Fiche du document numéro 28650

Num
28650
Date
Mardi Octobre 2002
Amj
Taille
527227
Surtitre
Vers des solutions africaines aux conflits du continent
Titre
Médiations tanzaniennes dans les Grands Lacs
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
PAR WILLY NINDORERA *

En dépit de graves difficultés socio-économiques, la Tanzanie inspire le respect dans
la région pour sa stabilité politique, sa contribution à la décolonisation du continent et
à la lutte contre l'apartheid. La stature du père de l'indépendance, Julius Nyerere, a
permis à la diplomatie de Dar es-Salaam de rayonner sur l'ensemble du continent.
L'ancien président - décédé en octobre 1999 d'une leucémie - a su donner corps à
l'idée de solutions africaines aux conflits régionaux. Au cours des années 1990, la
Tanzanie a notamment été sollicitée pour une médiation dans les différends armés du
Rwanda et du Burundi voisins.

Le pays a ainsi accueilli la première conférence régionale sur les réfugiés rwandais,
après l'offensive militaire lancée, en octobre 1990, par la rébellion du Front
patriotique rwandais (FPR). C'est également la Tanzanie qui a été choisie pour
accueillir une série de négociations. Le pays, frontalier du Rwanda, était considéré
comme neutre dans le conflit qui opposait le FPR au pouvoir hutu de Juvénal
Habyarimana (1). Le maréchal Mobutu n'ayant pas souhaité participer aux
négociations d'Arusha (2), c'est la Tanzanie qui a assumé le poids de la « facilitation »,
discrètement, n'intervenant qu'en cas de blocage. En août 1993, un accord de paix fut
signé. Juvénal Habyarimana avait finalement accepté de le mettre en œuvre quand
son avion fut abattu à Kigali, le 6 avril 1994, déclenchant le génocide (3).

Le spectre du chaos rwandais a plané sur le Burundi voisin. Dans l'est du Zaïre, les
rebelles hutus burundais et les forces génocidaires auraient fait alliance, tandis que,
dans la capitale, Bujumbura, des milices tutsies parachevaient la balkanisation de la
capitale, entamée lors d'affrontements entre l'armée à majorité tutsie et la rébellion
dans les quartiers nord. Le génocide de 1994, qui a démontré l'incurie de la
communauté internationale, conforta les dirigeants de la région dans l'idée de trouver
des solutions africaines aux conflits.

En octobre 1993, le premier président hutu du Burundi, Melchior Ndaddaye, est
assassiné. Les tensions et les meurtres interethniques, déjà vifs, se multiplient dans le
pays, exacerbés par les événements au Rwanda. L'ancien président Pierre Buyoya
sollicite alors l'implication de Julius Nyerere, devenu un « sage » après s'être
volontairement retiré du pouvoir en novembre 1985. Prenant les choses en main,
Nyerere parvint à faire avaliser par la sous-région, en 1996, un projet d'intervention
militaire au Burundi - officiellement pour protéger les populations civiles. Mais ce
projet précipita le renversement du président burundais Sylvestre Ntibantunganya.
Un coup d'Etat ramena au pouvoir le major Buyoya. Se considérant trahi, Julius
Nyerere fit décider un embargo contre le Burundi par un sommet des chefs d'Etat de
la sous-région (4).

En juin 1998, la rébellion hutue, délogée de l'est du Congo, s'était repliée en territoire
tanzanien : le gouvernement burundais accusa Dar es-Salaam de partialité. Les
incidents se multiplièrent à la frontière burundo-tanzanienne. La médiation dut
assurer un arbitrage difficile entre le gouvernement, l'assemblée nationale et les
dix-sept partis politiques du Burundi. Elle a également dû gérer les dissidences au
sein des rébellions armées, et a été critiquée en coulisses, par certains observateurs
internationaux, pour un surcroît de dirigisme et l'absence d'experts qualifiés. Les
travaux avançaient timidement lorsque Julius Nyerere est mort, en octobre 1999. Il
avait rêvé de régler, par la voie du dialogue, un conflit dont il redoutait les retombées
néfastes sur son pays (5) : l'opinion et la classe politique tanzaniennes avaient
tendance à se diviser entre pro-hutus et pro-tutsis.

Finalement, la médiation de Dar es-Salaam aura bénéficié d'un courant d'opinion
international favorable et enregistré des dividendes financiers qui ne sont pas si
négligeables (6). Mais elle traduit surtout l'échec de la formule de la « solution
africaine ». L'accord de paix a finalement été signé à Arusha, en août 2000... sous la
direction de M. Nelson Mandela. Cependant, les attaques rebelles se sont intensifiées
en 2002, et des négociations pour un cessez-le-feu sont organisées, depuis la fin août
2002, à nouveau en Tanzanie.

WILLY NINDORERA
* Journaliste, Bujumbura.

Lire :
Failles de l'activisme diplomatique du Sénégal
Les hésitations de la politique étrangère de Pretoria

(1) Les mêmes arguments plaideront en faveur de la Tanzanie pour l'installation à Arusha
du Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR).

(2) Les relations entre les Tanzaniens et le maréchal Mobutu étaient si mauvaises
qu'aucune mission des chefs d'Etat des deux pays n'eut lieu.

(3) Lire Anne-Cécile Robert, « Au Rwanda, vivre avec le génocide », Le Monde
diplomatique, juillet 2000.

(4) Il est à noter qu'il n'a jamais été question que M. Buyoya parte, les pressions se
faisant pour la restauration de l'Assemblée nationale suspendue, le rétablissement des
partis politiques et le respect des libertés publiques.

(5) Au 1er mai 2002, la Tanzanie accueillait 353 132 réfugiés burundais dans des camps
(source Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés).

(6) Près de 15 millions de dollars, qui ont profité principalement à l'équipe de la
facilitation, à la ville d'Arusha, mais surtout aux négociateurs burundais, dont beaucoup
paraissaient plus préoccupés par leurs per diem que par les discussions sur l'avenir de
leur pays.

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