Fiche du document numéro 28430

Num
28430
Date
Jeudi 27 mai 2021
Amj
Taille
156188
Surtitre
Génocide
Titre
La dernière « zone grise » de la vérité reste encore à percer
Soustitre
 
Tres
 
Page
 
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Mot-clé
Mot-clé
Cote
 
Résumé
 
Source
Extrait de
 
Commentaire
 
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Venant après 27 ans de déni et un
Himalaya de mensonges et de désinformation,
la visite à Kigali du président
Macron représente un tournant
important dans les relations entre la
France et le Rwanda. On peut espérer
que les paroles que prononcera le chef
de l’Etat français apporteront quelque
réconfort aux survivants, aux familles
des victimes et, plus largement, à tout
un peuple qui, en 1994, s’est senti trahi
et abandonné.
Ce voyage a été rendu possible par la
publication quasi simultanée des
conclusions de deux commissions d’enquête
: un travail mené en France par
des historiens dirigés par Vincent Duclert
et qui a conclu à un « aveuglement
accablant » des autorités françaises de
l’époque, et un autre par un cabinet
d’avocats américain travaillant pour Kigali,
qui a lui aussi écarté le terme de
complicité. Les termes modérés utilisés
à Paris par le président Kagame ont
contribué à ce dégel diplomatique qui
ouvre la voie à une normalisation des
relations entre les deux pays.
Cependant la recherche de la vérité a
procédé par cercles concentriques et le
travail des historiens a été limité par la
méthode qui leur a été imposée : ils ont
eu accès aux archives, ou en tout cas à
une bonne partie d’entre elles enfin déclassifiées
et ils en ont tiré les conclusions
avec honnêteté. Mais le dernier
cercle, une immense zone grise, est demeuré
hors d’accès : il s’agit des documents
qui furent brûlés dès le 7 avril
1994 dans l’enceinte de l’ambassade de
France à Kigali, des « ordres non
écrits » qui partaient de l’Elysée et ne
furent jamais révélés par le secrétaire
général de l’époque, Hubert Védrine.
Ce dernier cercle est aussi celui des
relations entre le régime Habyarimana
et une certaine France de l’époque,
l’Elysée, la coopération militaire, ces
milieux sulfureux où se mêlent marchands
d’armes, agents secrets et services
spéciaux agissant dans l’ombre. La
plupart des documents ayant été détruits
ou subtilisés, l’« histoire orale »
n’a pas été sollicitée par les historiens.
Le mystère de l’attentat
demeure entier
Malgré un non-lieu prononcé par la justice
française à propos de l’accusation
impliquant le FPR – Front patriotique
rwandais – dans l’attentat contre l’avion
présidentiel le 6 avril 1994, la vérité
tarde à « sortir du bois ». De multiples
questions restent posées à ce sujet :
pourquoi le colonel de Saint-Quentin
s’est-il précipité, dans les minutes qui
ont suivi le crash du Falcon, pour s’emparer
d’une « boîte noire » qui fut vraisemblablement
envoyée à Paris ?
Pourquoi les Casques bleus de la Minuar,
dans les minutes qui suivirent l’attentat,
se virent-ils interdire l’accès à
l’aéroport par des militaires rwandais et
pourquoi des témoins locaux virent-ils
des hommes portant l’uniforme des
Casques bleus belges quitter ostensiblement
l’aéroport immédiatement après
le crash ? Pourquoi la journaliste Valérie
Bemeriki, sur les ondes de la radio des
Mille Collines, accusa-t-elle les Belges
d’être les auteurs de l’attentat, sur la
base d’informations qui lui avaient été
communiquées depuis l’ambassade de
France ? Rappelons que cette accusation
mena à la chasse aux Belges, à la
mise à mort des dix Casques bleus le
jour suivant et in fine précipita le départ
de tout le contingent belge, ce qui
mit fin à la mission de la Minuar et laissa
le champ libre aux tueurs.

Au lieu de secourir des Tutsis
massacrés, les troupes de
combat de l’Opération
Turquoise avaient reçu pour
première mission d’empêcher
le FPR de prendre Kigali

Connaît-on le fin mot de la mort de
deux techniciens français en communications,
les adjudants-chefs Didot et
Maëir, dont les corps furent retrouvés
quelques jours plus tard par les Belges ?
Basés dans une villa proche du cantonnement
du FPR, ils écoutaient non
seulement les communications des rebelles,
mais ont pu capter celles de la
tour de contrôle, le soir du crime. Ces
deux hommes en savaient-ils trop ?
« Sur une colline perdue d’Afrique »
A-t-on élucidé les véritables raisons du
« suicide » de François Durand de Grossouvre,
chargé de mission à l’Elysée, intime
du président et honorable correspondant
du Sdece – les services secrets
– depuis la fin de la Seconde
Guerre mondiale ? Le corps sans vie de
cet homme de l’ombre, la tête emportée
par une balle de calibre 357 Magnum,
fut retrouvé dans son bureau de l’Elysée
le 7 avril vers 20h 30, un bureau qui fut
débarrassé la nuit même de tous les documents
qui s’y trouvaient.
Rappelons que de Grossouvre, chargé
de protéger Anne Pingeot et sa fille Mazarine,
gérait aussi les « affaires africaines
», qu’il était proche du président
Habyarimana auquel il avait présenté
François Mitterrand puis, plus tard,
proposé les services du capitaine Barril.
La conclusion du suicide s’imposa
d’emblée, même si on savait que le
conseiller de l’Elysée était opposé à une
opération de force au Rwanda. De Grossouvre
était proche du capitaine Barril,
un homme qui, présentant à la télévision
française une boîte noire qui n’était
en réalité qu’un enregistreur de vol, tenta
longtemps de brouiller les pistes à
propos de l’attentat. Mais il reconnut
cependant que, dans la nuit du 6 au
7 avril, il se trouvait « sur une colline
perdue d’Afrique »… Lorsqu’il fut
convoqué par la justice française, qui
souhaitait l’interroger sur ses relations
avec la famille Habyarimana, Paul Barril
avait perdu la mémoire et il n’expliqua
jamais quelle avait été sa mission le
soir de l’attentat. Par la suite, on ne sut
jamais pourquoi fut assassiné le lieutenant
Ephrem Rwabalinda qui, en mai
1994, s’était rendu à Paris pour rencontrer
le général Huchon, chef de la mission
militaire de coopération. Ce dernier
lui avait promis la livraison de
17 appareils radio sécurisés directement
connectés à la France afin de permettre
à cette dernière d’être directement informée
des opérations en cours.
La mission de l’Opération
Turquoise
En juin 1994, les journalistes français,
invités pour couvrir l’Opération Turquoise,
devaient découvrir qu’au lieu de
secourir des Tutsis massacrés, les
troupes de combat avaient reçu pour
première mission d’empêcher le FPR de
prendre Kigali. La presse dut beaucoup
insister pour que les hélicoptères acceptent
d’évacuer les survivants de Bisesero,
une colline où les tueurs avaient eu
quartier libre durant trois jours.
Lorsque, fin août 1994, l’opération
Turquoise prit fin, ses militaires d’élite
convoyèrent vers le Kivu voisin les Hutus
qui s’étaient abrités durant deux
mois de plus dans la « zone humanitaire
sûre ». Encadrant les civils en débandade
se trouvaient les responsables du
génocide, qui emportaient les fonds de
la Banque du Rwanda et les troupes de
l’armée défaite – lesquelles allaient préparer
la revanche depuis les camps du
Kivu. Sous les yeux des agences de
l’ONU impuissantes, la guerre et ses
crimes se transportaient ainsi dans le
Congo voisin, et n’allaient plus le quitter…
A Kigali, en ces jours de retrouvailles,
il n’est pas de bon ton de rouvrir ces
pages tachées de sang, de poser ces
questions demeurées sans réponse, de
rappeler un quart de siècle de désinformation.
Mais les relations de la France
avec le Rwanda, de la France avec
l’Afrique, ne seront réellement apaisées
qu’au moment où toute la vérité sera
dite.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024