Fiche du document numéro 30441

Num
30441
Date
Jeudi 19 mai 2022
Amj
Taille
27872
Titre
Génocide rwandais : un ancien préfet comparaît devant la cour d’assises de Paris
Soustitre
Laurent Bucyibaruta est notamment accusé de génocide. Il est jugé pour le massacre dans l’église de Kibeho. Rien que dans cette localité, 40.000 personnes ont été tuées.
Nom cité
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Lieu cité
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Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Les crimes de génocide sont imprescriptibles et les victimes ont la mémoire longue. Laurent Bucyibaruta, l’ancien préfet de Gikongoro, après avoir vécu en France sans être inquiété durant 28 ans, comparaît depuis le 9 mai devant la Cour d’Assisses de Paris et son procès ne se terminera qu’en juillet prochain. Son avocat, Me Biju-Duval, invoquant le délai de 22 ans séparant la mise en examen de son client et sa comparution aux assises, a réclamé l’annulation des poursuites, mais sa demande a été rejetée.

Un homme de 88 ans, se déplaçant en chaise roulante, dont l’état de santé exige deux dialyses par jour, se présente donc devant une juridiction française et après de longues années de tranquillité, il doit répondre d’accusations d’une extrême gravité : génocide, complicité de génocide, complicité de crimes contre l’humanité. Bien des témoins sont aujourd’hui décédés, l’épouse -- tutsie -- du prévenu n’a pu se présenter pour raisons de santé mais la justice française, plus efficace depuis qu’a été créé en 2012 le pôle « crimes contre l’humanité », a estimé que la gravité des faits méritait qu’un procès soit conduit jusqu’à son terme. Il s’agit de soulager les survivants mais aussi parce que le déroulement des audiences, filmé depuis le premier jour, possède une valeur historique susceptible d’éclairer les générations futures sur les particularités de ce dernier génocide du siècle dernier : si les vies d’un million de Tutsis ont pu être emportées en trois mois, c’est parce les tueries furent exécutées par des voisins, sur ordre des autorités nationales et locales.

Au cours des audiences, il a été rappelé qu’à l’époque, l’accusé, représentant l’autorité de l’Etat rwandais, jouissait d’un grand prestige. Il était un notable respecté et lorsqu’il conseilla aux Tutsis de se réfugier dans l’église de Kibeho, les paroissiens obtempèrent. Les témoins convoqués au procès se souviennent de cette docilité et l’historienne Hélène Dumas, chercheuse au CNRS qui consulte et classe aujourd’hui encore les archives de l’association Ibuka (Souviens-toi) décrivit à l’intention des jurés le caractère méticuleux, organisé des tueries. Démentant toute idée de « folie collective » ou de « colère spontanée », elle évoqua avec précision l’étau dans lequel furent broyées les victimes : d’un côté, il y avait l’Etat, dont le préfet était le représentant, un Etat qui envoyait au « travail » des militaires, des gendarmes, des miliciens Interahamwe dûment formés à l’usage de la machette et de l’autre, il y avait ce que l’on appelait naguère le « petit peuple », c'est-à-dire les voisins hutus, les collègues de travail et même les jeunes, soigneusement endoctrinés, formés à identifier, dénoncer, traquer jusque dans les marécages ceux avec lesquels hier encore ils partageaient le lait et les haricots. Avec minutie, l’historienne analyse l’intention génocidaire et elle relève aussi que, à l’instar des enfants juifs dans les territoires de l’Est de l’Europe, les jeunes tutsis furent les premiers ciblés, que des cadavres de bébés étaient jetés aux chiens. Elle souligne aussi l’importance de l’Etat, symbolisé par le préfet, cet Etat qui louait des autobus afin de mieux déplacer les tueurs ou des camions qui ramassaient les corps.

Après ce rappel du modus operandi du génocide, des récits, durant de longues journées, sont venus raviver les souvenirs du prévenu. Des agriculteurs, dont un témoin toujours détenu à Kigali et s’exprimant en visioconférence, ont rappelé que, travaillant à l’usine à thé de Mata, ils avaient suivi les instructions du préfet et attaqué l’église de Kibeho où les Tutsis s’étaient réfugiés. Un rescapé tutsi, présent à l’audience, se souvient que certains de ses collègues hutus travaillant à l’usine à thé avaient suivi des formations, apprenant à manier les armes. Il précise qu’au troisième jour des massacres, l’église fut incendiée et qu’à Kibeho seulement, environ 40.000 personnes furent tuées.

L’accusé conteste ces informations : relisant ses notes, Laurent Bucyibaruta assure « dans une commune de 30.000 habitants, on dit qu’il y a eu 50.000 morts » et il nie avoir jamais envoyé un bulldozer pour enterrer les corps…

Par la suite, des photos passent entre les mains des jurés, où l’on voit la toiture incendiée de l’église de Kibeho et la trace des trous laissés par l’explosion des grenades.

Tant d’années après les faits, la lecture du compte rendu des audiences, minutieusement réalisé par Alain Gauthier, président du Collectif des parties civiles pour le Rwanda, ou par la presse française, rend toute sa force au souvenir du génocide du Rwanda, à l’exigence de justice et, à l’heure de l’Ukraine, force à méditer sur l’inanité de la vieille promesse « plus jamais çà »…

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024