Fiche du document numéro 32383

Num
32383
Date
Samedi 13 mai 2023
Amj
Auteur
Taille
51126
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 2ème jour - Compte rendu de l’audience du 11 mai 2023
Nom cité
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Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le deuxième jour d’audience s’ouvre ce jeudi 11 mai à 10h. Le Président de la Cour invite le premier témoin de la journée, Monsieur Stéphane Audoin-Rouzeau, à entrer dans la salle. Ce dernier, après avoir prêté serment, entame sa déposition par une déclaration spontanée. Il rappelle que c’est la cinquième fois qu’il est convoqué dans un tel procès de compétence universelle. Il déclare n’avoir commencé à travailler sur le génocide des Tutsi au Rwanda que tardivement, en 2008. Dans ses différentes recherches, il a notamment pu constater que ce dernier souffre d’un « grand déficit de connaissance et d’intérêt », qu’il est très loin de nous et que, par conséquent, il est particulièrement difficile de parvenir à s’approprier le sujet, de le comprendre et d’en tirer les conséquences. Monsieur Audoin-Rouzeau, rappelle que ce génocide est, malgré son éloignement géographique, très proche de nous. Les racines de ce crime se situent précisément dans la pensée raciste et racialiste de la fin du XIXème siècle. Les belges, premiers colonisateurs à avoir exploré la région, ne perçoivent pas la réalité de la société qu’ils découvrent. Ils projettent donc leur propre conception sociale et s’imaginent une société divisée en trois ethnies : les Hutu, les Tutsi et les Twa. Ils décident de s’appuyer sur les dominants et structurent une hiérarchie autour d’eux, créant, sur le long terme, un ressentiment qui sera à l’origine des crimes. Monsieur Audoin-Rouzeau poursuit sa présentation en développant les trois points communs existants entre les génocides du XXème siècle, à savoir, le génocide des Arméniens, la Shoah, et, évidemment, le génocide des Tutsi. Il déclare ainsi que pour qu’un tel crime puisse effectivement avoir lieu, il faut tout d’abord une idéologie raciste et d’exclusion. Aussi, il faut une guerre. En effet, cette dernière créé la terreur et l’angoisse de la défaite, un sentiment qui fait entrer les acteurs sociaux dans un espace temporel tout à fait différent, entraînant une violence démesurée. Enfin, le troisième ingrédient, et peut-être le plus complexe selon l’historien, c’est l’existence d’un Etat. Il faut un Etat moderne pour concevoir et réaliser une extermination de masse. La mise en œuvre du génocide n’est possible que grâce à un certain degré d’organisation entre les pouvoirs centraux et locaux. C’est ce filet administratif, additionné à la violence de voisinage, qui permet, en 1994 de ne laisser aucune chance de survie aux Tutsi. Pour conclure, Monsieur Audoin-Rouzeau déclare espérer que la connaissance de ce génocide progresse, qu’il est nécessaire de poursuivre dans la dynamique créée par la présentation du rapport Duclert pour lever l’incompréhension sur ce crime. Le Président prend la parole et demande au témoin de revenir sur l’influence que la pensée européenne colonisatrice a pu avoir sur la construction de la société rwandaise. Ce dernier évoque donc la mise en place, dans les années 1930, de cartes d’identité portant la mention ethnique des individus. Il rappelle également que les enfants ne possédaient pas de tel document, ce qui a permis à un certain nombre d’entre eux de survire au génocide justement parce qu’en l’absence de preuve de leur appartenance à l’ethnie tutsi, ils pouvaient être cachés ou épargnés. Monsieur Lavergne lui demande ensuite de confirmer que la transmission ethnique passe par le père, ce que fait l’historien. Il précise cependant que « dire qu’il existe des ethnies au Rwanda, c’est un abus de langage », qu’il est impossible de distinguer, tant sur le plan physique, religieux, linguistique et culturel, les trois ethnies. Il poursuit en présentant l’étau dans lequel les Tutsi étaient pris lors du génocide, le maillage très fin et sans échappatoire qui était formé par les différentes autorités administratives et le voisinage. En effet, d’un côté dans un massacre de masse, où une population élimine un groupe qui existe en son sein, les victimes peuvent espérer une protection des autorités. De l’autre côté, dans un massacre perpétré par les structures de l’Etat, les victimes peuvent espérer le soutien de leurs voisins et amis. Dans le cas du génocide des Tutsi, les victimes ont été prises en étau, tous les niveaux, civils et administratifs ayant été acteurs du crime.

Aussi, après une troisième question du Président, Monsieur Audoin-Rouzeau est invité à développer la place particulière qu’ont occupé les femmes tutsi et donc, les violences qu’elles ont pu subir. Il rappelle ainsi que, au-delà d’une extermination de masse, les tueurs souhaitaient porter atteinte à la filiation, que les innombrables viols étaient des instruments du génocide. La parole est laissée aux autres membres de la Cour et une première jurée intervient. Elle demande ainsi au témoin s’il peut expliquer la place que les gendarmes occupaient dans la société rwandaise et s’ils étaient considérés, à l’instar de la France, comme des militaires. Monsieur Audoin-Rouzeau lui répond que, n’étant pas spécialiste de la question, il peut simplement affirmer que ces derniers participaient effectivement aux réunions gouvernementales et que, dans un certain nombre de cas, ils ont fait basculer la situation, arrivant sur les lieux de rassemblement avec des armes à feu, permettant de massacrer en masse, et rapidement les Tutsi réfugiés. Sur une seconde question de cette même jurée, l’historien déclare que le projet génocidaire a commencé au début des années 1990, citant ainsi les témoignages du général Varret. S’il s’est effectivement radicalisé par la suite, abandonnant la nature de projet pour se concrétiser, l’idéologie est présente bien avant 1994.

La parole est ensuite laissée aux avocats des parties civiles. Maître Goldman, l’avocate de la LICRA, demande au témoin de développer devant la Cour sa théorie du « syndrome de la victime parfaite ». Monsieur Audoin-Rouzeau déclare que la difficulté avec le génocide des Tutsi se situe dans le fait que le groupe cible a gagné la guerre et pris le pouvoir. Cette situation est utilisée par un certain nombre de personnes pour nier ce qu’il s’est passé, soutenant qu’un second génocide aurait eu lieu et qu’il annulerait le premier : « on arrive à la conclusion que les victimes ne se sont pas comportées parfaitement, qu’on n’est pas parvenu à un groupe de victimes parfaites, ce qui nous arrangerait bien ». Me Philippart, avocate notamment du CPCR, demande à l’historien de revenir sur la notion d’ennemi et sur le rôle qu’elle a pu jouer dans le déroulé du génocide. Ce dernier répond qu’en effet ce point est primordial car, très vite, une idée s’impose dans la société rwandaise, que l’ennemi extérieur, le FPR, bénéficiait de complices à l’intérieur, les Tutsi. Cette peur de l’ennemi de l’intérieur, présent au sein de la population, a été l’un des déclencheurs du génocide. L’avocate du CPCR poursuit en demandant à l’intéressé d’expliquer le rôle qu’ont pu jouer les barrières dans l’efficacité des massacres. Il répond que ces dernières ont été un outil indispensable du crime. Elles étaient tenues par des habitants de la région proche, permettant donc d’identifier les Tutsi, sans même nécessiter la consultation de leurs papiers d’identité. C’est le passage des premières barrières qui est très risqué. Les victimes expliquent que plus elles s’éloignaient de leur localité d’origine, plus il était possible de passer des barrières.

Le Ministère public ne souhaitant pas poser de question, la parole est donnée à la défense. C’est Maître Altit qui est présent ce matin et qui interrogera donc Monsieur Audoin-Rouzeau. Le conseil de Monsieur Hategekimana demande à l’historien s’il peut définir qui étaient les Interahamwe. L’intéressé lui répond qu’à l’origine c’était le nom utilisé pour désigner les jeunesses du MRND, le parti présidentiel. Maitre Altit poursuit en lui demandant s’il peut donc confirmer que leur rôle était « de chanter et d’animer les différentes réunions du MRND ». Monsieur Audoin-Rouzeau lui répond que si effectivement cela a été le cas, leurs actes ne peuvent pas se limiter à cela. Il rappelle que ces derniers sont armés et profondément anti-Tutsi. Les rapports entre Maître Altit et Monsieur Audoin-Rouzeau commencent à se tendre, l’avocat de la défense essayant d’amener ce dernier dans une direction qui ne lui plaît pas, tentant de démontrer l’existence de violences commises par le FPR et de mettre ces dernières en parallèle avec le génocide. Il lui demande ainsi si, le 7 avril 1994, l’Armée patriotique rwandaise a procédé à une attaque et dans quelle direction, si lors de cette dernière, des massacres ont été commis sur la population hutu et, si oui, combien de victimes ont été relevées. Monsieur Audoin-Rouzeau essaie d’expliquer que les deux situations ne sont pas à comparer, que si effectivement il y a eu des morts, beaucoup, la logique meurtrière n’est pas la même. Il prend pour preuve que, après l’entrée du FPR au Kivu afin de procéder à la liquidation des camps présents, des centaines de milliers de réfugiés, Hutu pour la plupart, sont rapatriés au Rwanda et ne font pas l’objet de violences. L’audience est finalement suspendue à 13 heures.

L’après-midi s’ouvre sur l’audition de Monsieur Alain Verhaagen, universitaire belge, cité comme témoin de contexte à la demande du Ministère public. Ce dernier commence par une déclaration spontanée dans laquelle il rappelle être un habitué de ces procès, étant fréquemment sollicité par les autorités judiciaires. Il décline donc l’ensemble de son expérience de 45 ans sur le territoire africain l’ayant rapidement mené dans le pays des mille collines. A la mi-mai 1994, il était au Burundi, il fait rapidement part aux autorités burundaises de son souhait de traverser la frontière pour aller constater et documenter ce qui se déroule au Rwanda. Rapidement, lesdites autorités prennent contact avec le FPR qui vient chercher Monsieur Verhaagen le 15 mai. Le témoin décrit à la Cour les scènes qu’il a pu observer en arrivant au Rwanda, il décrit le « silence de mort » qui flottait sur le pays. Il présente comment il a pu observer l’étau dans lequel étaient pris les Tutsi, leur impossibilité de fuir, notamment par la multiplication des barrières. Enfin, il raconte comment, dans un hôpital de campagne instauré par Médecins sans frontières, des rescapées sont venues lui confier ce qu’elles ont vécu. Monsieur Verhaagen explique que les violences sur les femmes avaient une nature toute particulière. Comme l’a rappelé le professeur Audoin-Rouzeau, au Rwanda, l’ethnie se transmet par le père. Les génocidaires laissaient donc le choix aux femmes tutsi : ou elles se faisaient violer, engendrant des enfants hutu, ou elles se faisaient mutiler, les empêchant donc d’engendrer, par la suite, des enfants tutsi. Ceci démontre encore une fois l’aspect total du projet génocidaire, visant à éliminer tant physiquement que biologiquement la population visée. Les questions sont ensuite ouvertes et le Président Lavergne décide de prendre la parole. Il demande ainsi au témoin s’il a pu constater quelques particularités dans la région de Nyanza. Ce dernier répond qu’effectivement, avant le génocide, la région de Butare concentrait un nombre important de partisans de l’opposition au gouvernement Habyarimana. N’ayant plus de question, il cède rapidement la parole aux avocats des parties civiles. Un premier conseil lui demande s’il a pu, lors de ses différentes investigations, trouver une preuve formelle de l’organisation du génocide. Monsieur Verhaagen répond que non, il n’existe pas de « plan écrit », mais qu’un « faisceau de paramètres » permettre indéniablement de constater qu’il y a eu une préparation. Etant interrogé sur ces différents « indices », il évoque notamment l’existence du manifeste des Bahutu, de la Radio Télévision Libre des Mille Collines, de la politique des quotas… C’est ensuite au tour du Parquet d’interroger le témoin.

Les avocates générales souhaitent revenir sur les spécificités de la préfecture de Butare, et notamment sur le discours du président Sindikubwabo le 19 avril 1994. Monsieur Verhaagen déclare que lors de cette prise de parole, le Président du Gouvernement intérimaire a publiquement appelé la population à « travailler ». Invité à développer le mécanisme du double discours utilisé à l’époque du génocide, le témoin explique que dans le cadre de l’utilisation du terme « travail », aucun sous-entendu n’existait. Tout le monde savait à l’époque que ce dernier servait à désigner les massacres. Sur le même sujet, l’intéressé est questionné sur les « campagnes de pacification » qui ont été déployées par les autorités administratives et sur ce qu’elles étaient réellement. Monsieur Verhaagen déclare : « quelle pacification ? Partout les massacres avaient lieu, sinon à l’instigation des gendarmes, au moins avec l’appui logistique des militaires et des gendarmes, parfois à l’aide d’engins pour renverser des murs ou parfois grâce à l’utilisation de balles ». Après quelques questions supplémentaires, la parole est donnée à la défense, représentée pour l’après-midi par Maître Guedj. Ce dernier reprend la même logique que son confrère présent le matin et demande au témoin si « au Rwanda, en 1994, on était dans une période de guerre civile ou de guerre ethnique ? ». Monsieur Verhaagen lui répond que ce n’est ni l’un ni l’autre, que c’est une période de génocide. L’avocat de l’accusé poursuit en posant diverses questions sur les années ayant précédé le génocide demandant notamment : « vous me parlez de 1991, j’aimerais vous parler de 1990. Cette attaque illustre une attaque de Tutsi contre les Hutu et donc un contexte de guerre civile. Je parle du FPR et je veux savoir, lors des attaques du FPR contre les Hutu, combien de personnes ont été tuées ». Maître Guedj est interrompu par le Ministère public qui soutient que sa question est orientée. Monsieur Verhaagen répond tout de même, rappelant que lors d’une attaque militaire, des victimes, civiles comme militaires, sont toujours faites. L’audience est finalement suspendue pour dix minutes.

Après le retour de la Cour, Madame Hélène Dumas est invitée à s’avancer à la barre. Elle commence par une déclaration spontanée dans laquelle elle présente son parcours universitaire et les différents travaux qu’elle a pu réaliser. Elle parle de ses recherches sur les Gacaca qui lui ont permis de comprendre l’efficacité redoutable du génocide. Elle revient assez précisément sur l’étau dans lequel se trouvaient les victimes, pris entre les autorités administratives et le voisinage, ne leur laissant quasiment aucune chance de survie. Elle parle ensuite de son second travail de recherche portant sur les témoignages des enfants rescapés. Ces travaux, réalisés à partir d’un ensemble de cahiers d’écoliers, lui ont permis de saisir réellement la réalité du génocide. Elle explique le « monde inversé » que les enfants décrivent, comment il se sont retrouvés dénués de tous leurs repères infantiles, par les violences qu’ils ont pu observer, notamment sur leurs parents, par l’absence de protection des autres adultes, la violence qu’ils ont eux-mêmes vécues… Ainsi, dans une présentation très argumentée et organisée, Hélène Dumas livre l’ensemble de ses observations à la Cour. Très émue durant sa déclaration spontanée, elle permet de réellement ressentir la violence pouvant être présente dans les témoignages qu’elle a étudiés. Enfin, elle termine sa présentation en évoquant le dernier travail de recherche qu’elle conduit, portant sur les photos et le témoignage de sœur Milgitha Mihigita à Kaduha. Le Président prend la parole et commence à interroger l’historienne. Il posera d’abord toute une série de questions sur les Gacaca et sur le système judiciaire rwandais, avant et après le génocide. Il commence par lui demander quelle était la réponse judiciaire aux massacres ayant eu lieu avant 1994. L’intéressée déclare qu’il n’y en avait aucune, que dans toutes les archives qu’elle a pu consulter, elle n’a jamais trouvé de « requête » visant à obtenir justice pour les personnes massacrées à ces moments. Le Président Lavergne lui demande ensuite de décrire les spécificités des Gacaca, pourquoi elles ont été mises en place et comment elles fonctionnaient. Madame Dumas répond qu’en réalité les Gacaca se fondent sur un modèle traditionnel qui existait déjà bien avant 1994 et que, face au chaos post-génocide, ne permettant aucunement d’emmener les responsables devant des tribunaux classiques, il est devenu nécessaire de réfléchir à une forme exceptionnelle de justice. Si les Gacaca n’ont d’abord convaincu personne, ni les juristes, ni les rescapés, en réalité, elles se sont assez rapidement imposées comme la seule solution. L’historienne rappelle tout de même que, contrairement aux Gacaca « traditionnelles », les instances créées en 2001 reposent sur une loi organique et ont été de nombreuses fois modifiées. Cependant, interrogée en ce sens par le Président, elle précise que des dérapages ont pu avoir lieu. Sur les 12 000 juridictions, démontrant bien le caractère massif du processus, il y a effectivement eu des échecs. Enfin, Monsieur Lavergne demande à l’intéressée d’expliquer la difficulté qui peut être celle des rescapés à restituer ce qu’ils ont vécu. Madame Dumas déclare qu’elle a été assez étonnée dans le cadre de ses recherches car, plus que de l’oubli, elle a surtout observé l’hypermnésie des victimes. Si effectivement elles n’ont pas une précision dans leurs souvenirs que l’on pourrait attendre d’elles devant une Cour d’assises, elles ont encore des souvenirs extrêmement précis des événements. La parole est alors donnée aux conseils des parties civiles. Me Aublé, avocate d’Ibuka France, demande au témoin si elle peut présenter devant la Cour les discours qui ont pu être fabriqués par les responsables du génocide, une fois partis en exil, pour se dénuer de leurs responsabilités. L’intéressée répond qu’elle a également pu travailler sur les acteurs produisant un discours négationniste et qu’à cette fin, elle a étudié l’interrogatoire de Monsieur Jean Kambanda qui explique que des avocats belges se sont déplacés dans les camps de réfugiés en 1995 afin de s’adresser aux responsables du génocide et de leur indiquer la posture qu’ils devraient adopter s’ils étaient poursuivis, à savoir la négation de tous les faits, même les massacres. Maître Philippart prend la suite et interroge Madame Dumas sur la définition du terme « ennemi » et sur la signification qu’il pouvait avoir avant et pendant le génocide. L’historienne évoque ici l’existence d’un document produit par l’état-major des Forces armées rwandaises, daté de 1991, qui définit l’ennemi de façon très large, incluant non seulement les troupes du FPR, mais aussi tous les Tutsi de l’intérieur. Le conseil du CPCR lui demande ensuite si les rassemblements sur les collines étaient spontanés ou s’ils étaient organisés par quelque autorité, militaire ou administrative. A cette fin, le témoin explique que, selon elle, quand des gens sont rassemblés sur les crêtes d’une colline, où les pentes sont très aiguës, et donc d’où il est impossible de fuir, il est difficile de considérer que ces personnes se sont réfugiées spontanément afin de se protéger. Maître Gisagara s’approche du micro et demande à Madame Dumas si elle a des renseignements sur le statut des gendarmes. Cette dernière répond qu’elle n’a pas une connaissance très pointue sur ce sujet, mais que, dans le cadre de ses recherches sur la paroisse de Kaduha, elle a constaté que ce sont les gendarmes qui ont organisé le massacre. Enfin, l’avocat de la CRF lui demande de revenir sur le double langage qui a pu être utilisé pendant le génocide. L’historienne, parlant le kinyarwanda, présente quelques exemples. Le Ministère public est invité à prendre la parole et interroge ainsi Madame Dumas notamment sur les outils d’enfouissement qui avaient pu être utilisés lors du génocide. L’avocate générale lui demande également s’il était possible, pour la population, de reconnaître clairement les gendarmes. Le témoin répond que, même si les gendarmes ne viennent pas forcément des régions dans lesquelles ils sont affectés, ils sont très reconnaissables grâce à leurs uniformes. Le Parquet lui demande également si, à sa connaissance, comme leurs prérogatives le permettent, les gendarmes ont pu ouvrir des enquêtes à l’encontre des personnes responsables des massacres. Madame Dumas répond par la négative : « non, les personnes qui sont sensées protéger, participent en réalité aux crimes ». Enfin, l’historienne est interrogée sur la théorie du double génocide et sur son utilisation réalisée dans un but de négation du génocide, par la mise en parallèle de ce dernier avec les crimes commis par le FPR. Cette dernière répond que cette théorie négationniste est fréquemment utilisée afin de dépolitiser le génocide et de rejoindre les représentations racistes existant à l’époque, faisant ainsi passer le génocide pour une guerre interethnique. Enfin, Maître Guedj prend la parole pour la défense et commence son interrogatoire en demandant à Madame Dumas « quel était l’accès à l’éducation et aux emplois publics pour les Hutu, avant la révolution de 1959 ? ». L’historienne répond que cette période ne fait pas partie de son sujet de recherche et qu’il lui est donc impossible de répondre à la question de façon précise. L’avocat reprend ensuite les déclarations que le témoin a pu faire lors de l’instruction. Madame Dumas déclare que, parce que l’état de la recherche a évolué depuis, elle ne partage plus ces déclarations à l’heure actuelle et s’explique. Enfin, le conseil de Monsieur Hategekimana demande à l’intéressée si le Rwanda est une démocratie, ce à quoi elle répond : « je ne dirai pas que c’est une démocratie et je ne dirai pas l’inverse. Non ce n’est pas une démocratie ». L’audience est suspendue à 20h15 et reprendra le lendemain à 9h30.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France

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