Fiche du document numéro 30760

Num
30760
Date
Samedi Novembre 2003
Amj
Taille
372412
Titre
Rapport de la Recherche sur la Gacaca
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
PRI
Type
Rapport
Langue
FR
Citation
Rapport de la Recherche sur la Gacaca – PRI

Avec le soutien
de la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC)

Novembre 2003

1

TABLE DES MATIERES

I.

PRESENCE DE PRI SUR LE TERRAIN DANS KIBUYE

4

A.
B.
C.

LA RECHERCHE DE PRI
ÉQUIPE SUR LE TERRAIN
CHOIX DES SECTEURS DE RECHERCHE

4
4
5

II.

KIBUYE, SITUATION GLOBALE

6

III. LE GENOCIDE A KIBUYE

9

A. DONNEES GENERALES
B. SECTEUR NYANGE

9
11

CONCLUSION

26

2

Résumé

Le choix a été fait de présenter le cas d’étude de la cellule Cyambogo de Nyange, PRI menant une
recherche qualitative et participative dans ce secteur pilote de Kibuye depuis juin 2002.
Actuellement quatre observateurs de terrain enquêtent sur une Gacaca marquée surtout par sa
lenteur. Si des raisons conjoncturelles peuvent être avancées, telles que le calendrier électoral ou
la saison des pluies, d’autres en revanche sont beaucoup plus profondes et viennent à terme
menacer le processus.
Un manque de participation de la population se fait fortement sentir, visible à l’absentéisme et
aux retards de séances, mais également en termes de contribution à l’établissement de la vérité.
Cela est la conséquence, tout d’abord, d’un sentiment d’insécurité nourri par la peur de
représailles : les témoins les craignent d’autant plus que leurs témoignages engagent des membres
mêmes de leur communauté la plus proche et que les formations et motivations insuffisantes des
“juges intègres” peinent à palier.
C’est la conséquence, d’autre part, d’un manque d’implication des élites et des autorités locales
nourrissant un sentiment d’abandon au sein de la population.
Cette implication est pourtant plus que nécessaire alors que deux tabous sous-tendent les
discussions. Le premier, celui de l’ “ethnicité”, demeure très présent. Le concept d’ethnie ayant
joué un grand rôle dans l’histoire du pays, sa prégnance au sein des esprits se traduit souvent
aujourd’hui par une certaine méfiance entre les différents groupes de la communauté rwandaise.
Le deuxième tabou, celui des crimes de vengeance commis par les membres du FPR, du fait de
son absence de traitement, que ce soit en dehors ou dans le cadre de la Gacaca, explique le fort
sentiment de défiance à l’égard du “ système Gacaca” ressenti par une partie de la population. Il
ne s’agit aucunement ici d’accréditer la thèse du “ double génocide”, propagée par certains
extrémistes, mais simplement de souligner l’importance que devrait revêtir la prise en
considération de cette question dans une perspective de réconciliation de l’ensemble de la société.
Beaucoup de l’avenir du processus semble devoir se jouer dans la mise en place d’une
sensibilisation intense, soutenue et interactive avec tous les groupes (rescapés, non rescapés,
autorités et détenus) en vue de dissiper toute idée d’une justice partiale et d'accroître la
participation. C’est là un élément crucial au moment où un cercle vicieux, préjudiciable pour la
justice participative qu’est la Gacaca, semble se mettre en place: le manque de participation de la
population générant une lenteur du processus Gacaca, contraire aux attentes de la population, à
son tour source de mécontentement et donc d’un désengagement participatif.

3

I.

Présence de PRI sur le terrain dans Kibuye

A. La recherche de PRI
A la demande de la Direction du Développement et de la Coopération Suisse (DDC), Penal
Reform International (PRI) a commencé, à partir du mois de juin 2003, une étude en profondeur
du processus Gacaca dans la province de Kibuye. PRI avait déjà commencé à travailler, depuis juin
2002 dans cette province et particulièrement dans les secteurs de Nyange puis de Sanza.
Cette étude qualitative et participative se fait suivant la logique suivante :
- suivi de contexte dans lequel le processus Gacaca se développe dans cette province,
- suivi de processus même : suivi régulier des différentes phases du processus Gacaca,
- suivi de l’impact de la Gacaca en tenant compte des objectifs des juridictions Gacaca :
- faire connaître la vérité sur ce qui s’est passé lors du génocide de 1994,
- accélérer les procès du génocide (punir les coupables et libérer les innocents),
- éradiquer la culture d’impunité,
- réconcilier les Rwandais et renforcer leur unité.
En raison du calendrier électoral chargé des mois d’août et septembre au Rwanda, il a été
impossible de faire des études sur le terrain pendant cette période.

B. Équipe sur le terrain
PRI a actuellement quatre observateurs/chercheurs pour sa recherche Gacaca dans quatre des six
districts de la province de Kibuye. Ces observateurs suivent les secteurs et cellules mentionnés
ci-dessous :
Tableau 1 : Les secteurs de la Province de Kibuye dans lesquels PRI suit les juridictions Gacaca


Districts

Secteurs

Cellules du secteur Cellules choisies
par PRI

1

Budaha

Nyange

Cyambogo
Kanyinya
Muganza
Murambi
Nsibo
Nyange
Vungu
Zegenya

Cyambogo

Kiyisenge
Remera
Kiraro
Murehe

Remera

(secteur pilote/ Juin
2002)

Sanza
(Novembre 2002)

Vungu

Nyakarambi

4

Mwunguzi
Rubona
Kirehe
Nyakarambi

2

Itabire

Murundi (à partir de
2004)

A choisir

A choisir

Kigoma

Nyabitare

Rwankuba

(Novembre 2002)

Nyagisozi

Kayonga

Kayonga
Birenga
Rwankuba
Nyabivumu
3

Rusenyi

Gihombo

Gahanda

Buseso

(Novembre 2002)

Gasharu

Butare

Rwamatamu
Buseso
Mbogo
Butare
4

Ville de Kibuye Rubengera
(Novembre 2002)

Kibande

À choisir

Kabatara
Kigabiro
Ruvumbu
Kabahizi
Mufumbezi

4

6

33

8

Dans la mesure du possible, les chercheurs sélectionnent certaines juridictions semblant bien
fonctionner et d’autres fonctionnant moins bien à l’intérieur des secteurs qu’ils couvrent. Un
groupe mobile de chercheurs visite régulièrement l’équipe de Kibuye afin de superviser leur
travail et approfondir certains aspects de la recherche elle-même, comme par exemple des
interviews de groupes spécifiques tels que les rescapés, les détenus, etc.

C. Choix des secteurs de recherche
Le secteur de Nyange (Budaha) a été choisi du fait que c’est un secteur pilote de la Province qui a
donc démarré les juridictions Gacaca en juin 2002.
Ce secteur a été choisi par le gouvernement en fonction des critères suivants :
- un nombre élevé d’aveux,
- les infrastructures disponibles,
5

-

de bons résultats obtenus à l’issue de la formation dispensée aux “Inyangamugayo”
(« personnes intègres »),
et de manière générale, une population coopérative.

Dés le début, en juin 2002 (phase I), PRI a observé la Gacaca dans le secteur Nyange. A partir de
novembre 2002 (phase II), PRI a élargi son observation à quelques juridictions du secteur de
Sanza du même district de Budaha.
Le secteur Murundi - aussi à Budaha – a été choisi pour faire l’objet de recherches lors de la
phase de lancement des juridictions Gacaca dans tous les secteurs du pays (phase III prévu pour
mars 2004). Murundi a été choisi du fait qu’il existe une étude de base1 sur ce secteur pouvant
servir de point de comparaison entre la situation actuelle et 1994.
Le choix du district de Rusenyi (secteur de Gihombo) s’est basé sur le fait que ce district abrite les
fameuses collines de Bisesero ou il y a eu une grande résistance au génocide par les victimes ellesmêmes.
Le secteur de Rubengera (Kibuye Ville) a été choisi pour ses caractéristiques urbaines en
opposition aux autres secteurs exclusivement ruraux.
Le choix du district de Itabire (secteur de Kigoma) a été fait car ce district semble connaître des
difficultés au sujet de l’unité et de la réconciliation or ceux-ci font partie des objectifs que la
Gacaca souhaite atteindre.
Suite à l’extension des juridictions Gacaca à un secteur par district en novembre 2002, il y a
aujourd’hui à Kibuye 7 secteurs, dont le secteur pilote (Nyange), où les juridictions Gacaca
fonctionnent, soit un total de 46 juridictions. Cela correspond à 7% de toutes les cellules ou
secteurs de cette province. Plus de 90% des juridictions des cellules de Kibuye doivent donc
encore commencer, ainsi que, les 109 juridictions Gacaca des différents niveaux : secteur, district
et province.
Le présent rapport expose une étude de cas de Cyambogo, une des cellules du secteur pilote de
Nyange (district de Budaha).

II.

Kibuye, situation globale

Kibuye a toujours été et reste encore aujourd’hui la province la moins intégrée dans l’économie
rwandaise en ce qui concerne son infrastructure et sa localisation géographique. Elle est une des
provinces les plus pauvres du Rwanda. Sa population est principalement rurale et assez pauvre
avec plus de 70% des gens vivant au dessous du seuil de pauvreté. Le revenu monétaire des
familles paysannes semble très faible. Selon Peter Uvin2, la vie paysanne était perçue par les
paysans mêmes comme une prison en pauvreté, sans issue, caractérisée par l’infériorité sociale et
l’absence de pouvoir.

1 De Lame, Danielle : « Une colline entre mille ou le calme avant la tempête. Transformations et blocages du Rwanda
rural », Tervuren, Annales Sciences Humaines, vol. 154, 1996.
2

Uvin, Peter, Aiding Violence.The development enterprise in Rwanda, Kumarian Press, 1998.

6

Selon le recensement de 20023, Kibuye est, après la province de l’Umutara qui contient le parc
national de l’Akagera, la province la moins peuplée, bien que caractérisée par une haute densité de
population. C’est la seule province du Rwanda qui a vu l’effectif de sa population diminuer entre
les deux recensements de 1991 (473 920 habitants) et 2002 (467 745 habitants).
Le fait que la population de la province de Kibuye ait enregistré une légère décroissance de -0,1%
en 11 ans et qu’elle a aussi subi une légère baisse de sa densité, traduit selon le Service National de
Recensement, qu’elle a perdu beaucoup de sa population lors des évènements de 1994 et
probablement aussi suite à une grande vague d’émigration vers les grandes villes du pays ou vers
l’étranger.
La population de la province de Kibuye est assez équitablement répartie sur ses six districts étant
donné que 65% des habitants sont installés sur 60% de sa superficie. Les densités y sont assez
homogènes et se situent généralement au dessus de la moyenne nationale.
Tableau 2 : Population de la province de Kibuye par district, 2002
District/Ville

Résidants
Hommes Femmes

Total

Proportion

RM*

Densités
au km²

Kibuye Ville

23 319

23 181

46 500

9,9

100,6

452

Gisunzu

35 573

41 516

77 089

16,5

85,7

380

Rutsiro

35 030

39 794

74 824

16,0

88,0

331

Budaha

38 581

46 839

85 420

18,3

82,4

325

Itabire

36 129

41 957

78 086

16,7

86,1

276

Rusenyi

48 882

56 944

105 826

22,6

85,8

362

217 514

250 231

467 745

100,0

86,9

341**

Total Kibuye

* RM : Rapport de masculinité = le nombre d’hommes pour 100 femmes
** Il s’agit de la superficie terrestre uniquement, la surface couverte par le Lac Kivu n’est pas
prise en compte
Le rapport de masculinité au Rwanda a connu une chute de sa valeur allant de 95 en 1991 à 91 en
2002. Le déficit le plus fort s’observe à Kibuye où il y a 87 hommes pour 100 femmes en
moyenne sur la province.
La structure par âge et par sexe de la population de la province de Kibuye montre que la
population masculine adulte a été la plus touchée par les évènements des années 1990. Ce déficit
en hommes est ressenti dans tous les districts mais plus particulièrement dans le district de
3 Service National de Recensement/SNR : « Recensement général de la population et de l’habitat. Rwanda : 16-30
Août 2002. Rapport sur les résultats préliminaires », Kigali, Ministère des Finances et de la Planification
Economique/Commission Nationale de Recensement, Février 2003. Les données démographiques utilisées ici sont
toutes tirées de ce rapport, sauf si une autre source est mentionnée.

7

Budaha situé dans la partie Est de la province. Selon le Service National de Recensement,
l’histoire récente du pays avec ses évènements sanglants explique cette situation et a
particulièrement frappé Kibuye.
Tableau 3 : Population résidente à Kibuye par district, sexe et groupes d’âge (0-16 ans et 17 ans et plus), 2002
Province
Kibuye

Districts

Rapport de masculinité (RM)
de la population
du groupe d’âge < 17 ans
Hommes
0-16 ans

Femmes
0-16 ans

Rapport de masculinité (RM)
de la population
du groupe d’âge > 17 ans

RM
0-16 ans

Hommes
> 17 ans

Femmes
> 17 ans

RM
> 17 ans

Kibuye Ville

10 236

10 544

97

13 083

12 637

103

Gisunzu

19 486

20 398

96

16 087

21 118

76

Rutsiro

19 170

19 767

97

15 860

20 027

79

Budaha

20 651

21 533

96

17 930

25 306

71

Itabire

19 388

20 265

96

16 741

21 692

77

Rusenyi

27 628

28 196

98

21 254

28 748

74

116 559

120 703

97

100 955

129 528

78

Total Kibuye

Comme le souligne le Service National Recensement, même la ville de Kibuye n’est pas épargnée.
L’équilibre des sexes y est à peine atteint. Kibuye est une petite ville de moins de 50 000
personnes couvrant une superficie d’environ 100 Km² dont la majeure partie reste
essentiellement rurale.
La population de Kibuye est très jeune, avec 51% [(116.559 + 120.703)/ 467.745] des résidents
âgés de moins de 17 ans. Cela signifie une charge supplémentaire pour le gouvernement du point
de vue du développement social et économique.

8

III. Le génocide à Kibuye

A. Données générales
Bien que les données statistiques ci-dessus montrent déjà l’impact du génocide, une thèse de
doctorat récente de PhilipVerwimp4 analyse les chiffres du génocide de manière approfondie et
montre que le génocide y a été particulièrement intense et étendu sur toute la province. Le
tableau suivant est tiré de cette étude5:
Tableau 4 : Chiffres généraux du génocide dans la province de Kibuye
Catégories de la population

Nombre*

%

Population totale de la Préfecture en 1991

473 920

100,0%

Population enregistrée comme Hutu

399 470

84,3%

Population enregistrée comme Tutsi
Population enregistrée comme Twa
Etrangère, autre ou non déterminée

71 225
1 490
1 735

15,0%
0,3%
0,3%

Tutsis assassinés selon IBUKA

59 050

12,4%

Population Tutsi
Population Tutsi enregistrée comme assassinée
Population Tutsi non enregistrée comme tuée

Nombre
59 050
12 175

% **
82,9
17,1

* Verwimp n’a pas eu accès aux chiffres exacts de la population pour mars 1994, mais selon lui le
chiffre était probablement de l’ordre de 500 000 habitants.
** En tenant compte de l’accroissement de la population, les pourcentages deviennent alors 78%
enregistrés et 22% non enregistrés.
L’étude de Verwimp montre que les tueries ont commencé tout de suite et ont atteint le pire mi
avril 1994. Le génocide, dans la province de Kibuye, était donc presque fini après 50 jours, vers la
fin du mois de mai.
Le secteur Nyange (district de Budaha) faisait partie de la commune de Kivumu au moment du
génocide ; 7% des habitants de sa population totale ont été assassinés. La majorité des Tutsi y a
été tuée pendant les deux premières semaines du génocide. Ils étaient surtout des paysans. La
plupart des victimes ont été tuées à l’aide d’armes « traditionnelles » comme la machette ou le
gourdin, 68%, et 22% avec des fusils ou des grenades.
Selon différents auteurs (comme De Lame et Verwimp), bien que l’Etat rwandais enregistrait
chaque rwandais dès sa naissance par catégorie ethnique, comme Tutsi, Hutu ou Twa (un système
en vigueur depuis les années 1930, sous la colonisation Belge), en temps normal, l’ethnicité
n’avait pas beaucoup d’importance dans la vie quotidienne.
4 Verwimp, Philip, Development and Genocide in Rwanda. A Political Economy Analysis of Peasants and Power under the
Habyarimana Regime, Leuven, KUL, 2003.
5

Verwimp, Philip, ibidem, cf. Tableau 4.8, p.155.

9

Cependant, dans ses relations avec les services étatiques, chaque Rwandais sentait l’influence de
son identification : comme à l’école où il y avait des quotas ethniques. C’est surtout au moment
des troubles politiques à partir du début des années 1990 (l’attaque du FPR, suivie par le
multipartisme) que l’ethnicité a eu plus d’importance. Il y avait en même temps, un
appauvrissement de la population rurale et un fossé croissant se creusait entre elle (le « bas
peuple ») et l’élite rwandaise. Cela a ouvert la voie à toutes sortes de manipulations politiques.
Malgré cela, l’image officielle du Rwanda est longtemps resté la même : celle d’un pays paisible,
pauvre, mais honnête et chrétien.
Mamdani6 a analysé le génocide comme un projet d’Etat, rendu possible par une volonté
organisatrice et une participation massive. Selon lui, le génocide fut aussi un projet social,
incarnant des aspirations venues d’en bas, comme une lutte pour asseoir le pouvoir acquis par les
Hutu durant la « révolution de 1959 », en écartant les Tutsis du monde politique et en en jetant
beaucoup sur les chemins de l’exil.
Les extrémistes hutus, qui prirent le pouvoir après la mort du Président rwandais, le 6 avril 1994,
décidèrent que le génocide était la seule façon d’atteindre leurs objectifs. L’identité ethnique
comme motif des massacres des Tutsi n’a pas été la seule cause des tueries. Les intérêts matériels
et politiques, et la lutte pour le pouvoir ont aussi joué un rôle majeur. Cependant, l’ethnicité a été
manipulé et utilisé comme instrument pour l’éclatement ouvert de cette lutte pour le pouvoir.
Même s’il est vrai qu’en « temps normal », l’ethnicité n’avait pas beaucoup d’importance
dans la vie quotidienne, aujourd’hui ce n’est plus le cas. Ceci concorde avec l’analyse de
Newbury & Baldwin7 qui mentionnent qu’“une conséquence importante de la guerre et du
génocide est que l’ethnicité est devenue plus importante au Rwanda, malgré les intentions
annoncées du gouvernement d’abolir les distinctions ethniques. Peu de rwandais parlent
ouvertement de l’ethnicité (du moins pas aux étrangers). Dans le contexte politique rwandais
actuel, le passé (présumé) ethnique est important, où la personne a vécu au Rwanda, et d’où
cette personne venait ; si il ou elle était en exil et est revenu au pays après le génocide”.
Vont dans le même sens les observations faites par les auteurs rwandais du rapport de
l’IRDP : “ L’ethnie constitue au Rwanda une donnée incontournable dans la gestion politique
compte tenu du rôle qu’elle a joué dans l’histoire du pays”8.
Récemment9 le Professeur Ervin Staub, spécialiste mondialement reconnu en psychologie du
génocide, a énoncé ceci : “Les facteurs qui ont contribué à l’émergence du génocide n’ont pas
disparu. Travailler sur les changements psychologiques constitue un besoin urgent, au
moment où la notion problématique d’unité nie l’existence de Hutu et de Tutsi. Mon
hypothèse est que cela n’aide pas. […] Le problème avec cette notion du “Tous Rwandais”,
c’est qu’elle étouffe l’expression”.

6 Mamdani Mahmood, When Victims Become Killers: Colonialism, Nativism, and the Genocide in Rwanda, Princeton, PUP,
2001.
7

Newbury, Catharine & Baldwin, Hannah: “Confronting the Aftermath of Conflict : Women’s Organisations in
Postgenocide Rwanda” in Kumar, Krishna ed., Women & Civil War, Lynne Rienner Publishers, Boulder/London,
2001, pages 97-128.

Institut de Recherche et de Dialogue pour la Paix (IRDP), Reconstruire une paix durable au Rwanda : la parole au peuple,
Rapport (draft) 2003 (citation du chapitre 4.3.1 : « Le partage du pouvoir et l’ethnicité », p.51
8

The New Times, January 15-18, 2004, p.5: ‘The Rwandan genocide was not only about bad leadership, it is also about
bad followership’, says a visiting University Professor of Psychology, Erwin Staub.”

9

10

B. Secteur Nyange
Nyange, le nom du secteur pilote, est très connu quand on parle du génocide car beaucoup de
Tutsi s’étaient réfugiés dans l’église de Nyange et furent ensuite massacrés par un bulldozer qui
écrasa l’église et toutes les personnes qui se trouvaient à l’intérieur.
Les responsables gouvernementaux promettaient aux Tutsi une protection s’ils se rassemblaient
dans des endroits sûrs, désignés, comme par exemple l’église de Nyange. Le bourgmestre de la
commune de Kivumu (cette dernière fait actuellement partie du district de Budaha) avait
encouragé les Tutsi à y aller et s’était même déplacé lui-même au volant d’une camionnette
blanche pour rassembler les Tutsi qui traînaient en chemin10.
Le 18 juin 2002, a eu lieu la cérémonie d’inauguration officielle des Juridictions Gacaca/JG,
présidée par le chef de l’Etat, son excellence Mr Paul Kagame. Mme Cyanzayire, qui dirige la 6ème
Chambre de la Cour Suprême, a annoncé que la première étape du programme Gacaca débuterait
le lendemain, le 19 juin, sous la supervision de son Département, dans toutes les cellules
administratives des douze secteurs pilotes sélectionnés (un par province)11. La présidente de la
6ème Chambre a expliqué que cette opération fournirait un aperçu des problèmes qui risquaient de
se poser. Ceux-ci devraient débuter dans tout le pays avant la fin de l’année, après étude de la
phase pilote.
Ce même jour du 18 juin 2002, une première réunion de lancement de la Gacaca a eu lieu dans le
secteur de Nyange (district de Budaha) choisi comme secteur pilote pour la province de Kibuye.
La cérémonie a été ouverte par le discours du Maire du district de Budaha en commençant par la
présentation de différents invités, tel que le procureur, les représentants des juridictions Gacaca de
toutes les cellules du secteur, les autorités locales et quelques substituts du parquet de Kibuye qui
étaient venus avec une vingtaine de détenus natifs de ce secteur et la population environnante.
Les différents intervenants ont rappelé les buts et objectifs des juridictions Gacaca:
- éradiquer la culture de l’impunité,
- reconstitution de ce qui s’est passé durant le génocide (établir la vérité),
- accélération des procès : juger les coupables et libérer les innocents (diminution de la
population carcérale),
- réconciliation du peuple rwandais et le renforcement de leur unité.
Une veille femme de la cellule de Cyambogo a parlé de la Gacaca ancienne qui tranchait les
différends entre les familles voisines et a expliqué que la Gacaca avait pour but de réconcilier ceux

Des Forges Alison, « Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda », Human Rights Watch, Paris,
Karthala, 1999, p.245.

10

Voir sur les juridictions Gacaca en général, les rapports suivants de PRI :
- Rapport I : « Rapport d’étape - Recherche sur les juridictions Gacaca et leur préparation, juillet-décembre
2001 », PRI, Kigali/Paris, janvier 2002
- Rapport III : « Recherche sur la Gacaca, avril-juin 2002 », PRI, Kigali/Paris, juillet 2002,
- Rapport IV : « Rapport de la Recherche Gacaca : La procédure d’aveux, pierre angulaire de la justice
rwandaise » PRI, Kigali/Paris, Janvier 2003
-Rapport V : « Rapport de la Recherche sur la Gacaca » PRI, Kigali/Paris, Septembre 2003.
Certains de ces rapports sont aussi disponibles sur le site web de PRI : www.penalreform.org

11

11

qui étaient en conflit et qu’après cette réconciliation, ces familles vivaient paisiblement, elles
s’invitaient et partageaient tout.
La population a été invitée à dire la vérité surtout parce que certains détenus l’avaient déjà fait en
faisant leurs aveux et plaidoyers de leur culpabilité.
A titre d’exemple, un détenu S. venant de la prison centrale de Kibuye a pris la parole et a admis
qu’il avait commis des crimes en disant : « Nous les prisonniers, nous demandons pardon aux personnes
dont nous avons tué les leurs et vous, avec qui nous avons commis ensemble ces crimes, nous vous demandons de
nous aider à dire la vérité à propos de ces événements qui se sont déroulés au Rwanda ». Il a parlé du cas d’une
personne qu’il aurait blessé par coups de lance après l’attaque de l’Eglise catholique de Nyange,
où ils avaient tué des gens. La personne était présente parmi les participants de cette réunion et
en la désignant du doigt il a dit : « Si je mens, qu’il ôte sa chemise et vous verrez s’il n’a pas de cicatrice d’une
lance que je lui ai enfoncé quand il voulait nous tromper à propos des biens que nous avions pillés ».
On a obligé la personne en question à enlever sa chemise et on a remarqué la cicatrice dont le
détenu parlait.
Un substitut a dit: « Ceci est un exemple concret : dire la vérité sur les événements qui ont marqué les
Rwandais ». Il a continué en leur rappelant que même parmi les inyangamugayo (les juges Gacaca), il
pouvait y avoir des criminels et il a ajouté qu’il ne fallait pas craindre de dire la vérité sur ce qu’on
a entendu ou vu, car la loi punit celui qui cache ou ment à propos de ce qu’il connaît.
Après avoir consulté la population, la première séance pour la juridiction Gacaca de la cellule de
Cyambogo a été fixée pour le lendemain, le 19 Juin 2002.

1. Cellule Cyambogo, la première séance d’introduction, 19 juin 2002
La séance a commencé à 10h20, sur une colline près d’un terrain de football. Quelques
journalistes et observateurs étaient présents très tôt, curieux d’assister à cette 1ère Assemblée
Générale, de même qu’une grande foule de gens (environ 2 500 personnes) qui venaient de
presque toutes les cellules du secteur. Il y avait des autorités locales et régionales et aussi quelques
militaires, agents de la police et de la Local Defence Force (LDF). Les membres du Siège étaient
installés sur des bancs, la population était assise sur l’herbe. Le matériel (papier par exemple)
n’était pas suffisant. Avant l’ouverture de l’A.G., tous les observateurs et journalistes ont montré
leurs accréditations.
La réunion se déroulait de la même façon qu’ailleurs et semblait assez bien préparée. Après un
mot de bienvenue et une introduction par la Présidente de la juridiction Gacaca (l’épouse du Maire
de District Budaha), cette dernière a compté le nombre de membres de la cellule présents. Avec
environ 130 personnes adultes de la cellule (le nombre minimal requis est de 100 personnes) et 18
des 19 juges Gacaca, elle a ouvert la réunion en invitant la population à observer une minute de
silence en mémoire des victimes du génocide et pour penser à la réconciliation nationale.
En se servant d’une courte brochure sur la juridiction de cellule elle a prononcé le discours
d'ouverture et a cité les 8 règles à respecter pour le bon déroulement des réunions Gacaca. Cellesci prévoient par exemple que toute personne désireuse de s’exprimer en fasse la demande au
président et que toute intervention ait un lien direct avec l’ordre du jour.
Elle a aussi rappelé l’intérêt de tous ceux qui ont été impliqués dans le génocide, de recourir à la
procédure d’aveu et de plaidoyer de culpabilité dont la première conséquence serait le pardon des
victimes, la réconciliation de tous les habitants de la cellule puis une réduction de la peine avec la
moitié passée en prison et l’autre moitié exécutée sous forme de travail d’intérêt général.

12

La présidente a également rappelé que le faux témoignage, le refus de témoigner et l’intimidation
des témoins sont sévèrement punis par la loi.
Elle a, en outre, expliqué aux membres de l’Assemblée Générale le déroulement des débats qui
vont permettre au siège d’établir :
- les listes des personnes qui vivaient dans la cellule avant le génocide,
- les listes des personnes décédées,
- les fiches des dommages subis au cours du génocide par les victimes,
- et les listes des accusés.
Elle a enfin demandé à la population de dire dans combien de temps elle souhaiterait voir la fin
du processus dans la cellule. Un habitant a répondu : « dans un an ». Un autre a souhaité voir la
fin des jugements au mois de juillet de cette année. La présidente leur a répondu que cela était
possible car cela ne dépendait que de leur volonté commune à voir émerger la vérité. Plus ils
seront nombreux aux Assemblées Générales, plus ils prendront la parole pour dire la vérité, plus
ils finiront à temps pour voir les innocents libérés et les coupables payer leur dette envers leurs
concitoyens meurtris. Elle a conclu que si tel est le souhait de la population, le moment est venu
de le prouver.
Ensuite, il y eut plusieurs interventions. Un juge Inyangamugayo a été accusé d’avoir violé une fille
après avoir chassé sa femme. Un autre juge a été accusé d’avoir tué des gens et deux personnes
ont avoué avoir démoli les maisons de leurs voisins. La présidente n’a pas voulu répondre aux
autres questions et a refusé de réagir aux témoignages et accusations en disant qu’il y a du temps
pour cela.
Vers 16h00, la présidente a levé la séance en invitant la population de la cellule Cyambogo à
revenir le 26 juin 2002 à 9h00 du matin.
Mais après cette séance, les habitants de la cellule Cyambogo ont exprimé leur surprise de ne pas
avoir été informés du fait que le président élu de la juridiction Gacaca avait été remplacé par une
autre personne : l’épouse du Maire de District Budaha.
Une rescapée s’est aussi exprimé : « Je ne vois aucun profit dans les juridictions Gacaca car on dit que ceux
qui ont massacré et démoli nos maisons sont pour le moment bien entretenus, seront bientôt libérés et feront des
travaux qui remplaceront l’emprisonnement. Ceci, nous les rescapés, nous voyons que c’est une façon de se moquer
de nous ».

2. Cellule Cyambogo, la deuxième séance, 26 juin 2002 : le recensement
La seconde séance a eu lieu à un nouvel emplacement, dans une plantation de café. Le mercredi le jour de la Juridiction Gacaca - coïncide avec le jour de marché et la population a commencé à
arriver seulement à partir de 10h00. Même la présidente de la Juridiction n’est arrivée qu’à 10h50
et la réunion a pu commencer à 11h45.
Il y avait dans l’Assemblée Générale des chuchotements de gens qui se demandaient si H
(l’Inyangamugayo qui a fait l’objet d’accusation pour viol lors de la première Assemblée Générale),
qui était en train d’aider la présidente dans le comptage des membres de la cellule présents, allait
continuer à siéger ou pas.

13

Comme pour la première séance, elle a invité l’assistance à observer une minute de silence en
mémoire des victimes du génocide puis a rappelé les huit règles de prise de la parole. Elle a
annoncé l’unique point inscrit à l’ordre du jour à savoir : la confection de la liste des personnes
qui habitaient la cellule Cyambogo entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.
L’opération a été menée par les Nyumbakumi (Chef des dix ménages) qui ont lu, à tour de rôle, des
listes préétablies de tous les habitants de leur circonscription. La présidente a insisté sur la
participation et la collaboration de la population pour la confection des listes en rappelant les
personnes dont les noms n’avaient pas été repris sur la liste ou en demandant que soient rayés sur
la liste, des gens qui ne résidaient pas dans la cellule au moment de la tragédie.
Il y a eu des confusions pour savoir exactement qui devait figurer sur la liste. Selon la présidente,
seuls les enfants âgés d’au moins 18 ans devaient y figurer. Au sein de l’Assemblée Générale, il y
avait d’autres personnes qui ont fait remarqué que tout le monde devait être incorporé dans cette
liste, même les nouveaux nés. Un conseiller du département Gacaca de la Cour Suprême est
intervenu pour dire qu’en effet, tous les habitants de la cellule sans exception (y compris les
enfants âgés de moins de 18 ans) étaient concernés par la liste en question. Après cette
intervention, la présidente - visiblement contrariée - a pris la parole pour s’excuser de sa mauvaise
interprétation de la loi et a décidé de renvoyer l’établissement de cette liste à la prochaine
Assemblée Générale qui se tiendra le mercredi 03 juillet 2002 à 9h00 au même endroit.
La présidente a fortement déploré le retard de la population et a proposé de changer le jour de la
Juridiction Gacaca mais l’Assemblée Générale a opté unanimement pour le maintien de ce jour en
insistant sur la ponctualité de tout le monde.
Quelqu’un a pris la parole pour dire qu’en général, ceux qui arrivent en retard sont ceux qui
travaillent d’abord dans leurs champs ou qui préfèrent aller exposer et vendre leurs récoltes au
marché avant de venir à l’Assemblée Générale. Cette personne a continué en disant que pour
couper court à cette pratique répréhensible, chaque retardataire devrait payer une amende d’un
montant de 200 FRW (c'est-à-dire l’équivalent d’un salaire journalier d’un ouvrier). La population
s’est rangée derrière cette idée et a proposé que cette amende soit perçue par les Nyumbakumi qui,
à leur tour, la reverseront dans la caisse du secteur.
Le 3 juillet 2002, le premier président élu de la cellule de Cyambogo a pris la relève de la
présidente et a terminé la confection de la liste des personnes qui habitaient la cellule Cyambogo
entre le 1er octobre 1990 et le 31 décembre 1994.

3. Cellule Cyambogo, la troisième séance, 10 juillet 2002 : liste des victimes de
la cellule
Plus de 15 juges étaient présents à l’heure et la réunion a pu commencé à 10h00 - sous un soleil
accablant - quand 18 juges et 127 participants étaient présents. Les juges avaient déjà recensé six
victimes.
Après l’introduction (une minute de silence et les 8 règles à suivre), le président de la Juridiction a
invité la population à dire la vérité et à ne pas avoir peur.
Le président a mentionné une femme qui a été tuée à Shyongi, cette dernière portait son enfant
sur le dos. Selon un des participants, celui qui aurait tué cette femme s’appelle Bag, il est
aujourd’hui détenu à Kibuye.
Une vielle maman a aussi parlé de deux enfants qui ont été tués au même endroit, le 3 mai 1994.

14

Le président a demandé à l’AG de dire aussi la vérité concernant les personnes qui auraient été
tuées au centre de santé de Nyange. Seule une personne a parlé d’une victime. Beaucoup de
participants se sont tus et seuls les rescapés parlaient.
Quelques personnes ont été interpellées pour donner des éclaircissement sur ce qui s’est passé au
Centre de Santé, mais aucune n’a voulu dire quelque chose : « je n’en sais rien », « je n’étais pas là »,
« j’ai seulement participé à l’enterrement de 9 personnes », etc. Ils craignaient visiblement de dire la vérité
et les juges ne semblaient pas assez bien préparés ou capables de poser les bonnes questions pour
les aider à parler.
Selon une des responsables, les gens ne parlent pas parce qu’ils ne sont pas suffisamment
sensibilisés. Certaines personnes ignorent encore les objectifs des Juridictions Gacaca. Selon elle, si
les gens ne veulent pas dire la vérité, la réconciliation sera difficile. Elle voit comme seule solution
à ce problème plusieurs sessions de sensibilisation pour la population, plus de formation pour les
juges et un rôle plus actif donné aux autorités locales.
Les rescapés n’étaient, en général, pas satisfait de cette réunion : « Les gens n’ont pas voulu dire la
vérité ». Selon eux, ils considèrent que ces gens craignent de dénoncer les leurs. Ils ajoutent que
certains savent très bien qui a été tué mais ils ne veulent pas se prononcer car des membres de
leurs familles ont été tués par les Inkotanyi12 et ils veulent que ces derniers soient aussi dénoncés.
Selon ces rescapés, ce sont surtout les détenus qui ont fait leurs aveux qui peuvent faire sortir la
vérité avec la collaboration des rescapés.
Les familles des détenus ont déclaré que ne rien dire n’était pas une solution, surtout que les
détenus ont déjà parlé de leurs crimes…

4. Cellule Cyambogo, la quatrième séance, 17/07/02: Dresser la liste des
victimes tués dehors de la cellule
La réunion a commencé à 10h30 en présence de 17 juges et de 106 membres de la population.
Cette séance était prévue pour compléter la liste de la précédente séance et pour dresser la liste
des gens morts en dehors de la cellule.
Les chefs de 10 ménages - les Nyumbakumi - en collaboration avec certains membres de la
population avaient déjà préparé des listes.
Trois personnes qui travaillaient au Centre de Santé de Nyange étaient invitées mais, l’une après
l’autre, elles ont déclaré qu’elles s’étaient cachées quand elles ont aperçu les assaillants et qu’elles
ne pouvaient donc pas identifier les criminels. Cependant, Esp. a dit qu’elle avait vu Fel. s’en aller
avec deux filles.
Un des Inyangamugayo du nom de Hit. a été accusé d’avoir violé une de 3 filles qui avaient fuit,
mais il n’a pas voulu avouer.
Mr Kag a dit qu’un certain Chris n’a pas voulu dire la vérité sur ce qui s’est passé au Centre de
Santé, car il y a une fosse commune, où sont enterrées beaucoup de personnes, aux environs de
son domicile. Le vice-président a demandé à ce que la fosse commune près de la maison de Chris
soit identifiée le plus rapidement possible.
Selon une femme, il existe aussi une fosse où sont enterrées d’autres personnes qui ne sont pas
des rescapés du génocide.
Nom que se donnaient les membres du FPR, en référence à une armée rwandaise du 19ème siècle (cf. supra Alison
Des Forges, 1999, p. 896)
12

15

Le conseiller de la 6ème Chambre, R., a exprimé son inquiétude quant au silence et à l’anonymat de
certaines personnes : « Nyange a été choisi comme un secteur pilote pour la réussite des Juridictions Gacaca,
vous devriez être exemplaires » a-t-il dit. Il a continué : « Même les chiens s’ils pouvaient parler, donneraient
des témoignages ».
Un rescapé : « Certaines personnes ne veulent pas dire la vérité et gardent le silence. Les gens pensent que nous
allons les faire emprisonner ».
Selon le conseiller du secteur Nyange, 20 juillet 2002, les réunions des Juridictions Gacaca
évoluent bien : les habitants viennent nombreux même s’ils viennent très tardivement. Mais,
l’objectif des JG n’est pas encore bien compris et la formation des juges et la sensibilisation de la
population restent indispensables. Les gens ont encore peur de dire la vérité et ne témoignent
pas. Il y aussi le problème des autorités et des gens instruits qui ne viennent pas aux réunions. On
remarque que ce sont surtout les rescapés qui parlent, mais eux aussi ont peur des conséquences.

5. Cellule Cyambogo, la cinquième séance: la liste des victimes et des biens
détruits
PRI n’a pas pu assister aux deux réunions de la cinquième séance qui concernait l’établissement
de la liste des victimes par ménage et des biens détruits. Pourtant, sur base des discussions avec
des membres de l’Assemblée Générale/AG, on a pu constater que souvent, durant cette séance,
les premiers problèmes surgissent.
Par exemple, ce témoignage d’une parente de détenu :
« Je ne sais pas…, on nous a dit que l’on doit dédommager les familles des victimes alors que l’on en
a déjà payé aux rescapés. Et ils nous disent qu’on doit particulièrement parler des rescapés (de
l’ethnie tutsi) et non d’autre ethnie. Pourtant, nous avons nous aussi les nôtres qui ont été massacrés
durant les moment tragiques ». Elle a continué en disant : « beaucoup de biens appartenant à
des détenus sont entre les mains de rescapés et cela s’est fait par la force ». Elle a terminé en
disant que selon elle, la situation risquait de s’aggraver.
Cependant, c’est surtout à partir des réunions pour la 6ème séance que les problèmes deviennent
plus manifestes.

6. Cellule Cyambogo, la sixième séance : liste des accusés (beaucoup de
réunions de fin juillet 2002 à début 2003)
Cyangugo, 31 juillet 2002 : Liste des accusés
La réunion a commencé en retard à 12h00. Après avoir compté les personnes présentes, 123
personnes dont 17 Inyangamugayo, la minute de silence a été respectée ainsi que le rappel des 8
règles de prise de parole.
La parole a été donnée aux prisonniers qui ont avoué. Par exemple, Hab. :

16

« Je suis originaire de la cellule Cyambogo. J’ai avoué ! J’ai été conseiller du secteur de Nyange à
partir du 20 novembre 1990. Ici, les meurtres ont commencé le 14 avril 1994. L’attaque est venue
de la cellule Zegenya. Après avoir tué Sah., les attaquants se sont rassemblés avec ceux de
Cyambogo pour tuer et piller chez Mush.. Lorsqu’ils sont arrivés chez Kayi., un policier a tiré et ils
ont fui. Parmi les attaquants, il y avait End., Bic., Ruk., tous ceux qui habitaient près de cette
zone. Tous ont pillé.
Au barrage de Byapa, il y avait Kab. et une vingtaine d’autres (dont il a donné les noms) des
cellules de Cyambogo, Ngobagoba et de Murambi. Quand je suis arrivé à Byapa, j’ai rencontré une
vieille femme qui m’a fait pitié car on avait tué tous ses enfants et on occupait ses parcelles selon
l’ordre de l’OPJ Kay..
Les gens qui sont morts au dispensaire sont entre 10 et 25. Ils ont été tués le 27 avril 1994 et je les
ai fait enterrer le 29. »
On remarque, et cela arrive souvent, que la personne qui avoue, décrit avec arrogance une tuerie,
en termes très généraux, sans bien expliquer son implication dans le crime. Il donne pourtant les
noms des autres participants.
Après cette réunion, le vice-président de la Juridiction Gacaca s’est exprimé en disant qu’il pensait
que les 6ème séances allaient prendre beaucoup de temps car la population ne veut pas dire la
vérité et que ceux qui osent parler mentent souvent. Cela constitue en effet un obstacle à la
découverte de la vérité.
Cela énerve généralement les rescapés et cela provoque souvent des échanges d’injures. Mais, le
vice président précise qu’il leur a dit de cesser cette mauvaise attitude.
Cependant, malgré ces incidents lors des séances de Gacaca, les gens partagent ensemble, s’entre
aident comme d’habitude, même les accusés n’ont pas de gros problèmes.
Au sein de la population, nombreux sont ceux qui disent que les témoignages des prisonniers
sont pleins de mensonges. Ils disent aussi que beaucoup de gens ayant trempé dans le génocide,
ont été tué par les militaires en collaboration avec les rescapés.
Il y a aussi des témoins comme Frod., dont la sécurité n’est pas assurée. Son petit frère a même
voulu le couper à l’aide d’une houe, parce que il n’a pas voulu que Frod. accuse d’autres gens qui,
à leur tour, se vengent en l’injuriant, l’agressant et l’intimidant suite au témoignage de Frod..

Nyange, 11 septembre 2002 : réunion de sensibilisation
En raison du recensement national qui a eu lieu au cours de la deuxième moitié du mois d’Août,
les activités des Juridictions Gacaca ont été suspendues pendant quelques semaines. Le 11
septembre 2002, une réunion pour la reprise des travaux des juridictions Gacaca a eu lieu dans le
secteur Nyange en présence de certains responsables et quelques détenus.
C’est le Maire qui a ouvert la réunion en rappelant les objectifs des juridictions Gacaca. Il a parlé
aussi des problèmes de sécurité pour les témoins à charges. Il a parlé du cas d’André qui avait été
empoisonné et cela a été confirmé par les médecins de l’Hôpital de Kabwayi qui ont fait une
autopsie. Il aurait été empoisonné par Z. et sa mère. La principale raison d’empoisonnement est
qu’il avait proclamé partout qu’il allait accuser Z.. Sa femme aussi avait peur de subir le même
sort que son mari.

17

On dit que d’autres ont été tués dans le but de faire disparaître les témoignages. On a parlé d’un
certain enseignant Félix, du secteur Gasave, à qui on aurait donné du Fenergan (médicament antimalaria).
Certaines personnes (surtout parmi les rescapés) parlent aussi d’une liste préétablie de personnes
devant être tuées. C’est un certain K. qui l’avait confirmé, il serait le 2ème après André.
Un autre garçon, qui était venu pour témoigner, a dit qu’il vit aussi dans l’insécurité car un certain
H. serait à sa poursuite pour avoir témoigné sur le cas de l’Abbé S., et sur plusieurs autres cas
relatifs au génocide. Il a reçu des tracts, glissés sous sa porte, qui le menaçaient de mort.
Le Coordinateur des Juridictions Gacaca au niveau de la Province a ensuite pris la parole, il a
accueilli les observateurs et a encouragé les personnes qui témoignent à ne pas avoir peur de dire
la vérité.
Il a continué en disant que, en date du 5 septembre 2002, lui et quelques autres personnes
(rescapés) ont rendu visite aux détenus, dont le but, entre autres, de recevoir des éclaircissements
sur ce qui s’est passé pendant le génocide. Les détenus leur ont parlé aussi de certains de leurs
problèmes spécifiques : leurs champs qui ont été vendus et leurs femmes qui se comportent mal.
Enfin, le procureur a pris la parole. Il a dit que, la première fois où il est venu à Nyange, c’était
quand il venait présenter des détenus dans le but de libérer les innocents. Il a continué en disant
que ce jour-là, la population de Nyange avait été sincère et honnête et que pour cette raison, il
avait été décidé que le secteur de Nyange soit un secteur pilote des Juridictions Gacaca.
Il a donné l’exemple d’une fille de la Cellule Muganza qui avait témoigné contre son frère car il a
tué deux filles par acide (poison): « Il n’y a que moi et ma mère déjà morte qui connaissions cette affaire ».
Le procureur a ajouté que les détenus avaient déjà fait leur témoignage et que c’était maintenant le
tour de la population.
Il a donné un exemple de la Cellule Nsibi où les détenus ont déjà établi la liste de 120 personnes.
Il a dit qu'on allait commencer à amener les détenus pour que la population dise qui est innocent.
Selon lui, il y a des génocidaires qui sont encore en liberté et il a donné quelques exemples. Le
procureur a encouragé les témoins à ne pas avoir peur pour leur sécurité car elle sera assurée.
Le détenu T. a dit que la quasi totalité des personnes qui étaient là, est originaire de Kivumu et
qu’elles étaient presque toutes à la Paroisse, quand ils démolissaient l’Eglise.
« Pourquoi vous ne voulez pas avouer », a-t-il demandé. Il leur a conseillé de dire la vérité et a invité B.
à parler de la fosse commune dans laquelle certains Tutsi ont été enterrés : « Pourquoi ne pas le
dire ? ».
Il a mis toutes les personnes présentes en garde contre certaines femmes qui viennent dire à leurs
maris de ne pas avouer : « Je suis Président du Comité Ukuli - un comité Gacaca de la prison de Kibuye - et
si vous ne voulez pas dire la vérité, nous les prisonniers, allons la dire, nous sommes suffisamment préparés ». Il a
continué en disant qu’il a toujours dit au procureur que les gens de l’extérieur ne disent pas la
vérité, « Nous étions avec des femmes qui pillaient les pagnes des cadavres, notamment N. qui se promenait avec
des pierres et un bâton ».
Le détenu Alfred dit qu’il a été appréhendé le 08 septembre 1994 et qu’il a directement accepté
tout ce qu’il avait fait : « C’est le Gouvernement de Habyarimana qui nous a dit que le Mututsi est un ennemi
commun ». Il a demandé pardon à G. dont il a tué les deux enfants mais G. ne l’a pas accepté en
disant qu’il lui demande maintenant le pardon en public, alors qu’il aurait fallu écrire une lettre de
demande de pardon en prison.
Alfred a aussi parlé des personnes avec lesquelles il a commis le génocide mais qui sont jusqu’à
présent en liberté, comme K., le président d’un groupe de milice de Gitwenge, surnommé

18

Abamana. Il a aussi donné des noms de personnes qui ont lancé des explosifs dans l’Eglise de
Nyange comme V., assisté par beaucoup d’autres.
Dans la Cellule Murambi, il y avait une association de tueurs : « Nous allons vous accuser si vous
n’avouez pas. Il ne faut pas dire que les Tutsi sont partis à Kabgayi alors que vous les avez jetés dans la rivière
Nyabarongo, ce n’est pas seulement 231 détenus qui ont démoli l’Eglise de Nyange ».
Le procureur a repris la parole et a interpellé A., le secrétaire du secteur Nyange qui est aussi le
président des Juridictions Gacaca dans la cellule Nsibo. A. est parmi les gens qui ont attaqué les
réfugiés dans l’Eglise de Nyange, il figure sur la liste établie par les détenus. Les détenus ont
même voulu qu’il soit arrêté sur place mais le procureur a refusé.
Le procureur a aussi interpellé S. qui a avoué - après l’intervention des détenus - avoir
accompagné un groupe de génocidaires quand il rentrait du dispensaire. Ils ont tué deux femmes,
et une femme considérée comme folle à Marebe.
Une autre personne du secteur Mwendo, nommé Si., a nié avoir été impliquée dans le génocide
sous prétexte qu’elle n’est pas originaire du secteur de Nyange.
Un fonctionnaire a continué en invitant les personnes à dire la vérité sur ce qui s’est passé, car le
génocide s’est fait en présence de tout le monde. Il a terminé en disant qu’il savait que certains
d’entre eux avaient été contraints par leurs congénères à tuer les Tutsi qu’ils avaient cachés au
début du génocide.
Un détenu R. :
« Je suis prisonnier et j’ai avoué (…), il faut remercier ce gouvernement parce que le crime que nous
avons fait est démesuré et nous devons trouver des solutions. L’Etat est comme un parent : quand un
enfant fait une faute, on ne l’abandonne pas, on le punit et il revient parmi les autres. Nous les
détenus, nous sommes déterminés à vous sensibiliser pour que vous disiez la vérité. Dans la prison de
Kibuye, 845 détenus ont déjà avoué.
Les gens qui ont détruit la maison de Dieu mérite une punition. C’est pourquoi, nous les
détenus, avons un message pour vous, mettez-vous à genoux et demandez pardon !
Il y a des gens qui n’ont pas tué mais qui participaient aux attaques avec les autres. S’ils ne disent
pas la vérité sur ce qu’ils ont vu, ils seront punis. Tuer, ce n’est pas seulement prendre la machette,
mais aussi inciter les autres à tuer ».
Le Maire a clôturé la réunion en disant que la 7ème séance allait bientôt commencer et il a invité
chacun à contribuer en disant la vérité.

Cyambogo, 2 octobre 2002 : établissement de la liste des accusés
A 11h30, le responsable de la cellule a rassemblé les gens qui étaient présents et leur a parlé de
l’insécurité en général causée par la boisson. A ce moment là, il y avait 110 personnes présentes
dont 15 juges.
Le juge président a ouvert la réunion en rappelant que le secrétaire du tribunal Hit. avait été
emprisonné et était remplacé par F.. Cela fut suivi des élections d’un nouveau président et des
vice-présidents car leurs mandats étaient terminés. Les élections ont eu lieu par scrutin secret.
Le nouveau secrétaire a commencé par prêter serment avant de débuter les travaux.

19

Après une minute de silence, le 1er vice-président a annoncé l’ordre du jour de l’établissement de
la liste des accusés en rappelant les 8 principes de prise de parole des participants.
Il a ensuite précisé que lors de la réunion précédente, certaines personnes ont fait peur aux autres
et qu’il ne faudrait pas que cela se répète.
Enfin, il a dit que les juges qui étaient absents lors de la dernière réunion doivent payer une
amende de 500 FRW qui sera remise dans la caisse du district.
Le président a poursuivi en disant que le travail du jour était d’établir la liste des accusés. Il a
donné le nom d’une personne tuée, Engerbert, et a demandé qui l’avait tué.
Inno. a dit qu’il a vu les gens qui l’ont enterré, c’est Mba. qui peut donc mieux connaître ceux qui
l’on tué. Rut. dit que Niy. connaît bel et bien la mort de Engerbert.
Niy: « mon épouse a vu l’attaque dans laquelle il y avait Mba. et Big. ».
Jeanne: « Mug. était dans cette attaque puisqu’il est venu nous demander une houe en vue de l’enterrer ».
Sans essayer d’approfondir ces témoignages, le président demanda : « Parle-nous de la mort de Marie
Gorethie ».
Oliv: « Elle était au dispensaire, blessée. Là, je l’ai lavée ainsi que d’autres enfants. Elle était blessée suite à une
attaque de Hit., Tel. et d’autres gens, y compris des femmes telle que Muk.. C’est suite à cette dernière attaque
qu’elle est morte ».
Juge président: « La fille dont le nom n’est pas connu, morte chez Mbonyi, que l’on nous dise qui l’a tué en bas
de ma bananeraie. C’était le matin, Esd. était parmi ceux qui l’ont enterré ».
Esd: « C’est une fille qui avait plus ou moins 14 ans. Bish. qui est emprisonné et Mash. qui est je ne sais où,
l’ont tué, et j’ai du prêter une houe pour l’enterrer. Elle portait une robe en popeline avec des rayures rouges ».
Juge Président: « Il y a un homme dont le nom est inconnu, mort chez Mbonyi ».
Mbonyi: « Ces gens arrivaient de l’Eglise et furent mis dans une chambre par l’infirmier Nku., sous la garde des
policiers. Quand je suis revenu au service le soir, je les ai trouvés morts. Vous pouvez demander à ceux qui
travaillaient la journée».
Juge Président: « Il y a un certain Jos. qui, la fois passée, avait dit qu’il avouerait, il ne l’a pas encore fait, je ne
sais pas pourquoi».
Jos: « Big et d’autres sont venus chez moi, m’ont trouvé là où je cultivais. Ils m’ont ramené chez moi pour que je
leur montre un certain André qu’ils croyaient caché chez moi, ils ne l’ont pas trouvé. Ils m’ont frappé et m’ont
emmené de force sous prétexte qu’ils étaient commandés par l’OPJ Kayi. Arrivés à la paroisse, je leur ai jeté 4
pierres et après, je leur ai échappé et j’ai couru jusqu’à la maison. Deux jours après, j’ai appris qu’une machine
avait détruit la Paroisse. J’ai pu cacher un enfant ».
Juge président: « Votre aveu n’est pas fondé, et n’est pas accepté, parce que vous ne dites pas la vérité. Beaucoup
de gens vous accusent et vos interventions ne se réfèrent pas à ces accusations ».
Bas.: « Les gens refusent de parler au cours des réunions, mais ils parlent dans les cabarets. Chrys. a dit au
cabaret qu’il a participé au génocide. Gas., Lin. et le 1ier vice président l’ont entendu, nous étions ensemble. Tous
confirment ce qu’il a dit ».
Juge Président: « A propos de la mort de Nta., personne n’a donné un témoignage ? ».
Le juge président a clôturé la réunion en interpellant les gens et en leur disant que le temps prévu
pour les aveux est presque terminé. Il a annoncé que, prochainement, des prisonniers viendront
aider à élaborer la liste des accusés et que cela permettra de passer bientôt à la phase suivante de
la Juridiction Gacaca. La prochaine réunion est prévue le 9 octobre 2002.

20

Observations :
Seuls trois juges, le président, le vice-président et le secrétaire sont actifs, les autres se comportent
comme des observateurs. Les réunions sont généralement bien dirigées, mais c’est le président
qui semble monopoliser la parole. Il est autoritaire et intimide de temps à temps avec ceux qui
disent qu’ils ne connaissent rien, ou ceux dont il pense qu’ils connaissent quelque chose et qui ne
parlent pas.
Cécile, une rescapée, commentait :
« Nous commençons à avoir une idée claire sur ce qui s’est passé et nous connaissons progressivement
les criminels, même ceux qui étaient ignorés jusqu’à présent. Après quelques réunions, nous les
connaissons maintenant.
Malheureusement ils ne nous demandent pas pardon. Actuellement, et les rescapés et les Hutu, nous
cohabitons bien comme cela était avant les évènements car jusque là, nous n’avions pas de conflits.
Quiconque demande pardon, en avouant, mérite miséricorde. Même la Bible l’enseigne.
Ainsi, nous cohabiterons bien avec ceux qui seront prochainement libérés, s’ils reviennent avec un
comportement humble. Qu’ils ne disent pas que c’est nous qui les avons fait emprisonner, mais plutôt
leurs crimes. Les prisonniers innocents, qu’ils soient conscients que ce qui leur est arrivé existe, mais
ceux qui les ont accusés faussement devraient leur demander aussi pardon. Ces gens sont nombreux,
car auparavant, on jetait les gens en prison sans motif et parfois seulement à cause de la colère ».
Bien que le juge président ait déjà annoncé la prochaine phase des Juridictions Gacaca, quelques
mois plus tard (début 2003), les discussions sur la liste des accusés n’étaient pas encore finies. Au
fur et à mesure, la population arrive de plus en plus tard (souvent après 13h00).
Pendant la lecture de la liste des accusés, ces derniers ont du temps pour s’expliquer.
Mais, selon certains, le juge président semble se pencher trop du côté des rescapés et cherche à
faire accepter de force quelqu’un qui se justifie sur tout ce dont on l’accuse.
Il y a un problème avec le rescapé Kag.. Il accuse les autres au point de créer du désordre ou de
l’insécurité. Il est allé chez Calix. pendant la nuit quand on donnait un nom au bébé. Il trouva
qu’il y avait une personne du nom de Rib., libérée après avoir été suspectée d’être impliquée dans
le génocide et emprisonnée. Kag. a dit qu’il était assis au milieu de génocidaires.
Les autres l’on fait sortir et l’ont conduit chez lui. De chez lui, il les a suivi au retour en disant :
« les Interahamwe voulaient me tuer pour que je ne puisse pas témoigner. »
Tout cela, il le fait sous prétexte qu’il est rescapé et parfois, son témoignage ne fait que créer de
l’insécurité. Il y a eu un procès de cette affaire de Kag. et Calix. chez l’OPJ et Kag. a été jugé
coupable.
Frod. : « Lui aussi a des problèmes avec sa famille, surtout avec sa mère, tout simplement parce qu’il témoigne. Il
a même accusé un membre de sa famille qui avait donné une vache à son père. Il est allé à l’encontre du pacte
(yatatiye igihango) et sa maman exige qu’il se soumette et qu’il quitte sa famille ».
Le mois de Mars 2003 a finalement vu commencer la 7ème séance: l’établissement des fiches
individuelles et la catégorisation de chaque accusé.

7. Cellule Cyambogo, la septième séance : la confection des fiches
individuelles des accusés et la catégorisation de chaque personne accusée
(mars - octobre 2003)

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Bien que le Département Gacaca avait décidé que la 7ème séance des Juridictions Gacaca ne
nécessitait plus la présence de 100 personnes minimum, la participation de la population a été très
réduite durant cette phase. Le nombre minimum de juges exigé restait à 15, mais comme dans la
phase antérieure, ce nombre n’a souvent pas pu être atteint. En conséquence, fin septembre 2003,
la septième étape des Juridictions Gacaca n’était pas encore terminée, ni dans la cellule Cyambogo,
ni dans toutes les autres cellules du secteur Nyange.

Cellule Cyambogo, 2/04/200, 7ème réunion
La réunion a commencé avec presque trois heures de retard. L’assemblée générale se composait
de 49 personnes (28 hommes et 21 femmes) et le siège comptait 16 juges (9 hommes et 7
femmes).
Comme toujours, la réunion a commencé par une minute de silence en mémoire des victimes du
génocide et par la lecture par le président des 8 principes de prise de parole. Le président a
poursuivi en invitant l’assemblée générale à donner les informations et en rappelant que le refus
de donner des informations, ou que le fait de mentir sont punissables par la loi. L’ordre du jour
était de donner des informations sur quatre accusés.
Les faits reprochés au premier accusé sont :
- d’avoir participé aux massacres de l’Eglise de Nyange,
- le port illégal d’armes à feu (grenades).
Après avoir décliné son identité, le premier accusé a nié ces accusations en disant que Kag., qui a
donné ces informations, après le génocide, lorsqu’il était policier communal, lui avait demandé de
l’argent, et qu’il avait refusé. Au moment des massacres à l’Eglise de Nyange, ajouta-t-il, il était à
la maison assurant la sécurité des tutsi réfugiés chez son père. Il a cité des témoins à décharge
dont deux étaient présents à la réunion. Ceux-ci ont confirmé qu’il n’avait jamais quitté sa maison
au cours des massacres.
Kag. a répondu qu’il préférait ne rien déclarer puisqu'il était menacé partout et que maintenant,
même le siège allait faire de même. Un juge lui a répondu : « Parle ou assieds-toi ! Wa kantu we (Toi,
objet minuscule - pour le minimiser), ou nous allons t’emprisonner ». Kag. raconte qu’il est rescapé de
l’Eglise de Nyange. Après la victoire du FPR, il a été policier communal à Kivumu (actuellement
partie du district de Budaha).
Selon certaines personnes parmi la population, on raconte que Kag. a fait emprisonner un grand
nombre de gens, dont des innocents, par vengeance de l’ethnie hutu. Aujourd'hui, avec le
démarrage des juridictions Gacaca, il n’est plus policier, il continue à accuser des gens et même
certains qui sont encore en liberté. Dernièrement, il disait qu’il était menacé par les familles des
Hutus.
Lors de la dernière réunion Gacaca de Cyambogo le 26 mars 2003, il a pourtant déchargé un
accusé. Après cet acte, il raconte qu’il fait l’objet de menaces de toutes les familles de rescapés qui
l’accusent d’avoir reçu de l’argent de la part des Hutus pour les décharger.
Le président a pu ramener l’ordre, car l’assemblée générale était étonnée de l’arrogance du juge et
de la réplique de Kag.. Les gens demandaient au juge de ne pas aller trop loin dans sa manière de
parler et invitaient Kag. à témoigner librement.
Kag., prenant la parole, a dit qu’il a vu l’accusé lui-même avec des grenades à l’Eglise de Nyange
lors de l’attaque. Il a ajouté qu’il n’a jamais sollicité d’argent à l’accusé car il était policier et qu’il

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était payé. Avant les massacres à l’Eglise, il a raconté que l’accusé, avec ses complices, avaient tué
un commerçant à Nyange et pillé sa boutique.
Un intervenant (de la famille de l’accusé) dans l’Assemblée Générale a demandé au président si
l’accusé pouvait s’expliquer sur cette nouvelle accusation. Le siège a refusé car ce n’était pas le
moment du procès.
Après la réunion, Kag. a déclaré qu’il ne pouvait pas décharger un criminel, quel qu’il soit. Même
si les rescapés l’accusent d’avoir reçu de l’argent de la part des Hutus et surtout des intellectuels.
Les faits reprochés au second accusé sont :
1. sur l’acte d’accusation du parquet :
- d’avoir participé aux massacres à l’Eglise de Nyange en avril 1994,
- d’avoir tué une personne (inconnue) sur la barrière de Nyange,
- d’avoir été complice de la mort de Mar. à l’église de Nyange.
2. Accusation dans une lettre non signée :
- d’avoir tué une personne inconnue à la barrière de Rufungo à coups de pierres,
- avoir livré Mar. à une bande de tueurs, celle-ci fut rachetée par son mari d’ethnie hutu.
L’accusée du nom de Nyi. - vice-maire, chargée de la promotion féminine - a d’abord demandé
des éclaircissements sur des accusations qui semblent contradictoires : d’avoir tué Mar. avec ses
complices et de l’avoir livrée aux tueurs alors qu’elle sait que Mar. est vivante.
Le président lui a demandé de s’expliquer sur l’acte d’accusation en provenance du parquet,
Comme il y avait une conférence sur le génocide prévue à 14h, le président a suspendu la
réunion, annonçant qu’on allait continuer à la prochaine avec les mêmes personnes. La séance fut
clôturée à 14h30
Observations
Seuls trois juges et le président posent des questions.
Au cours de la réunion, les rescapés soutiennent les accusations. Les non rescapés les modèrent.
S’il y a décharge, ils crient de joie et l’un des juges rescapés doit alors dire d’un ton sévère : « Vous
êtes contents d’avoir fait le génocide ! ». Les autres se taisent immédiatement. Après la réunion, le climat
redevient normal.
Cyambogo, 16/04/2003, 7ème réunion
Heure prévue : 9h
A 10h du matin, il a plu jusqu’à 13h avec de petites interruptions. Si bien que les juges et la
population n’ont pu arriver sur le lieu qu’à 13h10. Le président et deux juges qui s’étaient abrités
à mi-chemin sont arrivés et n’ont trouvé que 5 personnes sur le lieu. Ils sont retournés chez eux.
Il y avait trois observateurs, mais pas d’autorités.
Observations :
Les réunions se font en plein air. Avec la saison des pluies, il est difficile de se réunir.
Sur les six accusés sur lesquels on venait de collecter les informations, deux seulement ont été mis
dans des catégories. L’un dans la 2ème catégorie, l’autre dans la 3ème catégorie. Pour les quatre
autres, les juges doivent encore chercher des informations complémentaires.

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Pour mettre les gens dans les catégories, les juges ne le font pas directement après la réunion
comme exigé, mais seulement quelques jours après. Selon eux, ils sont occupés par d’autres
activités.
Cellule Cyambugo, 23/04/2003, 7ème réunion
Heure prévue : 9h, heure du début de la séance : 12h30, heure de clôture de la séance : 14h50.
Assemblée générale : 36 personnes (20 hommes et 16 femmes), Siège : 15 (8 hommes et 7
femmes).
La réunion a commencé avec une minute de silence en mémoire des victimes du génocide et par
la lecture par le président des 8 principes de prise de parole.
L’ordre du jour portait sur la collecte d’informations au sujet de quatre accusés dont Nyi.. Le
siège venait de décider qu’elle se présenterait, avec les témoins, à la réunion du 30 avril 2003. La
réunion du siège a eu lieu à huis clos au même endroit. Le coordinateur des Juridictions Gacaca au
niveau du district et son adjoint y ont participé.
On a parlé de la lettre que Nyi. a écrite au siège au sujet de cette missive non signée qu’elle
considère comme un tract. Cela avait été débattu lors de la séance du 2 avril. Nyi. et Mar. (voir cidessus) devaient être entendues ce 23 avril mais cela a été impossible car Mar. ne s’est pas
présentée. Le siège a donc convoqué, de nouveau, Nyi et les témoins à la réunion du 30 avril.
Il y avait, comme observateurs, le coordinateur provincial du PAPG, un agent de monitoring du
district du PAPG, un représentant de la Liprodhor et un de PRI.
Certains juges ont quitté le siège avant la fin de la séance, ils n’ont pas été remplacés jusqu’à la
clôture de la réunion.
Le coordinateur provincial du PAPG a posé une question comme s’il était un participant de
l’assemblée générale. Il a ensuite précisé qu’aucune loi n’interdit à un observateur de poser des
questions pendant la séance.
Après la séance, le siège est parti sans se réunir pour la catégorisation. Dernièrement, on disait
que certains Inyangamugayo, qui n’étaient pas présents à la réunion de catégorisation, ont été invités
à signer sur les fiches des accusés, mais ils ont refusé.
Quelques mois plus tard, les cas de Nyi et Mar n’a toujours pas été réglé (discussions du 2 juillet
2003) :
Le Coordinateur a dit aux Inyangamugayo présents qu’il s’était rendu à Gitarama voir Mar., témoin
qui devrait charger ou décharger Nyi. (vice-maire chargée de la Promotion Féminine) sur son
accusation lors de la réunion du 2 avril 2003. Il a dit que Mar. est Secrétaire à l’Ecole des
Sciences Infirmières/ESI à Gitarama, il lui a dit qu’elle devait se présenter à Cyambogo pour
donner son témoignage. En réponse, Mar. a refusé de venir à Cyambogo de peur d’être
empoisonnée et même si le Président de la République le lui demandait, elle refuserait. Elle a
ajouté que certaines personnes l’accusent d’avoir reçu de l’argent de la part de Nyi. pour ne pas la
charger. Le Coordinateur a ajouté que Mar. a dit beaucoup de choses qu'il ne peut pas répéter de
telle manière qu’il pense qu’elle était traumatisée.
C’était la deuxième fois qu’on allait la chercher. La première fois, c’était le coordinateur adjoint.
Avec lui aussi, elle avait refusé de se présenter.
Un Juge : « Ce n’est pas du traumatisme, c’est un refus catégorique ».
Un autre Juge : « Si elle était traumatisée, elle aurait été chassée de son emploi ».
Un participant : « Il faut que le siège lui donne une amende ? ».
Le Coordinateur : « Je vais d’abord en parler à mes supérieurs ».

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Un participant : « Non, le siège est indépendant ».
Un Juge : « Mar. a peur de venir démentir ce qu’elle a dit ».
Un autre juge : « Mais l’autre dame a eu le courage de dire qu’elle a accusé Nyi. suite aux coups
de bâton des militaires ».
Un autre participant : « Mar. devrait être poursuivie pour refus de témoignage ».
Souvent, les gens qui sont convoqués et qui se présentent ne sont pas entendus, les réunions
étant renvoyées à des dates ultérieures. Combien de fois les témoins doivent de présenter ? Et
s’ils refusent, invoquant qu’on leur fait perdre du temps, seront-ils sanctionnés, comme cela est
prévu dans la loi Gacaca ?
Cellule Cyambugo, 7ème réunion : mois de juin
Le 28 mai 2003, la réunion de la Juridiction Gacaca de la cellule Cyambogo n’a pas eu lieu, faute
de quorum des Inyangamugayo.
Le 03 juin 2003, ce fut la même chose. A 10h00, il n’y avait que 9 juges dont le président et deux
habitants de la cellule Cyambogo. A 11h10, les Inyangamugayo se sont retirés pour se réunir à huis
clos, quoique le nombre des juges n’atteigne pas 15.
La réunion (7ème séance) de la Juridiction Gacaca de la cellule Cyambogo planifiée pour le 25 juin
2003 est intéressante dans la mesure où elle illustre certains problèmes qui peuvent expliquer la
non-participation de la population en général et de certains juges en particulier : tel que le manque
de motivation des Inyangamugayo, ou encore le manque d’intérêt de la part des autorités. La
population se sent abandonnée à suivre seule le Gacaca.
A 12h00, le coordinateur adjoint est arrivé sur les lieux :
Coordinateur Adjoint : « Qu’est-ce qui s’est passé, votre réunion aura-t-elle lieu? »
Un juge : « Il faut poser cette question à vous-même, car à chaque fois vous êtes absent. »
Coordinateur Adjoint : « Je vois ici six Inyangamugayo, est-ce que les autres vont venir ? »
Président : « Six autres ont écrit qu’ils ne seront pas présents. Ce n’est plus nécessaire d’attendre le
quorum, car parmi les 19 juges il n’en reste que 13. »
Président : « On doit envoyer un Inyangamugayo pour aller chercher les deux femmes enseignantes
car les élèves de l’école primaire viennent de sortir. » (Il était 12h00, il est parti tout de suite)
Un juge : « Moi, je vais prendre un repos, il est midi. Même ceux qui travaillent pour de l’argent
ont droit au repos. » Il est parti pour ne plus revenir.
Auditeur de District (il venait chercher la moto du Coordinateur Adjoint) : « Il faut
taxer d’amende ces gens de Cyambogo .»
Un paysan : « Même nous qui sommes présents ? »
Auditeur : « Vous avez mal choisi, mercredi c’est le jour du marché. Combien d’Inyangamugayo
sont au marché maintenant ? Tu ne peux pas trouver beaucoup de gens à la réunion ! »
Un paysan rescapé : « C’est le manque de motivation.»
Auditeur : « Tu veux de l’argent pour venir à la réunion Gacaca ? »
Le paysan rescapé : « Je parle des Inyangamugayo, moi non. »
Autre paysan qui venait d’arriver (témoignage): Le juge qu’on avait envoyé chercher
les deux Inyangamugayo enseignantes est arrivé à la place du marché, a vu un camion
qui était en train de charger les sacs de patates douces, il s’est fait engager pour de
l’argent comme les autres et il n’est plus revenu.
Président : « Il faut nous dire ce que l’on doit faire (s’adressant au Coordinateur Adjoint). »
Coordinateur Adjoint : « Tu dois nous dire les mesures que tu a prises. »

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Président : « Moi, je donne un rapport à la Coordination Gacaca pour rappeler le jour de la
réunion et d’autres informations nécessaires à la population. »
Coordinateur Adjoint : « Donc, je vais faire un rapport à l’autorité provinciale, à la Cour
Suprême avec copie à l’autorité de District que le Gacaca de Cyambogo ne se fait plus. »
Président : « Je crois que l’on doit convoquer l’Assemblée Générale pour élire un nouveau siège et
remplacer l’actuel. »
Un juge : « Moi, je vais écrire et démissionner. »
Coordinateur Adjoint : « Ecrire à qui ? »
Le juge : « Je sais à qui écrire. »
Coordinateur Adjoint : « Tu auras pas mal de problèmes, si tu oses écrire. »
Dans la cellule Cyambogo, en plus de la population paysanne, on y trouve des enseignants, des
agents du Centre de santé, des agents du District, des agents du Tribunal de Canton et des
commerçants. Ce dernier groupe ne se présente jamais aux réunions. Si quelqu’un de ce groupe
vient à une réunion, c’est pour écouter les témoignages, les accusations. La population les a
imités.
Le gouvernement a repoussé la date du démarrage de la 3ème phase des juridictions Gacaca
(passage au niveau national), en disant qu’elle ne peut pas se faire convenablement au moment de
la période électorale. Ce qui implique que les phases déjà entamées ne pourront pas continuer
normalement.
Selon le président de la Juridiction Gacaca de Cyambogo : il y a 85 accusés sur la liste de cette
cellule et en juillet 2003, on venait de parler de 19 accusés seulement. Parmi les 19, seuls 5 ont été
catégorisés. De ces 85 accusés, il y a 29 détenus, 11 qui sont décédés et 10 qui sont partis avant la
Gacaca : 32 accusés semblent donc être encore en liberté.
Après les élections présidentielles et législatives, les réunions pour la 7ème séance devaient
recommencer.
Conclusion
Le développement de la JG dans le secteur pilote de Kibuye ressemble à ce qui se passe dans
d’autres Juridictions Gacaca ailleurs dans le pays, comme cela a déjà été analysé dans d’autres
rapports de PRI :
1. Manque de participation de la population aux séances : aussi bien en termes de
présence physique que de contribution à l’établissement de la vérité. Seuls les rescapés et
les prisonniers qui ont fait leurs aveux ne craignent pas de témoigner. En particulier, la
participation de la population locale Hutu laisse à désirer.
Cette non-participation et le silence de la majorité de la population ont de lourdes
conséquences sur les 6ème et 7ème séances : celles de l’établissement des listes des accusés et
de la confection des fiches individuelles et de catégorisation des accusés.
Il est clair que l’usage de la force pour contraindre la population à participer aux réunions
n’a pas eu des bons résultats.
Explication :
Dans les autres rapports, diverses raisons ont déjà été avancées. Un fort sentiment
d’insécurité (réel ou imaginé) est exprimé, la peur de témoigner contre les membres de sa

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communauté ou de sa famille et d’en subir les conséquences, ou encore un climat de
méfiance entre les différents groupes qui persiste malgré les intentions du gouvernement
d’abolir les distinctions ethniques.
Tous ces facteurs se retrouvent dans les juridictions Gacaca de Kibuye et ont notamment
comme conséquence une augmentation du fossé entre rescapés et non rescapés,
correspondant au clivage entre les deux groupes ethniques principaux. Tous ces éléments
conduisent, du moins à court terme, à s’éloigner de l’objectif souhaité de “ réconciliation
des Rwandais et de renforcement de leur unité”.
Sans doute vaudrait-il mieux “parler d’ethnies13”.
2. Une sensibilisation plus intense, plus interactive et plus constante de tous les groupes
concernés (rescapés, non rescapés, autorités et détenus), nous semble en effet être
cruciale pour résoudre une partie des problèmes cités.
3. Jugement de tous les crimes : un des problèmes surgissant - surtout au début des
réunions des Juridictions Gacaca - est celui des crimes de représailles commis par les
militaires du FPR ou des rescapés. L’étude récente de Verwimp, mentionné ci-dessus,
montre de façon convaincante qu’à Kibuye, il n’y a pas eu de double génocide et que les
crimes de vengeance contre certains Hutu n’étaient pas du même ordre - ni en structure,
ni en nombre - que l’extermination des Tutsi dans cette province. Il n’en demeure pas
moins que plusieurs membres hutus ont été tués dans le cadre de ces “représailles
extrajudiciaires”, qui ne distinguaient ni les innocents ni les participants au Génocide. Une
discussion sur ce sujet est toujours quasi impossible. Cependant, une approche plus
franche de ce thème pourrait améliorer la participation de la population entière, en lui
montrant que la justice au Rwanda n’est pas partiale.
4. Participation des élites et des intellectuels : le fonctionnement de la Gacaca serait sans
doute amélioré si plus de membres de l’élite ou des « intellectuels » participaient. Et si les
autorités locales se montraient plus engagées et intéressées. Ces derniers semblent en effet
avoir un fort impact sur la population et sur les juges.
5. Participation des juges : ce qui frappe le plus est le fait que, dans le secteur pilote de
Kibuye, la participation des « juges intègres » est très faible.
Dans la logique d’optimiser le fonctionnement des juridictions Gacaca, il nous semble
crucial de s’intéresser aux conditions de travail des juges Gacaca, à leur motivation et à leur
mode de participation lors des séances. Pour motiver les Inyangamugayo, il faudrait, par
exemple, leur verser une indemnité, ce qui permettrait également de prévenir la
corruption. Les juges Gacaca devraient également recevoir une formation supplémentaire,
l’idéal étant qu’une formation continue soit assurée tout au long du processus Gacaca.
6. Lenteur du processus : une des conséquences du manque de participation est la lenteur
du processus, contraire aux attentes initiales des participants. Les membres des
Juridictions Gacaca parlaient - comme nous l’avons vu ci-dessus - d’un processus qui
devait durer en ou deux mois, au maximum une demie année. Après 18 mois, les
Juridictions Gacaca du secteur pilote de Nyange se trouvent encore dans la phase
préparatoire et aucun jugement n’a commencé. Le fait que les Juridictions Gacaca
s’arrêtent à chaque fois qu’il y a un referendum, des élections ou d’autres événements
considérés comme plus importants, n’a pas aidé à entretenir l’intérêt.
Cf. “Parler d’ethnie”, une des propositions d’un groupe de chercheurs rwandais et étrangers dans Justice et Gacaca.
L’expérience rwandaise et le génocide, Eds Françoise Digneffe et Jacques Fierens, PU de Namur, 2003, p. 131-132
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7. Indemnisation des victimes et Travail d’Intérêt Général : la Gacaca est en principe
accompagnée par deux autres programmes qui visent également à réconcilier les
Rwandais et à renforcer leur unité :
- l’indemnisation des victimes du génocide,
- et le programme de travail d’intérêt général - TIG.
Le développement de ces deux programmes semble actuellement bloqué. Nous espérons
que cela n’est pas le signe d’un manque de volonté de la part du gouvernement à les
mettre en place.
Cependant, le processus de réconciliation est en effet un processus de longue durée et
pourrait expliquer le fait que ces programmes ne fonctionnent pas encore. De plus, ces
deux programmes demandent un investissement important en termes de ressources
financières et cela est sans doute aussi un obstacle à leur bon déroulement.
Si ces deux programmes étaient mis en œuvre, cela pourrait avoir aussi un effet positif sur
le fonctionnement des juridictions Gacaca.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024