Fiche du document numéro 32518

Num
32518
Date
Mardi 13 juin 2023
Amj
Auteur
Taille
42672
Titre
Procès de Philippe Hategekimana aux assises de Paris, 18ème jour - Compte rendu de l’audience du 7 juin 2023
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Le mercredi 7 juin, les audiences s’ouvrent par l’audition de Monsieur Eric Musoni. Détenu au Rwanda, il sera entendu par visioconférence. Ce dernier ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée et sera directement interrogé par la Cour. Le Président Lavergne commencera par revenir sur la situation de l’intéressé en 1994. Monsieur Musoni était agriculteur dans la commune de Ntyazo, plus précisément, dans la localité de Nyamukondo. Interrogé par le Président, il confirme avoir vu des gendarmes pendant le génocide : « Lorsque nous avons attaqué le secteur de Nyamure […] Biguma a emmené des gendarmes de Nyanza. Quand ils sont arrivés, je les ai rejoint et nous nous sommes rendus à Nyamure où les Tutsi s’étaient réfugiés au sommet ». Le témoin confirme ensuite une seconde fois que c’est bien Biguma qui dirigeait l’attaque et qu’il connaît son identité car la personne qui va le chercher, « Kompanyi », l’a désigné ainsi. Questionné ensuite sur la date à laquelle a eu lieu l’attaque, il déclare ne pas se rappeler du jour exact : « Vers le mois d’avril ». Cependant, il affirme que l’assaut a été lancé vers 14h et que les massacres se sont terminés aux environs de 16h. Monsieur Lavergne aborde ensuite sa condamnation par les juridictions Gacaca. L’intéressé déclare avoir toujours eu recours à la procédure de plaidoyer coupable. Il lui demande ensuite pourquoi il témoigne aujourd’hui à charge contre Biguma et notamment si c’est en vue d’une quelconque récompense ou facilité. Monsieur Musoni déclare : « Il n’y a aucun gain ni récompense, c’est pour dire la vérité ». Le Président Lavergne demande au témoin de se tourner vers le box et de dire s’il reconnaît la personne derrière les vitres. « C’est celui-là. C’est lui ». Il poursuit en demandant des précisions sur le déroulé de l’attaque de Nyamure, et notamment sur les véhicules et les armes utilisées. Aucun élément probant ne sera apporté pour le premier point. Concernant le second, Monsieur Eric Musoni dira qu’il y avait deux types d’armes « une arme, quand on la lançait, ça tombait de l’autre côté de la colline et ça faisait de la fumée. Elle tirait loin, on mettait quelque chose dessus et il y avait de la fumée qui montait, cela faisait l’effet d’une voiture qui brûlait ». Pour la seconde, « on la posait par terre […], elle était grande et quand on lançait ça brûlait tout et les gens brûlaient ». La parole est laissée aux avocats des parties civiles. Seule Maître Aublé posera deux questions au témoin afin de savoir s’il a pu participer à l’enfouissement des corps après l’attaque. Il répondra négativement. Le Ministère public prend la suite. Elles essaieront d’obtenir des éclaircissements sur la façon dont Monsieur Musoni a appris l’identité de Biguma. Il déclare qu’il était désigné par les gens de trois manières, sous les noms de Biguma, Philippe Hategekimana et sous le qualificatif d’adjudant-chef. Les avocates générales poursuivent par plusieurs questions revenant sur les détails des déclarations de l’intéressé. Enfin, Maître Altit prend la parole pour la défense. Comme à son habitude, il posera de nombreuses questions précises. Sur la date de l’attaque, le témoin ne pourra pas donner un jour précis, mais il déclarera : « C’était plus de 20 jours après l’attentat ». Aussi, l’avocat de Monsieur Manier rappelle que Monsieur Musoni n’avait pas reconnu son client sur les planches photographiques. Il s’étonne donc qu’aujourd’hui il puisse être aussi affirmatif. Enfin, il l’interroge sur sa condamnation et les conditions dans lesquelles il a plaidé coupable et été condamné. L’audition se termine.

Le deuxième témoin de la journée, Madame Charlotte Uwamariya, constituée partie civile auprès de Maître Philippart, est invitée à s’approcher du micro. Elle souhaitera commencer sa déposition par des déclarations spontanées dans lesquelles elle présente son parcours. Après avoir remercié la justice française et le Président Paul Kagame, elle commence son récit. Originaire de Mayaga, elle a dû, comme le reste de ses congénères, fuir son domicile quand la situation a commencé à empirer. Elle situe ce moment au 22 avril 1994. Le lendemain, avec les autres membres de sa famille, ils partent se réfugier sur la colline de Rwezamenyo. Cette dernière est attaquée très rapidement par un homme nommé Mathieu, un ancien assistant médical qui a remplacé Narcisse Nyagasaza en qualité de bourgmestre [il s’agit ici de Mathieu Ndahimana]. Elle décrit ensuite la façon dont ce dernier a massacré sa sœur avec une violence inouïe. Madame Charlotte Uwamariya poursuit en expliquant qu’ils se réfugient sur une autre colline. Là-bas, un bruit court selon lequel seuls les hommes seraient menacés et que les femmes et les jeunes filles pourraient retourner à leur domicile. Le témoin et les autres femmes de sa famille partent donc pour rentrer chez elle. Cependant, elles se rendent compte, trop tard, que personne ne sera épargnée. Nombre d’entre elles le paieront de leur vie, dont la mère, la tante et deux sœurs de la rescapée. Madame Uwamariya se cachera dans des buissons avec le peu de rescapés de la colline de Karama, jusqu’à l’arrivée des Inkotanyi. Le Président Lavergne prend la parole et essaye dans un premier temps de faire la lumière sur la localisation géographique des lieux mentionnés par le témoin. Il l’interroge ensuite sur la présence des gendarmes lors de l’attaque. Cette dernière déclare qu’elle ne les a pas vus de ses propres yeux, mais « quelques jours après, quand ils sont revenus, ils ont dit “Biguma est de retour”. […] Nous ne savions pas en quoi consistait les gendarmes, nous avons entendu “c’est l’attaque de Biguma” ». Maître Phillipart est invitée à s’avancer vers le micro afin de pouvoir demander des éclaircissements à sa cliente. Quelques réponses seront apportées, Madame Uwamariya ayant tout de même des difficultés à répondre précisément sur certains points. Enfin, Maître Karongozi tentera également de faire préciser les localisations géographiques des différents sites abordés par le témoin. Le Ministère public n’aura pas de questions et laissera donc la parole à la défense. Automatiquement, Maître Duque revient sur les remerciements que la rescapée a formulé à l’égard du Président Kagame. Aussi, elle rappelle que Monsieur Hategekimana n’est pas jugé ici pour les faits commis à Karama. Le Président rappelle que cela fera l’objet de discussions. Maître Philippart soutient que des parties civiles sont concernées par les faits commis à Karama. Enfin, les débats se concluront quand Monsieur Lavergne déclarera que « ce n’est pas le moment d’en parler », soutenu par le Ministère public.

Le troisième témoin de la journée, Monsieur Mathieu Ndahimana, sera entendu en visioconférence depuis le Rwanda. Il ne souhaitera pas faire de déclaration spontanée. Le Président Lavergne prend donc la parole. Il rappelle que ce dernier a été entendu de nombreuses fois en tant que témoin, au TPIR, devant les juridictions Gacaca au Rwanda, en Suède, au Canada et aujourd’hui en France. Monsieur Mathieu Ndahimana a été condamné à 30 années de réclusion criminelle et sortira de prison en 2027. Il explique qu’après avoir fui le Rwanda en 1994, il reviendra finalement dans son pays quelques années après pour se présenter aux officiers de police judiciaire et au procureur général car « je me sentais coupable, je me suis présenté pour témoigner et pour plaider coupable pour génocide ». Le Président poursuit ses questions sur la situation personnelle de l’intéressé qui déclare que sa femme est Tutsi et qu’elle a effectivement pu survivre au génocide car il a lui-même été très actif. L’interrogatoire continue et Monsieur Ndahimana reconnaît avoir connu Biguma avant le génocide, « à l’occasion d’une cérémonie d’élection du bourgmestre de Ntyazo ». Aussi, lors d’une seconde occasion, toujours avant le génocide, ils ont « partagé la boisson et de quoi manger », le témoin voulant remercier le policier pour avoir arrêté une personne sur le point de le cambrioler. Monsieur Lavergne demande donc à ce que les caméras se tournent vers le box de l’accusé et Monsieur Ndahimana dira : « Oui, je le vois, je le connais très bien. C’est lui ». Encore une fois, Monsieur Hategekimana déclarera qu’il ne se rappelle pas lui. Le Président aborde ensuite les attaques. Sur ces questions, le témoin affirme que « c’est Biguma et Birikunzira qui nous ont donné des gendarmes qui sont partis avec nous. C’est eux qui ont initié le génocide dans le secteur de Nyamure ; après ils nous ont mené à une attaque menée à Rwezamenyo ». Sur l’arrestation du bourgmestre Narcisse Nyagasaza, il déclare que cette dernière a eu lieu le 23 avril 1994. Il était présent à ce moment, « Biguma nous salue, il nous montre Nyagasaza et dit “voilà, ce monsieur nous l’emmenons” ». Le Président poursuit et demande au témoin s’il a effectivement tué « Mathilde » [la sœur de Charlotte Uwamariya entendue précédemment]. Il confirme qu’il lui a « arraché les yeux avec une machette ». L’interrogatoire continue. Monsieur Ndahimana est questionné sur les détails des différentes attaques. Il confirme à cette occasion que l’attaque de la colline de Nyamure « était dirigée par l’adjudant-chef Philippe Hategekimana », et que les gendarmes sont arrivés dans une « camionnette double cabine de couleurs blanche ». Finalement, le Président demande à l’intéressé s’il souhaite ajouter quelque chose. Ce dernier dira simplement : « J’aurais un conseil pour Philippe Hategekimana. C’est qu’il accepte de demander pardon pour ces faits. Ces faits qui lui sont reprochés sont reconnus, il nous a poussé à commettre ces crimes ». La parole est donnée aux avocats de parties civiles. Maître Karongozi pose plusieurs questions, permettant notamment à l’intéressé de confirmer qu’il a certainement été nommé bourgmestre parce qu’il avait « été très actif dans le génocide ». Maîtres Tapi et Gisagara prennent la suite, l’interrogeant notamment sur la présence ou non de certaines personnes parmi les victimes des attaques auxquelles il a participé. Les avocates générales demandent ensuite au témoin quelques précisions sur le véhicule utilisé par Biguma lors du génocide. Il décrit deux voitures : « Un pick-up double cabine », utilisé la majorité du temps, «  et un Toyota pick-up rouge ». Enfin, Maître Altit se lèvera pour la défense. Il évoquera l’arrestation de Narcisse Nyagasaza en soutenant qu’il existe différentes versions de cet évènement, dont l’une soutient que ce dernier a été tué par la population civile. Le conseil de Monsieur Manier poursuit en essayant de resituer le déroulé des évènements qui ont suivi l’arrestation. La compréhension est assez complexe. Enfin, il rappelle que dans l’une des auditions précédentes, Monsieur Ndahimana a donné une version totalement contraire sur la présence d’armes, soutenant donc que le témoin, pourtant sous serment, aurait menti. La déposition se termine ainsi.

Le quatrième et dernier témoin de la journée, Monsieur Ildephonse Kayiro, sera entendu en présentiel, sur demande du Ministère public. Il souhaitera faire une déclaration spontanée. Il avait 19 ans pendant le génocide et était hutu par son père uniquement, sa mère étant tutsi. Très rapidement après la chute de l’avion, on lui dit que « les Hutu doivent se séparer des Tutsi puisque le sort des Tutsi est scellé ». Menacé par ses demi-frères, issus du premier mariage de son père avec une Hutu, il tente alors d’aller dans la commune de Ntyazo, au niveau de la rivière de l’Akanyaru, afin de traverser la frontière vers le Burundi. Il y retrouve le bourgmestre Narcisse Nyagasaza qui essayait de trouver un chemin pour faire traverser ses compatriotes. Les gendarmes arrivent à ce moment et se saisissent du bourgmestre. « Il y avait parmi eux un gendarme gros de teint foncé » [une description qui correspond à celle qui a été faite à plusieurs reprises de Philippe Hategekimana]. Ce dernier donne un coup de pied à Narcisse. Par la suite, les gendarmes tirent sur les Tutsi qui essayent de fuir. Le Président prend la parole et fait remarquer que Monsieur Kayiro n’a jamais évoqué ces faits, ni devant les enquêteurs rwandais, ni devant les gendarmes français. Aussi, il fait remarquer que les éléments rapportés par le témoin ne correspondent pas aux versions données par d’autres. A savoir, le fait que Narcisse Nyagasaza était caché dans les papyrus, qu’il ait été frappé au niveau des dents puis attaché avec d’autres personnes. Ni les avocats des parties civiles ni le Ministère public ne souhaiteront prendre la parole. Maître Altit se dirige donc vers le micro. Il rappelle que lorsqu’une planche photographique a été présentée au témoin, ce dernier n’a pas su reconnaître Philippe Hategekimana. Celui-ci dira ne pas se rappeler de ce moment. Les questions se poursuivent et il s’avère que le témoin est particulièrement contradictoire. Il poursuivra sa déclaration spontanée en expliquant qu’il a également été témoin oculaire de l’attaque de Nyamure. Il a vu un véhicule rouge arriver en bas de la colline. A ce moment, les Tutsi réfugiés au sommet ont commencé à entamer un chant catholique. Les gendarmes et les Interahamwe sont alors montés et ont tiré sur la masse. « Ils ont tiré, tiré, tiré et celui qui arrivait à échapper aux balles se faisait tuer par ceux qui avaient des machettes ». Une fois que l’attaque est terminée, Monsieur Kayiro se cache dans un arbre pour échapper aux Interahamwe cherchant les fugitifs. Ces derniers « parlaient et disaient que c’est Biguma qui est venu avec les gendarmes pour tirer sur Nyamure. Ils disaient que s’ils n’étaient jamais venus en renfort, ils n’auraient jamais pu tuer les Tutsi car ils se défendaient avec des pierres ». Le Président reprend la parole et pose quelques questions. Maître Altit prend la suite et essaye de comprendre comment il est possible que le témoin, situé sur une autre colline, ait pu entendre les massacres à Nyamure et notamment les paroles du chant entonné par les réfugiés. Ce dernier déclare : « On ne peut pas entendre des gens parler mais on peut entendre des bruits de balle. Les gens étaient nombreux. Dans cette salle, si nous commençons à chanter, nos voix porteront loin. Quand nous avons enterré les corps, on a dit qu’à Nyamure on avait tué 16 000 personnes. Essayez de vous imaginer 16 000 personnes chanter. Vous tentez de détourner la vigilance de la Cour ». L’audition de Monsieur Kayiro se termine sur cet échange et les audiences sont suspendues pour ce jour.

Par Emma Ruquet

Commission juridique d’Ibuka France

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024