi, comme n’étant
pas très grande, de teint foncé et âgée d’entre 30 et 36 ans environ. Il dit s’être rendu chez FAE à
plusieurs reprises entre avril et juillet 1994. Quand il passait devant la maison il la voyait parfois
à l’intérieur avec ses enfants. Son témoignage tend à décrédibiliser celui de FAE puisque WZNA
affirme que de la salle de séjour de FAE on ne pouvait pas voir la rue327. Ces anciennes
sociabilités sont donc utilisées par la défense. Elles permettent aussi de recréer la topographie de
la ville.
En effet, la distance concrète et abstraite entre Arusha et Butare peut être appréhendée au sein de
l’institution et représente un obstacle. Seuls les récits apportent une dimension concrète aux actes
perpétrés. Les témoins rappellent d’ailleurs leur origine et leur connaissance des lieux. Leur
réaction face aux questions de la défense rétablit les hiatus inévitables causés par cette distance :

Me MWANYUMBA [avocate de Shalom Ntahobali]:
«. Madame le Témoin SS, connaissez-vous l’existence de la route qui part de l’hôpital, du côté de
la maternité ?
Témoin SS :
Que l’on se comprenne très bien. Peut-être quand vous me regardez, dans mon état actuel, vous

326
327

CRA 11 novembre 2002, témoin QAQ, huis clos, p92.
CRA 4 avril 2005, témoin WZNA, p38-39.

114

pensez que je ne connais pas Butare ou, tout simplement, vous voulez que mon sang reste ici, sur
cette terre !328 »

Les victimes, surtout, se connaissent et elles entretiennent entre elles des relations familiales ou
d’amitié. Rappelons par exemple que les témoins SU et SS sont sœurs. Souvent elles étaient
présentes sur les mêmes lieux de massacre et se sont donc fréquentées au moment des faits.
La chambre s’appuie à son tour sur ces sociabilités. Ainsi quand il s’agit de juger l’assassinat de
la famille Mbasha par Shalom Ntahobali, elle écoute avec attention les propos du témoin
WKKTD, une amie proche de cette famille. WKKTD renseigne la chambre sur le nombre
d’enfants de la famille (deux âgés de 7 et 10 ans) ainsi que sur leur sexe (des filles). Ces
renseignements sont indispensables à la chambre puisque celle-ci ne peut statuer que sur des
crimes extrêmement précis qui nécessitent une précision que de simples témoins de visu ne
peuvent donner. La déposition sur la famille Mbasha du témoin TK n’est en effet pas assez
précise et c’est en faisant appel à WKKTD que la chambre peut juger de ce crime. Il est essentiel
que les noms des victimes ainsi que les dates soient fournis. Quand il s’agit de familles ou
d’individus décédés, les témoins appelés à la barre sont toujours d’anciennes connaissances,
seules à pouvoir porter au grand jour les récits de la mort de leurs proches disparus.
Ces liens entre les témoins/victimes sont certainement accentués par le fait qu’ils se regroupent
souvent au Rwanda dans des associations de rescapés comme Ibuka ou Avega où ils peuvent
partager leurs expériences. Ces associations sont d’ailleurs des lieux où la nécessité de témoigner
au TPIR s’est fait connaitre et qui a permis de trouver des témoins.

La chambre doit donc prendre en compte ces anciennes sociabilités et chercher à les appréhender
avec justesse. Si, comme nous l’avons vu, la proximité entre les accusés et les témoins à
décharge, desservent les récits de ces derniers, la proximité attestée entre victimes et bourreaux
apparaît au contraire comme un facteur de crédibilité.

Une prise de parole parfois risquée
Cette proximité entre les différents protagonistes peut aussi être un facteur de complication dans
le déroulement des audiences. En effet, comme tous se connaissent, il est difficile de ne pas
dévoiler l’identité d’une personne mentionnée. Or, comme la protection des témoins est très
328

CRA 11 mars 2003, témoin SS, p16.

115

faible une fois de retour au Rwanda, leur anonymat doit être préservé. Le témoin RE par exemple
exprime ses craintes :
Témoin RE :
« R.

Non, je comprends la question, mais j’estime que si je dis que j’étais avec ma sœur, cela
pourrait révéler mon identité.

Q.

Madame, je vous demandais, tout simplement, sans mentionner le prénom de votre sœur,
s’il est vrai que vous étiez, au cours de cette période, avec l’une ou l’autre de vos sœurs,
Madame ; est-ce que c’est vrai ?329 »

D’où les nombreuses audiences à huis-clos afin de protéger l’identité des témoins et de leur
famille. Ceci est valable pour les victimes comme pour les anciens bourreaux, puisque certains
témoins sont en prison pour crime de génocide, et leur témoignage pourrait les mettre en danger.
D-2-13-D, témoin à décharge de Kanyabashi, détenu hutu, affirme à la barre que le témoin FAC
appartient à un groupe de la prison de Butare qui cherche à incriminer Joseph Kanyabashi. Il
évoque des intimidations de la part de ce groupe, venu dans sa cellule pour l’amener à témoigner
contre l’accusé330.
Il en est de même pour le témoin RE, lui-même incarcéré, qui témoigne contre Shalom
Ntahobali :
Mme ADEBOYEJO :
Q.

« Madame le Témoin, vous avait-on promis quelque chose en récompense de votre
témoignage devant cette Chambre… ou forcé à venir témoigner devant cette Chambre ?

R.

Non, ni l’un ni l’autre.

Q.

Témoin RE, avez-vous été l’objet d’une quelconque menace lorsque vous avez décidé de
venir déposer devant la Chambre de céans ?

R.

Non, personne n’a su que je devais venir ici.331 »

Certains témoins sont des sauveurs, ceux qu’on appelle Indakemwa au Rwanda. D’autres
présentent des profils plus nuancés. Nous avons déjà évoqué le témoin TQ, hutu, lui-même jugé
pour crime de génocide au Rwanda, qui sauve la femme tutsi qui l’accompagne. En effet, il
explique avoir vu au barrage Shalom Ntahobali et d’autres miliciens soulever un cadavre pour
329

CRA 24 février 2003, témoin RE, p44.
CRA 30 août 2007,témoin D-2-13-D, huis clos, p52-53.
331
CRA 24 février 2003, témoin RE.
330

116

ensuite le jeter dans une rigole où étaient déjà entassés une dizaine de corps332. Une question se
pose, concernant ce témoignage : le fait que le témoin TQ soit hutu a-t-il un impact sur la
réception de son témoignage ? La chambre est-elle plus encline à accorder du crédit à des
témoins hutu qui attestent du génocide des Tutsi ? Dans ce cas précis, la chambre fait remarquer
que TQ, qui avait été incarcéré pour génocide puis acquitté et libéré en 2004, n’a aucune raison
de mettre en cause les accusés puisqu’il a été acquitté avant sa déposition au TPIR. Elle ajoute
qu’il est lui-même hutu333, montrant ainsi que l’origine « ethnique » des témoins n’est guère
anodine.
Les différents réseaux en vigueur au moment du génocide se recréent donc à Arusha, et se voient
même complexifiés par la nécessité du jugement.

« Vérité et Condamnation »
D’anciens bourreaux et des victimes se succèdent et se croisent donc à la barre. Mais la longueur
des audiences rend impossible toute véritable proximité entre les différents acteurs du procès. La
polyphonie des récits qui entourent Pauline Nyiramasuhuko doit être replacée dans ce contexte
institutionnel précis. Avec onze ans d’audience et 130 témoins à décharge et 59 témoins à charge
entendus, l’individu et sa place dans le réseau a tendance à se perdre. Pour prouver la massivité
des crimes commis, l’individualité est indispensable mais se retrouve comme noyée. Chaque récit
se construit en fonction d’une fin précise : le jugement. L’idée d’une déclinaison des comités
« Vérité et Réconciliation » n’est donc pas pertinente et est même absente des résolutions du
TPIR, tout comme dans celles du traité de Rome qui en 2001, établira la Cour Pénale
Internationale. Les témoins savent qu’ils sont ici pour participer à la condamnation des anciens
génocidaires. Les relations passées n’existent plus et ont été détruites. Le pardon, la
compréhension ne font pas partie des prérogatives du TPIR. La réconciliation n’a par ailleurs
aucune force contraignante. La parole s’arrête à la construction d’un récit global du génocide et
ne sert jamais à une quelconque fin thérapeutique, même si, comme nous avons pu le voir, elle
peut revêtir cette fonction. Le lien entre accusés et victimes est ressuscité le temps de l’audience
pour ensuite en faire table rase. D’où ce paradoxe, dans le cas du génocide des Tutsi, dans le fait
que le caractère massif et général des massacres n’ait pu advenir qu’avec l’implication
d’individus spécifiques et la mobilisation de leurs propres réseaux. La transposition en vigueur au
TPIR s’insère donc dans un cadre institutionnel où les réseaux de sociabilité bien réels et
332
333

CRA 7 septembre 2004, témoin TQ, huis clos, p12-13.
CRA, 6 septembre 2004, p. 29 à 31 (huis clos)

117

remobilisés sont totalement reconstruits. Chaque témoin doit insérer son récit au sein d’une
histoire commune et encadrée.
La singularité de chaque expérience n’a pas sa place. Surtout, ces contacts, essentiels pour
comprendre le génocide de 1994, sont inexistants au sein du prétoire. Aucune communication
directe n’est possible entre témoins et accusés et toute parole se transmet par le biais
d’intermédiaires.
Deux logiques contradictoires s’opposent donc quant à la question des responsabilités : une
logique mettant en avant un récit commun jugé nécessaire qui privilégie la responsabilité à
l’échelle du groupe et une logique centrée sur la responsabilité individuelle. D’où deux
conceptions de la justice et de la vérité : « : l’une pensée à l’échelle familiale et locale, fondée
sur l’expérience personnelle, l’autre, qui mobilise le droit international, les procédures
judiciaires caractérisées par la culture de la preuve334»
Du point de vue des victimes, l’identité se présente comme une identité narrative335 construite,
par l’histoire et à travers les relations sociales par rapport aux autres discours présents. On peut
ici reprendre la notion théorisée par Paul Ricœur qui s’adapte très bien à la façon lacunaire dont
l’histoire individuelle des témoins est perçue par la chambre : ce manque provient du fait que les
juges ne prennent pas en compte « le fait que la personne dont on parle, que l'agent dont l'action
dépend, ont une histoire, sont leur propre histoire 336». En somme, le récit que les témoins livrent
est une manière de se définir soi-même par rapport à l’évènement.
Témoigner devient en effet un devoir pour les témoins/victimes, une sorte de revanche à l’égard
des accusés auxquels ils font face lors du procès.
Si les réseaux de sociabilité ont existé et existent dans les souvenirs et les récits, ils ne seront plus
amenés à être renouvelés, puisque les accusés seront tenus éloignés des victimes soit par la prison
soit géographiquement puisque tout retour au Rwanda est impossible. Les commissions « Vérité
et Réconciliation » qui consistent à faire advenir le pardon par le seul acte de langage s’ancrent
donc dans une logique différente. Au TPIR, l’acte de langage ultime demeure encadré dans un
processus de condamnation, où l’expérience individuelle et la souffrance causée par les accusés
ne sont pas prises en compte du point de vue de l’intime. Si la parole est, comme on n’a pu le
334

I.Delpa La justice des gens. Enquêtes dans la Bosnie des nouvelles après-guerres, Rennes, Presses Universitaires
de Rennes, 2014 (Res Publica), p287.
335
P. Ricoeur Soi-même comme un autre, Seuil, 1990. « Les tests de sincérité, comme on le dira plus à loisir dans le
cadre de l'étude consacrée à l'identité narrative, ne sont pas des vérifications, mais des épreuves qui se terminent
finalement dans un acte de confiance, dans un dernier témoignage, quels que soient les épisodes intermédiaires de
suspicion », p91.
336
Ibid p137.

118

voir, salvatrice ou thérapeutique, ce n’est pas dans la relation renouvelée avec l’accusé que ces
vertus s’expriment.
En ce qui concerne la place des victimes, en tant que témoins, dans les rouages du dispositif
judiciaire, le témoignage nécessite d’être considéré comme un objet social, entre sens de la
justice et réseaux de sociabilité. Témoigner est un acte significatif par rapport à une institution
judiciaire, qui, bien que lointaine et aux méandres souvent inconnus, est perçue comme
nécessaire.

La relation qui unie donc témoins et accusés demeure extrêmement complexe et l’enjeu de leur
témoignage difficile à appréhender. Pauline Nyiramasuhuko s’ancre au cœur du réseau de
sociabilité en vigueur à la fois à l’époque et qui renait dans le prétoire. Mais contrairement aux
tribunaux gacaca qui cherchent d’une certaine manière à rétablir ces réseaux et une certaine
proximité, c’est la distance qui semble ici s’instaurer. Si les témoins construisent un récit c’est
pour éloigner davantage Pauline Nyiramasuhuko et les autres co-accusés de Butare. On a ici une
proximité ancienne qui tend à être annihilée. La proximité effective s’ancre dans un désir de
jugement et de condamnation qui relègue cette proximité au passé.

119

CHAPITRE 9 : Les accusés : une famille politique en décomposition

Au cœur de ces réseaux de sociabilité évoqués jusqu’ici, on trouve celui formé par les six coaccusés. Leur origine géographique n’est pas la seule raison pour laquelle le TPIR a choisi de
regrouper leur cas en un seul procès. Ils ont entretenu des relations complexes qui ont très
largement dépassé leurs liens politiques. Les affects doivent être un objet particulier d’attention
au sein de ce réseau hiérarchique dont Pauline Nyiramasuhuko représente l’élément central.
Différentes échelles se recoupent et s’imbriquent : nationales, régionales, communales mais aussi
différentes sensibilités communautaires (politiques, personnelles voire familiales). Toutes ces
relations ne sont pas apaisées, et, comme dans toute famille politique, la concurrence tient un rôle
majeur.
Le procès tente de remobiliser ce réseau afin d’analyser le plan génocidaire établi et mené de
concert par les six co-accusés dans la préfecture. Mais l’écriture de ce récit global se heurte aux
stratégies individuelles des différents protagonistes.
Ces anciennes figures des arcanes du pouvoir butaréen se voient jugées au nom de leur
encadrement commun du génocide, mais les liens qui les unissaient, bien que remobilisés au nom
d’une certaine solidarité, sont malmenés lors des audiences.

Au-delà de ces questions de défense, Pauline Nyiramasuhuko ne doit pas être considérée comme
un cas isolé mais comme le maillon d’un système politique encadré et encadrant. La famille
politique locale à laquelle elle appartient et dont les liens hiérarchiques sont analysés au cours du
procès fonctionnait comme un groupe et c’est son influence au sein de ce réseau qu’il faut
appréhender.
La monstruosité de ses actes s’est exprimée dans un contexte précis que la présence de ses coaccusés permet de mieux cerner. Les actes pour lesquels elle est jugée la lient directement au
groupe des co-accusés ou dans certains cas à l’un d’eux en particulier. Il convient donc de décrire
ce réseau qui, fonctionnel en 1994, se décompose à Arusha, dans un cadre où il s’agit avant tout
de sauver « sa peau » et où chaque accusé n’hésite pas à rejeter la responsabilité sur les autres.
Pauline Nyiramasuhuko est ainsi leur principal « bouc-émissaire » puisqu’en tant que ministre
membre du gouvernement intérimaire elle se trouvait au sommet de la chaîne de commandement
alors que les autres se perçoivent en position d’infériorité hiérarchique et donc se dédouanent en
tant

que

simples
120

exécutants.

Pauline Nyiramasuhuko ne se range pas à cette stratégie défensive.

Ses co-accusés – à

l’exception de Shalom Ntahobali – sont donc plus loquaces et ne s’enferrent pas dans une
négation totale du génocide. Ils cherchent plutôt à rejeter leur responsabilité individuelle.

Un procès collectif justifié

En ce qui concerne leurs affinités politiques, la plupart sont, comme Pauline Nyiramasuhuko,
d’anciens membres du MRND. Joseph Kanyabashi, bourgmestre de Ngoma, représente lui aussi
le parti présidentiel, tout comme Elie Ndayambaje, bourgmestre de Muganza en 1994. Sylvain
Nsabimana est lui un membre du PSD, est a d’ailleurs été choisi à ce poste pour attester de
« l’ouverture » du gouvernement intérimaire. Alphonse Nteziryayo apparaît lui comme un peu à
part du reste du groupe puisqu’il était commandant de la police militaire et responsable de la
défense civile pour Butare. Mais d’autorité militaire il passe aussi à autorité civile en devenant le
représentant du pouvoir exécutif dans la préfecture de Butare à partir du 17 juin 1994 quand il
remplace Sylvain Nsabimana.
Tous sont nommés par le gouvernement intérimaire et exercent une autorité avérée sur les civils
de la préfecture. Leurs actes d’accusation précisent tous qu’en tant que « dirigeants civils et
militaires du pays [ils] ont pris conscience de la situation particulière qui régnait à Butare.337 »
Plus loin, on lit : « L'ensemble de la Préfecture de Butare fut le théâtre de massacres de la
population Tutsi, auxquels ont participé Pauline Nyiramasuhuko, Elie Ndayambaje, Sylvain
Nsabimana, Alphonse Nteziryayo, Joseph Kanyabashi 338». Pour l’accusation, l’ensemble des
accusés a agi de concert : « Les massacres et les agressions ainsi perpétrés furent le résultat
d'une stratégie adoptée, élaborée et mise en exécution par des autorités politiques, civiles et
militaires du pays, tant au niveau national que local, dont Pauline Nyiramasuhuko, Shalom
Arsene Ntahobali, Joseph Kanyabashi, Elie Ndayambaje, Alphonse Nteziryayo qui se sont
entendues pour exterminer la population Tutsi.339 ». Au-delà de la responsabilité individuelle,
c’est avant tout un groupe qui est jugé. Loin d’apparaître avant tout comme « monstrueuse », PN
est surtout partie d’un système.

337

Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 6.20
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 6.39
339
Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, par 6.52
338

121

Cette « monstruosité » est cependant invoquée par certains co-accusés qui la désignent comme
étant le « cerveau du groupe ».
C’est pourtant la convergence des différents échelons de l’administration locale qui a permis
l’exécution du génocide à Butare. En témoigne par exemple cet ancien sous-préfet : « Les
populations vivaient en harmonie jusqu’à ce que les responsables administratifs viennent les
conscientiser pour se débarrasser de leurs ennemis340.» Il mentionne également le transport
massif d’Interahamwe de Kigali vers Butare, organisé de concert par les différents accusés.

Des massacres organisés de concert

Au titre des preuves avancées pour rendre compte de la concertation entre les accusés afin de
déclencher les massacres à Butare, figurent les multiples réunions auxquelles ils participèrent sur
l’ensemble du territoire de la préfecture. Figurent surtout les discours prononcés et entendus qui
témoignent de la cohérence idéologique.

En effet, si victimes et accusés ne parlent pas toujours le même langage, les accusés entre eux
appartenaient aux mêmes milieux et partageaient les mêmes codes. Quand le terme
« pacification » était évoqué, il n’y avait aucun doute pour eux sur sa signification : il s’agissait
d’exécuter les massacres dans un cadre plus organisé et donc plus efficace. Ces réunions sont les
lieux où le génocide a été décidé.
Nous pouvons à ce titre étudier plus précisément l’une d’elles tenue entre les deux
accusés Pauline Nyiramasuhuko et Sylvain Nsabimana, le 18 avril 1994. Elle a mené à l’un des
massacres les plus connus de l’affaire : celui du stade de Mutunda, dans la commune de Mbazi.
Cet épisode est fréquemment repris par la presse. Dans un article bien documenté du New York
Times, la scène est ainsi décrite par un témoin :
« Peu après l’arrivée de Pauline en ville, des voitures surmontées de haut-parleurs parcouraient
les petites routes autour de Butare en annonçant que la Croix-Rouge s’était installée dans un stade
non loin de là pour fournir nourriture et asile à la population. Le 25 avril, des milliers de Tutsis se
rendirent dans ce stade. C’était un piège. Au lieu de trouver nourriture et abri, les réfugiés furent
encerclés par les Interahamwe, de violents maraudeurs hutus dont le nom signifie “ceux qui
attaquent ensemble”. Selon un témoin, Pauline, qui avait 48 ans à l’époque, supervisait la scène.
340

A. Guichaoua, Les Politiques du Génocide à Butare, Karthala, 2005, p254, témoignage d’un un ex sous-préfet de
er
Butare, entretien du 1 février 2002.

122

Elle encourageait les Interahamwe et donnait des ordres en ces termes : « Avant de tuer les
femmes, vous devez les violer”, témoigne Foster Mivumbi, qui a confessé sa participation au
massacre. Des femmes tutsies furent alors sélectionnées parmi la foule du stade et emmenées dans
les fourrés pour être violées, se souvient Mivumbi. Sur le stade, Pauline agitait les bras et
observait sans rien dire les Interahamwe qui mitraillaient les réfugiés et leur lançaient des
grenades. Les Hutus achevèrent les survivants à la machette. Cela dura une heure et se termina à
midi. Pauline, raconta Mivumbi, resta jusqu’à l’arrivée d’un bulldozer qui commença à empiler les
corps pour les enterrer dans une fosse voisine.341»

Ce massacre a eu lieu le 25 avril 1994. Pauline Nyiramasuhuko s’est rendue dans la commune
afin d’y arranger l’envoi de militaires pour faire face aux « attaques » de « l’ennemi », les
« infiltrés tutsi du FPR ». Sylvain Nsabimana et Pauline Nyiramasuhuko sont tous deux
originaires de cette commune. Le préfet ne semble pas s’étonner de cette ingérence de la ministre
qui décide à sa place de « rétablir l’ordre » dans la commune. Le lien de subordination d’une
ministre sur un « simple » bourgmestre se trouve ici placé en exergue. Seule Pauline
Nyiramasuhuko aurait été l’instigatrice du massacre, Sylvain Nsabimana demeurant en retrait.
Voici la ligne de défense adoptée.

Sans doute parce qu’il est l’unique accusé à ne remplir aucune fonction officielle, Shalom
Ntahobali est poursuivi et jugé pour des actes d’une extrême gravité, également commis avec la
complicité d’autres accusés.
Mentionnons ainsi les crimes commis à l’Eglise Evangéliste du Rwanda342 et à l’hôpital
universitaire343de Butare avec Joseph Kanyabashi, ou encore l’enlèvement des enfants d’un
groupe de réfugiés accompagné d’Alphonse Nteziryayo.
D’autres évènements ont lié directement l’ensemble des accusés du procès Butare, notamment les
crimes commis au bureau de la préfecture344, principal lieu de pouvoir dans la région.

341
P. Landesman, « Le viol comme méthode de génocide au rwanda. Pauline Nyiramasuhuko, la barbarie au
féminin », The New York Times, 1 er octobre 2003. Publié en français sur le site du Courrier International :
http://www.courrierinternational.com/article/2002/11/14/pauline-nyiramasuhuko-la-barbarie-au-feminin.
342

TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant
condamnation, par.3.6.36 École évangéliste du Rwanda (« EER ») de la mi-mai au début juin 1994, p1158-1200.
343

TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
3.6.17 Hôpital universitaire de Butare (avril et mai 1994), p643-655.
344
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant condamnation,
3.6.21 Réunions tenues au bureau de la préfecture de Butare d’avril à juin 1994, p891.

123

Les actes d’accusation de tous les accusés allèguent que le bureau de la préfecture de Butare était
« le lieu où se tenait des réunions entre certains des principaux responsables de la préfecture et
leurs subordonnés 345».

De nombreux témoins ont déclaré avoir vu Nyiramasuhuko participer à des réunions au bureau de
la préfecture, sans toutefois fournir de dates précises. Pauline Nyiramasuhuko y a rencontré
Joseph Kanyabashi et différentes autres personnalités de premier plan comme le président
Sindikubwabo, pour planifier le massacre des Tutsis. L’effectivité de ces réunions apparaît
clairement si l’on songe que les tueries furent perpétrées dans leur immédiat après-coup. Ces
conciliabules répétés visaient bel et bien à organiser les massacres.
En dépit de ces crimes menés de concert sur lesquels nous venons d’insister, les accusés se
défendent de toute collaboration. Cette attitude n’est pourtant pas systématique. Dans de
nombreux cas, les témoignages des accusés appuient la version de leurs co-accusés. Par exemple,
Sylvain Nsabimana déclare à la barre n’avoir jamais entendu Kanyabashi en appeler à la
population pour qu’elle débarrasse Ngoma des « ennemis », pas plus qu’il ne l’avait entendu
demander que les jeunes reçoivent une formation militaire346.

Des solidarités politiques reniées au TPIR
Mais le procès met à mal cette organisation pourtant bien huilée à l’époque des faits. Les
défenses des différents accusés se concentrent sur le rejet de la responsabilité du génocide sur
Pauline
«Kanyabashi était impuissant »,

Nyiramasuhuko.
plaide Me Marchand

l’avocat de Joseph Kanyabashi.

« Quel pouvoir avait le bourgmestre (maire) Kanyabashi qui n’a même pas pu empêcher la mort
de ses proches ? D’autres autorités ont pu protéger des amis ou des proches de l’ethnie tutsi », a
fait encore remarquer Me Marchand. Il fait référence aux membres de la belle-famille de
l’accusé, tués à l’église de Ngoma. Il décrit encore Joseph Kanyabashi comme « un figurant »
face à de « toutes puissantes forces génocidaires », dont Pauline Nyiramasuhuko est une
représentante. Sa stratégie de défense consiste à se poser en victime mais, contrairement à
345
346

Acte d’Accusation de Nyiramasuhuko et Ntahobali, Kanyabashi, Nsabimana, Nteziryayo, Ndayambaje, par.6.43.
CRA 20 novembre 2006, Nsabimana, huis clos, p65-68.

124

l’ancienne ministre qui utilise une manœuvre similaire, Joseph Kanyabashi se présente en simple
exécutant et ne nie pas la réalité du génocide. Il se démarque donc de sa co-accusée et la replace
au sommet de la pyramide hiérarchique à l’origine du génocide. Me Marchand présente son client
comme un bon bourgmestre, victime de ses supérieurs hiérarchiques, « aimé de sa population
durant vingt ans », « profondément marqué par le génocide » et dont le profil s’oppose à celui
de Pauline Nyiramasuhuko, décrite comme étant la détentrice du pouvoir dans la préfecture alors
que « « Malheureusement, ce dont [Joseph Kanyabashi] était capable en temps normal fut réduit
à zéro à compter du moment où les forces génocidaires ont décidé de mater la ville de Butare qui
avait jusque-là résisté tant bien que mal à la folie meurtrière qui avait déjà atteint plusieurs
préfectures et même certaines parties de la préfecture de Butare347». Il se détache du groupe et
renie ce réseau dont il faisait partie en 1994. Alors que ce dénominatif de Kanyabatutsi « ami des
Tutsi » qui le qualifiait avant 1994 était perçu de manière péjorative, Joseph Kanyabashi le fait
valoir pour sa défense. Il est une preuve de son amitié profonde pour les Tutsi. En réalité, ses
bonnes relations avec les Tutsi étaient avant tout d’ordre commercial.
Elie Ndayambaje, l'ancien maire de Muganza, use d’une tactique similaire à celle de Joseph
Kanyabashi en reniant totalement sa participation au réseau remobilisé lors du procès « Butare ».
Il choisit démentir radicalement toute collaboration avec les autres accusés. Il met en avant son
rôle d’autorité civile, demandant à la chambre comment un civil aurait pu aider un colonel à
entraîner des milices et à distribuer des armes348.

Ce réseau de sociabilité effectif qui apparaît comme extrêmement fort et soudé en 1994 se
désagrège donc au sein du prétoire. Les liens se dénouent au nom des stratégies de défense
individuelles. Mais Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali font figure d’exception et ne se
rallient pas à cette dynamique. Dans la mesure où ils nient l’existence même du génocide, il
apparaîtrait paradoxal de dénoncer la participation de leurs co-accusés à un tel crime.
Désignés comme les véritables responsables des massacres par leurs co-accusés, la défense du
duo souffre de ces manœuvres.
Shalom Ntahobali l’exprime d’ailleurs à la barre en insistant sur les liens qui unissaient sa mère
et lui-même aux autres accusés. Liens qui dépassaient le strict cadre professionnel et qui, mis à
mal lors du procès, font l’effet d’une trahison :
347
348

Fondation Hirondelle- Agence de Presse Hirondelle à Arusha TPIR, News, 10 juillet 2007.
Fondation Hirondelle- Agence de Presse Hirondelle à Arusha TPIR, News, 18 novembre 2008.

125

Me MARCHAND [avocat de Joseph Kanyabashi]
« Et je vous retourne les mêmes allégations, Monsieur Ntahobali, en vous disant que lorsque vous
êtes dans le trouble, vous cherchez n’importe quoi pour accuser Monsieur Kanyabashi sur des
fausses allégations, comme les deux dernières que vous venez de faire.
Alors, Monsieur Ntahobali, je vous suggère que lorsque vous avez de la difficulté à répondre aux
questions, votre voie de sortie, c’est de tenter de salir Monsieur Kanyabashi, comme vous venez de
le faire en disant deux choses qui sont fausses, à savoir la présence des deux fils de Monsieur
Kanyabashi à des barrages.
Shalom Ntahobali :
Je dois vous dire que je considère Kanyabashi Joseph comme un parent à moi. Je l’ai connu
lorsque j’étais encore petit. Joseph Kanyabashi a été notre voisin, il est très ami « à » mes parents,
il était présent lors de mon mariage et était parmi les hôtes de marque. Il peut vous le dire, il est
assis à côté de vous.
Le problème est né lorsque vous, Maître Marchand, vous lui avez promis de le sortir d’ici à
condition qu’il développe une haine contre nous. Moi, je n’ai pas de haine contre Kanyabashi, il le
sait très bien. Mais vous êtes en train de faire de la comédie devant cette Chambre, et vous lui avez
dit que, pour sortir de cette Chambre, il fallait faire cette comédie pour démontrer aux Juges que
nous ne nous connaissions pas. 349 »

Shalom Ntahobali pointe ici du doigt la stratégie des avocats et préfère s’en détacher. Il s’emploie
à montrer que Joseph Kanyabashi était un bon ami de la famille et qu’il cherche donc pas à
aggraver son cas. Pourtant, Shalom Ntahobali, tente bel et bien de l’impliquer comme par
exemple lorsqu’il se réfère à la famille de Joseph Kanyabashi dans les massacres commis aux
barrages routiers :
« Et dans la commune de Ngoma, il n’y avait pas qu’un seul barrage routier, il y en avait
beaucoup d’autres. Et si vous voulez que je vous le dise, je vous dirai que le barrage de Mpare
était contrôlé par un fils de Kanyabashi qui s’appelle Patrice et qui était un infirme ; quant à celui
de Rango, il était contrôlé par son fils Uwizeye… Uwizeye Éric, et cet Éric est parmi les personnes
qui apprenaient aux autres personnes le maniement des armes à feu 350 »

Cette mention des fils d’un co-accusé montre l’implication non seulement d’un réseau politique
349
350

CRA 25 mai 2006, Ntahobali, p18.
CRA 25 mai 2006, Ntahobali, p14.

126

mais aussi familial. Les fils de Joseph Kanyabashi, tout comme celui de Pauline Nyiramasuhuko,
ont en effet des rôles importants au sein des milices. Les accusés ont mobilisé leurs solidarités
familiales dans le cadre du génocide. Et ces membres de leurs familles se connaissaient et se
fréquentaient.
Les avocats, en cherchant à liguer les accusés les uns contre les autres, veulent démontrer les
liens de subordination et rejettent toute idée de relations affectives. Seules comptent les relations
verticales et non le tissu horizontal formé par la famille ou la camaraderie. Il s’agit de faire
diminuer les peines en montrant que leurs clients n’étaient pas, contrairement à Pauline
Nyiramasuhuko, membre du gouvernement intérimaire, des cerveaux du génocide. Cependant, si
Shalom Ntahobali rejette la faute sur les avocats, ces stratégies semblent validées par leurs
clients : Elie Ndayambaje explique par exemple devant les juges n’avoir jamais eu « aucun
contact étroit ni jamais travaillé avec l'une des cinq personnes jugées à ses côtés depuis juin
2001.351 ». En affirmant, cela il préfère instaurer une distance avec les autres accusés du procès et
atteste donc du fait que cet ancien réseau ne sera plus mobilisé, même le temps des audiences.

Sylvain Nsabimana, un personnage plus nuancé

Le cas du préfet Sylvain Nsabimana apparaît plus complexe dans ce procès aux allures
manichéennes. Personnage plus nuancé, plus « gris », Sylvain Nsabimana se montre coopérant
avec le TPIR et se présente en simple exécutant. C’est sans doute la raison pour laquelle il
n’hésite pas, lors de ses témoignages à rejeter la faute sur ses co-accusés. Ainsi, son récit se
détache-t-il du négationnisme si prégnant chez les anciens génocidaires.

Sylvain Nsabimana semble également être celui qui, parmi les accusés, a le plus collaboré avec
les observateurs extérieurs. Il se livre par exemple au témoin expert Alison Des Forges lors de
longs entretiens téléphoniques352. Pendant le génocide, il se confie également à des journalistes et
laisse des équipes télévisées filmer le bureau de la Préfecture. Alison Des Forges, dans son
rapport, écrit à ce titre que Sylvain Nsabimana cherchait à faire «bonne impression devant les
étrangers353 ». Cette attitude est justifiée par l’accusé lui-même dans son propre manuscrit,
utilisée comme pièce à conviction lors du procès, intitulé La Vérité sur les Massacres à Butare.
351

Fondation Hirondelle- Agence de Presse Hirondelle à Arusha TPIR, News, 18 novembre 2008.
Pièce à conviction P114, entretiens téléphoniques avec Alison Des Forges, mars 1996, référence TPIR document
IX, K0045090.
353
A. Des Forges (dir.), Aucun témoin ne doit survivre, Karthala, 1999, p675.
352

127

Ce rapport intègre une stratégie défensive, dont voici le sommaire :
« BUTARE N'A PAS ETE EPARGNEE
Comment je suis devenu préfet
LES DISCOURS SEDITIEUX A BUTARE
Ce qui s'est passe en réalité
CE QUE J'AI PU FAIRE
Lutte contre les injustices aux barrages routiers
Protection de 200 refugies tutsi
Evacuation de 1000 a1500 orphelins
Protection de religieux
MA DESTITUTION »

Ce passage « ce que j’ai pu faire » atteste de cette volonté de Sylvain Nsabimana de mettre en
valeur les actes de sauvetage qu’il a pu entreprendre. Il se présente comme un simple figurant, un
pantin aux mains des « planificateurs » comme il les qualifie lui-même. Il va dans le sens de la
chambre en dénonçant la réunion du 19 avril comme étant le moment déclencheur des
massacres : « Les massacres ont commencé à Butare à la suite de la réunion présidée par le
Président Sindikubwabo354 ». Il revient sur ses relations avec les journalistes de la BBC venus
filmer les réfugiés de la préfecture : « Les premiers journalistes que j'ai rencontrés (de BBC
PANORAMA) m'ont demandé si les réfugiés risquaient d'être tués au bureau préfectoral, Je leur
ai dit qu'aussi longtemps que je serai là ils seraient protégés. 355».
Plus que la situation générale, il vise directement ses co-accusés et anciens collaborateurs dans ce
« rapport ». Il écrit : « il y a eu des tueries aux barrages routiers en ville. Certains barrages
routiers étaient contrôlés par des militaires, d’autres par les Interahamwe ou les deux. Parmi les
barrages routiers les plus redoutables, il y avait celui qui était [établi] devant la maison du
recteur de l’Université, M. Ntahobari (sic.), et qui était sous le contrôle de son fils, Sharom (sic.)
…356». Il se pose ici clairement en accusateur. Pour résumer son attitude tout au long des
audiences, il est clair que Sylvain Nsabimana cherche à se démarquer du gouvernement
intérimaire et donc de Pauline Nyiramasuhuko. Alors que tous les accusés nient la violence des
354

Pièce à conviction P.113B, La vérité sur les Massacres de Butare, par Nsabimana, p. K0016634, p6.
Pièce à conviction P.113B, La vérité sur les Massacres de Butare, par Nsabimana, p. K0016634, p10.
356
Pièce à conviction P.113B, La vérité sur les Massacres de Butare, par Nsabimana, p. K0016634, p3.
355

128

discours prononcés par Jean Kambanda et Théodore Sindikubwabo le 19 avril, Sylvain
Nsabimana confie à Alison Des Forges : « A mon avis, les trois interventions incitaient à la
haine. C’était incendiaire357 ».

Les actes qu’il cite dans son rapport sont des actes de sauvetage qui attestent d’une certaine
distance vis-à-vis de l’idéologie génocidaire, ce dont Pauline Nyiramasuhuko ne peut se targuer.
Même s’il plaide non-coupable en invoquant sa subordination, son récit du génocide appuie celui
développé par le tribunal. En cela, ses témoignages sont particulièrement offensifs contre Pauline
Nyiramasuhuko. Alors que celle-ci nie en bloc, il la contredit sans cesse et atteste de ses
responsabilités. Les témoignages de Sylvain Nsabimana sont très circonstanciés quant au rôle
effectif de Pauline Nyiramasuhuko pendant le génocide.
Pauline Nyiramasuhuko adopte la même stratégie puisqu’elle dément toute responsabilité
spécifique liée à la préfecture de Butare. Ce qui s’est passé à Butare n’est donc pas de son ressort
et elle-même rejette les fautes sur son subordonné l’ancien préfet :
Mme Arbia [assistante du Procureur]
« Je vous suggère que vous n’avez rien fait pour vous enquérir de la situation de ces personnes qui
se trouvaient à la préfecture de Butare le 16 mai 1994 ?
Pauline Nyiramasuhuko :
R (…) C’est vrai que je le savais, mais je n’ai pas pris des notes car je savais que les autorités de
Butare maîtrisaient la situation, et les autorités de Butare n’ont jamais communiqué un problème
éventuel y afférent, sauf si elles ont parlé avec le ministre qui était chargé des réfugiés.358 »

Elle invoque donc un manque d’information qu’elle impute ici aux autorités butaréennes. Ce
processus de rejet de la faute les uns sur les autres au nom de prérogatives strictes liés à son poste
n’est pas compatible avec l’exercice très spécifique de son rôle de ministre en guerre que l’on a
pu étudier. Cette transgression des rôles est pourtant au cœur de ce réseau où chacun des coaccusés a largement dépassé ses prérogatives afin de créer un véritable réseau guerrier.
Pauline Nyiramasuhuko se trouve cependant limitée dans ces manœuvres de défense par sa ligne
conductrice : la négation du génocide. Comment rejeter la faute globale sur les autres quand cette
faute n’est pas censée avoir été commise ?

357

Sylvain Nsabimana, entretiens téléphoniques avec Alison Des Forges, mars 1996, référence TPIR document IX,
K0045090.
358
CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko, p10.

129

La « monstruosité » de Pauline Nyiramasuhuko est donc mise en avant par ses co-accusés même
s’ils l’associent non à sa personnalité mais à son statut hiérarchique. Si dans le groupe il y a un
monstre, une personne qui mérite d’être jugée, c’est bien elle.
Cependant ce portrait qui nous est livré doit être regardé avec distance puisqu’il résulte
entièrement de récits construits spécifiquement dans le cadre de la défense de chacun des accusés.
Pour autant, nous sommes face à une famille politique dont les liens se sont étiolés au cours du
procès. Les solidarités passées ne sont pas remobilisées à Arusha et si c’est le procès d’un groupe
signifiant, ce sont des récits individuels et non pas un récit global qui s’écrit. Les accusés n’ont
d’ailleurs pas écopé des mêmes peines, en raison justement de cette pyramide hiérarchique que le
procès met au jour. Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali sont les seuls à avoir été
condamnés à la perpétuité en première instance.
Leur implication dans les massacres est totale. En plus d’avoir tenu leur rôle respectif, ils l’ont
largement transgressé afin d’accroître l’efficacité du génocide.

La présence de ce groupe cohérent au sein du prétoire atteste du caractère planifié et systématique
du génocide. Elle rend compte, aussi, du rôle central joué par les élites locales dans son
exécution. Au sein de ce groupe figure PN. Elle apparaît comme un membre important mais non
unique d’un réseau politique structuré. Que de telles personnalités se trouvent au cœur du
processus décisionnel vient démentir avec force la représentation du génocide comme un
événement inexplicable, produit d’un brusque accès de colère populaire.
La société rwandaise de l’époque était extrêmement encadrée et le génocide se caractérise par
l’imbrication de différentes échelles de gouvernances, nationales et locales.

130

Conclusion

Pauline Nyiramasuhuko est-elle donc le monstre que l’on l’accuse d’être ? Criminelle insensible
ou mère de famille protectrice ? La polyphonie du procès nous empêche de trancher, tant les
portraits de la ministre présentés par les témoins sont nombreux et polymorphes. Le portrait de
Pauline Nyiramasuhuko apparaît complexe. Selon l’émetteur du discours et surtout selon son but,
condamner ou défendre, peuvent émerger tour à tour la ministre, la tueuse, la femme sans cœur
mais aussi l’ambitieuse, la femme polyvalente, la chef de guerre. Parallèlement à celle dont on
effleure l’intime à travers les témoignages à décharge : la mère, l’épouse, la sœur, la belle-mère.
Malade, concernée, sensible quand il s’agit des siens. Doit-on les opposer en cherchant à dégager
la « vraie » Pauline Nyiramasuhuko ? Comprises comme un ensemble, ces différentes facettes ne
131

s’opposent pas nécessairement et nous empêchent de ramener Pauline Nyiramasuhuko à une
monstruosité

essentialiste.

L’accusé répond, elle, à ces questions, puisque, au terme de onze ans de procès qui ont mené à sa
condamnation à perpétuité, elle continue à rejeter les accusations portées à son encontre, en
s’évertuant à nier son implication dans un génocide qui, pour elle, n’est qu’ « une histoire »
inventée par le procureur. Au nom de vices de formes de nature juridique, concernant notamment
la présentation d’éléments à charge par l’accusation, elle décide de conduire le procès en appel en
avril 2014. Si, au terme de la procédure en décembre 2015, ses perspectives d’avenir se résument
toujours à la prison, sa peine est tout de même diminuée à 47 ans d’emprisonnement. Son fils
profite des mêmes mesures.

Son implication dans le génocide est cependant prouvée et attestée et sa condamnation à
perpétuité par le TPIR la place dans le paysage des grands monstres de l’histoire condamnés pour
crimes de génocide et crimes contre l’humanité. Mais, l’historien n’est pas juge, c’est pourquoi
notre approche s’est essentiellement basée sur les transcriptions d’audience des témoins à charge
et à décharge pour déceler les représentations qui entourent et dont s’entourent Pauline
Nyiramasuhuko.
Si nous avions choisi de n’écouter que l’accusée, nous aurions pu faire le portrait extrêmement
stéréotypé de la bonne mère de famille, protectrice, fragile et sensible, avec en toile de fond un
négationnisme prégnant. Si ce tableau présenté par sa défense se révèle stérile d’un point de vue
factuel, le recours à cette mise en scène de son personnage nous renseigne cependant sur les
normes qui nous ont amené à évoquer sa « monstruosité ».
Si le terme peut paraître lui-même normatif, il est à concevoir en termes de déviance par rapport
aux valeurs morales que Pauline Nyiramasuhuko a détournées, transgressées, effacées puis
remobilisées.

Le parcours de Pauline Nyiramasuhuko nécessite d’être replacé dans le contexte politique et
idéologique de l’époque. Les « mécanismes de bascule » qui ont mené à sa volonté de détruire
l’ethnie tutsi font partie du système de pensée dominant. En tant que membre d’un gouvernement
génocidaire, elle s’insère au sein d’une élite politique tournée vers la violence. De même, la
façon dont, en tant que femme, elle a pris part aux violences ne se démarque en rien des
dynamiques générales d’un génocide dont les femmes ont été des actrices déterminantes. En
cherchant à contextualiser les crimes de Pauline Nyiramasuhuko, nous avons pu voir que,
132

paradoxalement, sa monstruosité nécessite d’être appréhendée dans sa normalité. Les normes
morales qu’elle mobilise au moment du procès n’étaient en effet plus en vigueur au moment du
génocide. Elles réapparaissent à Arusha, au nom d’un lien complexe qui se tisse entre les deux
évènements : celui d’une mémoire éminemment sélective.
Son parcours a donc été conçu en termes « d’inter-influences », d’où l’attachement à décrire son
rôle politique et les réseaux au sein desquels elle a évolué. Son cas est d’une certaine manière
symptomatique des grandes dynamiques du génocide à Butare. Pauline Nyiramasuhuko a
influencé ses contemporains autant qu’elle-même a été influencée par son époque.
La préfecture de Butare apparaît alors comme paradigmatique pour illustrer la manière dont les
autorités ont dû mobiliser tous les moyens politiques à leur disposition pour mener à bien les
massacres.
Pauline Nyiramasuhuko n’a en effet rien d’un « leader charismatique ». Le sociologue Max
Weber définit la domination charismatique comme étant : « l’autorité fondée sur la grâce
personnelle et extraordinaire d’un individu (charisme); elle se caractérise par le dévouement
tout personnel des sujets à la cause d’un homme et par leur confiance en sa seule personne en
tant qu’elle se singularise par des qualités prodigieuses, par l’héroïsme ou d’autres
particularités exemplaires qui font le chef. C’est là le pouvoir « charismatique » que le prophète
exerçait, ou — dans le domaine politique — le chef de guerre élu, le souverain plébiscité, le
grand démagogue ou le chef d’un parti politique.359 ». Or, si l’autorité de Pauline Nyiramasuhuko
était acceptée, reconnue et réelle, et la ministre crainte et respectée, celle-ci n’était pas adulée par
les foules.
C’est pourquoi la présence sur le banc des accusés d’autres représentants des autorités civiles
permet de montrer en quoi elle a fait partie d’un système. Le génocide à Butare ne peut être
compris sans l’influence de ces autorités locales et leur implication personnelle dans la
commission des massacres. C’est un « travail » qui a été mené de concert. Pauline
Nyiramasuhuko était au sommet de la pyramide décisionnelle mais c’est dans le cadre d’une
politique et d’un plan global que ses actes ont été déterminés. Comme elle, d’autres voisins,
d’autres camarades de classe, d’autres femmes, d’autres civils, ont pris les armes pour perpétrer
les massacres ou les ont encouragés. Tous les réseaux de sociabilité ont été mobilisés au nom des
tueries.
Les sources ont en effet tendance à enfermer le cas. Or, si Pauline Nyiramasuhuko est le symbole
359

M. Weber, Le Savant et le Politique, Plon, 1982.

133

de l’existence d’une violence féminine, elle n’en est pas l’unique représentante. Femmes
"ordinaires" et femmes de pouvoir se sont distinguées au moment du génocide. Par exemple la
ministre de la Justice Agnès Ntamabyaliro ou encore la présentatrice de RTLM Valérie Bémériki,
pour ne citer qu’elles. Une étude prosopographique de la violence de ces femmes de pouvoir, au
sens large, permettait de reconsidérer le cas de Pauline Nyiramasuhuko et de dégager les grands
traits communs de ces femmes génocidaires qui se sont surtout investies à l'échelle locale.

Mais comme son agenda l’atteste, elle fut loin d’être une simple exécutante mais une ministre
zélée, dévouée à l’idéologie génocidaire, alors que certains de ses co-accusés, Sylvain Nsabimana
par exemple, ont un rôle qui relève plus de la simple exécution des ordres. Pauline
Nyiramasuhuko ne peut être réduite à un « cerveau » du génocide « traditionnel » au sens où elle
se serait contentée de participer à l’élaboration et à l’organisation des massacres. Elle couvre le
spectre génocidaire dans toute son ampleur : à l’aise au sein des cercles de pouvoir, elle n’hésite
pas à quitter l’Akazu pour redevenir une femme de terrain qui sélectionne et enlève des Tutsi,
pointe du doigt et foule les cadavres en parcourant les lieux des massacres. Son implication se
définit alors comme totale. Cet engagement de son individualité dans les tueries, anormale pour
une femme de son envergure, a d’ailleurs surpris ses contemporains, ceux du même rang qu’elle
comme

ceux

issus

du

peuple.

Surtout, ce qui heurte, ce qui choque, ce qui perturbe, ce qui nous rappelle à la notion de
monstruosité s’exprime dans son implication dans les crimes de nature sexuelle. Une femme a
fait violer des femmes. Le viol est généralement perçu comme une violence spécifique aux
hommes. L’ultime moyen de domination. Ici, son obsession pour la dégradation du corps de
l’Autre, fait d’elle bien plus qu’une femme politique dévouée à son gouvernement mais une
tortionnaire qui fait violer avant de tuer. On semble déceler, à travers les témoignages, un certain
plaisir ou du moins une fascination dans ses incitations au viol. Pauline Nyiramasuhuko a
cherché, en encourageant la systématisation du viol, à détruire l’ethnie tutsi sur le long terme,
physiquement et psychologiquement. Son procès s’inscrit en ce sens dans la lignée de l’action du
TPIR qui est la première cour de justice internationale à avoir fait reconnaître le viol comme
arme constitutive de génocide.
Cette déviance atteint son paroxysme dans la relation qu’elle entretient dans ce cadre avec son
fils. Celle-ci serait par ailleurs extrêmement intéressante à explorer en termes psychanalytiques.
Cette maternité pose sensiblement question. Shalom Ntahobali n’est pas un Interahamwe comme
134

les autres et pourtant ces liens du sang sont peu interrogés lors des audiences. Le duo formé par la
mère et le fils brise cependant de nombreux tabous : celui de la sexualité, du mariage, du statut du
viol lorsqu’il est encouragé au sein d’un ménage « heureux ». La distribution de préservatifs dont
Pauline Nyiramasuhuko est à l’origine prend d’ailleurs sens dans ce contexte « maternel », en
protégeant les Interahamwe des virus, il semble qu’elle pense aussi à son fils et à sa famille.
Shalom Ntahobali le dit, il faudrait être « malade » pour commettre de tels actes. Ces crimes
sexuels commis de concert évoquent évidemment la folie, l’anormalité, pourtant jamais celle-ci
n’est invoquée lors du procès.
Notre rapport historien aux sources a donc permis d'enrichir le récit formulé par le TPIR, en ne
considérant pas les témoignages au nom d'une vérité juridique mais en s'attachant à dégager ce
qu'ils nous disent de « leur » Pauline Nyiramasuhuko.
Ce sujet s’ancre cependant dans l’actualité des débats concernant le génocide des Tutsi et le
jugement des génocidaires. Le procès interroge l’utilité du TPIR en général, notamment après que
les réductions de peine accordées aux six co-accusés aient été dénoncées par les associations de
victimes et la Commission nationale de lutte contre le génocide. La longueur des audiences, les
coûts engendrés mais surtout le traitement réservé aux témoins-victimes sont également remis en
question.
Le procès Butare fut aussi un des lieux d’expression du négationnisme du génocide des Tutsi.
Pauline Nyiramasuhuko et Shalom Ntahobali ainsi que leurs témoins à décharge persistent dans
leur négation. Si l’on avait décidé d’utiliser uniquement les témoignages des accusés et de leurs
témoins à décharge, le récit livré ne dirait rien sur le génocide des Tutsi, l’évènement serait
occulté. Tous les thèmes y sont repris : victimisation des bourreaux, idée d’un complot mené de
concert par le gouvernement rwandais actuel et les instances juridiques internationales. Avec
cette spécificité que la défense des deux accusés insistent sur des arguments moraux et intimes.
Montrer la mère, l’épouse, le bon fils, le bon mari au sein d’un arrière-plan idéologique moral et
manichéen pour discréditer les allégations retenues contre les accusés. Pauline Nyiramasuhuko
adresse elle aussi ses critiques au TPIR, qui ne jugerait que les crimes de guerre des hutu. Elle est
une des plus ferventes défenseuses de cette « guerre juste » qu’ils auraient menée.
Enfin, si l'historien face aux archives judiciaires doit consciencieusement éviter de se faire juge, il
est nécessaire de ne pas nier la place de la sensibilité du chercheur et des affects lorsque l'on se
plonge dans l'analyse d'un tel cas. Fréquenter une criminelle d'une telle envergure, même à
travers des archives, ne peut laisser indifférent. Après s'être confronté à l'horreur des témoignages
et au négationnisme des bourreaux, faut-il nécessairement rejeter la proximité qui s'établit?
135

Surtout, l'évocation de lieux, de noms connus, après mon séjour sur place, a parfois rendu
difficile

la

lecture

de

certains

témoignages.

La place importante laissée aux témoignages lors de ce travail émane d'une volonté de laisser la
parole aux survivants. L'histoire du génocide fait partie "de l'histoire du temps présent" et c'est
aux témoins de nous la raconter.

Sources et bibliographie

Les principales sources utilisées dans le cadre de ce mémoire de recherche proviennent de la base
archivistique du Tribunal Pénal International pour le Rwanda. Malgré sa disponibilité aléatoire,
le fonds est immense. J’ai donc disposé de toutes les archives concernant le « Procès Butare »,
référencée comme l’affaire ICTR--98-42-T.

136

Les documents que j’ai pu consulter sont de natures très différentes. J’ai basé mon travail sur la
lecture du Jugement, résumé de près de onze ans d’audience, qui se déroule sur près de
1800pages. A partir de ce document j’ai orienté ma lecture des autres types de source. Il a en
effet eu le mérite de me fournir un cadre chronologique et thématique pour les appréhender
puisque ces autres types de documents n’étaient ni classés, ni nommés et qu’un travail préalable
d’archivage

fut

indispensable.

Parmi elles on trouve : les actes d’Accusation des accusés, les mémoires finaux des accusés, mais
surtout : les transcriptions d’audiences de tous les témoins entendus à la barre, les pièces à
conviction de nature diverses : photographies, transcriptions de discours, transcriptions
d’émissions de radio, plans, cartes, dessins réalisés par les témoins, fiches d’identification des
témoins, déclarations des témoins, interviews, rapports d’expertise… Tous ne concernent pas
Pauline Nyiramasuhuko mais, comme je l’ai déjà évoqué, les fichiers en ligne n’étant pas
classés, il a fallu tous les ouvrir afin de les sélectionner.

Fonds d’archives

1. Tribunal pénal international pour le Rwanda, archives judiciaires
Procès de Pauline Nyiramasuhuko, Nyiramasuhuko et al. (« Butare », ICTR-98-42)
1.1 Jugement
TPIR, Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire n° ICTR-98-42-T, Jugement portant
condamnation, 24 juin 2011, 1864p.
1.2 Actes d’accusation
Le Procureur c. Joseph Kanyabashi, affaire no ICTR-96-15-I, Acte d’accusation amendé, 11 juin
2001.
Le Procureur c. Élie Ndayambaje, affaire no ICTR-96-8-I, Acte d’accusation amendé, 11 août
1999.
Le Procureur c. Sylvain Nsabimana et Alphonse Nteziryayo, affaire no ICTR-97- 29-I, Acte
d’accusation amendé, 12 août 1999.
Le Procureur c. Pauline Nyiramasuhuko et Arsène Shalom Ntahobali, affaire no ICTR-97-21-I,
Acte d’accusation amendé, 11 mars 2001.
137

1.3 Mémoires finaux
Le Procureur c. Joseph Kanyabashi, affaire no ICTR-98-42-T, Mémoire final de Joseph
Kanyabashi, 17 février 2009.
Le Procureur c. Élie Ndayambaje, affaire no ICTR-98-42-T, Mémoire de la Défense d’Élie
Ndayambaje, 17 février 2009.
Le Procureur c. Sylvain Nsabimana, affaire no ICTR-98-42-T, Mémoire final au
procès de Sylvain Nsabimana, 17 février 2009.
Le Procureur c. Arsène Shalom Ntahobali, affaire no ICTR-98-42-T, Mémoire final d’Arsène
Shalom Ntahobali et annexes, 17 février 2009.
Le Procureur c. Pauline Nyiramasuhuko, affaire no ICTR-98-42-T, Mémoire final de Pauline
Nyiramasuhuko et annexe, 17 février 2009.
Le Procureur c. Nyiramasuhuko et consorts, affaire no ICTR-98-42-T, Prosecutor’s Closing
Brief, 17 février 2009.

1.4 Transcriptions d’audience
La liste des transcriptions d’audience n’est pas exhaustive. Il s’agit d’un bref aperçu des comptes
rendus d’audience ayant été utilisés dans le cadre du mémoire de recherche. En tout, 159 témoins
comparaissent de 2001 à 2008. A cela s’ajoutent les auditions des six accusés. L’accusation a
présenté ses témoins de 2001 à 2004. La défense de 2005 à 2008.
Année 1999 :
CRA, 12 août 1999, compte rendu d’audience établi antérieurement à la jonction d’instances.
Année 2001 :
CRA 14 juin 2001, Shukry.
CRA 18 juin 2001, Shukry.
CRA 12 octobre 2001, témoin FAI.
CRA 24 octobre 2001, témoin TA.
CRA 25 octobre 2001, témoin TA.
CRA 29 octobre 2001, témoin TA.
CRA 30 octobre 2001, témoin TA.
CRA 1er novembre 2001, témoin TA.
138

CRA 6 novembre 2001, témoin TA.
CRA 7 novembre 2001, témoin TA.
CRA 8 novembre 2001, témoin TA.
CRA 8 novembre 2001, témoin QJ.
CRA 12 novembre 2001, témoin QJ.
CRA 13 novembre 2001, témoin QJ.
CRA 14 novembre 2001, témoin QJ.
CRA 21 novembre 2001, témoin expert Reyntjens.
Année 2002 :
CRA 21 février 2002, témoin FAI.
CRA 20 mars 2002, témoin QCB.
CRA 21 mars 2002, témoin QCB.
CRA 26 mars 2002, témoin QCB.
CRA 3 avril 2002, témoin TN.
CRA 4 avril 2002, témoin TN.
CRA 23 mai 2002, TK.
CRA 28 mai 2002, témoin TK.
CRA 29 mai 2002, témoin SJ.
CRA 3 juin 2002, témoin SJ.
CRA 5 juin 2002, témoin SJ.
CRA 14 octobre 2002, témoin SU.
CRA 15 octobre 2002, témoin SU.
CRA 16 octobre 2002, témoin SU.
CRA 17 octobre, témoin SU.
CRA 21 octobre 2002, témoin SU.
CRA 22 octobre 2002, témoin SU.
CRA 22 octobre 2002, témoin QBP.
CRA 28 octobre 2002, témoin QBP.
CRA 29 octobre 2002, témoin QBP.
CRA 31 octobre 2002, témoin FAI.
CRA 5 novembre 2002, témoin FAI.
CRA 11 novembre 2002, témoin QAQ.

139

Année 2003
CRA 24 février 2003, témoin RE.
CRA 26 février 2003, témoin RE.
CRA 27 février 2003, témoin RE.
CRA 3 mars 2003, témoin SS.
CRA 4 mars 2003, témoin SS.
CRA 5 mars 2003, témoin SS.
CRA 10 mars 2003, témoin SS
CRA 11 mars 2003, témoin SS.
CRA, 11 mars 2003, témoin FAP.
CRA, 12mars 2003, témoin FAP.
CRA, 13 mars 2003, témoin FAP.
CRA 19 mars 2003, témoin QY.
CRA 20 mars 2003, témoin QY.
CRA 24 mars 2003, témoin QY.
Année 2004
CRA 3 février 2004, témoin QBQ.
CRA 18 mars 2004, témoin FAE
CRA 30 mars 2004, témoin FAE.
CRA 28 avril 2004, témoin FAS.
CRA 20 mai 2004, témoin TK.
CRA 21 mai 2004, témoin TK.
CRA 23 mai 2004, témoin TK.
CRA 27 mai 2004, témoin TK.
CRA 28 mai 2004, témoin TK.
CRA 9 juin 2004, témoin expert Des Forges.
CRA 29 juin 2004, témoin expert Guichaoua.
CRA 30 juin 2004, témoin expert Guichaoua
CRA 30 juin 2004, témoin FA.
CRA 5 juillet 2004, témoin expert Des Forges.
CRA 6 juillet 2004, témoin expert Des Forges.
CRA 7 juillet 2004, témoin expert Des Forges.
CRA 12 juillet 2004, témoin expert Des Forges.
140

CRA 6 septembre 2004, témoin TQ.
CRA 7 septembre 2004, témoin TQ.
CRA 9 septembre 2004, témoin TQ.
CRA 13 septembre 2004, témoin expert Ntakirutimana.
Année 2005
CRA 2 février 2005, témoin WMCZ.
CRA 7 février 2005, témoin WKKTD.
CRA 10 février 2005, témoin MNW.
CRA 14 février 2005, témoin CEM.
CRA 14 février 2005, témoin MNW
CRA 24 février 2005, Céline Nyiraneza.
CRA 24 février 2005, Céline Nyiraneza.
CRA 28 février 2005, Céline Nyiraneza
CRA 15 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 16 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 17 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 22 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 30 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 31 mars 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 1er avril 2005, témoin expert Shimamungu.
CRA 4 avril 2005, témoin WZNA.
CRA 1er juin 2005, témoin WBUC.
CRA 13 juin 2005, Denise Ntahobali
CRA 12 septembre 2005, Maurice Ntahobali.
CRA 16 septembre 2005, Maurice Ntahobali.
CRA 26 septembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 27 septembre 2005, Nyiramasuhuko
CRA 28 septembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 29 septembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 10 octobre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 12 octobre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 26 octobre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 9 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
141

CRA 14 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 15 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 16 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 17 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 21 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 22 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 24 novembre 2005, Nyiramasuhuko.
CRA 1er décembre 2005, témoin H1B6.
CRA 5 décembre 2005, témoin H1B6.
CRA 13 décembre 2005, témoin WCQME.

Année 2006
CRA 1er février 2006, témoin WFGS.
CRA 28 février 2006, Béatrice Munyenyezi.
CRA 13 avril 2006, Ntahobali.
CRA, 25 avril 2006, Ntahobali.
CRA 26 avril 2006, Ntahobali.
CRA 3 mai 2006, Ntahobali.
CRA 25 mai 2006, Ntahobali.
CRA 29 mai 2006, Ntahobali.
CRA 1er juin 2006, Ntahobali.
CRA 21 juin 2006, Ntahobali.
CRA 25 septembre 2006, Keane.
CRA 27 septembre 2006, Keane.
CRA 9 octobre 2005, Nsabimana.
CRA 10 octobre 2005, Nsabimana.
CRA 12 octobre 2005, Nsabimana.
CRA 16 octobre 2005, Nsabimana.
CRA 20 novembre 2006, Nsabimana.
CRA 28 novembre 2006, Nsabimana.

Année 2007
CRA, 22 mai 2007, Nteziryayo.
CRA, 5 juin 2007, Nteziryayo.
142

CRA, 4 juillet 2007, Nteziryayo.
CRA, 5 juillet 2007, Nteziryayo.
CRA 30 août 2007, témoin D-2-13-D.
CRA 20 Septembre 2007, témoin expert Reyntjens.
CRA 2 octobre 2007, témoin expert Reyntjens.
CRA 21 novembre 2007, témoin expert Reyntjens.

Année 2008
CRA 22 octobre 2008, Ndayambaje.
CRA 23 octobre 2008, Ndayambaje.
CRA 28 octobre 2008, Ndayambaje.
CRA 27 novembre 2008, Ndayambaje.
CRA 1 er décembre 2008, Ndayambaje.
CRA 3 décembre 2008, Ndayambaje.

1.5 Pièces à conviction

Pièce à conviction D.43, liste des faits que TK aurait omis de mentionner dans ses déclarations.
Pièce à conviction D.47, déclaration du témoin TK.
Pièce à conviction D.77, déclaration du témoin QBP.
Pièce à conviction D.79, déclaration du témoin TA du 19 novembre 1997.
Pièce à conviction D.87, déclaration du témoin RE.
Pièce à conviction D.198, photographie de l’endroit où était érigé le barrage routier
Pièce à conviction D.231B, croquis de la commune de Ngoma dessiné par Alison Des Forges:
sites du génocide.
Pièce à conviction D.232, déclaration écrite du témoin FAS
Pièce à conviction D.233, photographie montrant le garage MSM.
Pièce à conviction D.240B, communiqué de Kanyabashi sanctionnant la réunion sur la sécurité
tenue entre les autorités.
Pièce à conviction D.270, fiche de renseignements personnels de WZNJC.
Pièce à conviction D.278B, extraits des discours prononcés par Kambanda et Kanyabashi
Pièce à conviction D.284C, interview accordée par Nyiramasuhuko à la RTLM du 21 juin 1994.
Pièce à conviction D.291, fiche de renseignements personnels de WMKL.
Pièce à conviction D.309, carte routière du Rwanda.
143

Pièce à conviction D.346B, notes de Nyiramasuhuko relatives à la réunion du 9 avril 1994 du
Conseil des Ministres.
Pièce à conviction D.347B, notes de Nyiramasuhuko sur la réunion du Conseil des Ministres du
10 avril 1994.
Pièce à conviction D.348B, lettre du ministre des transports.
Pièce à conviction D.349C, notes de Nyiramasuhuko sur la réunion du 11 avril 1994
Pièce à conviction D.350B, transcription du discours de Kambanda du 11 avril 1994
Pièce à conviction D.360B, discours de pacification prononcé à Butare par le Ministre Niyitigeka.
Pièce à conviction P.1, carte de Butare
Pièce à conviction P.23C, photographie du bureau de la préfecture de Butare
Pièce à conviction P.27, enregistrement vidéo des réfugiés au bureau de la préfecture de Butare
après leur retour de l’EER.
Pièce à conviction P.40, vidéocassette du bureau communal et du stade de Mbazi.
Pièce à conviction P. 52, fiche de renseignements personnels de QCB.
Pièce à conviction P. 54, croquis par QCB de la ville de Butare.
Pièce à conviction P. 55, fiche de renseignements personnels de TN.
Pièce à conviction P.60, fiche de renseignements personnels de SU.
Pièce à conviction P.70A, photographie de l’immeuble où se cachait le témoin SX.
Pièce à conviction P.70B, photographie du domicile de Nyiramasuhuko à Butare.
Pièce à conviction P.108, fiche de renseignements personnels de FAS
Pièce à conviction P.110A, rapport d’expertise d’Alison Des Forges.
Pièce à conviction P.113, « La vérité sur les massacres de Butare » par Nsabimana.
Pièce à conviction P.113B, rapport d’expertise d’Alison Des Forges.
Pièce à conviction P.114, entretiens entre Nsabimana et Alison Des Forges.
Pièce à conviction P.117B, communiqué adressé aux habitants de la commune urbaine de
Ngoma, 25 avril 1994
Pièce à conviction P.118B, instructions du Premier Ministre Kambanda visant le rétablissement
de la sécurité dans le pays.
Pièce à conviction P.119C, message de pacification de Nsabimana destiné aux communs de la
préfecture de Butare du 27 avril 1994.
Pièce à conviction P.121A, directives du gouvernement du 25 mai 1994.
Pièce à conviction P.121B, directives du Premier Ministre Kambanda aux préfets pour
l'organisation de la défense civile
Pièce à conviction P.136B, rapport d’expertise d’André Guichaoua.
144

Pièce à conviction P.137B, rapport d’expertise d’André Guichaoua.
Pièce à conviction P.144B, agenda de Pauline Nyiramasuhuko.
Pièce à conviction P.144C, agenda de Pauline Nyiramasuhuko.
Pièce à conviction P.148B, lettre relative au recrutement de Nsabimana.
Pièce à conviction P.149B, traduction du discours de Kanyabashi du 19 avril 1994.
Pièce à conviction P.151A, discours prononcés le 19 avril par le Président Sindikubwabo et
d’autres personnalités, transcriptions radiophoniques.
Pièce à conviction P.158B, rapport d’expertise de Ntakirutimana. Analyse sociolinguistique de
certains énoncés polysémiques.
Pièce à conviction P.159A, Rapport d’expertise de Ntakirutimana, Tolérance ou intransigeance
dans le discours de Sindikubwabo.
Pièce à conviction P.184, Season of Blood, livre du témoin Patrice Fergal Keane.
Pièce à conviction P.185B, conversation téléphonique entre Alison Des Forges et Nsabimana.
Pièce à conviction P.269, fiche de renseignements personnels de LHC.
Pièce à conviction P.358B, déclaration de cessez-le-feu du 23 avril 1994.
Pièce à conviction P.473A, reportage BBC du 15 juin 1994.
Pièce à conviction D.543, carte de Butare.

1.6 Documents des Nations Unies

Convention de Genève relative au traitement des prisonniers de guerre, RTNU, vol. 75, p. 135,
12 août 1949 (la « troisième Convention de Genève »)
Convention de Genève relative à la protection des personnes civiles en temps de guerre, RTNU,
vol. 75, p. 287, 12 août 1949 (la « quatrième Convention de Genève »)
Déclaration universelle des droits de l’homme, résolution 217 A (III) de l’Assemblée générale,
document des Nations Unies A/RES/217A, 10 décembre 1948 (la « déclaration universelle des
droits de l’homme »)
Quatrième rapport annuel du Tribunal pénal international chargé de juger les personnes
accusées d’actes de génocide ou d’autres violations graves du droit international humanitaire
commis sur le territoire du Rwanda et les citoyens rwandais accusés de tels actes ou violations
commis sur le territoire d’États voisins entre le 1er janvier et le 31 décembre 1994, soumis à
l’Assemblée générale et au Conseil de sécurité, document des Nations Unies S/1999/943, 7
septembre 1999 (le « quatrième rapport annuel du TPIR, 7 septembre 1999 »)
145

1.7 Autres procès consultés
Akayesu, JP (ICTR-96-4)
Bizimungu C. et al. (« Gouvernement II », ICTR-99-30)
Kambanda, Jean (ICTR-97-23)
Karemera et al. (« Gouvernement I », ICTR-98-44)
Nahimana et al. (« Médias », ICTR-99-52)

1.8 Autres sources publiées ou en ligne
African Rights Watch/Projet Droits des femmes (HRW), « Les vies brisées, violence sexuelle
pendant le Génocide rwandais et sa conséquence », 1996.
Avocats Sans Frontières, Recueil de jurisprudence : contentieux de génocide, Bruxelles, 7
volumes, 2002-2006.
Documents publiés sur le site de l’ouvrage d’André Guichaoua, Rwanda, de la guerre au
génocide les politiques criminelles au Rwanda (1990-1994) : Annexes.
http://www.rwandadelaguerreaugenocide.fr
Documents issus du site du Haut Commissariat aux Réfugiés : http://www.unhcr.org Documents publiés sur le site d’une partie des avocats de la défense au TPIR : ICTR Legacy
From the Defense Perspective. http://www.ictrlegacydefenseperspective.org/En.html

1.9 Rapports d’expertise du TPIR
DES FORGES Alison, HUMAN RIGHTS WATCH et FÉDÉRATION INTERNATIONALE
DES DROITS DE L’HOMME (dir.), Aucun témoin ne doit survivre: le génocide au Rwanda,
Paris, Karthala, 1999.
GUICHAOUA André, Les antécédents politiques de la crise rwandaise de 1994, rapport
d’expertise rédigé à la demande du TPIR, 2 vol., avril 1997.
GUICHAOUA André, L’administration territoriale rwandaise, rapport d’expertise rédigé à la
demande du TPIR, Arusha, août 1998.
146

NOWROJEE Binaifer, Crimes de violence sexuelle commis au cours du génocide rwandais,
Human Rights Watch, décembre 2004.

2. Presse
Communiqués de presse des associations IBUKA et AVEGA.
Agence Hirondelle à Arusha, archives en ligne.
Journal Kangura, manifeste des Bahutu , le document complet peut se trouver à l’adresse

suivante : http://www.assemblee-nationale.fr/11/dossiers/rwanda/anex3000.pdf.

Bibliographies

Comme nous l’avons vu, le récit du génocide proposé par le TPIR présente certains biais
inhérents à sa nature. Pour nuancer ce récit et appréhender l’histoire du génocide dans toute sa
complexité j’ai complété ce travail d’archives par la lecture d’ouvrages plus généraux sur
l’histoire du Rwanda et du génocide.

1. Rwanda, généralités
Ouvrages
AFRICAN RIGHTS, Rwanda, Moins innocentes qu’il n’y paraît, Quand les femmes deviennent
des meurtrières, African Rights, 1995.
ANDRIEU Andrieu, GENSBURGER Sarah, SEMELIN Jacques (dir.), La résistance aux
génocides: de la pluralité des actes de sauvetage, Paris, Presses de Sciences Po, 2008.
BERTRAND, Jordane, 2000, Rwanda, Le Piège de l’histoire, l’opposition démocratique avant le
génocide (1990-1994), Paris: Karthala.
CHRÉTIEN Jean-Pierre, L’Afrique des Grands lacs: deux mille ans d’histoire, Paris,
Flammarion, 2003 (Champs).
CHRÉTIEN Jean-Pierre, « Hutu et Tutsi au Rwanda et au Burundi », in Elikia M’Bokolo et JeanLoup Amselle (dir.), Au coeur de l’ethnie. Ethnies, tribalisme et État en Afrique, Paris, La
Découverte, 1999.
CHRÉTIEN Jean-Pierre, Le défi de l’ethnisme: Rwanda et Burundi, 1990-1996, Paris, Karthala,
1997.
147

CHRÉTIEN Jean-Pierre, DECAUX Emmanuel et VERDIER Raymond (dir.), Rwanda, un
génocide du XXe siècle, Paris, Harmattan, 1995.
CHRÉTIEN Jean-Pierre, DUPAQUIER Jean François et NGARAMBE Joseph, Rwanda, les
médias du génocide, Paris, Karthala, 1995 (Hommes et société).
Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, 15 ans après le génocide perpétré contre les
Tutsi (1994-2009), Kigali, CNLG, 2010.
Commission Nationale de Lutte contre le Génocide, 16 ans après le génocide perpétré contre les
Tutsi (1994-2010), Kigali, CNLG, 2011.
DALLAIRE Roméo, J’ai serré la main du diable: la faillite de l’humanité au Rwanda,
Outremont, Québec, Libre expression, 2003.
DES FORGES Alison Liebhafsky, Defeat is the only bad news. Rwanda under Musinga, 1896 1931, Madison, University of Wisconsin Press, 2011.
DUMAS Hélène, Le Génocide au village : le massacre des Tutsi au Rwanda, Seuil, Paris, 2014.
GUICHAOUA André, Rwanda, de la guerre au génocide les politiques criminelles au Rwanda
(1990-1994), Paris, la Découverte, 2010.
GUICHAOUA André, Rwanda 1994: les politiques du génocide à Butare, Paris, Karthala, 2005.
HATZFELD Jean, Une saison de machettes, Paris, Seuil, 2003 (Points Récits).
HATZFELD Jean, Dans le nu de la vie. Récits des marais rwandais, Paris, Seuil, 2000 (Points).
HOLMES Georgina, Women and War in Rwanda: Gender, Media and the Representation of
Genocide, I.B.Tauris, 2013.
KAYITARE Pauline et MAY Patrick, Tu leur diras que tu es hutue. A 13 ans, une tutsie au coeur
du génocide rwandais, Bruxelles, André Versaille/GRIP, 2011.
KIMONYO Jean-Paul, Rwanda, un génocide populaire, Paris, Karthala, 2008.
SÉMELIN Jacques, Purifier Et Détruire: Usages Politiques Des Massacres Et Génocides, Paris,
Seuil, 2005.
TERNON Yves, Guerres et génocides au XXe360 siècle : architecture de la violence de masse,
Odile Jacob, 2007.
VANDERMEERSCH Damien, « Comment devient-on génocidaire ? Et si nous étions tous
capable de massacrer nos voisins », Bruxelles, Éditions GRIP, 2013.
VULPIAN Laure de, Rwanda, un génocide oublié!? un procès pour mémoire, Paris, Bruxelles,
Éd. Complexe, 2004

360

148

Articles
CHRÉTIEN Jean-Pierre, « Les aventures de la conscience historique au Rwanda », Esprit,
dossier «France-Rwanda, et maintenant?!» (364), mai 2010, pp. 103-121.
DUMAS Hélène, « Gacaca courts in Rwanda. A local justice for a local genocide history? », in
Christian Delage et Peter Goodrich (dir.), The scene of the mass crime: history, film, and
international tribunals, Abingdon, Routledge, 2013.
DUMAS Hélène, « Lecture historienne des politiques de justice au Rwanda », in 16 ans après le
génocide perpétré contre les Tutsi (1994-2010)!: gestion de ses conséquences, Kigali, CNLG,
2011.
DUMAS Hélène, « Négationnisme du génocide des Tutsi au Rwanda », in Georges Bensoussan,
Assumpta Mugiraneza, et Yves Ternon (dir.), Rwanda, quinze ans après. Penser et écrire
l’histoire du génocide des Tutsi, Revue d’histoire de la Shoah, 2009, pp. 299-347 (190).
DUMAS Hélène, « Histoire, justice et réconciliation: les juridictions gacaca au Rwanda »,
Mouvements 1 (53), 2008, pp. 110-117.
JACQUET-FRANCILLON François, « Le discours de la mémoire », Revue française de
pédagogie, n°165, 2008, p5-15.
SÉMELIN Jacques, « Du massacre au processus génocidaire », Revue internationale des sciences
sociales (174), 2002, pp. 483-492.
SPERLING Carrie, « Mother of Atrocities: Pauline Nyiramasuhuko’s Role in the Rwandan
Genocide », Fordham Urban Law Journal, Vol. 33, 2006.

Chronologie
Site MassViolence : http://www.massviolence.org/Chronologie-du-Rwanda-1867-1994?decoupe_recherche=RWANDA

2. Guerre et violences sexuelles

ALISON Miranda, “Wartime sexual violence: women’s human rights and questions of
masculinity”, in Review of International Studies, n°33, 2007, p. 75-90.
BRANCHE Raphaëlle, VIRGILI Fabrice, DELPLA Isabelle et Institut historique allemand
(Paris) (dir.), Viols en temps de guerre, Paris, Payot, 2011.
NAHOUM-GRAPPE Véronique, « Guerre et différence des sexes, les viols systématiques (exYougoslavie, 1991-1995) » in Cécile DAUPHIN et Arlette FARGE (sous la direction de), « De la
violence et des femmes », Paris, Albin Michel, 1997, p. 275-304.
149

3. Autres
BROWNING Christopher, Des hommes ordinaires. Le 101e bataillon de réserve de la police
allemande et la solution finale en Pologne, Les Belles Lettres, 1994.
KERSHAW Ian, Hitler, tome 1: 1889-1936, Flammarion, 1999, (éd. originale : Hitler, 1889-1936
: Hubris, Penguin Books, Londres, 1998).

4. Justice pénale internationale et TPIR
Fréquenter les sources judiciaires pour le novice demande une certaine remise à niveau en droit,
notamment pour tout ce qui concerne les cours pénales internationales et les tribunaux ad hoc,
d’où la lecture d’ouvrages généraux sur ces thèmes.
Ouvrages :
BOURDON William, DUVERGER Emmanuel, La Cour Pénale Internationale, le Statut de
Rome, W. Bourdon, E. Duverger, Seuil, Paris, 2000
BURGOGNE-LARSEN Burgorgue-Larsen (dir.), La répression internationale du génocide
rwandais, Bruxelles, Bruylant, 2003.
DELAGE Christian, La vérité par l’image: de Nuremberg au procès Milosevic, Paris, Denoel,
2006 (Médiations).
ESSOUNGOU André-Michel, Justice à Arusha: un tribunal international politiquement encadré
face au génocide rwandais, Paris, l’Harmattan, 2006.
GARAPON Antoine, Des crimes qu’on ne peut ni punir ni pardonner: pour une justice
internationale, Paris, Odile Jacob, 2002.
GINZBURG Carlo, Le juge et l’historien: considérations en marge du procès Sofri, Lagrasse,
Editions Verdier, 1997.
LEMKIN Rafael, Axis Rule in Occupied Europe, Washington, Carnegie, 1944.
MAISON Rafaëlle, La responsabilité individuelle pour crime d’État en droit international
public, Bruxelles, Bruylant, 2004 (Collection de droit international).
MAISON Rafaëlle, Coupable de Résistance ? Naser Oric, défenseur de Srebrenica devant la
justice internationale, Armand Colin, 2010.

Articles
150

DELPLA, Isabelle, « Catégories juridiques et cartographie des jugements moraux. Le TPIY
évalué par les victimes, témoins et condamnés », in Isabelle Delpla et Magali Bessone (dir.),
Peines de guerre. La justice pénale internationale et l’ex-Yougoslavie, Paris, Editions de l’Ecole
des hautes études en sciences sociales, 2010 (En temps et lieux).
DELPLA Isabelle, « La preuve par les victimes. Bilans de guerre en Bosnie-Herzégovine », Le
Mouvement social 222 (1), 2008, pp. 153-183.
CLAVERIE Elisabeth, Ménager la victime ? Ménager le coupable ? Jugement, révision et
histoire devant le Tribunal pénal pour l’ex-Yougoslavie », Droit et cultures, n°58, février 2009.
LAGROU Pieter, « Réflexions sur le rapport néerlandais du NIOD : logique académique et
culture du consensus », Cultures & Conflits, numéro « Srebrenica 1995 », n°65, printemps 2007.
MAISON Rafaëlle, « L’affaire Naser Oric ou la résistance combattante devant la justice
internationale », Mélanges en l’honneur de Danièle Lochak, Paris, 2007.
MUTWARASIBO Ernest, « L’héritage du TPIR dans la connaissance de l’histoire du génocide
perpétré contre les Tutsi », Dialogue, 16e commémoration du génocide contre les Tutsi (190),
mars 2010.
ROUSSO Henry, « L’expertise des historiens dans les procès pour crimes contre l’humanité », in
Denis Salas et Jean-Paul Jean (dir.), Barbie, Touvier, Papon. Des procès pour la mémoire, Paris,
Editions Autrement, 2002, pp. 58-70.

5. Rapports d’ONG
AFRICAN RIGHTS, « Who is killing, who is dying, what is to be done », mai 1994. AMNESTY
INTERNATIONAL, « Tribunal criminel international pour le Rwanda. Procès et problèmes »,
Paris, avril 1998.
BOUCHET-SAULNIER Françoise et SALIGNON Pierre, « Génocide au Rwanda. Témoignages
», Médecins Sans Frontières, juin 1994. http://www.msf.fr/actualite/publications/genocideaurwanda-temoignages
FIDH et al., « Rapport de la commission internationale d’enquête sur les violations des droits de
l’homme au Rwanda depuis le 1er octobre 1990 (7-21 janvier 1993) », mars 1993. HUMAN
RIGHTS WATCH et FIDH, « Shattered lives: Sexual violence during the Rwandan genocide and
its aftermath », septembre 1996.
151

MÉDECINS SANS FRONTIÈRES, « Eyewitness accounts of massacres and human rights
violations in Butare, Rwanda », avril 1994.
PALMER Nicola, « Testifying to genocide: victim and witness protection in Rwanda », octobre
2012.
6. Films documentaires
BARADUC Violaine, WESTPHALE Alexandre , A Mots Couverts, Les Films de l’Embellie,
2014.
DE HEUSCH Luc, Une république devenue folle Rwanda 1894-1994, ADAV-Simple production,
1996.
DERVAUT Benoît, VERSAILLES André, Rwanda la vie après : paroles de mères, DERIVES,
2014.
GARGOT Christophe, D’Arusha à Arusha, 2011.

7. Mémoires et thèses
ROVETTA Ornella, Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda comme source d’histoire ?,
sous la direction de P. Lagrou, Université Libre de Bruxelles, 2014.
PALITZYNE Marie, Les violences sexuelles du génocide au Rwanda : L’imaginaire destructeur
du genre et de l’ethnicité, sous la direction d’E.Klimis, Sciences Po Lille, 2015.

8. Presse
HARMAN Danna, A Woman on Trial for Rwanda’s Massacre, the Christian Science Monitor, 7
mars 2003.
LANDESMAN Peter, “A Woman’s Work”, The New York Times, 15 septembre 2002.
LANDESMAN Peter, « Le viol comme méthode de génocide au Rwanda. Pauline
Nyiramasuhuko, la barbarie au féminin », The New York Times, 1 er octobre 2003.

152

Annexes
Annexe 1 : extrait de la transcription d’audience du 1 er novembre 2001, contre-interrogatoire du
témoin TA par la défense de Pauline Nyiramasuhuko et de Shalom Ntahobali.

1
2

TRIBUNAL PÉNAL INTERNATIONAL POUR LE RWANDA
AFFAIRE N° ICTR-98-42-T
CHAMBRE II

3
4
5

153

LE PROCUREUR
- C PAULINE NYIRAMASUHUKO
ALPHONSE NTEZIRYAYO
SYLVAIN NSABIMANA
ARSÈNE SHALOM NTAHOBALI
ELIE NDAYAMBAJE

JOSEPH KANYABASHI
6
7

P R O C È S
LE 1er NOVEMBRE 2001
10 H 51

8
9
10

Devant :
L'honorable William Sekule, Président
L'honorable Winston Churchill Matanzima Maqutu
L'honorable Arlette Ramaroson

11
12

Pour le Greffe :
M. John Kiyeyeu
M. Abraham Koshopa

13
14
15

Pour le Bureau du Procureur :
Me Silvana Arbia, Me Gregory Townsend
Pour la défense de Pauline Nyiramasuhuko :
Me Nicole Bergevin, Me Guy Poupart

16
17
18

Pour la défense d'Alphonse Nteziryayo :
Me Frédéric Titinga Pacere, Me Richard Perras
Pour la défense de Sylvain Nsabimana :
Me Josette Kadji, Me Charles Tchakoute Patie

19
20
21

Pour la défense d'Arsène Shalom Ntahobali :
Me Duncan Mwanyumba
Pour la défense d'Élie Ndayambaje :
Me Pierre Boulé, Me Isabelle Lavoie

22
23
24

Pour la défense de Joseph Kanyabashi :
Me Michel Marchand, Me Michel Boyer
Sténotypistes officielles :
Laure Ketchemen, Carole Simonneau, Manon Cordeau

25

154

NYIRAMASUHUKO et al.

Le 1er novembre 2001

1
2

TABLE DES MATIÈRES

3
4

Pages :
MOYENS DE PREUVE À CHARGE

5
TÉMOIN TA
6
7
HUIS CLOS : (1-38)
8
9

- Suite du contre-interrogatoire de la défense d'Arsène
Ntahobali, par Me Mwanyumba......................
9

10
11

AUDIENCE PUBLIQUE : (39-109)

12
13
14

- Suite du contre-interrogatoire de la défense d'Arsène
Ntahobali, par Me Mwanyumba........................
39
- Contre-interrogatoire de la défense de Pauline
Nyiramasuhuko, par Me Poupart......................

87

15
16

HUIS CLOS :(110-146)

17

- Suite du contre-interrogatoire de la défense de
Pauline Nyiramasuhuko, par Me Poupart.............

110

18
19
20
21
22
23
24
25

LAURE KETCHEMEN, STÉNOTYPISTE OFFICIELLE
TPIR - CHAMBRE II

155

NYIRAMASUHUKO et al.
1

Le 1er novembre 2001

(DÉBUT DE L'AUDIENCE PUBLIQUE : 10 H 51)

2
3

M. LE PRÉSIDENT :

4

Monsieur l'Interprète, veuillez dire au

5

témoin que nous sommes à présent en

6

audience publique, et il faudrait qu'elle

7

s'entoure des précautions nécessaires

8

pour ne pas mentionner les noms de

9

personnes ou de lieux qui pourraient

10

révéler son identité.

11
12

Maître, veuillez poursuivre à présent.

13
14

Maître Manyumba, l'interprète n'a pas

15

encore fini de rendre, en Kinyarwanda,

16

les instructions données par le Président

17

au témoin.

18

LE TÉMOIN TA :

19
20

D'accord.
M. LE PRÉSIDENT :

21
22

Maître Manyumba ?
Me MWANYUMBA :

23

Je vous remercie, Monsieur le Président.

24
25

Q.

Témoin TA, vous avez déclaré à la Chambre

LAURE KETCHEMEN, STÉNOTYPISTE OFFICIELLE
TPIR - CHAMBRE II
39
NYIRAMASUHUKO et al.

Le 1er novembre 2001

156

1

de céans que Shalom vous a violée à trois

2

occasions, et à ces trois occasions, il

3

était allé vous chercher pendant la nuit.

4

Me TOWNSEND :

5

Il s'agit d'une dénaturation. Le témoin a

6

déclaré avoir été violée à deux reprises

7

par Shalom, mais qu'elle a été attaquée à

8

quatre reprises, en présence de Shalom.

9
10

Me MWANYUMBA :
Q.

Témoin TA, la quatrième fois que vous

11

avez vu Shalom à la préfecture, c'était à

12

quelle occasion ?

13

LE TÉMOIN TA :

14

R.

C'était pendant la nuit.

15

Q.

Vous rappelez-vous de l'heure ?

16

R.

Non.

17

Q.

Vous souvenez-vous des personnes avec qui

18

il s'était présenté à la préfecture, à

19

cette quatrième occasion ?

20

R.

21
22

Interahamwe.
Q.

23
24
25

Il est venu en compagnie d'autres

Comment est-il arrivé sur les lieux,
cette quatrième occasion ?

R.

De quel moyen parlez-vous, Maître ?
Voulez-vous éclaircir votre question ?

LAURE KETCHEMEN, STÉNOTYPISTE OFFICIELLE
TPIR - CHAMBRE II
40

157

NYIRAMASUHUKO et al.
1

Q.

2

Le 1er novembre 2001

Est-il venu à pied ou à bord d'un
véhicule ?

3

R.

Il est venu à bord d'un véhicule.

4

Q.

Quel type de véhicule ?

5

R.

Le même que celui à bord duquel il venait

6
7

d'habitude.
Q.

Vous souvenez-vous du nombre de ses

8

compagnons... de ses camarades, lorsqu'il

9

est venu pour cette quatrième fois ?

10

R.

Je m'en souviens.

11

Q.

Combien étaient-ils ?

12

R.

Shalom était le huitième des personnes

13

que j'ai vues personnellement.

14

Q.

Qu'ont-ils fait, cette quatrième fois ?

15

R.

Ils ont tué des gens.

16

Q.

Vous souvenez-vous du nombre de personnes

17
18

qu'ils ont tuées, cette nuit-là ?
R.

Non, je ne me rappelle pas le nombre de

19

personnes tuées cette nuit-là, pour la

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simple raison que je ne connaissais pas

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ce nombre et, en plus, je ne les ai pas

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comptés, étant donné que je savais,

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moi-même, que je serais du nombre.

24

(Pages 39 à 41, prises et transcrites par

25

Laure Ketchemen)

LAURE KETCHEMEN, STÉNOTYPISTE OFFICIELLE
TPIR - CHAMBRE II
41

158

Annexe 2: extrait de l’agenda de Pauline Nyiramasuhuko présenté comme pièce à conviction.

159

Annexe 3 : Photographie de la route principale de Butare présentée comme pièce à conviction.

160

Annexe 4 : Capture d’écran du site internet du TPIR. Photographies des six co-accusés.

161

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024