Fiche du document numéro 28632

Num
28632
Date
Dimanche Avril 2001
Amj
Taille
645059
Surtitre
Premiers retraits de troupes étrangères
Titre
Guerre sans vainqueurs en République démocratique du Congo
Soustitre
La guerre qui ravage l'est de la République démocratique du Congo (RDC) depuis 1998, et implique cinq Etats de la région, n'a pas désigné de véritable vainqueur. Mais l'assassinat du président Laurent-Désiré Kabila, le 16 janvier, dans des circonstances encore mystérieuses, semble avoir débloqué les négociations de paix. Alors que le Rwanda et l'Ouganda ont commencé à retirer leurs troupes, le nouveau président congolais tente d'asseoir son autorité sur une armée frondeuse et des alliés devenus encombrants.
Nom cité
Lieu cité
RDC
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
PAR COLETTE BRAECKMAN *

L'enquête sur les circonstances de la mort de Laurent-Désiré Kabila, survenue le 16
janvier 2001 à Kinshasa, est loin d'avoir livré tous ses secrets. Vraisemblablement
tombé sous les balles d'un de ses gardes du corps, Rachidi, le président congolais a été
victime d'une conspiration patiemment ourdie. Car le désespoir de l'enfant-soldat
assassin, qui avait accompagné l'ancien rebelle depuis le Kivu et s'estimait mal
récompensé de ses services, n'a été que l'instrument d'un dessein beaucoup plus
vaste : depuis des mois, Laurent-Désiré Kabila était présenté comme le principal
obstacle aux accords de paix de Lusaka (Zambie). Pourtant, l'enlisement de la
« première guerre mondiale africaine » tenait à bien d'autres causes.

Fondé sur l'hypothèse d'une guerre civile, le texte signé le 10 juillet 1999 faisait bon
marché de la souveraineté congolaise. Le calendrier lui-même témoigne de la
méprise : il prévoit, après le cessez-le-feu, le désarmement des « forces négatives »
c'est-à-dire des divers groupes armés qui menacent la sécurité des pays belligérants
(essentiellement les miliciens rwandais génocidaires) ; puis l'ouverture d'un dialogue
intercongolais devant mener à un nouvel ordre institutionnel ; et enfin seulement le
retrait de toutes les troupes étrangères, qu'il s'agisse des troupes rwandaises et
ougandaises dites d'agression ou des forces zimbabwéennes, angolaises ou
namibiennes soutenant Kinshasa, dans le cadre des accords de défense de la
Conférence pour le développement de l'Afrique australe (SADC).

Aux yeux des concepteurs des accords de Lusaka, dont le diplomate américain
Howard Wolpe, le régime congolais ne représente qu'une des factions en présence,
obligée de négocier un partage du pouvoir, à égalité avec les autres parties, dont trois
mouvements rebelles : le Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD) (1),
soutenu par le Rwanda, le Rassemblement congolais pour la démocratie-Mouvement
de libération (RCD-ML), qui vient de fusionner avec le Mouvement pour la libération
du Congo (MLC), soutenu par l'Ouganda et la descendance de Mobutu. Les accords
prévoient également que les observateurs des Nations unies et d'éventuelles forces
d'interposition prennent position, non pas aux frontières afin de surveiller le retrait
des forces étrangères et d'éventuelles incursions de groupes armés menaçant le
Rwanda et l'Ouganda, mais sur la ligne de front, c'est-à-dire au milieu du pays, au
risque de pérenniser sa partition.

Laurent-Désiré Kabila fut pratiquement contraint de signer cet arrangement, l'armée
rwandaise menaçant de s'emparer de la ville de Mbuji-Mayi, capitale de la province du
Kasaï, riche en diamants, principale ressource économique du pays. Depuis, il avait
tenté de ruser, de contourner les dispositions qui lui étaient défavorables, récusant le
négociateur Ketimule Masire, ancien président du Botswana, soupçonné de partialité,
mettant des obstacles au déploiement de la mission onusienne, tentant d'organiser à
Libreville (Gabon) des rencontres séparées avec des représentants de l'opposition en
exil, mobutistes principalement. Il refusait aussi le libre exercice des activités
politiques, essayant d'imposer une Assemblée constituante à sa solde et poussant à la
création des « comités de pouvoir populaire », chargés d'encadrer et de mobiliser la
population.

« Devoir d'ingratitude »

Quelles que soient les critiques adressées au président Kabila - y compris par ses
proches -, notamment en matière de culte de la personnalité et d'autoritarisme, il faut
reconnaître qu'il bénéficiait, avant son assassinat, d'une évolution en sa faveur des
rapports de force.

Minés par les divisions internes, victimes de nombreuses défections, les mouvements
rebelles sont progressivement apparus comme des créatures manipulées par leurs
protecteurs rwandais et ougandais (malgré la relative autonomie du MLC dans la
région de l'Equateur) et non comme des représentants de véritables mouvements
populaires. En outre, les trois séries d'affrontements qui mirent aux prises Kigali et
Kampala pour le contrôle de Kisangani (et de ses comptoirs de diamants), les rapports
sur les violations des droits fondamentaux, les massacres, les luttes interethniques
dans les régions contrôlées par la rébellion, le pillage des ressources naturelles
congolaises ont fini par ébranler l'opinion internationale. Plusieurs résolutions du
Conseil de sécurité, ignorant le calendrier de Lusaka, ont ordonné le retrait de toutes
les forces étrangères et demandé le rétablissement de l'autorité du gouvernement
congolais sur l'ensemble du territoire.

Dès sa nomination, le 17 janvier 2001, M. Joseph Kabila, fils adoptif du président
défunt, habilement conseillé, a immédiatement lâché du lest sur tous les points
litigieux, s'engageant à appliquer toutes les dispositions des accords de Lusaka, à
ouvrir le jeu politique et à organiser sans tarder le dialogue politique entre les
Congolais. En échange, il a demandé aux troupes étrangères de quitter le pays et exigé
le respect de l'intégrité territoriale et politique du Congo. Mais ce sont ses décisions
d'ordre économique qui lui ont valu d'être invité, séance tenante, à Washington, Paris
et Bruxelles : libéralisation des marchés de biens et services, des diamants et du
change, libre circulation des devises étrangères et du franc congolais. Enfin, il a
promis de promulguer, dans les plus brefs délais, un nouveau code minier ainsi qu'un
code des investissements.

Alors que son père avait renié les contrats passés avec les sociétés minières
américaines durant la première guerre de libération, en 1997, et tenté d'appliquer au
Congo des schémas économiques hérités des ex-pays communistes, M. Joseph Kabila
a tourné la page et ouvert le pays à l'économie de marché.

Non seulement les Occidentaux s'en sont réjouis et ont assuré le jeune président de
leur soutien, mais la population congolaise, épuisée par la guerre et par l'embargo de
fait qui frappe le pays depuis 1992 (époque de la rupture entre le régime mobutiste et
des bailleurs de fonds), espère à nouveau la reprise de l'aide internationale, le retour
des investissements étrangers générateurs d'emplois et la fin de mesures
économiques aberrantes (2).

Si, sur le fond, M. Kabila fils n'a pas trahi le patriotisme de son père, son ton
conciliant et son revirement économique ont peut-être fourni aux belligérants et à la
communauté internationale l'occasion tant attendue de sortir du bourbier sans perdre
la face. Car la guerre menée sur le territoire de la République démocratique du Congo
par cinq Etats étrangers et une douzaine de groupes armés (3) s'est révélée un échec
pour tous les intervenants.

Appuyée diplomatiquement par les Etats-Unis, rejointe par l'Angola et le Zimbabwe,
l'Alliance des forces pour la démocratie et la libération du Congo (AFDL) avait gagné
Kinshasa en sept mois de guerre et, en 1997, porté au pouvoir Laurent-Désiré Kabila,
porte-parole du mouvement. Saluée comme le triomphe de la « renaissance
africaine », cette victoire dissimulait de lourdes ambiguïtés, un conflit potentiel entre
les intérêts de la population et ceux des pays qui avaient créé ou appuyé l'AFDL et qui
entendaient en tirer des bénéfices économiques et politiques.

C'est ainsi que le Rwanda avait maintenu des conseillers militaires auprès de
Laurent-Désiré Kabila et que plusieurs ministres rendaient des comptes directement à
Kigali. Le président ougandais Yoweri Museveni rêvait, quant à lui, d'une route, voire
d'un chemin de fer reliant Kampala à Kisangani et ouvrant l'Afrique centrale aux
commerçants asiatiques dont l'Ouganda est la tête de pont. De son côté, le Zimbabwe
se préparait à conclure avec Kinshasa des contrats miniers et à approvisionner le
marché en produits de première nécessité, prenant ainsi sa revanche sur l'Afrique du
Sud, qui lui avait « soufflé » le marché mozambicain…

Le « devoir d'ingratitude » du président Kabila à l'égard de ses anciens alliés ruina ces
espoirs : il remit en cause les contrats miniers, renvoya ses conseillers rwandais et
critiqua les concessions forestières que les Ougandais se taillaient dans le nord-est du
pays. L'éclatement de la « deuxième guerre » du Congo, en août 1998, fut avant tout
une tentative de remplacer l'ancien maquisard, qualifié d'incontrôlable, par une
équipe plus proche de Kigali et de Kampala.

Le Rwanda et l'Ouganda espéraient assurer leur développement en exploitant les
fabuleuses richesses de leur voisin et profitaient de l'argument sécuritaire pour
réclamer le droit d'intervention de leurs armées en territoire congolais. Mais
l'opération, approuvée sinon commanditée par les Etats-Unis, et qui aurait dû être
une guerre éclair, s'enlisa lorsque l'Angola et le Zimbabwe s'opposèrent à l'irruption
de ces troupes opérant derrière le paravent du mouvement rebelle RCD.

Depuis lors, la guerre s'est enrayée et chacun des intervenants y a perdu bien plus que
sa mise initiale. En effet, les rebelles, mal vus par une population qui n'a jamais
approuvé cette deuxième guerre, se sont scindés en trois mouvements rivaux (RCD,
RCD-ML et MLC). En outre, les dirigeants du Rwanda et de l'Ouganda, MM. Paul
Kagame et Yoweri Museveni, désormais rivaux sinon ennemis, ont perdu leur prestige
de « nouveaux leaders » et fini par être sommés par le Conseil de sécurité de retirer
leurs troupes du territoire congolais.

Les raisons initialement invoquées pour mener cette guerre se sont estompées au
profit des véritables motivations des uns et des autres : exploiter, de manière éhontée,
les richesses du Congo. Ainsi, au Kivu, dans l'est du pays, l'achat du colombo tantalite
(coltan), minerai précieux indispensable aux alliages utilisés pour les avions, les
téléphones portables, les microprocesseurs, est réservé à la Somigl (Société minière
des Grands Lacs). Cette dernière exporte le minerai vers le Rwanda et, de là, vers
l'Europe et les Etats-Unis par le biais de trois sociétés, Africom, Promeco et Cogecom
(respectivement belge, rwandaise et sud-africaine). Au Kivu, plus aucun droit de
douane n'est perçu aux frontières avec le Rwanda, et les populations congolaises
vivent cette situation comme une annexion de fait. Les richesses rapportées du Congo,
qui financent le budget de la défense, ont aussi favorisé l'émergence à Kigali d'une
nouvelle classe politico-militaire marquée par la corruption, et le régime est
désormais également contesté par des Tutsis et par les milieux monarchistes.

A Kampala, le principal rival du président Museveni, le colonel Kissa Besigye, a fondé
sa campagne présidentielle, finalement perdue le 12 mars 2001 au terme d'un scrutin
contesté, sur la dénonciation de la guerre au Congo. Dans les zones qu'elle contrôle,
l'armée ougandaise protège ouvertement des comptoirs d'achat d'or et de diamants,
organise l'importation de biens de consommation ougandais, exporte des matières
précieuses : or, diamant, étain, café, bois précieux et même pétrole, récemment
découvert dans la vallée de la Semliki. Le général Salim Saleh et le brigadier Kazini,
deux proches du président Museveni, sont les principaux artisans de cette mise en
coupe réglée des richesses congolaises. De plus, l'Ouganda est accusé de semer la
division entre ethnies congolaises et d'avoir encouragé, en sous-main, les
affrontements entre Hemas et Lendus, qui ont fait des centaines de morts dans les
environs de Bunia.

Outre le discrédit moral, l'usure du pouvoir et la contestation interne, la guerre au
Congo a fini par créer un fossé entre l'Ouganda et les bailleurs de fonds qui le
présentaient récemment encore comme « une histoire à succès africaine ». Par
ailleurs, l'insécurité au Kivu, qui avait servi à justifier la « deuxième guerre » du
Congo, s'est encore aggravée : les Tutsis Congolais Banyamulenge, que Kigali se
proposait de défendre, sont à présent encerclés sur leurs hauts plateaux, et un
mouvement soutenu par leurs élites, le Front républicain fédéraliste (FRF), accuse
ouvertement le Rwanda et le RCD d'être la cause de leurs différends avec leurs voisins
congolais. Dans l'ensemble du Kivu, les attaques se multiplient contre les paroisses et
les centres de santé ; l'insécurité est générale. Alors que Kigali dénonce la jonction des
« forces négatives » (les Interahamwe) avec les forces de résistance congolaises Mayi
Mayi, de nombreuses sources congolaises assurent que l'armée rwandaise emmène au
Kivu des prisonniers hutus. Ces derniers seraient chargés d'entretenir délibérément
l'insécurité afin de justifier la pérennité de la présence du Rwanda dans cette région,
qui fut toujours pour celui-ci un exutoire démographique et économique.

Même si l'ONU supervise le retrait des troupes étrangères et s'installe sur la ligne de
front, la situation demeurera explosive au Kivu. En effet, la région sert aussi de base
arrière aux Hutus Burundais, qui ont intensifié les attaques sur la capitale Bujumbura
en février 2001 : tout se passe comme si une « guerre dans la guerre » se déroulait
désormais dans la sous-région, avec pour objectif de déstabiliser le Burundi
d'abord (4), et peut-être ensuite le Rwanda.

La guerre au Congo s'est également révélée négative pour les alliés du président
défunt, malgré les bénéfices économiques ou sécuritaires immédiats qu'en ont retirés
le Zimbabwe et l'Angola. Car l'engagement en RDC a accéléré le déclin du régime de
M. Robert Mugabe, l'opposition en ayant fait son cheval de bataille.

Les caciques récompensés

POUR le Zimbabwe, le Congo a aussi été une affaire commerciale. Le président avait
engagé 200 millions de dollars pour financer la « première guerre » et s'était lancé
dans la deuxième pour défendre l'intégrité du pays, soutenir son vieil ami Kabila, mais
aussi pour protéger ses investissements. Depuis, l'armée zimbabwéenne est présente
autant à titre militaire qu'économique : la Zimbabwe Defense Force (ZDF), via son
entreprise Zidco, a conclu de nombreux contrats en RDC, dont les hommes-clés sont
M. Emmerson Mnangagwa, ex-ministre de la justice et trésorier du parti Zanu-PF,
ainsi que le général Vitalis Zvinavashe, propriétaire d'une entreprise de transport. Le
Zimbabwe a été largement récompensé pour son engagement : contrats militaires
(portant entre autres sur la fourniture d'armes chinoises), concession d'un
demi-million d'hectares au Katanga accordés à la Rural Development Authority,
fourniture d'énergie hydroélectrique…

Toutefois, c'est dans le domaine minier que la présence zimbabwéenne a été la plus
visible, et la plus contestée. Ainsi, lorsqu'en septembre 1998 Laurent-Désiré Kabila a
concédé à M. Billy Rautenbach, patron de Wheels of Africa, la gestion de la société
Gecamines et l'exploitation de plusieurs concessions importantes (5). Le Zimbabwe,
via la société Osleg (Opération Sovereign Legitimacy), est également présent dans
l'exploitation du diamant de Mbuji Mayi.

Cependant, si ces prises de participation commerciales ont récompensé des caciques
du régime, cela est loin d'avoir bénéficié au pays lui-même. Les institutions
financières internationales ont spécifiquement sanctionné le Zimbabwe à cause de la
guerre en RDC, retenant notamment un crédit de 240 millions de dollars. Le régime
traverse une crise profonde.

Seul l'Angola, qui apparaît comme la principale puissance militaire de la région, est
sorti relativement intact de l'engagement en RDC, sans toutefois réussir à neutraliser
définitivement l'Unité pour l'indépendance totale de l'Angola (l'Unita). Aux yeux des
dirigeants de Luanda, l'impératif de sécurité demeure primordial, les succès
récemment remportés contre M. Jonas Savimbi n'étant toujours pas irréversibles.

La guerre en RDC est aussi un échec pour l'Organisation de l'unité africaine (OUA),
qui, malgré la multiplication des rencontres et des sommets et la désignation du
président zambien Frederik Chiluba comme médiateur, s'est révélée incapable
d'imposer une solution à cette « première guerre mondiale africaine ». C'est un échec
également pour les Nations unies. A l'heure actuelle, le contingent de casques bleus de
5 537 hommes, censé observer le cessez-le-feu dans un pays vaste comme quatre fois
la France, a été réduit à 3 000 hommes !

Ces tergiversations, dues aux blocages congolais, au manque de crédits, mais aussi à
l'absence de volonté politique des membres du Conseil de sécurité, n'ont pas
contribué à rehausser la réputation de l'ONU dans la région. L'organisation ne s'est
toujours pas relevée de l'abandon du Rwanda en 1994, ni du fait que l'entretien des
camps de réfugiés hutus rwandais en Tanzanie et surtout au Kivu a durablement
prolongé les effets de la guerre et posé les germes du nouveau conflit. D'autant que,
par la suite, les organisations internationales et les organisations non
gouvernementales (ONG) se sont montrées incapables de protéger les réfugiés en
fuite dans la forêt congolaise.

Pour la population congolaise, ce conflit - dont elle n'a jamais compris la raison -
constitue une véritable tragédie. Une ONG américaine, International Rescue
Committee, a estimé que, dans l'est du pays, 1,7 million d'habitants avaient été
victimes des conséquences de la guerre, 200 000 des décès constatés étant
directement imputables à la violence. S'exprimant devant le Conseil de sécurité, le 28
novembre 2000, la coordinatrice des secours d'urgence de l'ONU, Mme Caroline Mac
Askie, a déclaré que seize millions de Congolais (soit un tiers de la population totale)
connaissaient des déficits alimentaires et que la guerre avait fait deux millions de
déplacés intérieurs et poussé 300 000 Congolais à se réfugier dans les pays voisins.

Dans la capitale, Kinshasa, les pénuries de carburant et de transports publics obligent
la population à marcher durant des heures à travers une ville de 40 kilomètres de
long. Les familles se sont habituées à alterner les repas, jours pairs pour les adultes,
impairs pour les enfants. Le fait que les fleuves, artères vitales dans ce pays dépourvu
de voies de communication, soient désormais interdits à la navigation civile a entraîné
des conséquences dramatiques pour les populations de l'intérieur. Dans des villes
comme Aketi ou Bumba, dans la province de l'Equateur, les récoltes de café, de
manioc, de riz, jadis destinées à Kinshasa, pourrissent sur place ou sont emmenées
vers l'Ouganda, tandis que la population manque de médicaments, de vêtements et
même de sel, que les commerçants doivent aller chercher à Kisangani, à plus de mille
kilomètres, parcourus à bicyclette à travers la forêt tropicale. Choléra, tuberculose,
fièvres hémorragiques, maladie du sommeil, sida propagé par les différents groupes
armés (6) : toutes les grandes endémies sévissent à nouveau sur l'ensemble du
territoire et déciment la population.

Pourtant, plus que jamais, les Congolais semblent se percevoir comme les citoyens
d'un même pays. Partout, en RDC et à l'étranger, se multiplient conférences,
séminaires, rencontres, à l'initiative des Eglises, de la société civile, d'organisations
non gouvernementales étrangères. Autant d'occasions de brassages humains,
d'échanges de nouvelles qui témoignent de la résistance des Congolais à l'occupation,
au dépeçage de leur pays, et à la tutelle étrangère.

La pérennité du sentiment national, l'extrême mobilisation politique de la population
devraient peut-être inciter à ne plus mettre le Congo sous tutelle et à ne plus discuter
de son sort dans les forums internationaux comme s'il s'agissait d'une terre vide,
« vacante », suivant la terminologie de l'époque de Léopold II. Un Congo fort
constitue le meilleur atout pour la stabilité de toute la région…

COLETTE BRAECKMAN
* Journaliste, Le Soir (Bruxelles).

(1) Lire Catherine Coquery-Vidrovitch, « Au Congo, de la rébellion à l'insurrection », Le
Monde diplomatique, janvier 1999.

(2) Ainsi, par exemple, le monopole des exportations de diamants avait été attribué à une
entreprise israélienne, IDI Diamonds, qui s'était engagée à verser 20 millions de dollars
de redevances à l'Etat moyennant l'exclusivité des exportations. Cette mesure avait incité
creuseurs et intermédiaires à proposer leurs gemmes à Brazzaville.

(3) Lire Mwayila Tshiyembé, « Ambitions rivales dans les Grands Lacs », Manière de
Voir, n° 51, « Afriques en renaissance », mai-juin 2000, et Colette Braeckman, « La
République démocratique du Congo dépecée par ses voisins », Le Monde diplomatique,
octobre 1999.

(4) Depuis 1993, les affrontements interethniques ont fait plusieurs dizaines de milliers
de morts au Burundi. En juillet 1996, une commission d'enquête des Nations unies a
qualifié les massacres perpétrés par la rébellion hutue en octobre 1993 d'« actes de
génocide ».

(5) Toutefois, faute de résultat probant, M. Rautenbach perdit la direction de l'entreprise
au profit du Belge Georges Forrest, avant de revenir sur le terrain deux semaines avant
l'assassinat du président. Lire Francois Misser et Olivier Vallée, « Les nouveaux acteurs
du secteur minier africain », Manière de voir, n° 51, mai-juin 2000.

(6) Lire Anatole Ayissi, « En Afrique, une affaire de mort et de pauvreté », Le Monde
diplomatique, décembre 2000.

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