Fiche du document numéro 32123

Num
32123
Date
Mercredi 20 juillet 1983
Amj
Taille
23877
Titre
La rééducation des « vagabondes »
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Kigali. - Les autorités du Rwanda ont décidé de supprimer ce qu'elles qualifient de « prostitution » en envoyant les « vagabondes » -- toutes les femmes en situation irrégulière -- dans un camp de rééducation par le travail, à 60 kilomètres à l'est de Kigali, où elles sont détenues parfois arbitrairement.

Pour une période allant de six mois à trois ans, ces femmes sont condamnées à des travaux agricoles ou domestiques dans une ferme isolée rebaptisée camp de production et de rééducation, sous la surveillance d'une douzaine de gardiens, anciens militaires.

Au ministère de la justice, on reconnaît que ces jeunes femmes n'ont pas commis d'infraction grave, mais qu'elles sont « dans une situation où elles pourraient en commettre ». La majorité des détenues -- quatre-vingt-cinq sur cent soixante-sept, selon le directeur du camp, M. Ferdinand Sehire-Harelimana -- n'ont pas été jugées, plus de quatre mois après leur arrestation, laquelle, selon diverses sources concordantes, relève parfois du plus pur arbitraire.

Le ministre de l'intérieur, M. Thomas Habanabakize, a reconnu qu'il y avait eu des « bavures » lors de rafles massives qui ont eu lieu en février-mars. Ainsi, l'arrestation de quelques jeunes filles accusées d'avoir des relations trop libres avec des Européens -- notamment de jeunes coopérants français -- a provoqué une très vive émotion dans la communauté étrangère à Kigali (le Monde du 29 avril).

Pourtant, les jeunes filles possédaient un emploi parfaitement régulier. L'une d'elles a été torturée par des policiers qui voulaient lui faire avouer « ce qu'elle faisait exactement avec ses amis blancs », selon des sources diplomatiques à Kigali. Une autre n'a pu être libérée que parce que son compagnon a produit les documents nécessaires à leur mariage.

Pour le ministre de la justice, M. Charles Nkurunziza, ces arrestations avaient pour but de lutter contre « le libertinage ». « Nous sommes contre ce qui risque d'entraîner notre jeunesse dans le pourrissement. (...) Mais il n'est pas interdit d'aller dans une boîte de nuit avec des Européens. »

À la suite de démarches diplomatiques, ces jeunes filles ont été libérées sur l'ordre du président rwandais, M. Juvénal Habyarimana, qui se déclare très choqué des accusations de racisme portées contre son pays.

À l'invitation du gouvernement, des journalistes étrangers -- dont l'envoyé spécial de l'A.F.P. -- ont pu récemment visiter le camp de rééducation installé à quelques kilomètres de la ville de Rwamagana.

Les détenues, âgées en général d'une vingtaine d'années, après avoir été ramassées en ville par la police sans document (papier autorisant à vivre dans une commune autre que celle de la naissance), ont été tondues et envoyées dans le centre, où elles sont occupées à des travaux collectifs.

Elles soulignent le caractère arbitraire de leur arrestation. « La plupart d'entre nous, déclare l'une des détenues, approuvée par les autres, avaient leurs papiers lorsqu'elles ont été arrêtées. »

Quant aux conditions de détention, elles affirment qu'elles sont « très mauvaises ». Un Père belge qui visite le centre une fois par semaine estime, lui, qu'il n'y a pas de mauvais traitements et explique la présence de certaines femmes par « des vengeances contre des fonctionnaires qui avaient un "deuxième bureau" (une maîtresse) ».

« Beaucoup de filles ont été arrêtées parce qu'elles s'étaient refusées à un agent de la sûreté », note un diplomate en poste à Kigali. En privé, un membre du gouvernement reconnaît qu'il y a « beaucoup de braves filles » dans le camp de Rwamagana.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024