Fiche du document numéro 27218

Num
27218
Date
Mardi 23 avril 2019
Amj
Taille
704181
Titre
La participation de militaires français au massacre du 13 mai 1994 à Bisesero ? Une enquête manipulée
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Résumé
On the basis of interviews carried out in April 2009 and February 2010, Serge Farnel assures that he gathered evidence that French soldiers participated in the great massacre of May 13 and 14, 1994 in Bisesero, Rwanda. After having an article published in the Wall Street Journal in 2010, he released a book in November 2011 in which he assures us that on May 13, 1994 "the Hutu population finished off the wounded" that "French soldiers allegedly began by shelling and then strafing". Nothing in all the testimonies of survivors had previously supported such a version of the facts. None had mentioned the presence of the French during this attack on May 13, the deadliest they suffered. A careful examination of the testimonies presented and of the method used reveals the fragility of the evidence put forward. The storyline is built on the assertions of militiamen who are too happy to accredit a version of their story where they are no longer the worst assassins. During interviews, the survivors are manipulated by the investigator to make them say what they have never said before. Questioned again, many of them contradict the comments attributed to them. Other testimonies are presented but do not mention the presence of French people on May 12 and 13. Their authors are thus summoned to justify a thesis which is foreign to them. This aside, certain testimonies of survivors retain their value. The gravity of the accusations against the French army required verifications which were not made. The dissemination of these unsubstantiated accusations can only confuse the complaints filed in 2005 against French soldiers, which the courts show so little eagerness to investigate.
Type
Note
Langue
FR
Citation
Résumé
Sur la base d’interviews réalisés en avril 2009 et février 2010, Serge Farnel assure qu’il a recueilli
les preuves que des militaires français ont participé au grand massacre des 13 et 14 mai 1994 à
Bisesero, au Rwanda. Après avoir fait publier un article dans leWall Street Journal en 2010, il sort
un livre en novembre 2011 où il assure que le 13 mai « la population hutu a achevé les blessés »
que « des soldats français auraient commencé par pilonner, puis mitrailler ». 1 Rien dans tous les
témoignages de rescapés ne venait accréditer auparavant une telle version des faits. Aucun n’avait
évoqué la présence de Français lors de cette attaque du 13 mai, la plus meurtrière qu’ils ont subie.
Un examen attentif des témoignages présentés et de la méthode utilisée fait apparaître la fragilité de
la preuve avancée. Le scénario est construit à partir d’affirmations de miliciens trop heureux de faire
accréditer une version de leur histoire où ils ne sont plus les pires des assassins. Lors des entretiens, les
rescapés sont manipulés par l’enquêteur afin de leur faire dire ce qu’ils n’ont jamais dit auparavant.
Réinterrogés, nombre d’entre eux contredisent les propos qui leur sont prêtés. D’autres témoignages
sont présentés mais n’évoquent pas la présence de Français les 12 et 13 mai. Leurs auteurs sont ainsi
convoqués pour justifier une thèse qui leur est étrangère. Celle-ci mise à part, certains témoignages
de rescapés gardent leur valeur.
La gravité des accusations contre l’armée française nécessitait des vérifications qui n’ont pas été
faites. La diffusion de ces accusations non étayées ne peut que jeter le trouble sur les plaintes déposées
en 2005 contre des militaires français, que la justice montre si peu d’empressement à instruire.
1 Les accusations contre les militaires français sur Bisesero
Les militaires français de l’opération Turquoise sont accusés d’avoir rencontré des survivants tutsi à
Bisesero le 27 juin 1994 et de les avoir abandonnés alors qu’ils étaient attaqués quotidiennement. 2 Ce n’est
que 3 jours après, le 30 juin, que, sur intervention de journalistes, quelques militaires français sont venus
à la rencontre des Tutsi et ont provoqué l’opération de secours. Les charges contre les militaires français
pourraient s’avérer plus lourdes. Ils étaient informés le 26 juin, et même dès le tout début de l’opération
Turquoise, de l’existence de Tutsi en danger et ils se seraient entendus avec les autorités génocidaires
pour que celle-ci éliminent les Tutsi restants, les Français les faisant passer pour des combattants du FPR
qui visaient à couper en deux la zone encore tenue par le gouvernement intérimaire rwandais.
Trois survivants de Bisesero ont déposé plainte en 2005 devant le Tribunal aux armées de Paris pour
complicité de génocide contre l’armée française. En 2010, le dossier a été transmis au pôle génocide du
Tribunal de grande instance de Paris.
1. Serge Farnel, Rwanda, 13 mai 1994, Un massacre français ?, L’Esprit frappeur, Aviso, 2011.
2. Patrick de Saint-Exupéry, L’inavouable - La France au Rwanda, Les Arènes, 2004.
1
2 2 LA PRÉSENCE DE FRANÇAIS AU RWANDA PENDANT LE GÉNOCIDE
2 La présence de Français au Rwanda pendant le génocide
La présence de militaires français au Rwanda pendant le génocide est attestée par des témoignages,
dont ceux des généraux Quesnot et Lafourcade. 3 Celle-ci a été implicitement justifiée par le fait que les
Accords d’Arusha n’interdisaient pas la présence de militaires dans le cadre de la Coopération. L’envoi
de mercenaires recrutés par l’ex-capitaine Barril pour former « une unité d’élite qui se préparait à mener
des attaques derrière les lignes du FPR » est signalée par Allison Des Forges 4 et le contrat de Barril avec
le gouvernement intérimaire a été rendu public. 5
Il est probable que l’armée française a laissé derrière elle des « sonnettes » pour faire du renseignement.
C’est notamment la fonction des CRAP, 6 en particulier ceux du 13e RDP qui dépend de la Direction du
renseignement militaire (DRM).
Un officier de la DGSE7 a reconnu récemment sa présence en Zuwanie sous couvert d’une affectation
comme logisticien dans une ONG fournissant des médicaments. On reconnaît aisément qu’il s’agit du
Rwanda. 8 Il séjourne à Kigali, à Butare et va à Cyangugu et à Goma.
L’ancien chauffeur de Bagosora, Tharcisse Nsengiyumva, a déclaré avoir vu des soldats français à une
barrière sur le pont de la Nyabarongo en se dirigeant de Kigali à Gitarama le 24 avril 1994. 9 L’auteur
de l’interview, Cécile Grenier, a collecté d’autres témoignages relatifs à la présence de Français durant
le génocide. Ceux-ci émanant pour la plupart de tueurs, elle ne les a pas publiés mais les a considérés
comme des éléments d’information nécessitant confirmation par d’autres sources. Dans les témoignages
qu’elle nous a communiqués, la présence de militaires ou mercenaires français est signalée principalement
dans la région de Gikongoro.
Patrick de Saint-Exupéry cite un témoignage selon lequel :« Des Français se battaient à la mi-mai
aux côtés des Forces armées rwandaises (FAR) dans la région de Butare. » 10
Quoiqu’une telle intervention soit jugée impensable, les propos que tient le général Huchon au colonel
Rwabalinda, rapportés par celui-ci qui le rencontre le 9 mai 1994, laissent entendre que de telles actions
ne seraient pas impossibles : « Il faut sans tarder fournir toutes les preuves prouvant la légitimité de la
guerre que mène le Rwanda de façon à retourner l’opinion internationale en faveur du Rwanda et pouvoir
reprendre la coopération bilatérale. Entre-temps, la maison militaire de coopération prépare les actions de
secours à mener à notre faveur [sic]. Le téléphone sécurisé permettant au Général BIZIMUNGU et au
Général HUCHON de converser sans être écouté (cryptophonie) par une tierce personne a été acheminé
sur KIGALI. » 11
Notons aussi la concomitance des massacres des 13-14 mai avec la présence de Bernard Kouchner qui
va au Rwanda du 10 au 17 mai pour tenter d’évacuer des orphelins vers la France. Il est le 12 à Kigali.
Le 13, il y visite deux orphelinats. Le 14, il intervient à la radio rwandaise. 12 Le 15, il va à Gitarama
rencontrer le gouvernement intérimaire et à son retour il essuie les tirs du FPR. 13 Il était accompagné
du colonel Bagosora, qui lui faisait ouvrir les barrières.
Il ne faut donc par écarter a priori comme farfelus les témoignages de Rwandais qui disent avoir vu
des militaires ou mercenaires français dans la région de Kibuye.
Cependant, aucun rescapé de Bisesero, interrogé par African Rights 14, par la commission Mucyo, 15
3. Entretien d’Olivier Lanotte avec le général Quesnot, janvier 2006. Cf. O. Lanotte, [5, p. 369 note 107] ; Entretien du
16 février 2006 avec le général Lafourcade. Cf. G. Périès, D. Servenay [6, p. 324] ; Général Lafourcade [4, pp. 29-30].
4. Aucun témoin ne doit survivre [3, p. 774].
5. Contrat d’assistance, signé par le Premier ministre du Rwanda et par le capitaine Barril, 28 mai 1994. Cf. Sylvie
Coma, Rwanda : les bonnes affaires du capitaine Barril au temps du génocide, Charlie Hebdo, 9 septembre 2009, pp. 8–9.
http://www.francegenocidetutsi.org/BarrilContratAssistance28mai1994.pdf
6. CRAP : Commandos de recherche et d’action en profondeur.
7. DGSE : Direction générale de la sûreté extérieure, agence française de renseignement et d’espionnage.
8. Colonel Thierry Jouan, Une vie dans l’ombre, Editions du Rocher, 2012.
9. Interview de Tharcisse Nsengiyumva par Cécile Grenier, 8-9 janvier 2003, Remera (Kigali). http://www.
francegenocidetutsi.org/TharcisseNsengiyumva.pdf
10. Patrick de Saint-Exupéry, France-Rwanda : des mensonges d’État, Le Figaro, 2 avril 1998, p. 4, colonne 7.
11. Ephrem Rwabalinda, Rapport de visite fait auprès de la maison militaire de coopération à Paris , 16 mai 1994.
http://www.francegenocidetutsi.org/RwabalindaRapport.pdf
12. Renaud Girard, Rwanda : le combat singulier de Marc Vaiter, Le Figaro, 16 mai 1994, p. 4
13. Mark Huband, Convoy peppered by bullets as Rwanda rebels fire on UN, The Guardian, 16 mai 1994. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/TheGuardianMarkHuband16mai1994.pdf
14. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero - Avril-Juin 1994, 1998.
15. République du Rwanda, Commission nationale indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implica3
ou d’autres enquêteurs, n’a signalé la participation de Français dans les attaques à Bisesero, les 13 et 14
mai 1994. De même, de tels témoignages n’apparaissent pas lors des procès au TPIR des responsables des
tueries de la région de Kibuye, les Kayishema, Ruzindana, Mpanbara, Musema, Niyitegeka, Ntakirutimana
père et fils, etc. Cependant, d’une part nous n’avons pris connaissance que d’une très faible partie des
transcriptions d’audience, d’autre part, il est connu que le bureau du Procureur comme les juges coupent
court à toute allusion au rôle des Français dans ce génocide.
3 Le massacre des 13-14 mai à Bisesero
Il est décrit dans l’enquête réalisée par African Rights à laquelle des rescapés ont directement collaboré.
Durant le mois d’avril, les Tutsi réfugiés sur les collines de Bisesero s’organisèrent pour résister aux
attaques. Siméon Karamaga, adjoint de Birara qui commandait la résistance, explique que les plus forts
se couchaient en laissant les attaquants arriver puis se mélangeaient à eux :
Les miliciens portaient des habits blancs quand ils nous attaquaient. Lorsque nous les
voyions arriver, j’allais devant les autres et je demandais à tout le monde de se coucher. Les
miliciens arrivaient en tirant. Mais, lorsqu’ils se rendaient compte que tout le monde était
couché, ils se rapprochaient. Je demandais alors aux Abaseseros de se lever et de se mêler aux
miliciens, car ainsi, ils ne pouvaient pas jeter des grenades ou tirer avec leur fusil sans prendre
le risque de tuer les leurs.
Notre commandant, Birara, restait derrière pour surveiller les personnes qui avaient peur :
il donnait des coups de bâton à ceux qui refusaient d’avancer. Il demandait également aux
femmes et aux enfants d’apporter des pierres ou des bâtons. Notre commandant essayait de
cacher les cadavres des Abaseseros, pour ne pas provoquer la crainte chez les autres au moment
du combat. 16
Ils réussirent même à tuer quelques assaillants. Début mai, ces attaques cessèrent, et certains Tutsi
traqués retournèrent dans leurs champs pour les cultiver.
L’attaque du 13 mai les prit par surprise. En plus des miliciens locaux, des policiers et gardiens de
prison, un nombre considérable de soldats et de membres de la garde présidentielle fut envoyé ainsi que
des miliciens venus de Bugarama, Gikongoro, Gitarama, Gisenyi et Ruhengeri. Ils arrivèrent en voiture
ou en autobus. Tous étaient des tueurs expérimentés, aguerris par les grands massacres perpétrés en avril.
Ils étaient nombreux à disposer d’armes à feu. Commandaient ces troupes et bandes de tueurs, le préfet
de Kibuye, Clément Kayishema, le ministre de l’Information, Eliezer Niyitegeka, les bourgmestres de
Gisovu et Gishyita, Aloys Ndimbati et Charles Sikubwabo, le commerçant Obed Ruzindana, le directeur
de l’usine à thé de Gisovu, Alfred Musema, Mikaeli Muhimana dit Mika, Yusuf Munyakazi, venu de
Cyangugu et bien d’autres.
L’attaque dura de 9 h à 16 h. Ils encerclèrent les réfugiés. Devant les armes à feu, les pierres lancées
par les Tutsi ne purent arrêter les assaillants. Presque toutes les femmes et les enfants furent massacrés.
Certains hommes attaquèrent pour rompre l’encerclement. Les survivants durent leur salut à la fuite.
Eric Nzabihimana décrit cette journée :
A cause de notre résistance, les génocidaires ont organisé un massacre terrible le 13 mai.
Ce jour-là j’ai vu beaucoup de bus qui transportaient des miliciens et des soldats, ainsi que
des camionnettes de l’usine de thé de Gisovu, et beaucoup de gens qui venaient à pied avec des
machettes pour nous attaquer. Ils nous ont encerclés sur la colline de Muyira . Les grenades
et les balles pleuvaient sur nous. Ma mère, Yurida Nyiranshongore, est morte alors qu’elle
était en train de me donner des pierres pour nous défendre. On a tué beaucoup de femmes
et d’enfants parce qu’ils étaient incapables de courir. Ce jour-là nous avons vu qu’il était
impossible de résister et chacun a cherché un moyen de s’enfuir. 17
tion de l’État français dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 (dite commission Mucyo), Rapport, 15 novembre
2007. http://www.francegenocidetutsi.org/RapportMucyo15novembre2007.pdf http://www.francegenocidetutsi.org/
AnnexesRapportMucyo071115.pdf
16. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 17].
17. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 39].
4 6 LA MÉNA ET L’AFFAIRE ENDERLIN
Le 14 mai, les assaillants revinrent pour achever les blessés. Suite à cette grande attaque, la résistance
organisée cessa. La seule solution de survie fut de se cacher et de ne sortir que la nuit pour chercher de
la nourriture.
4 Les « révélations » de Serge Farnel sur le 13 mai
Dans des journaux, un livre 18 et sur des pages web, Serge Farnel affirme les faits suivants. Le 12
mai des militaires français sont partis de Mubuga accompagnés du bourgmestre Sikubwabo et sont allés
vers une colline de Bisesero. Ils ont rencontré des Tutsi traqués jusqu’alors par les bandes armées hutu.
Sikubwabo a appelé les Tutsi et leur a dit que les Français sont venus là pour les sauver le lendemain
(p. 44). 19 Ce stratagème n’était fait que pour repérer les Tutsi et les mettre en confiance.
Le lendemain 13 mai les Français ont participé à l’attaque qui va être le plus grand massacre à
Bisesero. L’action des Français est présentée en plusieurs versions toutes déterminantes pour la réalisation
du massacre. Dans la version en 4e de couverture, les soldats français pilonnent et mitraillent, puis la
population hutu achève les blessés à l’arme blanche. Dans la version présentée en introduction, l’attaque
se décompose en trois temps. Dans le premier temps les Français pilonnent les Tutsi à l’arme lourde
(lance-roquettes), dans le second temps ils mitraillent, mais des soldats rwandais participent aussi au
mitraillage, enfin dans un 3e temps, les blessés sont achevés à l’arme blanche par la population et les
miliciens Interahamwe (p. 6).
5 Qui est Serge Farnel ?
Serge Farnel se présente comme ingénieur en aérospatial. Il travaille comme journaliste pour la Metula
News Agency, une agence de presse israélienne, dite la Mena, dirigée par Stéphane Juffa. Un rapide coup
d’oeil sur son site Web 20 révèle la proximité de cette agence avec l’armée israélienne. Serge Farnel se
présente aussi comme correspondant de l’Agence Rwandaise d’Information (ARI/RNA). Il a suivi les
travaux de la commission Mucyo sur le rôle de la France dans le génocide et en a fait des comptes rendus
pour la Mena. Dans sa série Un étendard sanglant à laver, il souligne à plusieurs occasions que l’armée
israélienne n’a jamais commis de crimes contre les Palestiniens analogues à ceux que l’armée française a
perpétrés contre les Tutsi.
6 La Ména et l’affaire Enderlin
Serge Farnel et la Ména font partie de la meute hargneuse qui poursuit le journaliste de France 2,
Charles Enderlin, pour son reportage sur la mort de l’enfant palestinien Mohammed al-Dura, vraisemblablement
tué par des tirs de l’armée israélienne au carrefour de Netzarim dans la bande de Gaza le 30
septembre 2000. 21 Ils accusent le correspondant de France 2 en Israël et son cameraman d’avoir fait une
mise en scène et prétendent que l’enfant est toujours vivant. Ils jugent Enderlin responsable de la vague
d’antisémitisme qu’aurait suscité ce reportage dans les pays arabes. Il aurait, selon eux, coûté la vie au
journaliste Daniel Pearl du Wall street journal, assassiné sous une photo du petit Mohammed Al-Dura. Ce
journal s’est aussi ligué contre Enderlin. Également impliqué avec la Ména dans cette traque, le journaliste
Jean-Paul Ney, 22 se présente comme journaliste de défense, spécialiste en terrorisme et cybercrime. Il a
écrit un livre sur le 13e RDP, les commandos français de recherche et d’action en profondeur qui ont opéré
notamment au Rwanda. Le site web de la Ména publie son reportage sur l’unité d’élite Khérev de l’armée
israélienne. Ney a été emprisonné en Côte d’Ivoire pour participation à une tentative de putsch au profit
d’Ibrahim Coulibaly en décembre 2007. Stéphane Juffa lui consacre un article sur le site de la Ména « Un
18. Serge Farnel, Rwanda, 13 mai 1994, Un massacre français ?, L’Esprit frappeur, Aviso, 2011.
19. Nous indiquons la pagination de la 1re édition du livre Rwanda, 13 mai 1994, Un massacre français ?, paru aux
éditions L’Esprit frappeur, Aviso en novembre 2011. Le livre a été réédité en mars 2012. Les textes que nous citons sont
restés les mêmes mais la pagination a changé.
20. http://www.menapress.org/.
21. Charles Enderlin, Un enfant est mort. Netzarim, 30 septembre 2000, Don Quichotte, 2010, p. 95.
22. Ibidem, p. 84.
5
grand reporter détenu à Abidjan » qu’il commence ainsi : « Notre camarade Serge Farnel a attiré mon
attention sur le fait que le grand reporter français Jean-Paul Ney avait été arrêté le 27 décembre dernier
à Abidjan. »
Faisant feu de tout bois contre Enderlin, Serge Farnel utilise ce qu’il sait du génocide des Tutsi pour
attaquer son employeur, la chaîne France 2, en l’assimilant à la Radio Télévision des Mille Collines, qui
poussait les Hutu à massacrer les Tutsi. Il déclare dans un colloque à Sciences Po :
L’« accusation en miroir » – comme on l’appelle – fut, en effet, utilisée par la radio RTLM
(la radio génocidaire) dans le but d’inciter les Hutu à tuer les Tutsi, qu’elle accusait alors de
planifier un génocide à leur encontre. « Tuez-les avant qu’ils ne vous tuent » était le leitmotiv
de l’accusation, dont elle entendait convaincre son auditoire, sur la base de déclarations
mensongères selon lesquelles les rebelles Tutsi du Front Patriotique Rwandais faisaient des incursions
meurtrières visant la population hutu du simple fait de leur appartenance ethnique.
Une situation présente à l’identique dans l’affaire Al-Dura puisque, suite à la diffusion
de cette image censée représenter un soi-disant acharnement d’une durée de 45 minutes, de
soldats israéliens sur un pauvre enfant sans défense, un Imam de Gaza appela à tuer les Juifs
partout dans le monde pour venger Mohammed Al-Dura. Il s’agit donc bien ici, pour peu
qu’on ait affaire à une mise en scène, d’une accusation en miroir.
D’ailleurs, il n’est même pas nécessaire d’adhérer à la thèse d’une mise en scène dans
l’affaire Al-Dura pour établir la culpabilité – je dis bien la culpabilité, et je pèse mes mots –,
de la chaîne publique française. Bien qu’elle n’en ait jamais eu la moindre preuve – ce que sa
directrice de l’information, Arlette Chabot, a elle-même reconnu sur une radio le 16 novembre
2004 –, la chaîne publique française n’en a pas moins accusé, à froid et non à chaud, et ce à
l’occasion des multiples anniversaires de la scène de la prétendue mort de l’enfant Al-Dura, les
soldats israéliens de l’avoir tué. Ceci alors que cette image était à l’origine d’un appel public
sur le canal de la chaîne officielle de la télévision de l’Autorité palestinienne, en octobre 2000,
incitant ses auditeurs à tuer les Juifs partout dans le monde pour, selon le prêcheur, venger
la mort de l’enfant Al-Dura.
Appel entendu par des islamistes pakistanais, qui, dans une vidéo alors accessible sur
Internet, montrèrent, sur fond de l’image des Al-Dura, le journaliste américain Daniel Pearl,
faisant dire à leur otage qu’il était Juif, puis sa tête déposée sur son corps décapité. 23
Ce discours conduit à faire l’hypothèse que Serge Farnel utilise ses enquêtes sur le génocide au Rwanda
pas seulement pour mettre en évidence la responsabilité des dirigeants politiques et militaires français
mais aussi pour justifier ou défendre l’action de l’armée israélienne dans le conflit avec les Palestiniens.
Pour ce faire, il ne recule pas devant l’outrance, jusqu’à comparer la chaîne de télévision France 2 avec
la RTLM.
7 Réalisation de l’enquête
En 2006, Serge Farnel suit des auditions de la commission Mucyo pour le compte de la Ména. Il
assiste en particulier à une journée de reconstitution à Gishyita et Bisesero où des tueurs sont invités à
revenir sur les lieux correspondants aux témoignages qu’ils ont donnés précédemment à la commission.
Ils montrent en particulier les endroits où sont allés les Français au début de l’opération Turquoise. 24
Le 5 avril 2009, Serge Farnel participe au colloque organisé à Kigali sur le génocide. Il obtient l’aide
de Jean de Dieu Mucyo, Secrétaire Exécutif de la CNLG, 25 qui lui finance les services d’un cameraman.
Il réalise des interviews jusque fin avril.
Le 21 avril 2009, une rescapée, Esther Uwayisenga, lui dit avoir vu des Blancs le 12 mai 1994. Le 21
et le 22 avril, Serge Farnel obtient confirmation de présence de Blancs le 12 mai 1994 auprès de deux
autres rescapés, Antoine Sebirondo et Adrien Harolimana. Mais c’est l’interview du chef Interahamwe
23. Intervention de Serge Serge Farnel au cours du Colloque en date du 14 juin 2008, à Sciences-po Paris, sur la réparation
du crime de génocide. http://www.debriefing.org/26573.html
24. Probe follows up in the foot-steps of French soldiers to Bisesero, ARI/RNA, december 19th, 2006.
25. Commission Nationale de Lutte contre le Génocide.
6 7 RÉALISATION DE L’ENQUÊTE
Fidèle Simugomwa qui va installer dans son esprit le scénario de la participation de Français au massacre
du 13 mai (p. 87).
L’année suivante Serge Farnel retourne à Bisesero accompagné d’Anne Jolis, une journaliste du Wall
Street Journal. Il s’est joint les services d’un cameraman, de Vénuste Kayimahe comme interprète et de
Boniface Nkusi, un rescapé, permanent d’Ibuka, qu’il charge de recruter des témoins.
Il va procéder à ce qu’il appelle une reconstitution. Pendant deux jours, les témoins, qu’ils soient
tueurs ou rescapés, vont répondre à ses questions devant la caméra et en présence de tous les autres
témoins.
Impressionnée, la journaliste va écrire un vibrant article dénonçant la participation des militaires
français au massacre du 13 mai. 26 Cet enthousiasme n’est pas partagée par l’interprète Vénuste Kayimahe
qui se dit « indisposé » par cette coopération entre tueurs et victimes sous la houlette de ce journaliste
français et qui estime au final que c’est un épisode « non encore historiquement confirmé ». 27
Un courriel envoyé par la Ména confirme que cette agence patronne l’enquête de Serge Farnel, qu’elle
l’a mis en contact avec Anne Jolis et qu’elle compte produire avec lui un film documentaire :
A partir de 2003, la Metula News Agency a consacré des dizaines d’articles au génocide des
Tutsis au Rwanda, dont une majorité sous la plume de Serge Farnel. Lequel Farnel commença
le tournage d’un film documentaire, en avril 2009, sur les lieux du massacre au “pays des mille
collines”.
Constatant l’importance des révélations contenues dans ledit documentaire, notamment
quant à la participation directe de l’armée française dans le génocide, la Ména intéressa le
Wall Street Journal au film de Farnel.
Le WSJ, d’accord avec la Ména, vérifia, in situ, l’ensemble des témoignages recueillis par
Farnel. C’est sur la base de son enquête que le Wall Street Journal diffuse ce vendredi, dans
son édition internationale, l’article de sa journaliste Anne Jolis.
Nous le publions ici simultanément en version française, avec l’accord explicite du WSJ.
Quant au documentaire de Serge Farnel, produit par la Metula News Agency, il sera prochainement
diffusé par des chaînes de télévision. 28
Ce courriel vient contredire ce que l’auteur affirme par ailleurs : « Aucun organe de presse m’a
missionné pour cette tâche, ni d’ailleurs pour toutes celles qui avaient préalablement concerné mon implication
dans l’affaire franco-rwandaise » (p. 117).
Alors que tous les témoignages recueillis en vidéos en kinyarwanda réclament une traduction soignée,
un examen à tête reposée et des vérifications à partir d’autres sources, Serge Farnel a choisi de conclure
immédiatement et d’en faire un scoop dans les médias.
À deux occasions, nous avons pu visionner quelques vidéos de Serge Farnel en sa présence. La voix
de l’interprète en français étant peu audible, il était difficile de comprendre. Dans ses interviews, Serge
Farnel nous est apparu très directif, reposant sans cesse des questions allant dans le sens de sa thèse. Une
rwandophone lui a fait remarquer qu’il ne tenait pas compte des réponses des témoins.
Le 13 mai 2010, Le Monde publie une tribune de Serge Farnel où celui-ci présente ses révélations. 29
Le numéro pour l’année 2010 de la revue La Nuit Rwandaise titré « 13 mai, jour du repentir » considère
comme établies les révélations de Serge Farnel sur le 13 mai 1994. L’article proposé par l’interprète Vénuste
Kayimahe est refusé, alors que ce dernier est un auteur habituel de la revue.
Le livre de Serge Farnel Rwanda, 13 mai 1994, Un massacre français ? est publié en novembre 2011
à l’occasion d’un colloque à Paris où participe Eric Nzabihimana. On peut lire sur la quatrième de
couverture :
26. Anne Jolis, Rwanda’s Genocide : The Untold Story , The Wall Street Journal, February 26, 2010.
http://www.francegenocidetutsi.org/AnneJolisTheUntoldStoryWSJ26February2010.pdf Traduction de Llewellyn
Brown. Le génocide du Rwanda : l’histoire qui n’a pas été dite. http://www.francegenocidetutsi.org/
AnneJolisLhistoireQuiNaPasEteDiteWSJ26Fevrier2010.pdf
27. Vénuste Kayimahe, La randonnée de la mort, 25 mars 2010. http://www.francegenocidetutsi.org/
KayimaheRandonneeDeLaMort.pdf
28. De : Metula News Agency . Date : Fri, 26 Feb 2010 06 :32 :32 +0200. Sujet : Le génocide
du Rwanda : l’histoire qui n’a pas été.
29. Serge Farnel, Rwanda, le 13 mai 1994, Le Monde, 13 mai 2010. http://www.lemonde.fr/idees/article/2010/05/
13/rwanda-le-13-mai-1994-par-serge-farnel_1350541_3232.html
7.1 Position de l’auteur vis-à-vis de Serge Farnel 7
Date Événement
19 décembre 2006 Serge Farnel se rend à Gishyita avec la commission Mucyo
5 avril 2009 Colloque à Kigali sur le génocide
20 avril 2009 Interview de Eric Nzabihimana à Kibuye
21 avril 2009 Interview de Esther Uwayisenga et Antoine Sebirondo
22 avril 2009 Interview d’Adrien Harelimana
28 avril 2009 Interview de Fidèle Simugomwa
30 avril 2009 Interview d’un groupe de rescapés dont Etienne Basabose
Décembre 2009 Anne Jolis visionne les rushs de Farnel à Paris
14-15 février 2010 Reconstitution à Bisesero avec Anne Jolis
26 février 2010 Article d’Anne Jolis dans le Wall Street Journal
14 mars 2010 Projection de témoignages par Farnel
Mars 2010 Farnel présente ses « révélations » à Me A. Comte, avocat des 6
plaignants rwandais
16 avril 2010 Table ronde à la Ligue des Droits de l’homme.
13 mai 2010 Parution de La Nuit Rwandaise titrée « 13 mai, jour du repentir »
13 mai 2010 Tribune de Farnel dans Le Monde
13 mai 2010 Golias Hebdo : Farnel, « Enquête Rwanda : Des militaires français
dans le génocide »
1er juillet 2010 Golias : Farnel « Révélations sur la participation directe de l’armée
française au génocide »
12 novembre 2011 Livre de Farnel « Rwanda, 13 mai 1994, Un massacre français ? »
4 avril 2013 Golias-Hebdo : B. Boudiguet : « Enquête dans l’ouest du Rwanda
sur un impensable génocide français »
Table 1 – Historique de l’enquête de Serge Farnel.
Aussi s’agit-il aujourd’hui de savoir se recentrer sur des paroles d’experts. L’auteur de cet
ouvrage en a interrogés des dizaines après être allé à leur rencontre sur les collines rwandaises.
Ce sont des rescapés du génocide perpétré à l’encontre des Tutsi. Ce sont aussi d’anciens
tueurs. Le récit qui émerge, à la manière d’un puzzle, de tous ces témoignages est d’une
grande clarté et d’une grande cohérence.
C’était le 13 mai 1994. C’était à Bisesero, dans l’ouest du Rwanda. Près de quarante mille
civils tutsi ont, en ce jour et cet endroit, été massacrés. La population hutu a, quant à elle,
achevé les blessés avec leurs machettes et leurs massues. Les blessés ? Ceux que des soldats
français auraient commencé par pilonner, puis mitrailler.
Voilà l’Histoire telle que tous ces témoins l’ont racontée à l’auteur du présent ouvrage.
Devant la gravité d’une telle découverte, il était indispensable de faire vérifier mot à mot
la traduction en kinyarwanda de l’ensemble de ces entretiens, avant d’en rendre publique
l’intégralité. Car cette Histoire appartient à l’Humanité. C’est l’objet de cet ouvrage.
Alors que les allégations du livre sont d’une exceptionnelle gravité, celui-ci n’apporte rien de précis qui
puisse être versé dans un dossier judiciaire. La présence de Blancs est déjà contestable. Leur nationalité
française l’est encore plus, car elle n’est affirmée que par les Interahamwe. L’affirmation que ce sont des
militaires l’est plus encore. Rien ne permet de déterminer ni leur unité, ni leur grade, ni leur identité.
7.1 Position de l’auteur vis-à-vis de Serge Farnel
L’auteur de cet article a aidé Serge Farnel, lui fournissant des informations, alors que celui-ci était au
Rwanda. Il n’a pas eu accès aux résultats de l’enquête avant la publication de l’article dans le Wall Street
Journal. Ensuite il a assisté à deux projections d’interviews en vidéos dont la traduction française était
inaudible. Sous la pression de Serge Farnel il a accepté de citer l’article d’Anne Jolis dans son livre La
France au coeur du génocide des Tutsi, paru en avril 2010. Il a ajouté que ces interviews étaient encore
8 9 LA MÉTHODE D’ENQUÊTE
à traduire et à analyser. Au Rwanda en juin 2010, il a interrogé deux témoins rescapés dont les noms
étaient cités dans l’article. L’un confirmait ses dires, l’autre pas. Eric Nzabihimana a déclaré n’avoir
jamais entendu parler de Français le 13 mai à Bisesero. L’interprète Vénuste Kayimahe a refusé d’aller
à Bisesero, dégoûté par ce qui s’était passé avec Serge Farnel. Rentré en France, l’auteur a constaté que
l’article de Vénuste Kayimahe, exprimant des réserves sur l’enquête de Serge Farnel, avait été censuré
dans la revue La Nuit Rwandaise No 4 de 2010, dénommée « Le 13 mai, jour du repentir ». Dans l’éditorial
et dans plusieurs des articles, la participation de Français au massacre du 13 mai 1994 était présentée
comme une vérité historique. L’auteur de cet article a jugé inacceptable cette façon de faire.
8 Des tueurs assimilés aux rescapés de la Shoah
Présumant dans son introduction que ses révélations seront contestées, Serge Farnel écrit ceci :
Une fois les premiers résultats de cette enquête publiés en février 2010 dans le Wall Street
Journal, on imagine la pression à laquelle les témoins que j’ai interrogés ont peu à peu dû être
soumis pour qu’ils se taisent, se rétractent, ou tout bonnement oublient avoir vu le moindre
soldat blanc au mois de mai 1994. N’oublions pas en effet, et ce à toute fin utile, que nous
parlons ici de l’implication directe de soldats français dans le dernier génocide du vingtième
siècle.
Nul doute, en ces circonstances pour le moins singulières, que certains d’entre eux finiront
par se rétracter, soit parce que le scepticisme auquel ils auront dû faire face les aura fait se
refermer sur eux-mêmes, à l’instar des rescapés de la Shoah dont on n’a pas manqué d’affirmer
qu’ils affabulaient lorsque, pour la première fois, ils s’étaient mis à parler de leurs expériences
des camps de la mort, soit plus simplement pour avoir été menacés. Quels sont ceux qui, parmi
eux, auront encore le courage de résister à ces pressions que ne manqueront pas d’exercer sur
eux ceux dont l’intérêt est qu’ils finissent par revenir sur leur premier témoignage ? (pp. 7-8)
Parmi les témoignages utilisés par l’auteur pour construire son accusation il y a ceux des tueurs qui
jouent un rôle essentiel. Assimiler les tueurs aux rescapés de la Shoah parce que dans les deux cas on n’avait
pas voulu les croire, manifeste de la part de l’auteur un dérapage insupportable. Tous les arguments lui
paraissent bons pour justifier sa théorie. Pour interdire la critique des témoignages éminemment douteux
des tueurs, il va leur conférer le caractère sacré des rescapés de la Shoah. Un autre propos est tout à fait
scandaleux :
« Or c’est précisément parce que cette stratégie d’éradication totale a finalement échoué qu’il m’aura
été possible de recueillir des témoignages de la journée du 13 mai 1994 émanant non seulement d’anciens
génocidaires, mais aussi de survivants tutsi ». 30
Affirmer que la « stratégie d’éradication totale a finalement échoué » devant des rescapés, c’est vraiment
n’avoir aucun respect pour eux qui ont absolument tout perdu. Ils sont vivants mais c’est comme
s’ils étaient morts. Le génocide des Tutsi est une opération réussie. Pour preuve elle continue à faire des
morts. Ce qui a échoué, c’est la guerre contre le FPR et l’emprise du gouvernement hutu-power sur la
population à l’intérieur des frontières du Rwanda.
La manière indifférenciée de considérer les témoignages des survivants et des génocidaires, qui eux
sont vivants malgré leur prétendu échec, est insupportable.
9 La méthode d’enquête
9.1 Les interviews
Les interviews menées par Serge Farnel en 2009 semblent faites de manière correcte, hormis l’interview
collective de rescapés le 30 avril (p. 424). Il n’en est pas de même en 2010 lors de ces deux journées de
reconstitution. Serge Farnel a fait battre le rappel à Mubuga afin de rassembler beaucoup de monde. Il
aurait fait espérer que la participation à ses interviews permettrait d’obtenir de l’argent. Beaucoup de
gens sont venus. Les rescapés, se sont retrouvés avec les tueurs. L’entente fut bonne. Les témoignages
30. Serge Farnel, Document préparatoire à la table ronde de la Ligue des Droits de l’Homme du 16 avril 2010, pp.5-6.
9.1 Les interviews 9
se faisaient devant tout le monde et tous se retrouvèrent d’accord pour charger les Français. La fin des
interviews se déroula moins bien. Les témoins n’auraient pas obtenu de Serge Farnel ce qu’ils attendaient
de lui.
9.1.1 Il ne laisse pas parler ses interlocuteurs
À la lecture des interviews, il apparaît qu’il ne laisse pas ses interlocuteurs entamer un récit. Il ne les
écoute pas. Il les assaille de questions. Il les embrouille. À la limite ceux-ci n’ont plus qu’à lui répondre par
oui ou par non. Il donne même l’impression que ses interlocuteurs, souvent perturbés, lui répondent afin
qu’il obtienne satisfaction. « Farnel influençait les témoins, déclare Boniface Nkusi, pour qu’ils donnent
des réponses qu’il voulait, il continuait à leur poser beaucoup de questions et il finissait par les mettre
dans la confusion et ils lui mentaient pour être tranquilles. »
9.1.2 Il fournit la réponse dans sa question
En voici quelques exemples :
- SF : Esther, cet endroit où nous sommes est un endroit où était qui précisément le 12 mai 1994 ?
- Esther Uwayisenga : C’était le 12 (p. 568).
- SF : De la suie noire c’est ça ?
- Fidèle Simugomwa : Noire. 31
9.1.3 Il influence les personnes qu’il interroge
L’enquêteur est censé ne pas savoir ce qui s’est passé. Il interroge le témoin pour l’apprendre. Or
souvent ici c’est plutôt l’inverse. C’est particulièrement le cas dans l’interview d’Esther Uwayisenga où
celle-ci est censée révéler la présence de Français le 12 juin.
Il est nécessaire de noter le déséquilibre entre l’enquêteur et le témoin rescapé. Celui-ci reste traumatisé
physiquement et moralement. Une partie y a réchappé et mène une vie en apparence normale. Mais
d’autres restent toujours marqués par le « trauma ». Ceux qui sont restés à Bisesero vivent dans la
pauvreté sinon la misère.
L’Européen, qui a lu des livres sur le génocide et arrive avec tout son matériel électronique, se trouve
en situation de supériorité et paradoxalement peut donner l’impression d’en savoir plus sur les faits à
propos desquels il interroge le témoin.
Les témoins doivent fournir des informations précises sur des faits remontant à 15 ou 16 ans. Ils s’en
souviennent sous l’aspect d’un profond traumatisme. Bien sûr, ils n’ont pas oublié l’attaque du 13 mai
et l’arrivée des Français le 27 juin. Mais quant à en donner la date exacte, c’est difficile pour eux. Par
exemple, dans l’enquête d’African Rights publiée en 1998, ils situent cette arrivée des Français le 26
juin. 32 Nous ne connaissons la date exacte que par les journalistes qui accompagnèrent le lieutenantcolonel
Diego. Les survivants n’avaient pas une exacte notion du calendrier au moment des faits.
Si les rescapés ont souvent témoigné, rares sont ceux qui ont rédigé par écrit leurs souvenirs. Compte
tenu de l’effacement du souvenir propre à tout homme et du traumatisme toujours présent, les rescapés
peuvent faire des confusions entre différents moments. Ils sont aisément manipulables.
9.1.4 Des entretiens plutôt que des témoignages
Le caractère directif des interviews saute aux yeux quand on lit le livre. Ils n’ont en rien le caractère
de témoignages. Ce sont des entretiens. Et nous constatons notamment dans le cas d’Esther Uwayisenga
que Serge Farnel a une position dominante et en abuse.
La démarche correcte aurait dû être de laisser parler la personne, de l’écouter et de ne poser des
questions qu’après. Une enquêtrice bien connue de Serge Farnel a procédé ainsi.
Pour tirer des témoignages des éléments à valeur historique, il faut les transcrire, les traduire, et
retourner entendre la personne pour valider et compléter ses déclarations. Ceci est nécessaire en particulier
quand la personne rapporte des faits importants, jamais entendus auparavant.
31. Serge Farnel, Document préparatoire à la table ronde de la Ligue des Droits de l’Homme du 16 avril 2010, p. 7.
32. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 98].
10 9 LA MÉTHODE D’ENQUÊTE
De fait, Serge Farnel est revenu réentendre les témoins l’année suivante. Mais les interviews collectives
qu’il a organisées tenaient plus de la pièce de théâtre que d’une enquête de vérification.
9.2 La méthode de reconstitution des faits
Serge Farnel dit résoudre un puzzle. Connaissant a priori la figure à reconstruire il va assembler les
pièces en faisant en sorte qu’elles s’emboîtent avec les voisines. La figure à reconstruire est la participation
des Français au massacre du 13 mai. Les pièces sont des bouts de témoignages qu’il va se débrouiller pour
obtenir. Le résultat est un scénario qu’aucun témoin rescapé n’a évoqué. Celui-ci n’est confirmé que par
les tueurs. Lors de la « reconstitution », les rescapés se trouvent en situation d’apprendre une partie de
ce qu’ils doivent dire de la bouche du metteur en scène et de ceux qui sont interrogés avant eux.
9.3 Les deux journées de reconstitution
Vénuste Kayimahe, l’interprète, décrit le malaise qu’il éprouva devant cette reconstitution : « Les
anciens interahamwe nous faisaient refaire leur parcours d’il y a seize ans pour se rendre à l’extermination
des Basesero en mai 1994. Cette fois-ci, ils cheminaient main dans la main avec les rescapés, ceux dont ils
ont tué parents, enfants, époux ou épouses, frères et soeurs, cousins et cousines, qu’ils ont blessés, affamés
et pourchassés pendant trois longs mois en cherchant à les éradiquer de cette terre. Les protagonistes du
génocide discutaient gentiment entre eux, se parlant à coeur ouvert, riant par moments, partageant même
au passage un morceau de maïs grillé. » 33
Une photo qui accompagne l’article du Wall Street Journal montre que chaque témoin parle devant
Serge Farnel et la caméra, en présence des autres témoins. 34 Les témoignages ne sont donc pas indépendants.
C’est une exigence élémentaire que dans ce genre d’enquête, les témoins soient entendus
séparément, comme cela se fait dans les procédures judiciaires.
Figure 1 – Rwandans line up to tell their story of events in 1994. Anne Jolis, Wall Street Journal
33. Vénuste Kayimahe, La randonnée de la mort, 25 mars 2010. http://www.francegenocidetutsi.org/
KayimaheRandonneeDeLaMort.pdf
34. Voir figure 1 page 10.
9.4 Filtrage des témoignages 11
La reconstitution va durer deux jours. Chaque témoin, victime ou bourreau, a donc eu le temps
d’élaborer son récit en fonction de ce qu’il a entendu les autres dire.
Avant le deuxième voyage de Serge Farnel à Bisesero, il lui avait été conseillé de s’enquérir des douilles
de balles ou d’autres munitions abandonnées sur le sol. Il ne semble pas s’en être soucié. Pourtant, à en
croire son récit, des Français auraient tiré abondamment depuis des emplacements où les témoins l’ont
amené lors des deux jours de reconstitution. Il n’aurait pas été difficile de gratter la terre aux endroits
où, selon les tueurs, se trouvaient les militaires français.
9.4 Filtrage des témoignages
Lors d’une projection en privé, Serge Farnel nous a dit qu’il avait recueilli le témoignage d’un « vieux »
qui ne cadrait pas avec les autres témoignages sur la présence de Français lors de l’attaque du 13 mai à
Bisesero. Il a attribué ce désaccord aux troubles de mémoire dont serait atteinte selon lui cette personne.
Il est possible qu’il s’agisse de Siméon Karamaga.
Dans l’article du Wall Street Journal le témoignage de Godelieve Mukangamije est mis en avant à
propos de la présence de Français le 12 mai. L’auteur de ces lignes interroge cette dame le 4 juin 2010.
Elle semble très traumatisée et confuse, elle confond visiblement le 12 mai et le 27 juin. Son témoignage
n’est pas retenu pour le livre.
10 L’absence de validation
Dans ce travail de Serge Farnel il n’y a pas de confrontation entre les témoins qui disent avoir vu des
Blancs ou des Français entre le 12 et le 14 mai et ceux qui n’en parlent pas.
Il n’y a aucun essai de croiser les informations recueillies avec celles disponibles par ailleurs. Les
rescapés ayant témoigné précédemment, dans les enquêtes d’African Rights ou à la commission Mucyo,
n’ont pas été confrontés à ces nouveaux témoignages.
Serge Farnel aurait remis ses rushes à la CNLG, dirigée par Jean de Dieu Mucyo, qui n’aurait pas jugé
qu’ils apportaient des éléments nouveaux rapportés de manière fiable. Serge Farnel aurait dû les faire
visionner par des rescapés et d’anciens membres de la commission Mucyo, avant de publier tout résultat.
Un simple examen du rapport de la commission Mucyo et de ses annexes permet de repérer des
témoins de Serge Farnel, qui affirment la présence de Français les 12-14 mai, comme le rescapé Adrien
Harelimana, les tueurs Fidèle Simugomwa et Elie Ngezenubwo. Le témoignage d’Adrien contredit ce que
Farnel lui fait dire. Les deux autres ne parlent pas de présence de Français les 12-14 mai. La déposition
de Jean-Baptiste Twagirayezu, le guide du lieutenant-colonel Duval alias Diego le 27 juin, contredit les
témoins de Serge Farnel. De même, on retrouve dans la brochure d’African Rights Résistance au Génocide
- Bisesero - Avril-Juin 1994 les rescapés Esther Uwayisenga et Siméon Karamaga. Nous ne trouvons dans
les paroles de ces personnes consignées dans ces rapports aucune confirmation de ce que leur fait dire
Serge Farnel.
D’autres vérifications sont possibles. Par exemple, dans les vidéos que Serge Farnel a projetées en
privé, un chef Interahamwe, qui est probablement Fidèle Simugomwa, raconte qu’il a participé le 22 avril
à une réunion à la préfecture de Kibuye où le Premier ministre Jean Kambanda était présent ainsi que des
Français. Serge Farnel va faire une reconstitution avec le témoin dans cette salle de réunion. Il accordait
beaucoup de crédit à cette révélation. De notre côté, nous n’avons pas trouvé trace du passage de Jean
Kambanda à Kibuye à cette date. Nous savons qu’il y est venu le 3 mai. C’est d’ailleurs ce qu’affirme
son témoin Ignace Banyaga (p. 270). Selon André Guichaoua, Jean Kambanda est ce vendredi 22 avril à
Murambi où siège le GIR, à côté de Gitarama. Il préside un Conseil national de sécurité, reçoit le chef
d’état-major de la gendarmerie et les évêques. 35 Cependant Jean Kambanda, lors de sa déposition devant
des enquêteurs du TPIR, rapporte qu’il est allé vers le 24 avril à Kibuye dans le cadre de sa mission de
pacification. 36 Sur ce point, l’informateur de Serge Farnel n’a peut-être pas tout faux. Mais Farnel n’a
pas fait ce genre de vérification.
35. André Guichaoua, Annexe 97 : Synthèse des activités du Gouvernement intérimaire et de ses membres à partir du 8
avril 1994. http://rwandadelaguerreaugenocide.fr/wp-content/uploads/2010/01/Annexe_97.pdf
36. Pierre Duclos, Interrogatoire de Jean Kambanda - Cassette # 34, TPIR, 3 octobre 1997. http://www.
francegenocidetutsi.org/Kambanda34Fre.pdf
12 11 DES CONTRADICTIONS
10.1 L’absence de démenti de l’armée française
L’absence de réaction des militaires français après la publication de l’article du Wall Street Journal
et de sa tribune dans Le Monde est pour Serge Farnel la confirmation que toute son enquête est vraie.
« On fournit publiquement dans un des plus grands journaux américains, écrit-il, des éléments indiquant
la possibilité d’une participation directe de l’armée française au dernier génocide du XXe siècle et elle
ne réagit pas ? Seule la culpabilité peut justifier un tel silence. Des chefs militaires qui n’ont rien à se
reprocher se lèvent pour laver l’honneur de leur armée, communiquent, réagissent, demandent un droit
de réponse, portent plainte. Or ce n’est aujourd’hui que leur silence que nous enregistrons ! » 37
Ce raisonnement est spécieux. Des officiers n’ont pas hésité à déposer plainte en diffamation contre
Patrick de Saint-Exupéry pour avoir en 2009 réédité son livre L’Inavouable, changé son titre en Complices
de l’Inavouable et ajouté leurs noms sur la couverture. Les mêmes ou d’autres ne supportent pas le rapport
Mucyo et ont déposé plainte contre des publications qui ont mis sur leur site web le document rwandais
où leurs noms figurent parmi les personnalités françaises qui seraient les plus impliquées dans le génocide.
À quoi attribuer l’absence de réaction des militaires français devant les accusations de Farnel ? Est-ce
parce qu’ils savent pertinemment que celles-ci sont fausses ?
11 Des contradictions
11.1 Des Blancs au visage peint en noir
Dans sa tribune au Monde, Serge Farnel décrit ainsi l’apparition des Français, le jour du grand
massacre à Bisesero : « Le 13 mai 1994, a lieu, vers 7 heures du matin, un grand rassemblement sur la
place de Mubuga : plus de cent personnes sont réunies quand arrive le bourgmestre de Gishyita, Charles
Sikubwabo (actuellement en fuite et recherché par le TPIR), accompagné d’une dizaine d’hommes en
uniforme militaire qu’il prend alors soin de présenter à la foule comme Français, et dont le visage est
cette fois camouflé avec de la suie noire. » 38
Il le répète dans la revue Controverses : « Le visage des soldats français, écrit Serge Farnel, n’est pas
pour rien caché avec de la suie noire. Car, au programme de ce 13 mai cette fois : l’extermination des
Tutsi de Bisesero. » 39
Comment, alors qu’ils sont encerclés, mitraillés, hachés menus, massacrés ou qu’ils réussissent à fuir
ou à se cacher, des survivants de ce massacre peuvent-ils affirmer à Farnel qu’ils ont vu des « Blancs » ?
C’est l’Interahamwe Fidèle Simugomwa qui est le premier à révéler à Serge Farnel la présence de
Français le 13 mai. Voici comment il les décrit :
Q : Ils étaient habillés comment ?
R : Tache tache.
Q : Camouflage c’est ça ?
R : Ils se camouflaient avec... [Il se passe les doigts sur son visage]
Q : De la suie noire c’est ça ?
R : Noire. 40
On observe ici que la couleur noire de la peinture est suggérée par l’enquêteur. Dans le livre, interrogé
le 28 avril 2009, cette couleur est verte (p. 334) :
Q : Il y avait combien de soldats français le 13 mai 1994 sur les collines de Bisesero ?
R : J’en ai vu environ huit, entre huit et douze militaires.
Q : Ils étaient habillés comment ?
R : Ils portaient justement ces uniformes tache tache, et ils avaient mis des trucs sur leurs
visages.
37. Serge Farnel, Enquête Rwanda : Des militaires français dans le génocide, Golias Hebdo, 13 mai 2010. http://www.
francegenocidetutsi.org/GoliasHebdo132Farnel.pdf
38. Serge Farnel, Rwanda, le 13 mai 1994, Le Monde, 13 mai 2010.
39. Serge Farnel, Les massacres des 13 et 14 mai à Bisesero. Peut-on envisager la responsabilité de soldats français ?,
Controverses, no 14, mai 2010, p. 84.
40. Interview réalisé en avril 2009 à Kibuye. Cf. Serge Farnel, Document préparatoire à la table ronde de la Ligue des
Droits de l’Homme du 16 avril 2010, p. 7.
11.2 La rencontre des Français avec les Tutsi le 12 mai 13
Q : Mis quoi sur leurs visages ?
R : Des trucs. On aurait dit de l’encre, l’encre d’un stylo ou de la peinture.
Q : De quelle couleur ?
R : Verte.
Mais le lendemain 30 avril 2009, le même témoin dit que cette couleur est noire (pp. 407-408) :
Q : Étaient-ils en tenue militaire ? Étaient-ils camouflés ?
R : Oui, en tenue militaire tache tache. C’étaient de tenues tache tache, mais ils s’étaient
mis de la suie, des trucs qui leur noircissaient le visage.
Le lecteur se rend compte que ce témoin n’est guère fiable. Or son rôle est central dans l’accusation
de Serge Farnel.
11.2 La rencontre des Français avec les Tutsi le 12 mai
Parmi les rescapés qui disent avoir vu des Français le 12 mai, Esther Uwayisenga dit qu’ils se sont
arrêtés et ont parlé avec des Tutsi (pp. 257-259), ils étaient en bas de la colline de Gitwa. Adrien Harolimana
ne les a vus que passer (p. 310), alors qu’il était sur la même colline. Antoine Sebirondo les a vus
passer alors qu’il était sur la colline de Nyakigugu (p. 293) puis il les a vus 10 km plus loin vers Ruhuha
entourés d’Interahamwe (p. 294).
Les Interahamwe disent que les Français sont allés à Mumubuga avec le bourgmestre Sikubwabo. Selon
Semi Bazimaziki, celui-ci a appelé les Tutsi et leur a dit que les Français étaient venus les sauver. Les
Tutsi s’approchent un à un pendant que des militaires rwandais contiennent la foule hutu. Les Blancs
se sont entretenus avec les Tutsi (pp. 42-44). François Nyamwigema ajoute que Sikubwabo dit aux Tutsi
que demain « nous reviendrons avec des aides pour vous assister et puis pour vous protéger aussi »
(p. 44). Tout cela n’a rien de contradictoire pour Serge Farnel qui croit confirmer ce que disent les
Interahamwe par le témoignage d’Antoine Sebirondo qui observe les Français à Ruhuha. Mais ce lieu est
éloigné de Mumubuga. La reconstitution de l’itinéraire de ces Français et de leurs actions (p. 96) devient
très compliquée. Les témoignages ne concordent pas sauf ceux des Interahamwe, qui sont interviewés
ensemble le 14 février 2010 lors de la reconstitution à Mumubuga.
11.3 Des armes lourdes ?
L’auteur affirme que « Jean observe les soldats blancs tirer des roquettes » (p. 61). En fait Jean
Ngarambe dit : « ils ont placés des roquettes sur leur fusil et les ont balancés dans cette direction »
(p. 62). Il ne s’agit donc pas de roquettes, qui se lancent au moyen de tubes lance-roquettes, mais de
grenades à fusil autrement appelées streams au Rwanda qui ont plus de portée qu’une grenade lancée à
la main mais ne doivent guère faire plus de victimes. Leur avantage est que le lanceur reste beaucoup
plus à l’abri. Ce ne sont donc pas des armes lourdes.
L’usage d’armes “lourdes” comme des mitrailleuses a déjà été signalé par l’enquête d’African Rights.
Ainsi Uzziel Ngoga explique qu’entre le 20 et le 25 avril, les Hutu et les Batwa qui étaient avec eux ont
rejoint les génocidaires à Mubuga. Ils leur ont révélé leur tactique secrète qui consistait à se mélanger
avec les assassins : « Du coup, eux aussi changèrent leur façon de nous attaquer ; ils ont mis une grande
mitrailleuse au sommet d’une colline et ont tiré sur nous à distance. Nous nous sommes repliés sur la
colline de Muyira. » 41 La date de cette observation est donc postérieure au 25 avril. La présence de Blancs
n’est pas signalée. Dans les témoignages rapportés dans cette brochure d’African Rights sur Bisesero, on
ne voit évoqué ni canon, ni roquette, ni mortier, ni mitraillette, ni bombe, ni obus. En revanche le mot
fusil apparaît 50 fois, le mot grenade 31 fois. Mais le vocabulaire des Rwandais pour évoquer des armes
est assez restreint. Dans cette brochure, le nom Kalachnikov apparaît une seule fois.
Le 13 mai, la grosse arme dont parlent des témoins de Serge Farnel semble être une mitrailleuse montée
sur une Jeep. Nous ne voyons pas d’indices que de l’artillerie ait été utilisée. L’affirmation de l’auteur :
« Pour contrer cette tactique de la mêlée, il fut envisagé d’installer des armes lourdes au sommet des
collines afin de ne plus avoir à se battre contre eux au corps à corps » (p. 135) semble cohérente avec
ce que dit Uzziel Ngoga. Mais selon les témoignages recueillis par African Rights c’est surtout l’usage de
41. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 27].
14 12 DES INVRAISEMBLANCES
fusils et de grenades qui le 13 mai a évité aux assaillants les risques du combat corps à corps. Comme
nous le constatons par ailleurs, l’affirmation « ce sont des soldats français qui se sont trouvés derrière ces
armes lourdes » (p. 135) est une hypothèse non démontrée.
11.4 Une battue
Jean Ngarambe, un tueur, rapporte comment ils ont attaqué le 13 mai : « les assaillants ont commencé
à circuler dans les collines et à repousser les Tutsi vers les positions des soldats rwandais et français
jusqu’à ce qu’ils soient suffisamment proches d’eux. C’est alors qu’ils leur tiraient dessus. » (p. 402)
Cette description reprend le principe de la chasse en battue où un périmètre est encerclé par des
chasseurs et des rabatteurs qui poussent le gibier vers les chasseurs. Elle correspond à l’encerclement
dont parlent les rescapés. Ainsi Ndayisaba : « Ils nous ont encerclés, puis ils ont commencé à lancer des
grenades. Ensuite, ils se sont approchés de nous. Les soldats tiraient sur nous et les miliciens achevaient
les Tutsis à coups de machette. Ce jour-là ils ont tué presque toutes les femmes et les enfants. » 42
Ceci ne concorde pas avec la phase 1 de Serge Farnel où les Français sont seuls à tirer avec des armes
lourdes. C’est la version du tueur Fidèle Simugomwa (p. 49).
12 Des invraisemblances
12.1 Des attaques les 11 et 12 mai ?
Jean Ngarambe rapporte qu’il a participé à une attaque contre les Tutsi à Jurwe le 12 mai et qu’ils ont
été repoussés (p. 39). De même, Serge Farnel parle à Esther Uwayisenga de l’attaque du 11 mai (p. 263).
Elle répond que le génocide continuait comme avant.
Or, d’après nos informations, les rescapés disent que début mai, les attaques avaient cessé à tel point
que certains ont recommencé à cultiver. 43 Ainsi Augustin Ndahimana Buranga déclare : « Le 13 mai,
j’étais à Kazirandimwe avec ma femme, mes enfants et ma mère, Adèle Nyiramahe. Ce jour-là nous
avons traîné là parce que nous pensions que les miliciens avaient arrêté de nous attaquer car quelques
jours avaient passé sans qu’ils viennent. Vers 9 heures j’ai vu les Tutsis qui étaient à l’école primaire de
Gitwa courir, et j’ai aussi entendu des coups de feu. Les miliciens nous avaient encerclés... » 44
Même dans le livre de Serge Farnel, Sylvère Nyakahiro déclare : « Avant le 13 mai, c’était tranquille,
tout était calme. On avait recommencé à chercher de quoi manger dans les champs » (p. 389). Il précise
que « les tueries ont continué jusqu’au 2 ou au 3 mai. »
Ces assertions sur des attaques les 11 et 12 mai sont donc très douteuses.
12.2 Des hélicoptères le 13 mai ?
Questionnant Adrien Harolimana, Serge Farnel lui fait admettre qu’il y avait des hélicoptères le 13
mai (p. 318) :
Q : Est-ce que vous avez entendu des hélicoptères pendant l’attaque ?
R : Il y avait des hélicoptères qui patrouillaient.
Q : Le 13 et 14 mai ?
R : J’ai vu des hélicoptères même avant ces dates.
Q : Vous vous en rappelez pendant l’attaque des 13 et 14 mai ?
R : Si, je m’en souviens bien. J’en ai vu.
Q : Les hélicoptères, on les entendait souvent dans le ciel avant ou bien les avez-vous vus
à une certaine date précise ?
R : C’était en plein génocide, en pleine bataille. Comme il y avait beaucoup de cris de
blessés, d’agonisants, de machettes, de tirs, ce n’était pas facile de distinguer les bruits.
42. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 35].
43. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 32].
44. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994 [1, pp. 37-38].
15
La première réponse du témoin donne satisfaction à l’enquêteur, il a vu des hélicoptères. Sa dernière
réponse laisse entendre qu’il n’en a pas entendu.
Le même scénario se reproduit avec Fidèle Simugomwa (p. 340) :
Q : Est-ce qu’il y avait des hélicoptères dans le ciel lors des attaques des 13 et 14 mai ?
R : Je n’ai pas pu distinguer s’il s’agissait d’hélicoptères français ou rwandais, mais il y
avait des hélicoptères dans le ciel.
Q : Pendant les attaques ?
R : D’habitude, les hélicoptères sillonnaient dans le ciel, mais le 13, moi qui étais là, je
n’ai pas vu d’hélicoptère.
Q : Et le 14 ?
R : Le lendemain, je n’étais pas là. Le 14 au matin vers onze heures, nous sommes retournés
à Ruhengeri d’où nous étions venus. Je ne suis pas resté à Mubuga.
Le témoin répond d’abord oui, il a vu des hélicoptères les 13 et 14 mai. On comprend ensuite qu’il
n’en a pas vu.
13 Des témoignages douteux
13.1 Le témoignage d’Esther Uwayisenga à l’origine de l’accusation
Le témoignage déterminant pour Serge Farnel (page 86) est celui de la rescapée Esther Uwayisenga
qui avait 8 ans à l’époque. Elle lui dit avoir vu des Français le 12 mai, veille du jour où elle a été machettée
(page 260). Comment a-t-elle reconnu que c’était des Français ? Elle a vu 4 Blancs en uniforme vert sortir
d’un véhicule militaire (pp. 257-258). Ils ont fait des signes aux Tutsi pour qu’ils descendent. Trois sont
venus à leur Jeep. Un seul des trois est survivant. Serge Farnel ne demande pas son nom et ne l’interviewe
pas alors qu’elle lui dit : « Vous pouvez le voir si vous le souhaitez » (p. 260). Esther ne peut rapporter
ce que les Français ont dit à ces trois Tutsi.
Ce témoignage est capital nous dit Serge Farnel car c’est celui « qui m’a ouvert la piste de la présence
de soldats français à la mi-mai 1994 » (p. 251). Or reportons-nous à la transcription de ce fameux
témoignage. C’est plutôt un entretien entre Serge et Esther en réalité. Repérons les occurrences des mots
Français et Blancs dans la partie qui concerne les 12 et 13 mai. Précisons que nous retenons les mots
Français comme substantif ou français comme adjectif qualificatif. Le mot Blancs désignant des personnes
à la peau blanche. Le premier à parler de Français est Serge Farnel qui demande : « Quand avez-vous
rencontré les soldats français ? » (p. 256). La description des hommes arrivant en voiture commence
par une question de Serge Farnel : « Ils sont tous Blancs ? » Esther répond oui (p. 258). Dans cette
transcription nous comptons seulement 2 occurrences du mot Blancs, utilisé à égalité par Serge et Esther.
En revanche, nous comptons 18 occurrences du mot Français, 5 chez Esther, 13 chez Serge. Esther ne
peut dire qu’une chose, elle a vu des Blancs le 12 mai. Elle n’a pas de moyen de vérifier leur nationalité.
En effet elle ne peut rapporter les paroles que les Blancs ont adressées aux trois Tutsi venus à eux, ni
en quelle langue elles ont été dites. Or l’interview est mené comme si d’évidence c’était des Français. La
pression de l’enquêteur sur le témoin est particulièrement visible ici.
Freq. mots Esther Serge Total
Blancs 1 1 2
Français 5 13 18
Total 6 14 20
Table 2 – Fréquence des mots Blancs et Français dans l’entretien de Serge Farnel avec Esther Uwayisenga
à propos des 12 et 13 mai
Le témoignage d’Esther se fragilise quand Serge Farnel parle de l’attaque du 11 mai (p. 263). Elle
répond que le génocide continuait comme avant. Or les rescapés disent que, début mai, les attaques
avaient cessé à tel point que certains ont recommencé à cultiver. 45
45. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 32].
16 13 DES TÉMOIGNAGES DOUTEUX
Serge Farnel ajoute page 95 que Esther était ce 12 mai 1994 avec un certain Philémon. Il la réentend
en 2010 avec ce Philémon Namuhoranye sur les lieux de la rencontre (page 568). Philémon, âgé de 15
ans à l’époque, dit que plusieurs personnes sont allées parler aux Blancs. « Ce sont des gens qui sont
sortis d’un peu partout », dit-il. Quand Serge Farnel demande combien ils étaient, il répond qu’il ne se
rappelle pas et ajoute « peut-être plus que cinq ». Comment Esther pouvait-elle dire exactement trois
personnes dont deux sont mortes ? Serge Farnel ne pose pas la question. Esther dit que le 12 mai elle a vu
2 véhicules militaires (p. 257). Interrogée avec Philémon, celui-ci affirme qu’il y en avait 8 ou 10 (p. 572),
elle dit alors qu’elle en a vu 6 (p. 573). Nous observons la stratégie des témoins qui consiste à modifier
leurs récits afin de produire une version cohérente pour le Blanc qui les interroge.
Philémon a vu des Blancs, « de mes propres yeux », dit-il. « Ils étaient avec des Noirs, mais le seul
que j’ai pu reconnaître est une seule personne nommée Twagirayezu » (p. 569). Il précise son prénom
Jean-Baptiste et dit qu’il était enseignant. C’est l’instituteur Jean-Baptiste Twagirayezu qui a été recruté
le 27 juin à Mubuga par le lieutenant-colonel Duval pour le guider à Bisesero. Serge Farnel ne fait pas
le rapprochement. Il fait remarquer qu’à cette distance Philémon ne pouvait pas reconnaître quelqu’un.
L’autre persiste. Qu’ont rapporté les adultes qui étaient allés discuter avec les Blancs ? « Ils ont dit, répond
Philémon, que les Blancs leur avaient dit de patienter quelques jours, après quoi ils reviendraient nous
protéger » (p. 571). Des Français avec le guide Twagirayezu qui disent qu’ils reviendront dans quelques
jours ! N’y a-t-il pas confusion avec ce qui s’est passé le 27 juin ? Serge Farnel ne relève pas.
Jean-Baptiste Twagirayezu, cet instituteur Interahamwe qui sert de guide à Duval, a été interrogé par
la commission Mucyo. Il déclare que les Français sont arrivés à Gishyita, « à une date que je ne peux plus
bien préciser mais qui est postérieure au 20 juin 1994, qui pourrait être le 22 ou le 23. » 46 Twagirayezu
ne parle pas à la commission Mucyo de présence de Français les 12-14 mai dans la région. Serge Farnel
n’a pas interrogé Jean-Baptiste Twagirayezu et ne cite pas son témoignage à la commission Mucyo, qui
est antérieur et contredit sa thèse.
Le témoignage d’Esther et de Philémon paraît fragile et Serge Farnel ne fait rien pour le renforcer. Il
interroge ni Twagirayezu ni le survivant qui aurait causé aux Français. Il n’indique pas son nom.
Emmanuel Cattier et Immaculée Mpinganzima ont rencontré Esther Uwayisenga à Bisesero le 26
décembre 2004 avec quelques rescapés. Un échange s’est établi sur le sujet de Bisesero, la présence
française et l’opération Turquoise. Certains interlocuteurs avaient manifestement la volonté d’exprimer
leur réprobation contre l’attitude française. Ils n’ont pas entendu Esther ou les autres parler de la présence
de Français le 12 mai qui leur auraient promis du secours et les auraient abandonnés. 47
De même, Jacques Morel a été chargé par Immaculée et Emmanuel de porter une photo et un cadeau
à Esther. Il l’a rencontrée le 7 janvier 2009 à Gishyita. Alors qu’il était accompagné de deux Rwandaises,
Esther n’a pas parlé de ce 12 mai où des Français seraient venus.
13.2 Le témoignage de Fidèle Simugomwa
Serge Farnel présente Fidèle Simugomwa comme un ancien chef milicien (p. 407), commandant les
Interahamwe de Ruhengeri (p. 46). C’est ce témoin, un tueur, qui confirme tout le scénario ou peut-être
même qui en fournit le canevas.
Fidèle Simugomwa a été interrogé deux fois par la commission Mucyo. 48 Agriculteur du secteur
de Mubuga dans la commune de Gishyita, il est devenu ensuite employé au campus universitaire de
Nyakimana près de Ruhengeri. Il a été condamné pour génocide mais a purgé sa peine. Il est revenu à
Mubuga. Il témoigne à propos du programme d’autodéfense civile à l’université de Nyakinama, au sud
de Ruhengeri, là où exerçaient les DAMI. 49 Dans son bref témoignage fourni en annexe, 50 il déclare
avoir « assisté à deux reprises à des va et vient des militaires français à Bisesero. » Mais il n’insiste pas.
Il parle des barrières que gardaient les Français à Gishyita, de leur reconnaissance à Nyange, 51 de leur
46. Rapport Mucyo, [2, Annexes, p. 110].
47. Emmanuel Cattier, Interview de rescapés du génocide à Bisesero , 26 décembre 2004. http://www.
francegenocidetutsi.org/CattierMpiganzimaBisesero.pdf
48. Rapport Mucyo, [2, p. 61, Annexes p. 87].
49. Rapport Mucyo, [2, p. 61].
50. Rapport Mucyo, [2, Annexes, p. 87].
51. Le lieutenant-colonel Duval des commandos de l’air basés à Kibuye se rend le 28 juin 1994 près de Nyange.
13.3 Le témoignage de Jeanne 17
volonté de « bloquer l’armée du FPR ». Il s’agit là d’évènements durant l’opération Turquoise. Il ne fait
aucune allusion au rôle de Français le 13 mai 1994. 52
Ce Fidèle paraît bien peu fidèle. En effet, présenté comme chef des Interahamwe de Ruhengeri, Serge
Farnel lui demande de quoi il était armé. Il répond : « J’avais une arme, un gourdin “Ubuhiri”, un
gros bâton clouté » (28 avril 2009, p. 336). Le bâton clouté c’est l’arme des paysans, pas vraiment des
Interahamwe, a fortiori d’un chef. Le 15 février 2010, à la même question il répond avoir une épée et
aussi une grenade (p. 505). C’est plus plausible. Mais comment lui faire confiance ?
Lors de la projection de vidéos qu’a faite Serge Farnel, celui-ci affirmait que selon Fidèle, le Premier
ministre était venu tenir une réunion à la fin avril à la préfecture de Kibuye. Rien ne le confirme. Fidèle
s’est probablement trompé de date ou a inventé. De plus, selon lui, des Français assistaient à cette réunion.
Serge Farnel y croyait mordicus. Il a dû avoir des doutes puisqu’il ne retient pas cet épisode dans son
livre. Il aurait dû écarter l’ensemble du témoignage.
Fidèle affirme qu’il a dit à son procès au tribunal Gacaca en 2002 que le 13 mai « il y avait des militaires
français qui fusillaient les Tutsi » (page 331). Au minimum, il fallait aller vérifier le procès-verbal de sa
déposition devant le tribunal Gacaca, ce qui n’a pas été fait.
Il dit avoir pris la parole à la commémoration du génocide en 2008 et déclaré que des militaires français
avaient pris part au massacre du 13 mai 1994 à Bisesero (page 332). Eric Nzabihimana pense qu’il n’a
pas dit ça à une commémoration, et certainement pas à Bisesero.
13.3 Le témoignage de Jeanne
Cette femme, que nous ne connaissons que par son prénom chrétien, était enceinte et a accouché
pendant le génocide. Elle affirme qu’elle a subi une échographie à l’hôpital de Kibuye. Le docteur Blam
nous confirme qu’un tel équipement existait. Donc cette femme ne fabule pas complètement. Elle déclare
qu’un hélicoptère transportant des soldats blancs a tenté d’atterrir au stade Gatwaro alors que celui-ci
était encore couvert de cadavres. Le massacre des réfugiés dans ce stade a eu lieu le 18 avril. Ignace
Banyaga affirme que le 22 avril le préfet Kayishema a organisé une réunion pour ramasser les cadavres
du stade (p. 279). L’auteur ne retient pas son témoignage et le lecteur n’en comprend pas vraiment la
raison, sinon que ce témoignage n’est pas recoupé par d’autres. Voilà une saine prudence.
13.4 Le témoignage de Semi Bazimaziki
C’est un militaire, sous les ordres du colonel Rusatira (p. 551). Il a été blessé. Il est renvoyé chez
lui à Gishyita (p. 549). Il a un fusil. Ce qui est un peu curieux c’est que le colonel Léonidas Rusatira
commande l’ESM, l’Ecole supérieure militaire. Il n’est donc pas censé combattre. En effet cette école se
replie de Kigali à Kigeme, près de Gikongoro où il n’y a pas eu de combats avec le FPR. Semi Bazimaziki
a pu être sous ses ordres mais comment a-t-il été blessé ? Nous ne le saurons pas.
Il voit des Français le 11 mai à Gishyita et dit qu’ils vivaient là (p. 553). Ils avaient déjà installés des
barrières à côté du bureau communal. Ils avaient des tentes. Sur question de Serge Farnel, il affirme que
des hélicoptères venaient (p. 554).
Le policier communal Sylvestre Rwigimba dit aussi que les Français étaient déjà installés à Gishyita
le 13 mai. Ils étaient plus précisément au CCDFP, Centre Communal de Développement et de Formation
Professionnelle, autrement appelé « chez Fundi » (p. 519). Ce témoin, un grand tueur, affirme également
qu’un hélicoptère français allait et venait. À cette date du 13 mai, c’est ce qu’affirment ces deux témoins
de Serge Farnel. Il semble que ces témoins confondent la fin du mois de juin avec la mi-mai. Pour être sûr
qu’il y avait un hélicoptère français à la mi-mai à Gishyita, il faudrait avoir des témoignages des Tutsi
qui, à Bisesero, ne peuvent pas manquer de voir ces hélicoptères. Serge Farnel ne nous en donne pas.
Il semble lui-même confondre les deux périodes. Ainsi le 16 février 2010, il se trouve devant le bar de
Mika à Gishyita et se souvient qu’il y est venu avec la commission Mucyo pour reconstituer les événements
de la fin juin 1994 (p. 555). Les soldats français allaient y boire, selon des témoins. 53 Alors qu’il est censé
reconstituer les évènements du 13 mai, Serge Farnel dit à Semi Bazimaziki : « Donc, les soldats français
52. Jean de Dieu Mucyo, Audition de Simugomwa Fidèle , Mucyo, 10 août 2006. http://www.francegenocidetutsi.org/
FideleSimugomwaAnnexeMucyo.pdf
53. Probe follows up in the foot-steps of French soldiers to Bisesero, ARI/RNA, december 19th, 2006.
18 13 DES TÉMOIGNAGES DOUTEUX
venaient prendre un verre de temps en temps ici ? » L’autre répond : « Oui, de temps en temps. Ils
venaient en véhicules. Ils s’asseyaient sur les deux côtés » (p. 556). Tous les deux ont confondu la période
des 27 juin-1er juillet avec celle des 12-14 mai.
13.5 Le témoignage de Godelieve Mukangamije
L’autre témoin de Serge Farnel que l’auteur de cet article a pu rencontrer le 4 juin 2010 est Godelieve
Mukangamije. 54 Elle reconnaît qu’elle s’est trompée de date avec Serge Farnel. Elle confondait le 12 mai
et le 27 juin. Elle a perdu toute notion des dates mais explique bien qu’elle a vu des Français pour la
première fois le jour où Eric Nzabihimana les a rencontrés, donc le 27 juin. Elle dit qu’elle a vu au mois
de mai Sikubwabo, le bourgmestre de Gishyita, avec des Interahamwe mais pas avec des Blancs. Elle a
vu aussi Musema, le directeur de l’usine à thé de Gisovu. Elle s’est cachée à Mubuga et partout dans des
brousses de la région de Bisesero. Quand nous lui demandons ce qui s’est passé le 27 juin elle répond :
« Nous avons vu des véhicules qui arrivaient là-haut. Ils sont retournés. On a tué beaucoup beaucoup
de personnes, plus qu’avant. » Après le 27, son mari Simon Gasana et ses 2 enfants, Mushimyimana
et Niyomogabo ont été tués, de même Ntagwabira, Samuel, Caritas, Cyriaque, et beaucoup d’autres.
Elle était cachée et blessée. Son mari a été tué le 28 entre 12 et 13 h. Cette femme nous est apparue
complètement traumatisée, comme d’ailleurs tous les survivants. Il nous semble qu’il faudrait passer des
jours à l’écouter pour comprendre ce qu’elle a vécu.
Nous l’avons à nouveau rencontrée le 24 octobre 2011 avec plusieurs autres personnes, elle a répondu
aux questions de Jean-Luc Gallabert, la traduction étant assurée par Vénuste Kayimahe et Valérie Marinho
De Mourra a filmé l’entretien. Dans cette vidéo, elle dit en substance ce qui suit.
« On nous a tué terriblement. J’ai reçu un coup d’épée derrière la nuque. Quand les Français sont
arrivés il y a eu une plus grande extermination. C’était au mois de juin, peut-être vers le 26 juin. Ils ont
dit qu’ils venaient nous défendre mais c’est là que nous avons été exterminés. J’ai reçu ce coup d’épée sur
la tête. Ce sont les Interahamwe de Ruzindana arrivés dans des bus. Non, avant cette date il n’y avait
pas de Français. Je me suis cachée dans un buisson, j’étais blessée. Quand les Français sont arrivés, ceux
qui étaient allés les voir sont venus me chercher dans le trou. A Goma, j’ai eu beaucoup de problèmes.
On était malade. Tout nu. On avait faim. On nous a pas donné d’habits. On nous a donné des draps pour
nous couvrir. Les Français disaient qu’elle était une petite fille. On lui a apporté un pagne.
Mes enfants, ils les ont remontés. Les véhicules de Ruzindana les ont écrasés. Ce qui s’est passé est
une horreur. Je n’ai pas de mari. J’ai besoin de vivre, de manger. »
Réinterrogée sur ce qu’elle a dit à Serge Farnel, elle répond en substance : Elle a été appelée par
Adrien à côté de l’école de Mumubuga. Elle s’est trompée, elle a vu les militaires français après le 27.
Elle ne se souvenait pas des dates, elle n’a pas eu le temps de réfléchir. Elle les a vu une première fois et
rentrer et revenir dans trois jours.
13.6 Le témoignage de Adrien Harelimana
Serge Farnel interroge Adrien Harolimana le 22 avril 2009 (p. 304). C’est ce Adrien Harelimana fils
de Michel Serumondo et d’Agnès Mukamurigo qui ont survécus et sont interviewés dans la brochure
d’African Rights sur Bisesero. Adrien Harelimana est entendu par la commission Mucyo. Les deux récits
coïncident sur le fait que Adrien, blessé, est évacué le 30 par hélicoptère à Goma. Le récit devant cette
commission de sa première rencontre avec les militaires français correspond au 27 juin :
« Je les ai rencontrés pour la première fois à Bisesero quand nous sommes descendus les
rejoindre à leur passage à un endroit où nous leur avons montré les blessés et les cadavres
encore frais, les suppliant de nous protéger contre les tueurs qui exécutaient le génocide des
Tutsi. Ces militaires nous ont expliqué qu’ils ne pouvaient rien faire face à notre situation,
parce qu’ils n’en avaient pas les moyens. Ils sont alors repartis tout de suite sans nous apporter
aucun secours. Ils n’ont tout simplement pas voulu nous aider, alors qu’ils pouvaient demander
du renfort à leurs chefs. Ces militaires français sont finalement revenus, après quelques jours
et ont pris à peu près quinze personnes qui étaient grièvement blessées, moi y compris, et
54. Elle s’appelle Godelieve Mukangamije et non Gudelieve Mukanganije.
13.7 Le témoignage de Antoine Sebirondo 19
ils nous ont amené par hélicoptère jusqu’à Goma. Arrivés là, ils ont dit qu’ils voulaient nous
soigner, or nous avons passé toute une semaine sans manger ». 55
Il est clair que cette première rencontre des Français a lieu quelques jours avant son évacuation en
hélicoptère à Goma. Celle-ci est du 30 juin. Il témoigne ensuite sur les amputations abusives. 56
Selon Serge Farnel, il a vu des militaires français dans deux jeeps le 12 mai (p. 307). Dans une des
jeeps il y avait deux Blancs et un noir, celui-ci étant Twagirayezu. L’analogie avec la rencontre du 27 juin
où celui-ci sert de guide aux Français vient à l’esprit. Le témoin dit que Twagirayezu viendra une 2e fois
avec les Français ce qui lui a permis de l’identifier.
13.7 Le témoignage de Antoine Sebirondo
Antoine Sebirondo (20 ans en 1994) est un rescapé qui a été emmené par les Français à Goma pour
être soigné. Il a été témoin de la rencontre du 27 juin.
Il affirme par ailleurs qu’il a vu des Blancs en uniforme le 12 mai. Ils étaient dans trois véhicules. Ils
se sont arrêtés à Ruhuha et étaient entourés d’Interahamwe. Ils n’ont pas parlé aux Tutsi. Serge Farnel
lui dit que ces Blancs étaient français et qu’ils étaient accompagnés de Twagirayezu (p. 293). Le témoin,
qui dit avoir vu Twagirayezu le 27 juin, s’embrouille. Sebirondo dit qu’il y a un survivant qui était avec
lui le 12 mai. Ce serait Siméon.
13.8 Le témoignage de Siméon Karamaga
Siméon Karamaga a été l’adjoint de Aminadabu Birara, l’organisateur de la résistance à Bisesero. 57
Serge Farnel le rencontre accompagné d’Antoine Sebirondo. Il lui fait dire qu’il a vu des Blancs le 12 mai,
parce qu’il était avec Sebirondo et que celui-ci dit en avoir vu. Siméon ne connaît pas leur nationalité. Il
n’en a pas vu le 13.
L’analyse des fréquences des mots Blancs et Français dévoile jusqu’à la caricature la manipulation
de Serge Farnel. Siméon n’utilise qu’une seule fois le mot Blancs et c’est pour le 27 juin. Serge Farnel
l’utilise 10 fois. Il parle 2 fois de Français, Siméon pas une seule fois.
Dans son témoignage à African Rights, Siméon Karamaga ne parle pas de présence de Français à
Bisesero avant le 27 juin. 58
Alors que Siméon Karamaga est le seul chef de la résistance encore en vie, Serge Farnel n’a-t-il pas
d’autres questions à lui poser ?
Freq. mots Siméon Serge Total
Blancs 1 10 11
Français 0 2 2
Total 1 12 13
Table 3 – Fréquence des mots Blancs et Français dans l’entretien de Serge Farnel avec Siméon Karamaga
à propos des 12 et 13 mai
13.9 Le témoignage d’Etienne Basabose
Interrogé avec un groupe de rescapés le 30 avril 2009, Basabose affirme qu’il a vu des Blancs les 12 et
13 mai (p. 427). C’est au mois de juin 1994 que les Interahamwe lui ont appris que c’étaient des Français
(p. 428).
Dans le cadre d’une autre enquête nous interrogeons Etienne Basabose le 24 octobre 2011. Il ne
reconnaît de présence de Français ni le 12, ni le 13 mai.
55. Rapport Mucyo, [2, Annexes, p. 5].
56. Audition d’Adrien Harelimana, 18 décembre 2006. Cf. Rapport Mucyo, [2, pp. 224-225].
57. Voir section 3 page 3.
58. Siméon Karamaga, Testimony on the resistance at Bisesero, African Rights, 8 février 1997. http://www.
francegenocidetutsi.org/SimeonKaramaga8February1997.pdf
20 13 DES TÉMOIGNAGES DOUTEUX
13.10 Le témoignage de Sylvère Nyakayiro
Sylvère Nyakayiro, appelé Sylvestre par Serge Farnel, est rescapé et habite à Mubuga. Il avait 22 ans
en 1994. Il est monté à Bisesero pour nous rencontrer le 4 juin 2010. Il travaille dans une mine. Il dit qu’il
a vu des Blancs, une 1re fois entre le 24 et le 27 avril, une 2e fois les 13 et 14 mai. Ils étaient 4, habillés
de kaki, portant des casques comme des mineurs. Ils tiraient avec les autres soldats. Sylvère se cachait
quand il les a vus. Ils étaient à une distance entre 100 et 200 mètres.
Eric Nzabihimana, qui nous accompagne, ne croit pas à ce que dit Sylvère. Sinon « il l’aurait su »,
ajoute-t-il. Il précise qu’ils se regroupaient entre eux après les attaques et se parlaient.
En effet, en particulier le soir du 13 mai ils se sont rassemblés. 59
Nous ne nous permettons pas de rejeter ce qu’affirme Sylvère Nyakayiro. Il parle de 4 Blancs. Serge
Farnel en trouve 10, qu’il assure être français. Étant donné que lors de l’attaque du 13 mai il y a eu
des centaines, voire plus d’un millier d’agresseurs, il ne nous paraît pas réaliste de laisser croire que 10
hommes ont joué un rôle déterminant.
Dans son témoignage à Serge Farnel, Sylvère Nyakayiro parle de l’arrestation du Tutsi de Bisesero
nommé Rusangana (pp. 388-389). Cette histoire est rapportée par ailleurs. Il s’agit de Rusanganwa à
qui Obed Ruzindana dit de prévenir les autres que la guerre est terminée, qu’ils se regroupent à l’école
primaire de Bisesero pour y recevoir vêtements, nourriture et médicaments. Le lendemain Obed revint
avec un camion rempli de soldats qui massacrèrent les deux blessés envoyés là pour tester la sincérité
d’Obed. Cette histoire est racontée par Jean-Damascène Nsanzimfura. 60
Une histoire semblable est racontée par le témoin II au procès de Kayishema et Ruzindana. Ce dernier
accompagné du conseiller Mika, se faisant passer pour un fonctionnaire de la Croix-rouge, dit aux Tutsi de
se rassembler à l’école primaire, cellule Jurwe, secteur Bisesero, commune Gishyita, d’y amener les blessés
et qu’il va leur distribuer des vivres. Beaucoup de Tutsi se sont rassemblés là, dont des blessés. Ruzindana
est arrivé avec un camion pris à un commerçant nommé Antoine. Des militaires en débarquèrent et tirèrent
sur les Tutsi. Le témoin II ne se souvient pas de la date. 61 Sylvère dit que cette arrestation du « vieux
monsieur » s’est passé entre le 24 et le 27 avril, et qu’il a vu des Blancs deux jours avant. Nous ne trouvons
pas de confirmation de ces dates, ni de la présence de Blancs. Dans ce témoignage, nous ne pouvons pas
démontrer que Sylvère fabule.
13.11 Le témoignage d’Elie Ngezenubwo
Elie Ngezenubwo, paysan tueur, est interrogé par Serge Farnel le 15 février 2010, donc lors de la
reconstitution. Il affirme que le 13 mai, il y avait des Blancs qui tiraient (p. 517). Il parle d’une grosse
arme qui tirait sur la colline. Il assure que les militaires rwandais marchaient en avant avec les Blancs
(p. 528). Il les suivait et achevait les blessés à la machette. Elie se trouve lors de cette reconstitution
avec un groupe de tueurs dont Sylvestre Rwigimba, policier de Gishyita. Ils affirment tous que les Blancs
disposaient d’une « grosse arme » montée sur une Jeep qui pouvait tirer très loin (pp. 521-522).
Elie Ngezenubwo a été entendu par la commission Mucyo le 14 décembre 2006. Le bourgmestre de
Gishyita, Sikubwabo, a organisé des attaques vers Bisesero durant trois jours après l’arrivée des Français
fin juin 1994. Puis il leur a demandé de les cesser. Il y avait des miliciens de Cyangugu et de Gisenyi. Les
Français laissaient passer les Interahamwe à leurs barrières et ils survolaient Bisesero sans jamais arrêter
les tueurs. 62 Ceci se passe durant l’opération Turquoise. Il n’est pas question de présence de Français les
12 et 13 mai.
L’auteur de cet article a rencontré deux fois Elie Ngezenubwo le 7 janvier 2009, puis le 25 octobre
2011. Alors qu’à cette date il n’avait pas réalisé que c’était un témoin de Serge Farnel, il interroge Elie
Ngezenubwo sur le début de l’opération Turquoise à Gishyita :
Q : As-tu participé aux attaques à Bisesero quand les Français étaient là ?
59. Témoignage de Vianney Uwimana, d’Alexandre Rwihimba, de Léoncie Nyiramugwera. Cf. African Rights [1, pp. 37,
40, 43].
60. African Rights, Résistance au Génocide - Bisesero, avril-juin 1994[1, p. 51].
61. William H. Sekule, Procès Kayishema - Ruzindana : Audition du témoin II , TPIR, 10 novembre 1997, pp. 30-36.
http://www.francegenocidetutsi.org/KayishemaTranscript-10111997.pdf
62. Rapport Mucyo, [2, p. 214, Annexes, pp. 70-71].
21
R : J’y suis allé dans la dernière attaque, celle du 13 ou du 14 je ne me rappelle plus bien.
Nous sommes montés devant eux (vers Bisesero) et ils n’ont pas su ce que nous entreprenions,
mais aussi nous les avons dépassés puis retrouvés en cours de route lorsque eux-mêmes montaient
vers là. Arrivés là-bas, nous avons réalisé des massacres, mais eux je ne les ai pas vus
nous prêter main forte, seulement ils y sont montés pour observer, ils sont passés par un côté
et nous par l’autre ; sinon moi aussi j’ai participé à cette époque aux attaques de Bisesero.
De même qu’un certain Simugomwa que je n’ai pas cessé d’évoquer dans cette interview ; lui
il a plusieurs personnes dont certains vivent à Mubuga qui seraient partis de là à Mubuga en
compagnie des Français. Mais je ne le sais pas très bien, dans le témoignage qu’il donne, il a
plusieurs autres témoins qu’il connaît qui eux aussi donnent ce témoignage. Vous allez le chercher,
il va vous trouver d’autres personnes qui fournissent des preuves... peut-être nombreuses
et claires, provenant de diverses sources, ce sera autre chose que mon seul témoignage ou celui
d’un seul autre individu qui ne connaîtrait pas bien ces choses. Donc vous le contacteriez lui
aussi et il vous montrerait ces autres personnes qui pourraient vous donner leur témoignage
sur ce qu’ils savent et ont vu sur les responsabilités des soldats français. Quant à moi, la
responsabilité sur laquelle j’insiste concerne ce qui s’est passé ici au bureau communal car
quand il a brûlé, il s’y trouvait deux Français. Simugomwa Fidèle, vous pourriez le chercher
du côté de Mubuga, je ne sais pas s’il y travaille toujours au bureau du secteur ou s’il fait
le TIG (travaux d’intérêt général), mais je sais il détient des informations sur les militaires
français car je sais qu’on allait ensemble témoigner à ce sujet. Nous sommes allés ensemble
à Bisesero, ainsi qu’un nommé Twagirayezu. Ce Twagirayezu lui, était même leur interprète.
Vous le connaissez ? Oui, Twagirayezu, on était ensemble également à Kigali. Il était leur
interprète, il détient des informations bien claires, lui il s’entretenait avec eux. 63
Nous voulions poser une question relative aux attaques de la fin du mois de juin. Le début de la
réponse d’Elie est très intéressant. Il parle de « la dernière attaque, celle du 13 ou du 14 ». Nous n’avons
pu relever puisque l’interprète n’a pas dû traduire. Relisant la transcription traduite, 13 ou 14 fait penser
au mois de mai. Elie ne se souvient plus bien. Ils sont montés à Bisesero avant les Français. « Je ne les
ai pas vus nous prêter main forte. » Il semble que cela correspond au comportement des Français du 27
au 30 juin. « Ils y sont montés pour observer », ajoute-t-il. Puis il recommande d’aller s’adresser à Fidèle
Simugomwa à Mubuga, « il va vous trouver d’autres personnes qui fournissent des preuves ».
Elie mélange les événements des 13-14 mai et ceux de la fin juin 1994. Il conseille vivement de
rencontrer Fidèle Simugomwa. Nous ne sommes pas allés voir ce dernier. Celui-là serait le détenteur
d’une histoire à laquelle Elie a été mêlé, mais il ne veut pas aller plus loin dans des explications. Nous
voyons là confirmation que Fidèle serait l’inventeur d’une histoire qu’Elie n’assume pas totalement.
14 Pas de Français ni le 12 ni le 13 mai
Plusieurs témoignages figurant dans le livre ne font pas allusion à la présence de Français avant le 27
juin. Ignace Banyaga ne témoigne que d’événements survenus à Kibuye. De même, Aurélie Musabayezu
et ses deux fils René et Jean-Luc ont réussi à se cacher à l’hôpital et sur la colline Gatwaro qui domine
le stade. Télesphore Iyamuremye témoigne sur les Français à Kibuye à partir du 22 juin 1994. Il n’a pu
les rejoindre à l’école des soeurs que le 8 juillet, car les Français n’avaient pas démantelé une barrière
tenue par les Interahamwe (p. 147). Odile Mukayiranga Mutima raconte comment elle a pu échapper au
massacre du stade Gatwaro et s’enfuir au Zaïre. Michel Kayihura et Pascal Ngoga ne témoignent sur les
Français qu’à partir de leur arrivée à Bisesero le 27 juin. Liberata Mukagahima était à Kibuye et n’est
venue à Bisesero qu’en juin. Félicien Nzabamwita situe l’arrivée des Blancs après le 14 mai, ils sont venus
et ont promis de revenir, dit-il, ce qui confirme qu’il parle du 27 juin. De même, Eric Nzabihimana ne voit
pas de Français avant le 27 juin. Aucun de ces dix témoins ne cautionne la thèse du livre. Alors pourquoi
leur témoignage y figure-t-il ? Serait-ce pour donner du sérieux à un livre qui en manque ?
63. Interview de Elie Ngezebubwo par Jacques Morel, Gishyita, 25 octobre 2011. Interprète Jean Ruzindana, CNLG.
Transcription et traduction Vénuste Kayimahe.
22 15 DISCRÉDITER LES PLAINTES CONTRE L’ARMÉE FRANÇAISE ?
14.1 Le témoignage d’Eric Nzabihimana
Serge Farnel a interviewé Eric Nzabihimana le 20 avril 2009. Aucun des deux ne parle de présence de
Français lors de l’attaque du 13 mai.
Accompagnant l’auteur de cet article à Bisesero le 4 juin 2010, après avoir rencontré Sylvère Nyakayiro
et Godelieve Mukangamije, Eric déclare « si c’était vrai, on l’aurait su. »
Plus tard il va interroger plusieurs rescapés dont :
- Ndayisaba François, secrétaire exécutif du secteur de Mubuga. C’est lui qui le 27 juin reconnaît le
guide Twagirayezu qui est son professeur. Il le dénonce comme chef Interahamwe.
- Gasimba Narcisse, responsable de la cellule Bisesero.
- Kayigamba Narcisse, blessé par balles, évacué par les Français le 30 à Goma.
- Antagara Benoît.
- Seromba Charles, photographié en 1994 et en 2004 par Paris-Match.
Aucun n’a entendu parler de présence de Français les 12 ou 13 mai dans la région de Bisesero.
Venu en France en avril 2013, Eric déclare :
J’ai redemandé à Adrien Harelimana, un témoin de Farnel, s’il avait vu les militaires
français le 13 mai. Il a dit : « Non. Je l’ai dit parce que les Interahamwe de Mubuga le
disaient ». En plus, il a dit à la commission Mucyo qu’il a rencontré les militaires français
pour la première fois le 27 juin.
L’attaque du 13 mai nous a tous surpris, beaucoup étaient rentrés cultiver chez eux. Ça
faisait plus d’une semaine que les attaques ne venaient pas. Et on a vu le matin du 13 les
tueurs qui venaient de partout et qui ont commencé à tuer les gens. C’étaient des Interahamwe,
des militaires, des policiers, des gardiens de prison. Ils avaient des armes à feu et des armes
blanches. Les Interahamwe venaient de Ruhengeri, de Gisenyi, de Cyangugu et bien sûr de
Kibuye. On l’a su. Si des militaires français avaient été là, on l’aurait su.
Pourquoi ce ne sont que les génocidaires de Mubuga qui le disent ? Dans les Gacaca, on
n’a jamais parlé de militaires français au mois de mai. Il faudrait mener d’autres enquêtes
pour être sûr qu’ils étaient là.
15 Discréditer les plaintes contre l’armée française ?
15.1 Dévaloriser les plaintes déposées contre l’armée française
Serge Farnel affirme que son enquête décale le curseur de l’accusation relative à la responsabilité de
la France officielle dans le génocide perpétré à l’encontre des Tutsi du Rwanda. « Le voilà déplacé de la
complicité [...] à la participation directe de certains de ses soldats sur le terrain même du massacre de
masse » (p. 7).
En 2005 en effet, les six plaintes de Rwandais contre l’armée française avec constitution de partie
civile n’invoquaient que la « complicité de génocide ». Si Serge Farnel ne dit pas que ces plaintes sont
dépassées par ses découvertes, d’autres le font pour lui.
Enflammé par l’enquête de Serge Farnel qu’il présente et valide dans la revue La nuit rwandaise No 4,
l’éditorialiste écrit à propos de Patrick de Saint Exupéry que « confronté à un scandale aussi monstrueux,
celui-ci aura retenu sa plume près de quatre ans... Les émotions sont bien tempérées au pays du crime
absolu. » Cette belle envolée littéraire omet juste un fait. Une des pièces à conviction majeure dans ce
procès fait à l’armée française est l’article du-dit journaliste, paru deux jours après qu’il ait accompagné ce
groupe de reconnaissance commandé par le lieutenant-colonel Duval, alias Diego, qui rencontra les Tutsi
de Bisesero le 27 juin 1994 et les abandonna aux tueurs. 64 De plus ce journaliste écrivit cinq jours après
un article au titre retentissant, La « solution finale » du préfet de Kibuye, où il dénonçait la passivité
des militaires français qui préféraient négocier avec ce préfet organisateur des massacres, « en dépit des
appels à la création d’un tribunal pour juger des crimes contre l’humanité commis au Rwanda ». 65
64. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro, mercredi 29 juin 1994, p. 3.
http://www.francegenocidetutsi.org/PatrickDeSaint-ExuperyFigaro29juin1994.pdf
65. Patrick de Saint-Exupéry, La « solution finale » du préfet de Kibuye, Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6. http://www.
francegenocidetutsi.org/LaSolutionFinaleDuPrefetDeKibuye.pdf
15.2 Introduire des faux pour saboter le dossier 23
Quels que soient les travers que l’on peut trouver à ce journaliste, on ne peut lui reprocher d’être allé
là où il fallait, d’avoir écrit de façon rapide et exacte ce qu’il avait vu et entendu, enfin d’avoir compris
en quelques jours ce que la plupart des gens en France ne veulent toujours pas admettre, que les soldats
de leur prétendue Patrie des Droits de l’homme étaient de mèche avec les assassins, au moins durant ces
jours-là.
Ce qui pouvait n’être qu’excès de plume s’est matérialisé récemment dans un article paru dans l’hebdomadaire
Golias consacré aux révélations de Serge Farnel. 66 Dans cet article, l’éditeur du livre de Serge
Farnel s’emporte contre Eric Nzabihimana qui aurait fait une mauvaise traduction des propos de Godelieve
Mukangamije. Il lui reproche d’avoir mis l’auteur de ces lignes sur de mauvaises pistes et de l’avoir
trompé.
Non seulement, Eric Nzabihimana est un de ces survivants de Bisesero qui a participé à la résistance,
mais c’est lui qui a arrêté le groupe de reconnaissance des Commandos de l’air ce 27 juin. C’est lui qui
a causé au lieutenant-colonel Duval, alias Diego, qui lui a montré les cadavres encore chaud des Tutsi et
l’a supplié de ne pas les abandonner. Eric est aussi un de six plaignants de 2005 contre l’armée française.
Durant l’été 2012, il a accompagné celui qui l’insulte publiquement et lui a présenté les témoins qu’il
voulait entendre.
Cette mise en cause d’un plaignant ne peut que semer le doute sur le bien-fondé de sa plainte devant
la justice. Alors qu’ils prétendent charger encore plus l’armée française, Serge Farnel et ses amis ne font
que fournir des arguments pour la défense de celle-ci.
15.2 Introduire des faux pour saboter le dossier
Une autre démarche de Serge Farnel est à signaler. En mars 2010, alors qu’il n’a fait examiner à
personne les résultats de son enquête, il est allé rencontrer l’avocat des six plaignants contre l’armée
française et a voulu verser au dossier ses témoignages. Ce geste pose question. Aurait-on voulu perturber
l’instruction des ces plaintes qu’on ne s’y serait pas pris autrement.
L’introduction de fausses preuves dans un dossier judiciaire fait la joie des avocats des personnes
incriminées.
Rappelons en quelques mots l’épisode de la note Germanos publiée dans le rapport Mucyo. Cherchant
des preuves du soutien accordé par l’armée française aux auteurs du génocide des Tutsi après 1994, les
enquêteurs rwandais auraient trouvé ce document lors de la déroute des ex-FAR au Zaïre.
Ce document paraît vraisemblable. 67 Mais les noms sont faux. Il n’y a pas de général Yves Germanos,
mais Raymond Germanos, adjoint au chef d’état-major des armées est connu. La Place de Caylus évoque
le camp de Caylus où s’entraînent les troupes de marine. Le maire de Caylus s’appellerait Gilles Bonsang
si l’on en croit Filip Reyntjens. Le texte dit en clair que le Commandement des opérations spéciales de
l’armée de terre française aide les ex-FAR. Il faut un oeil exercé pour savoir que le COS ne dépend pas de
l’armée de terre. Même le pseudonyme PAPA ROMEO n’a pas fait sourire les membres de la commission
Mucyo qui, en publiant ce document, ont plombé un rapport qui est par ailleurs sérieux et bien fait.
15.3 L’action des services de renseignement militaire
Les auteurs de ce faux, assurément des militaires français des services de renseignement, doivent encore
en rire, car les Reyntjens et Lugan se sont empressés de publier dans la grande presse cette bévue des
rapporteurs rwandais.
Une des preuves de l’expertise de ces services en méthodes de désinformation est qu’ils ont appris
à leurs homologues rwandais à fabriquer des faux messages et à les attribuer à leurs adversaires. Jean-
François Dupaquier y a consacré un livre. 68
66. Bruno Boudiguet, Rwanda, révélations sur l’opération Turquoise, Golias, 4 avril 2013. http://www.
francegenocidetutsi.org/Golias4avril2012.pdf
67. Yves Germanos, Le général Yves Germanos à Léon Habiaramana, Julien Twangiramungu et Pascal Chitararangwa,
, Place de Caylus, 2 juin 1998, signé P.O. Colonel Gilles Bonsang. Cf. Rapport Mucyo [2, p. 295]. http:
//www.francegenocidetutsi.org/Germanos2juin1998RapportMucyo.pdf
68. Jean-François Dupaquier, L’agenda du génocide. Le témoignage de Richard Mugenzi, ex-espion rwandais, Karthala,
2010.
24 16 CONCLUSION
Les officiers supérieurs français qui ont été impliqués dans les opérations au Rwanda sont très meurtris
par ces mises en cause de 2005, 69 de même que par le communiqué du 5 août 2008 du Gouvernement
rwandais qui, rendant public le rapport Mucyo, dresse la liste des personnalités politiques et militaires
françaises, « les plus impliquées dans le génocide ». Neuf des militaires cités ont déposé plainte en
diffamation contre la revue La Nuit Rwandaise qui avait mis ce communiqué sur son site web.
Que l’état-major ait chargé un service de suivre cette affaire et d’entamer des actions de déstabilisation
dans les groupes qui accusent l’armée française ne surprendrait pas.
Une preuve que ces services suivent les productions littéraires de ces groupes qui mettent en cause
l’action de la France au Rwanda est donnée par le colonel Thierry Jouan, ancien de la DGSE. Dans
un livre où il relate sa mission en 1994 dans un pays dénommé Zuwanie, où on reconnaît facilement le
Rwanda, il s’en prend à une journaliste qui a enquêté sur l’opération Turquoise et publie ses carnets de
voyage dans La Nuit Rwandaise No 3. Il cite exactement les pages 23-24, 30. 70
16 Conclusion
Serge Farnel, qui a suivi les débats de la commission Mucyo, est connu pour accueillir tout témoignage
accusant la France sans examen critique. 71 Il y a été envoyé par une agence de presse israélienne, la Metula
News Agency, dite la Ména, qui utilise les horreurs dans lesquelles l’armée française est impliquée pour
blanchir l’armée israélienne de ce qu’elle fait subir aux Palestiniens.
Les preuves qu’il prétend apporter sont minces. Les témoignages qu’il présente sont des entretiens où
il ne cesse d’influencer la personne censée lui raconter ce qu’elle a vu. C’est déjà le cas quand il interroge
en privé. Mais il considère comme déterminants des récits faits en public devant les autres témoins qui ont
ainsi le temps de préparer leur déclaration et de s’accorder avec les autres personnes présentes. Beaucoup
de témoins placent dans la période 12-14 mai ce qui s’est passé fin juin. Nous observons Serge Farnel faire
lui-même cette confusion.
De son pool de témoignages il extrait des pièces pour reconstituer un puzzle dont il a imaginé le
résultat a priori dans des discussions avec un chef Interahamwe et avec d’autres personnes en France
entre ses deux séjours au Rwanda.
La scène qu’il présente au final est contredite par la plupart des témoignages recueillis sur le massacre
du 13 mai. Ses témoins tueurs n’en parlent pas quand ils ont été interrogés par la commission Mucyo. Ses
témoins rescapés n’en parlaient pas quand ils ont été interrogés avant son enquête ou la dénient quand on
les interroge maintenant. Selon des rescapés que nous avons interrogés, jamais la participation de Français
au massacre du 13 mai n’a été évoquée lors des commémorations du génocide dans la région de Bisesero.
Comment pourrait-on être mieux informé à Paris que les survivants à ces trois mois d’horreurs ?
Serge Farnel aurait pu au moins faire une critique interne de ses témoignages et constater qu’ils
ne se recoupent pas, se contredisent ou sont invraisemblables. Il aurait pu faire une critique externe et
examiner les témoignages recueillis lors d’autres enquêtes, a fortiori quand ce sont les mêmes témoins qui
sont interrogés.
La manière dont il considère tous ses témoins sur un pied d’égalité, ignorant presque que les uns sont
les tueurs, les autres sont le gibier, est particulièrement répugnante. Il va même jusqu’à considérer ses
témoins assassins comme les rescapés de la Shoah.
L’interprète Vénuste Kayimahe qui a participé aux deux jours de cette prétendue reconstitution met
en doute la véracité des affirmations de Serge Farnel : « C’était lors d’une reconstitution de certain épisode
très troublant du génocide, épisode il faut le reconnaître, non encore historiquement confirmé. » 72 Mais
il considère qu’il est possible que des soldats français, soit anciens de Noroît ou du Dami-Panda, soit des
mercenaires, aient été présents à ce moment-là à Bisesero. Ceci, parce que, lors d’autres enquêtes, il a
entendu des témoignages de la présence de militaires français pendant le génocide dans d’autres régions
du Rwanda.
69. Voir par exemple Lafourcade [4, p. 164].
70. Thierry Jouan, Une vie dans l’ombre (extraits) , 21 mai 2013. http://www.francegenocidetutsi.org/
JouanVieDansLombre.pdf
71. Dès le 15 mai 2010, une rescapée rwandaise écrivait dans son blog que l’enquête de Farnel présentée dans le Wall
Street Journal n’était pas sérieuse au vu de ses écrits précédents. http://kagatama.blogspot.com/
72. Vénuste Kayimahe, La randonnée de la mort , 25 mars 2010. http://www.francegenocidetutsi.org/
KayimaheRandonneeDeLaMort.pdf
16.1 Remerciements 25
Nous considérons qu’il est possible que des Français se soient trouvés dans la région de Gishyita-
Bisesero vers le 13 mai. Mais Serge Farnel n’en apporte pas la preuve et le rôle qu’il leur fait jouer
apparaît comme un scénario qu’il a imaginé à partir de témoignages qu’il a sollicités ou manipulés.
Serge Farnel aurait dû exercer sur ses propres reportages vidéo, le même esprit critique avec lequel il
harcèle Charles Enderlin, qu’il accuse d’avoir fait un montage sur la mort du petit Mohammed Al-Dura.
L’accusation dont il poursuit Enderlin se retourne contre lui.
À partir d’une idée et d’indices qui ne sont peut-être pas tous faux, il a fait un montage dont le résultat
n’a aucune valeur. C’est pire, il crée l’effet inverse de l’objectif qu’il dit poursuivre. La publication de ses
prétendues révélations ne peut que nuire aux témoignages des victimes qui réclament justice.
16.1 Remerciements
Merci à Georges Kapler et Jean-Luc Galabert pour leurs informations, à Emmanuel Cattier pour sa
relecture.
Références
[1] African Rights : Résistance au Génocide - Bisesero - Avril-Juin 1994. African Rights, avril 1998.
Édition française.
[2] Commission Nationale Indépendante chargée de rassembler les preuves montrant l’implication
de l’État Francais dans le génocide perpétré au Rwanda en 1994 : Rapport.
République du Rwanda, 15 novembre 2007.
[3] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Karthala, Human
Rights Watch, Fédération internationale des Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave
None to Tell the Story.
[4] Jean-Claude Lafourcade et Guillaume Riffaud : Opération Turquoise. Perrin, mars 2010.
[5] Olivier Lanotte : La France au Rwanda (1990-1994). Entre abstention impossible et engagement
ambivalent. P.I.E Peter Lang, 2007.
[6] Gabriel Périès et David Servenay : Une guerre noire - Enquête sur les origines du génocide rwandais
(1959-1994). La Découverte, 2007.
26 RÉFÉRENCES
Nom S P2011 P2012 Date 12 13 Témoignage
Banyaga Ignace H 267-280 365 21/4/09 N N Archiviste préfecture Kibuye
Basabose Etienne V 427 550-551 30/4/09 O O Les Interahamwe lui ont dit que
les Français étaient là le 13 mai
Basabose Etienne V 532-533 669 15/2/10 O O Les Interahamwe lui ont dit que
les Français étaient là le 13 mai
Bazimaziki Hesron T 506-509 640-643 15/2/10 N O Ordres de Sikubwabo le 13 au
matin
Bazimaziki Semi T 506-510,
549-557
640-644,
691-699
16/2/10 O O FAR a un fusil- 8 veh. français
Habimana Uziel T 505 643 15/2/10 N O
Kakizimana Philémon V 536 674 15/2/10 N O Des Blancs sur la colline Bisesero
Harelimana Marcel V 546-548 687-689 15/02/10 N O Avec 2 soldats blancs le 13 mai
Harolimana Adrien V 304-328 407-433 22/4/09 O N Blancs + Twagiyarezu 12 mai,
armes lourdes 13 mai, 27 juin,
Goma
Harolimana Adrien V 432-435 557-559 30/4/09 O N Blancs + Twagiyarezu 12 mai
Iyakare Siméon V 534 671-672 15/2/10 N O Français le 13 mai et 27 juin
Iyamuremye Télesphore V 142-155 225-240 17/4/09 N N Caché à Kibuye, soeurs Namur,
Nyarushishi
Karamaga Siméon V 46, 480-
484
60, 611-
616
14/2/10 O N Soldats blancs le 12 mai
Karangwa Vincent V 533 670 15/2/10 N O Blancs avec une grosse arme dans
un veh.
Karebana Emmanuel V 545-546 686 15/2/10 N O Blancs attaquant le 13 mai
Karihenze Antoine T 513-520,
527, 531
647-656,
664, 668
15/2/10 N O Paysan avec bâton et machette
Kayihura Michel V 73-75,
156-169
93-95, ? 18/4/09 N N Bisesero, 27 juin, Eric, Twagiyarezu
Mageza Raphaël T 538-543 678-684 15/02/10 N O Avec 2 soldats blancs le 13 mai
Mukagahima Liberata V 204-219 295-312 19/4/09 N N Gitwa, hélico, soeurs Namur,
Nyarushishi
Mukayiranga Mutima
Odile
V 575-584 719-729 1-31/7/11 N N Mabanza, stade Gatwaro, fuite
au Zaïre 21 avril
Musabayezu Aurélie V 370-385 483-501 29/4/09 N N Cachée à l’hôpital de Kibuye,
soeurs Namur, Nyarushishi
Musabayezu René V 436-479 563-610 13/2/10 N N Fils d’Aurélie, caché à l’hôpital
et sur la colline Gatwaro
Musabayezu Jean-Luc V 436-479 563-610 13/2/10 N N Fils d’Aurélie
Namuhoranye Philémon V 568-574 711-717 16/2/10 O O Bisesero, Blancs le 12 mai
Ndayisaba Isaac V 531-532 669 15/2/10 N O Veh. avec arme à feu sur le toit
Ngarambe Faustin V 558-559 701-703 16/2/10 N O Attaque sur la colline de Nyiramakware
Ngarambe Jean T 401-406 521-527 30/4/09 O O Le 12, Twagirayezu lui est préféré
comme guide
Ngarambe Jean T 537 679 15/2/10 O O Les Blancs mettaient des roquettes
sur leur fusil
Table 4 – Témoignages présentés dans le livre de Serge Farnel.
Statut : S=V Victime, S=T Tueur H=Hutu non tueur
P2011 : numéros de page dans l’édition de 2011
P2012 : numéros de page dans l’édition de 2012
Date : date de l’interview
12 : Présence de Blancs le 12 mai (Oui/Non)
13 : Présence de Blancs le 13 mai (Oui/Non)
RÉFÉRENCES 27
Nom S P2011 P2012 Date 12 13 Témoignage
Ngezenubwo Elie T 54, 515-
531
70, 651-
658
15/2/10 N O Des soldats blancs et rwandais
Ngoga Pascal V 188-203 277-293 19/4/09 N N Bisesero, 27 juin, Twagiyarezu,
hélicoptères, Yusuf, 30 juin
Niwemuzungu Moïse H 346-357 455-468 29/4/09 N N Emma de Caunes au Home St-
Jean. Militaires français à Kibuye
le 3 mai.
Nyakayiro Sylvère V 386-400 503-519 30/4/09 O O 4 Blancs tirent fin avril. Blancs
le 13 mai
Nyakayiro Sylvère V 543-544 684-686 15/2/10 N O Blancs le 13 mai
Nyamwigema François T 411-423 533-546 30/4/09 O N 10 Blancs dans une Jeep
Nzabihimana Eric V 221-250 313-345 20/4/09 N N Nyakiyabo, Murambi, Bisesero,
27 juin
Nzabamwita Félicien V 535 673 15/2/10 N N L’arrivée des Français peut être
le 27 juin et non le 13 mai
Rurangirwa Charles V 535-536 674 15/2/10 N O Blancs avec très grosse arme
Rutera Emmanuel V 536 674 15/2/10 N O Des Blancs
Rutwaza Ahamadi V 358-369 469-481 29/4/09 N N Massacre du stade Gatwaro, Caterpillar
Ruzindana Casimir V 534 672-673 15/2/10 N O Des obus
Rwigimba Sylvestre T 511-530 658-674 15/2/10 N O Policier communal
Sebirondo Antoine V 281-303 381-406 21/4/09 O N Blancs le 12 mai, Goma
Sebirondo Antoine V 480-484 561-562 14/2/10 O N Soldats blancs le 12 mai
Simugomwa Fidèle T 329-345,
505
435-453 28/4/09 O O 8 à 12 militaires français le 13
mai
Simugomwa Fidèle T 407-410 529-532 30/4/09 O O Reconstitution
Simugomwa Fidèle T 505-510 643 15/2/10 N O Reconstitution
Ufitayezu Jean-Baptiste V 175-187 263-276 19/4/09 N N Bisesero, 27 juin
Uwayisenga Esther V 251-266 347-363 21/4/09 O N Bisesero, Blancs le 12 mai
Uwayisenga Esther V 568-574 711-717 16/2/10 O N Bisesero, Blancs le 12 mai
Uwineza Cécile V 86, 170-
174
92-101,
257-262
18/4/09 N N Bisesero, 27 juin
Uzabaraho Fidèle T 515-520 651-653 15/2/10 N O Mumubuga
Uzabaraho Fidèle T 522-526 659-664 15/2/10 N O Colline Kanyinya
Table 5 – Témoignages présentés dans le livre de Serge Farnel (suite).
Statut : S=V Victime, S=T Tueur H=Hutu non tueur
P2011 : numéros de page dans l’édition de 2011
P2012 : numéros de page dans l’édition de 2012
Date : date de l’interview
12 : Présence de Blancs le 12 mai (Oui/Non)
13 : Présence de Blancs le 13 mai (Oui/Non)

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