Fiche du document numéro 30843

Num
30843
Date
Samedi 25 juin 1994
Amj
Taille
276174
Surtitre
Communiqué de presse
Titre
Intervention française au Rwanda : Manipulation Collaboration
Nom cité
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Lieu cité
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Mot-clé
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Source
CRF
Fonds d'archives
CRF
Type
Communiqué
Langue
FR
Citation
La Communauté Rwandaise de France
56, bis rue du Louvre
75002 PARIS
Paris le 25 juin 1994

Tel : 40.39.91.12
Fax : 40.26.37,59

COMMUNIQUE DE PRESSE

Intervention française au Rwanda : Manipulation
Collaboration

Par son intervention au Rwanda, la France "a mis le
paquet" : 2500 militaires, des Jaguars, des mirages, des
hélicoptères de combat, des véhicules blindés... tous les moyens
nécessaires à l'accomplissement d'une action "humanitaire".

POUR SAUVER LES TUTSI !

Aux côtés de la France, seulement un trio d'"Africains".
Le Zaïre: le Maréchal Mobutu au premier rang. Il n'a pas oublié
l'opération Kolwezi. Lui aussi est un "ami" du Rwanda. Le Sénégal:
c'est L.S. Senghor alors président de la République sénégalaise qui
a parrainé à l'Elysée le dictateur rwandais assassiné. L'Egypte:
c'est l'Egypte de H. Moubarak qui a encaissé les gros chèques d'une
Banque nationale française à savoir le Crédit Lyonnais pour paver
les armes destinées aux milices et à la Garde présidentielle
responsables du génocide actuel. Son armée s'apprête à se joindre
au corps expéditionnaire français!

Nous disons manipulation. Manipulation de l'opinion
nationale et internationale. Le scénario, pour être classique, n'en
est pas moins machiavéliquement mené.

Acte 1. Déclanchement du génocide à la suite de
l'assassinat du dictateur rwandais et à l'ignoble campagne de la
Radio des Milles Collines, incitant les extrémistes hutu à massacrer
systématiquement tous les Tutsi et les Hutu de l'opposition. La
boîte noire du Falcon, cadeau de la France et piloté par un équipage
français serait aujourd'hui jalousement gardée par les autorités
françaises et classée secret défense. C'est tout dire. Quant à la
Radio des Mille Collines, d'aucuns affirment qu'elle avait été
généreusement offerte à des éminents membres de l'AKAZU (la famille
proche du dictateur rwandais et de sa femme), par les "amis du
Rwanda" au pays des Droits de l'Homme.

Acte 2. La France retire ses ressortissants de l'enfer
rwandais. Elle n'utilise pas son droit de veto lors du vote par le
Conseil de Sécurité réduisant de 2500 à moins de 500 le nombre des
casques bleus de la MINUAR, au moment où il fallait précisément
augmenter son effectif et élargir son mandat.

Devant l'horreur des massacres perpétrés au Rwanda, le
Conseil de sécurité finit par revenir - trop tard - sur sa décision
en optant pour l'envoi au Rwanda de 5500 casques bleus qui seraient
essentiellement fournis par des pays africains avec le concours de
l'OUA. Mais la France ne fit rien pour fournir les moyens matériels
manquant aux pays africains qui s'étaient déclarés prêts à dépêcher
immédiatement leurs troupes au Rwanda dans le cadre de la MINUAR 2.

Acte 3. la France laisse - et favorise même - l'opinion
nationale et internationale s'abreuver des images d'horreur venues
de ce petit pays d'Afrique. Elle fait tout pour accréditer
l'explication criminellement simplificatrice du génocide: les Hutu
majoritaires assassinent les revanchards tutsi minoritaires
assimilés au FPR. Alors que les autorités françaises savent
pertinemment que dans son programme politique, dans le recrutement
de ses adhérents, dans la composition de son état major politique
et militaire et dans la gestion du territoire libéré, le FPR dépasse
les clivages Hutu-Tutsi. Elles savent également que le conflit
rwandais oppose les extrémistes hutu et leurs alliés d'un côté et
les patriotes et démocrates rwandais, hutu et tutsi, de l'autre.

Acte 4. Le décor est à Tunis au 30e sommet de l'OUA, Dans
les coulisses et à la tribune, les amis africains de la France font
tout pour accuser l'Ouganda d'être responsable de la tragédie
rwandaise pendant que le gouvernement des miliciens est appelé à
siéger officiellement aux côtés de Mandela et d'autres dignes
représentants de l'Afrique. La délégation française est très active
à ce Sommet. Elle parvient à mettre en selle le Maréchal Mobutu,
pourtant persona non grata en France, en l'intégrant au processus
qui à conduit à l'intervention actuelle. Mobutu impose un cessez-
le-feu que tout le monde savait inapplicable. Et c'est le non
respect attendu de ce cessez-le-feu ainsi que la non application de
la résolution du Conseil de sécurité dépêchant 5500 hommes au Rwanda
que les autorités françaises vont évoquer, à qui mieux mieux, pour
dire qu'il n'y avait que la France pour sauver le Rwanda. Or pour
arrêter les massacres, il aurait suffi que la France favorise
l'application de la résolution des Nations Unies portant à 5500 le
nombre des casques bleus de la MINUAR 2. Il aurait même suffi sans
devoir déployer des moyens aussi impressionnants qu'elle dise
fermement halte à ses alliés et protégés pour que les massacres
s'arrêtent.

Acte 5. L'opinion non avertie est alors prête à avaler le
boa si bien apprêté. Malgré les protestations de l'OUA, de
nombreuses associations françaises et internationales, malgré les
réticences de ses alliés de l'UEO et de plusieurs membres du Conseil
de Sécurité, malgré le refus catégorique du FPR et des forces
démocratiques du changement, la France décide d'intervenir
militairement au Rwanda en avançant comme raison officielle la
nécessité et l'urgence de secourir les Tutsi prisonniers des milices
hutu, pourtant entraînées et armées par elle. Elle feint d'être
surprise par l'opposition du FPR à son initiative alors que cette
dernière vise à sauver des Tutsi, considérés comme membres de facto
du FPR, volontairement réduit à un parti de Tutsi!

Ce scénario est bien monté mais n'abuse aucun observateur
averti: les autorités françaises persistent dans leur politique de
soutien et de collaboration avec les extrémistes sanguinaires
rwandais. La raison d'Etat n'exige-t-elle pas qu'on ne lâche pas ses
alliés fussent-ils des massacreurs? Plus que symbolique des
intentions réelles de la France est le déployement des troupes
françaises dans l'est du Zaïre et principalement à Goma, à quelques
centaines de mètres de Gisenyi où se sont repliés les grands
responsables du génocide rwandais après avoir été chassés de Kigali
et de Gitarama. Signe révélateur, ces derniers ont réservé un
accueil officiel aux "libérateurs", drapeaux bleu, blanc, rouge à
la main. Pour ceux qui en douteraient encore, l'accueil enthousiaste
réservé à l'armée française par les responsables de l'épuration
ethnique et politique est en soi suffisamment éloquent,
compromettant.

Dénouement prévu par les stratèges de Paris : La France
se requalifie à peu de frais par une intervention "humanitaire"
(sauver des Tutsi dans une région ethniquement et politiquement
presque entièrement purifiée) et peut alors réaliser ses véritables
objectifs: stabiliser le front entre "le pays hutu“ et "le pays
tutsi" pour reprendre l'expression de certains media, et parvenir
à imposer une paix à la cambodgienne où les Polpot rwandais
continueraient à défendre la politique africaine de la France au
Rwanda. En aidant le dictateur rwandais à se maintenir au pouvoir,
la France porte une lourde responsabilité dans le génocide actuel.
En remettant en selle les héritiers directs de ce même dictateur,
la France ne ferait que prolonger la tragédie de notre peuple en
retardant la reconstruction de la Nation rwandaise et la véritable
réconciliation nationale, qui ne peut se réaliser qu'en dehors de
toute compromission avec les criminels et leurs complices.

Mais les méfaits de cette intervention française vont
s'étendre à toute la région des Grands Lacs; elle rafermit le
pouvoir plus que chancelant du dictateur zaïrois et, surtout il
constitue un encouragement et un soutien aux réactionnaires de toute
la région et surtout aux extrémistes Hutu du Burundi, formés à
l'école de Habyarimana. Au delà de cette région, l'intervention
française au Rwanda porte un coup sévère à l'OUA, les obligés de la
France se désolidarisant de la position de leur Organisation
panafricaine.

Grâce aux média et à l'action des associations et de
nombreuses personnalités françaises, une large partie du public a
compris les véritables enjeux de l'intervention militaire française
au Rwanda. Il ne se contentera plus du digestif humanitaire qui lui
est abondamment servi.

Deux conséquences peut-être non prévues par les stratèges
de Paris. L'intervention militaire française au Rwanda est, malgré
l'aval du Conseil de Sécurité et le ralliement de certains Etats et
Organisations, clairement perçue comme une invasion de type colonial
destinée à freiner la marche vers la liberté et la démocratie
engagée par les patriotes rwandais menés par le Front Patriotique
Rwandais et "les Forces Démocratiques du changement". Par ailleurs
l'intervention militaire française au Rwanda a un effet boomerang
en France: des voix de plus en plus nombreuses et fermes s'élèvent
pour exiger deux réformes fondamentales. Le Ministère de la
Coopération, héritier du Ministère des Colonies devra devenir un
Département du Ministère des Affaires Etrangères. Enfin il n'est pas
du tout normal que la politique africaine de la France ne soit pas
examinée par le Parlement.

La collaboration entre le gouvernement français et les
responsables de la tragédie rwandaise est choquante à plus d'un
titre. Elle se réalise au moment où la justice française vient de
condamner Touvier et, à travers lui, tous les auteurs des crimes
contre l'Humanité. Par ailleurs, elle se concrétise au moment où la
France vient de célébrer avec faste le 50e anniversaire du
Débarquement, débarquement qui symbolise la libération du nazime.
Le procès de cette collaboration ne devra être ni évité ni étouffé.

La Communauté rwandaise de France invite le peuple
français à l'aider à débusquer et juger les Touvier et autres Barbie
rwandais ainsi que leurs complices, et à éradiquer toutes les
doctrines barbares. C'est le seul acte véritablement humanitaire
qui, tout en aidant la Nation rwandaise à se reconstruire, honorera
la mémoire des centaines de milliers de victimes innocentes. Ce
faisant, le peuple français permettra à la France de rester ce
qu'elle doit être : une vieille Nation forte mais aussi solidaire
et respectueuse de la liberté des autres Nations.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024