Fiche du document numéro 28995

Num
28995
Date
Vendredi 17 septembre 2021
Amj
Taille
317672
Titre
Génocide des Tutsi : La boussole qui refuse de montrer le nord
Nom cité
Mot-clé
Type
Tribune
Langue
FR
Citation
La première édition du Que Sais-je de Filip Reyntjens sur le génocide des Tutsi de 1994 au Rwanda avait, lors de sa parution, suscité l’indignation d’une liste impressionnante d’historiens et d’experts du sujet, exprimée dans une lettre ouverte publiée dans Le Monde du 25 Septembre 2017 (1).

Le 18 août dernier paraissait la deuxième édition de cet ouvrage, ne comprenant que de mises à jour mineures et des modifications superficielles.

À l’évidence, les critiques soulevées lors de la première édition n’ont guère retenu l’attention de son éditeur, lequel n’a exigé aucun remaniement de fond du manuscrit.

Nous ne pouvons que nous étonner qu’un éditeur visant à mettre le savoir à la portée de tous ait pu ignorer les alertes d’historiens reconnus et participe à la diffusion, une seconde fois, de thèses niant des éléments fondamentaux du génocide des Tutsi.

Ce faisant, le groupe d’édition Humensis a non seulement contribué à la vulgarisation de thèses historiquement obsolètes, mais apporte également du crédit à un auteur défendant des thèses révisionnistes sur le dernier génocide du vingtième siècle.

Une mise à jour quasi inexistante



Cette nouvelle édition ne répond aucunement aux abondantes critiques formulées en 2017. Filip Reyntjens, qui aime rappeler que l’histoire a besoin d’être constamment révisée par le débat, n’applique vraisemblablement pas ce principe à son propre travail et a choisi d’ignorer les remarques n’allant pas dans son sens. De nouveau, il persiste à inverser l’ordre des responsabilités du génocide et à soutenir, contre toute logique historique et intellectuelle, l’absence de planification du génocide.

Négation de la planification du génocide



Reprenant l’un des arguments fétiches des auteurs du génocide, Filip Reyntjens nie la planification du génocide commis contre les Tutsi, en soutenant qu’il fut le résultat d’un processus non planifié et le fruit d’une colère populaire déclenchée par l’assassinat du président Habyarimana et attisé par la peur du Tutsi existant au sein de la population.

Cette négation de la planification du génocide par Filip Reyntjens, étayée de manière douteuse sur base de sources limitées et sélectives, est d’autant plus étonnante que ce même Filip Reyntjens déclarait en 1995, sous serment devant la justice belge : « Cependant je sais d’après de nombreux témoignages fiables qu’un projet génocidaire et de massacres politiques existait depuis longtemps et dont on voit les premiers signes déjà à la fin de l’année 1991 (2) ».

Brûlot politique



Engagé dans une guerre médiatique contre le FPR depuis 1990 (3) au détriment de l’objectivité de ses travaux, Filip Reyntjens reprend les thèses nauséabondes attribuant la responsabilité du génocide des Tutsi au FPR qui, dès octobre 1990 « ne pouvait ignorer […] que l’attaque mettrait en péril de façon aiguë les Tutsi de l’intérieur », accablant les victimes du génocide d’une partie de la responsabilité de leurs bourreaux.

Non content d’attribuer la responsabilité du génocide au FPR, Filip Reyntjens n’intègre pas à son analyse le non-lieu prononcé en décembre 2018 envers le FPR par la justice française sur l’attentat qui coûta la vie au président Habyarimana. Malgré cette décision et les éléments apportés par les enquêtes balistique et acoustique prouvant le départ des missiles dans le camp de Kanombe contrôlé par les extrémistes hutu, Filip Reyntjens parle envers et contre tout d’un « faisceau d’indications désignant le FPR comme auteur de l’attentat (4) ».

La boussole qui refuse de montre le nord



Alors que nous avions accordé le bénéfice du doute lors de la première édition, et pensé que le petit livre à la boussole avait involontairement perdu le nord, cette deuxième édition nous confirme qu’il s’agissait d’un choix délibéré.

En choisissant d’ignorer les critiques d’historiens et experts de renom, et en republiant, inchangées, les théories d'un « chercheur-acteur (5) » ayant plus d'une fois exprimé des propos se situant à la limite du négationnisme (6), les éditions Que Sais-je ne peuvent plus feindre l’ignorance ou plaider la négligence. C’est donc bien la boussole qui refuse de montrer le nord !

Alors qu’en France, le Rapport Duclert a récemment mis un terme à vingt-sept années de déni sur la responsabilité de la France dans le génocide des Tutsi, les éditions Que Sais-je, décide quant à elle d’en republier une lecture révisionniste.

Messieurs Frédéric Mériot et Julien Brocard (7), l’histoire du génocide des Tutsi, la mémoire du million de victimes et les rescapés ne méritaient pas un tel mépris. Les lecteurs de votre collection ne méritent-ils pas davantage de rigueur historique et académique ?

(1) https://www.lemonde.fr/idees/article/2017/09/25/rwanda-le-que-sais-je-qui-fait-basculer-l-histoire_5190733_3232.html

(2) http://www.francegenocidetutsi.org/doc56872.pdf

(3) Filip Reyntjens, Les risques du métier, L’Harmattan, 2009, Paris. p. 25. « Dans le cadre des débats évoqués plus haut, je suis associé à une initiative du régime, qui tente de reprendre le dessus dans la guerre médiatique qu'il est en train de perdre face au FPR (cf. supra). Début novembre, je suis contacté par Fabien Singaye, diplomate en fonction à l'ambassade du Rwanda à Berne. »

(4) Filip Reyntjens, Que Sais-je, Le génocide des Tutsi au Rwanda, Deuxième édition, page 34.

(5) Filip Reyntjens (2009), Les risques du métier, Paris, Editions L’Harmattan.

(6) https://twitter.com/freyntje/status/977197186307055616 « #Rwanda I have long thought that @rpfinkotanyi committed crimes against humanity and war crimes in 1994, not #genocide. Book by @JudiRever shows irrefutably they did commit genocide. So, yes, double genocide happened. »

(7) Frédéric Mériot est directeur général (CEO) du groupe Humensis, Julien Brocard est directeur éditorial de la collection Que Sais-je.

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