Fiche du document numéro 32643

Num
32643
Date
Vendredi 30 juin 2023
Amj
Taille
3079925
Surtitre
Cour d'assises de Paris statuant en premier ressort
Titre
Affaire Philippe Hategekimana devenu Manier : feuille de motivation
Lieu cité
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Mot-clé
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Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
A- SUR LES FAITS, LEURS QUALIFICATIONS JURIDIQUES ET L'EXISTENCE D'UN GENOCIDE ET DE CRIMES CONTRE L'HUMANITE DANS LA SOUS-PREFECTURE DE NYABISINDU :

I Sur la chronologie des évènements pertinents survenus entre le 6 avril et juillet 1994 :

La Cour et le jury ont considéré qu'au vu des débats, la chronologie des faits pertinents survenus au Rwanda et, plus particulièrement, dans l'ancienne préfecture de Butare s'établit comme suit :

En 1994, la préfecture de Butare était celle qui comptait la plus forte proportion de Tutsi au sein de la population rwandaise. Les deux ethnies y cohabitaient en bonne entente et les partis de l'opposition, comme le Mouvement démocratique républicain (MDR), le Parti social-démocrate (PSD) et le Parti libéral (PL) y avaient rencontré un certain succès remettant en cause la mainmise traditionnelle de l'ancien parti unique du MRND (Mouvement Révolutionnaire National pour le Développement). Butare était la seule préfecture dirigée par un préfet tutsi, Jean-Baptiste HABIYALIMANA. Entre 1992 et 1994, celui-ci a résisté à l'implantation des milices favorables au courant extrémiste« Hutu Power » et son action au début du génocide a permis un temps d'endiguer les massacres de la population tutsi au sein de sa préfecture. Il a notamment tenté d'éviter que les exécutions, les pillages et les incendies de maisons déjà en cours dans la préfecture de Gikongoro ne se propagent jusqu'à Butare.
La sous-préfecture de Nyabisindu comprenait les communes de Nyanza, Ntyazo, Rusatira et Muyira. Elle était l'une des trois sous-préfectures de Butare et avait à sa tête depuis le 22 mai 1991 le sous­ préfet Gaétan KAYITANA, un Hutu affilié au MRND.
Fin 1993, l'assassinat au Burundi du premier Président démocratiquement élu, Melchior NDADAYE, a provoqué l'arrivée massive de réfugiés burundais, installés dans deux camps dans les communes de Muyira et de Ntyazo. La présence de ces réfugiés dans la sous-préfecture de Nyabisindu a été un facteur de tensions politico-ethniques justifiant notamment la présence d'un détachement de gendarmerie auprès de ces camps.
La commune de Nyanza était l'ancienne capitale royale du Rwanda, dénommée Nyabisindu à l'époque du génocide. Elle était subdivisée en douze secteurs : Nyarusange, Gacu, Rwabicuma, Mushirarungu, Rwesero, Nyanza, Kibinja, Gahondo, Busasamana, Gahanda, Runga et Cyaratsi.
Le 6 avril 1994, l'avion ramenant le Président Juvénal HABYARIMANA, le Président du Burundi et plusieurs personnalités, dont le chef d'état-major des Forces armées rwandaises, était abattu lors de son atterrissage à Kigali. Dès le lendemain, la première ministre du gouvernement de coalition et son mari étaient assassinés ainsi que plusieurs ministres de la coalition et le Président de la Cour suprême. Le 9 avril 1994, un gouvernement intérimaire était installé. Les premiers massacres se déroulèrent dans la nuit du 6 au 7 avril 1994. Des barrières furent immédiatement érigé s dans la capitale et dans la majorité du pays. Des instructions furent données pour fermer les frontières.
La situation sécuritaire dans la sous-préfecture de Nyabisindu évoluait de façon dramatique ainsi que dans l'ensemble de la préfecture de Butare à la suite de la destitution le 19 avril 1994 du préfet Jean­ Baptiste HABIYALIMANA. En effet, simultanément, les plus. hautes autorités de l'État se déplaçaient à Butare, notamment le Président de la République Théodore SINDIKUBWABO et le Premier ministre Jean KAMBANDA. Lors de son procès devant le Tribunal Pénal International Pour le Rwanda (TPIR), Jean KAMBANDA a reconnu avoir, en sa qualité de premier ministre du gouvernement intérimaire, incité, aidé et encouragé des préfets, des bourgmestres et des membres de la population à commettre des massacres et des assassinats de civils, en particulier de Tutsi et de Hutu modérés, notamment en se rendant à Butare.
Le 19 avril 1994, à l'occasion de la cérémonie d'investiture du nouveau préfet de Butare, le Président Théodore SINDIKUBWABO a prononcé un discours qui a été compris comme étant un appel dénué de toute ambiguïté adressé à la population afin qu'elle massacre les Tutsi. Ce discours a joué un rôle majeur dans le déclenchement des grands massacres qui vont commencer juste après, notamment à Nyanza.
Le bourgmestre de Nyanza était Jean-Marie Vianney GISAGARA. Il a tenté' de s'opposer au génocide, notamment en faisant procéder à la mi-avril à des arrestations de personnes impliquées dans les tout premiers troubles visant des Tutsi survenus dans cette commune, dont un ancien militaire nommé Abel BASABOSE. Mais, ce dernier a été libéré très rapidement, vraisemblablement à l'instigation du sous-préfet KAYITANA, avec l'aide de la gendarmerie. Plusieurs témoins (Obed BAYAVUGE, Calixte GASIMBA, Emmanuel KAMUMUNGA, Festus MUNYANGABE et Israël DUSINGIZIMANA) ont évoqué les meurtres de personnalités tutsi dès le 19 avril à NYANZA comme ayant été un prélude aux massacres. Parmi ces premières victimes, le nom de RUGEMA, inspecteur de police judiciaire ayant contribué aux arrestations des premiers fauteurs de troubles, est souvent mentionné. Son cadavre ainsi que ceux d'autres personnes exécutées ont été vus par la population. Le bourgmestre Jean-Marie Vianney GISAGARA a dû s'enfuir et se cacher avant d'être arrêté. Philippe HATEGEKIMANA n'est pas poursuivi pour le meurtre de ce bourgmestre, mais les déclarations concordantes des témoins entendus à l'audience à ce sujet (notamment Odoratte MUKARUSHEMA, Didace KAYIGEMERA, Albert KABER,A, Israël DUSINGIZIMANA et Elie MUSHYITSI) font état de ce que Jean-Marie Vianney GISAGARA a été exhibé dans les rues de NYANZA en étant attaché à l'arrière d'un véhicule de la gendarmerie avant d'être exécuté publiquement aux environs du 24 avril.
Du 20 au 30 avril, les responsables militaires, administratifs et politiques de Butare et plus particulièrement de la sous-préfecture de Nyabisindu agirent pour rendre l'action de la préfecture conforme avec le programme mis en œuvre à l'échelon national. Tout en prétendant officiellement agir pour le« rétablissement de la sécurité» dans le pays, ils ont contribué à l'érection d'un réseau particulièrement dense de barrières pour y procéder à des contrôles meurtriers, à fermer les frontières, à livrer les maisons des Tutsi aux pillages, à les détruire, et à procéder à des attaques systématiques afin d'exterminer l'ensemble de la population tutsi dans les lieux où elle avait pu trouver refuge.
Le bourgmestre de la commune de Ntyazo a, comme celui de Nyanza, tenté de résister à la mise en œuvre du génocide. Plusieurs témoins ont indiqué que, dans un premier temps, Hutu et Tutsi se sont même unis pour assurer une défense commune. Cette situation a duré plusieurs jours jusqu'à ce que les Hutu soient informés sans aucune ambiguïté qu'en réalité seuls les Tutsi étaient attaqués et devaient être tués.
Le bourgmestre de Ntyazo, Narcisse NYAGASAZA, tentait de passer au Burundi avec des habitants de la commune. Il était également capturé et exécuté juste avant que ne survienne l'attaque et le massacre des réfugiés présents sur la colline de Nyabubare.
A Ntyazo, certains habitants, comme Mathieu NDAHIMANA, un assistant médical du centre de santé de Nyamure, ont demandé de l'aide aux autorités afin de pouvoir vaincre la résistance des Tutsi réfugiés notamment sur les collines de Nyamure et de Karama. Les massacres se sont alors intensifiés, avec le recours de gendarmes et d'assaillants dans les attaques de la colline de Nyamure et du site de l'Isar Songa. Ces attaques ont fait des milliers de victimes.

II Sur l'existence d'un génocide au Rwanda et plus spécifiquement dans la sous-préfecture de Nyabisindu entre le 6 avril et juillet 1994

La Cour d'assises de Paris considère que les évènements survenus au Rwanda entre le 6 avril et juillet 1994 caractérisent le crime de génocide tel que défini par l'article 211-1 du code pénal, à savoir des atteintes volontaires à la vie ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique de personnes, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi en tant que tel. A cet égard, il est indifférent que la catégorisation de la population du Rwanda et, en particulier, la distinction entre Hutu et Tutsi, ait reposé sur des bases arbitraires héritées de l'histoire sociale, coloniale, religieuse ou politique du Rwanda, dès lors que, en raison du contexte historique particulier de ce pays, la distinction entre ces deux groupes s'opérait en fonction de critères d'appartenance ethnique selon les lignées paternelles et était notamment officialisée par des mentions apposées à cet effet sur les cartes d'identité des citoyens rwandais.
L'existence d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi ressort clairement des analyses historiques de cette période, développées notamment par Alison DES FORGES, Hélène DUMAS, André GUICHAOUA, Jacques SEMELIN, Eric GILLET. Elles sont pleinement confirmées tant par les multiples témoignages de rescapés que par ceux de très nombreux anciens exécutants ayant fait état de façon constante d'atteintes volontaires à la vie et d'atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique à l'encontre de toutes les personnes considérées comme appartenant au groupe ethnique tutsi, quels que soient leur âge ou leur sexe et ce en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction t tale ou partielle des membres de ce groupe. C constat a, en outre, été partagé dès le 28 juin 1994 par le Rapporteur spécial de la Commission des droits de l'Homme des Nations Unies pour le Rwanda.
De même, depuis l'arrêt KAREMERA du 16 juin 2006, la chambre d'appel du Tribunal Pénal International pour le Rwanda considère qu'il n'existe plus de doute raisonnable quant à l'existence d'un génocide commis au Rwanda entre avril et juillet 1994 à l'encontre de la population tutsi et ce en raison du caractère systématique des tueries intervenues à l'échelle de tout le pays, et de l'intention d'exterminer un groupe ethnique défini, en l'espèce le groupe tutsi, puisque les victimes n'étaient pas choisies en raison de leur identité personnelle ou de leur appartenance réelle ou supposée au Front Patriotique Rwandais (FPR), mais en raison de leur seule appartenance au groupe tutsi. Il s'en déduit que les différents épisodes de massacres visés dans la décision de mise en accusation doivent être considérés comme s'inscrivant dans un plan concerté d'extermination systématique des populations tutsi, excluant totalement la juxtaposition de crimes individuels et isolés commis par des extrémistes incontrôlés.
Philippe HATEGEKIMANA a dit admettre l'existence d'un génocide commis à l'encontre des Tutsi et même en avoir été le témoin, mais il a insisté sur le fait que la gendarmerie en tant qu'institution n'avait pas de responsabilité dans les tueries de Tutsi et a imputé l'existence de tels faits commis à Nyanza et dans les environs à des extrémistes miliciens ou à des gendarmes provenant du nord du pays échappant à toute autorité. Il a par ailleurs fait valoir qu'il y avait eu des meurtres réciproques des membres des communautés hutu et tutsi, et a accusé le FPR d'être responsable de multiples massacres commis avant, pendant et après la période d'avril-juin 1994, affirmant, en particulier, qu'à la suite de l'attentat contre le Président HABIYARIMANA, survenu le 6 avril 1994, les 600 militaires du Front Patriotique Rwandais (FPR), stationnés au Conseil de Développement en application des accords de paix d'Arusha, et les « infiltrés », présents dans la capitale, avaient commencé à massacrer la population, le pays sombrant alors dans le chaos et la guerre.
Cependant, l'existence d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle du groupe ethnique tutsi apparaît indéniable au vu de la rapidité d'exécution et de la simultanéité des massacres visant spécifiquement les membres du groupe tutsi, de leur généralisation à l'ensemble du territoire, de la mobilisation des moyens civils et militaires de l'État, de la fermeture des frontières, de la mise en place de barrières sur les routes, du développement d'une propagande médiatique appelant à la haine inter-ethnique, de la distribution d'armes, des destructions et pillages des domiciles appartenant à des Tutsi, de la traque puis des attaques de civils réfugiés dans des écoles, des églises, des stades et des collines du territoire rwandais; et de l'exécution de ceux suspectés d'être Tutsi ou complices de l'ennemi (ibiyitso) et enfin, au vu de l'ampleur du nombre de victimes évalué à plusieurs centaines de milliers de personnes en trois mois. Un tel degré d'efficacité dans l'exécution des massacres de Tutsi permet d'affirmer que ce résultat inouï n'a pu être atteint qu'en raison d'une organisation collective reposant nécessairement sur un plan concerté tendant à exterminer le groupe ethnique tutsi. En outre, il sera relevé que ce projet de « liquider » la population tutsi dans son ensemble était présent à l'esprit de certains hauts responsables militaires rwandais depuis plusieurs années, comme en témoigne le général Jean VARRET, lequel a affirmé avoir eu un entretien, à la fin de l'année 1990 ou au début de l'année 1991, avec le général RWAGAFILITA, ancien chef d'état-major de la gendarmerie, au cours duquel ce dernier lui a demandé que des armes, notamment des armes lourdes et des munitions, soient livrées à cette fin.
Ce plan d'extermination s'inscrit dans la logique d'un processus historique et politique, fruit de théories raciales élaborées artificiellement et de choix idéologiques délibérés d'une élite cherchant à conserver le pouvoir en attisant la haine et la peur contre la minorité tutsi, le tout dans un contexte de guerre. L'attentat dirigé contre l'avion du Président Juvénal HABYARIMANA a constitué un moment de bascule où l'émotion exacerbée par la disparition du chef de l'État a été utilisée pour servir une propagande médiatique intense destinée à unir tous les Hutu dans une même haine et à légitimer l'élimination des Tutsi, en les présentant comme des ennemis devant être présumés complices par nature des combattants armés du FPR. Il est clair que si le gouvernement intérimaire installé le 9 avril 1994 était composé d'hommes politiques provenant de divers partis, ceux-ci se rejoignaient dans une même tendance extrémiste dite « Hutu Power », et qu'ils ont accédé au pouvoir en profitant du vide institutionnel causé par les assassinats ciblés de personnalités politiques de l'opposition qui étaient des modérés. Parallèlement à ces assassinats survenus juste après l'annonce de la mort du Président Juvénal HABYARIMANA, impliquant des militaires des Forces armées rwandaises particulièrement hostiles aux accords de paix d'Arusha, des tueries ont immédiatement pris pour cible des civils tutsi, en particulier à Kigali et dans plusieurs localités du Rwanda avant de s'étendre jusqu'à la préfecture de Butare.
S'agissant plus précisément des faits survenus dans la sous-préfecture de Nyabisindu, il est établi qu'un plan concerté en vue de l'exécution des Tutsi a aussi existé et a commencé à être mis en œuvre localement sur instructions des autorités civiles et militaires. Philippe HATEGEKIMANA lui-même a d'ailleurs notamment soutenu que le sous-préfet de Nyabisindu, Gaétan KAYITANA, avait participé à des distributions d'armes aux miliciens et avait demandé à son supérieur, le capitaine François­ Xavier BIRIKUNZIRA, de « laisser faire », ce à quoi, selon lui, son supérieur n'avait pu s'opposer. De telles explications tendant à présenter les responsables de la gendarmerie de Nyanza comme ayant été dépassés et impuissants face à la mise en œuvre du projet génocidaire ne sont pas crédibles compte tenu de l'importance des forces de gendarmerie présentes dans le ressort de cette sous-préfecture, des armes dont elles disposaient et de l'implication d'une grande partie de ces forces dans la mise en œuvre de ce plan.
Les témoins entendus à l'audience ont de façon constante rapporté que, à partir du 20 avril 1994, les premiers pillages accompagnés de meurtres.et d'incendies de maisons tutsi avaient été commis tant dans la ville de NYANZA que dans les différentes communes de la sous-préfecture, contraignant les populations concernées à s'enfuir de leurs domiciles parce qu'elles craignaient pour leur vie et ce alors que les médias, en particulier la Radio télévision libre des Mille Collines (RTLM), diffusaient des messages haineux incitant à l'extermination des Tutsi.
Les réfugiés tutsi ont tenté de se rassembler en grand nombre sur des collines, notamment là où quelques rares anciens militaires tutsi pouvaient les aider à se défendre. Les rescapés ont décrit avoir vécu dans des conditions d'hygiène et de sous-alimentation de nature à les affaiblir et avoir dû subir des attaques répétées de miliciens locaux armés d'armes traditionnelles, telles que des lances, des gourdins, des machettes. Ils ont exposé avoir pu dans un premier temps repousser ces attaques en utilisant des pierres ramassées par les femmes èt les enfants, mais, avoir dû, dans un deuxième temps, subir des attaques exterminatrices par des forces composées de gendarmes, de militaires et de policiers municipaux, utilisant des armes à feu, voire des armes lourdes, comme des mortiers dans des offensives précédant ou accompagnant des assauts par un nombre considérable d'assaillants constitués de civils et d'interahamwe locaux.
La Cour et le jury ont été convaincus que les attaquants des collines de Nyamure, de Nyabubare et du site de l'ISAR Songa ( Institut de Sciences Agronomiques du Rwanda), comme ceux qui ont tué des Tutsi aux barrières et lors de rondes mises en place localement dans la sous-préfecture de Nyabisindu, ont intentionnellement tué leurs victimes parce qu'elles étaient Tutsi et que, en outre, ces meurtres ont été précédés ou accompagnés dans ces différents lieux d'actes d'une particulière cruauté infligée avec l'intention de porter gravement atteinte à l'intégrité physique ou psychique des victimes, notamment en leur infligeant des blessures causant des souffrances aiguës pendant leur agonie, voire en les enterrant encore vivantes ou, pour certaines, en leur infligeant des violences sexuelles, le tout montrant une absence totale de considération pour la dignité humaine. La Cour et le jury ont notamment retenu les scènes atroces décrites par les survivants et, en particulier, par des parties civiles venues déposer à l'audience, mais aussi par nombre de tueurs eux-mêmes.
Durant les trois mois qu'ont duré les tueries et les violences commises indistinctement à l'encontre d'hommes, de femmes, d'enfants, de nourrissons et de personnes âgées, certaines de ces victimes ont été traquées, ont vécu dans la terreur et la crainte permanente d'être tuées de façon atroce. Celles qui ont réussi à survivre ont été contraintes de se cacher et de se déplacer constamment pour ne pas être repérées et ont été confrontées à des conditions de survie effroyables sans soins, ni nourriture suffisante.
La Cour et le jury ont donc considéré que l'existence du crime de génocide par atteintes volontaires à la vie ou atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique des victimes tutsi est parfaitement établie pour l'ensemble des sites visés par la décision de renvoi dans le ressort de la sous-préfecture de Nyanza, que ce soit à Nyanza, sur lès barrières de l'Akazu K'amazi, de Buguba, de Rwesero et de Mushirarungu, sur les collines de Nyabubare, de Nyamure ainsi que sur le site de l'ISAR Songa.

III Sur l'existence de crimes contre l'humanité résultant d'une attaque massive et systématique d'exécutions sommaires au Rwanda et plus spécifiquement dans la sous-préfecture de Nyabisindu entre le 6 avril et juillet 1994

La Cour et le jury ont été également convaincus que les évènements survenus au Rwanda entre le 6 avril et juillet 1994 constituent des crimes contre l'humanité tels que prévus et réprimés par l'article 212-1 du code pénal en vigueur au moment des faits, en particulier la pratique massive et systématique d'exécutions sommaires inspirée par des motifs politiques ou raciaux et organisée en exécution d'un plan concerté à l'encontre du groupe de population civile tutsi. A cet égard, il sera observé que si des combats ont pu avoir lieu dans la sous-préfecture de Nyabisindu entre les militaires des Forces armées rwandaises (FAR) et les militaires du Front patriotique rwandais (FPR), en particulier à partir de fin mai l 994 aucun élément de preuve ne permet de retenir la présence de militaires du FPR ou même d'« infiltrés du FPR » pouvant prétendre à un tel statut, sur les sites d'extermination, que ce soit aux différentes barrières, sur les collines de Nyamure, de Nyabubare ou encore sur le site de l'ISAR Songa, et que les victimes étaient quasi-exclusivement des civils hommes, femmes, enfants, personnes âgées qui, pour la quasi-totalité, n'avaient pas d'armes, si ce n'est des pierres, pour se défendre.
Par ailleurs, il ressort là aussi clairement des débats et des témoignages des historiens, des chercheurs et des rescapés que des exécutions systématiques et massives ou des actes inhumains; inspirés par des motifs politiques ou raciaux, ont été commis dans le cadre d'un plan concerté à l'encontre du groupe de population civile tutsi sur tout le ressort du Rwanda. Le Tribunal Pénal International pour le Rwanda a également fait le constat judiciaire de l'existence de crimes contre l'humanité commis au Rwanda à la période considérée et, avant lui, la commission d'experts nommés par le Secrétaire général des Nations Unies à la fin de l'année 1994 a conclu dans le même sens.
L'existence d'un plan concerté en vue de l'extermination de la communauté tutsi ressort des mêmes éléments que ceux exposés ci-dessus à propos de la mise en œuvre du génocide: - rapidité et propagation à tout le pays des opérations d'élimination et ce dès le lendemain de l'attentat contre l'avion du Président Juvénal HABYARIMANA, - existence de barrières sur l'ensemble du territoire du Rwanda, - fermeture des frontières, - développement d'une propagande médiatique appelant à la haine inter-ethnique, - distribution d'armes, - destructions et pillages des domiciles appartenant à des Tutsi, - attaques massives et systématiques commises à l'encontre de Tutsi réfugiés dans des écoles, des églises, des stades et des collines, - ampleur considérable du nombre de victimes décédées, blessées et traumatisées en l'espace de seulement trois mois.
Enfin, pour les mêmes motifs que ceux exposés ci-dessus la Cour et le jury considèrent qu'un plan concerté en vue de l'extermination de la communauté tutsi a bien été mis en œuvre localement dans la sous-préfecture de Nyabisindu et que les crimes commis constituent des crimes contre l'humanité ayant consisté notamment en une pratique massive et systématique d'exécutions sommaires d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de tortures ou actes inhumains, inspirés par des motifs politiques ou raciaux.

IV Sur le cumul idéal d'infractions

En vertu du principe du cumul idéal d'infractions, lorsqu'un même fait a porté atteinte à plusieurs valeurs sociales différentes ou lorsque plusieurs intentions ont animé l'auteur d'un seul comportement matériel, plusieurs qualifications pénales sont susceptibles d'être retenues.
En l'espèce, les incriminations pour crime de génocide et crime contre l'humanité, présentent des éléments constitutifs distincts, visant des valeurs protégées distinctes et des intentions criminelles différentes, distinction établie au vu des éléments détaillés ci-dessus.
En effet, le crime de génocide vise à protéger des groupes déterminés de leur destruction totale ou partielle. Les autres crimes contre l'humanité visent quant à eux la protection d'un groupe de population civile contre des atteintes à leur intégrité physique ou psychique, sans qu'il soit requis que les actes visés mettent à exécution un plan dont la finalité est sa destruction totale ou partielle. Le crime de génocide et les crimes contre l'humanité présentent donc des éléments constitutifs distincts et diffèrent quant aux valeurs protégées. Ainsi, les deux qualifications peuvent être retenues pour ces mêmes faits.
S'agissant du crime de participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un génocide ou de crime contre l'humanité; un cumul avec ces crimes suppose leur caractérisation par des actes matériels distincts. Un tel cumul n'est donc possible que si les éléments de fait permettant de caractériser la participation de Philippe HATEGEKIMANA à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation d'un génocide ou de crime contre l'humanité sont distincts de ceux caractérisant la commission de ces crimes en tant qu'auteur ou complice.

B- SUR LA RESPONSABILITE PENALE DE PHILIPPE HATEGEKIMANA

I Considérations juridiques sur la notion d'auteur, de co-auteur ou de complice de génocide ou de crimes contre l'humanité

Les articles 121-4 et 121-7 du code pénal définissent, d'une part, l'auteur d'un crime comme celui qui commet sciemment les faits incriminés et, d'autre part, le complice d'un crime comme celui qui, sciemment, par aide ou assistance en a facilité la préparation ou la consommation, mais aussi celui qui, par don, promesse, menace, ordre, abus d'autorité ou de pouvoir, aura provoqué à une infraction ou donné des instructions pour commettre le crime.
Si, en principe, l'auteur d'un crime est donc celui qui, en agissant sciemment, est directement l'auteur matériel des faits incriminés, il n'en demeure pas moins que l'article 211-1 du code pénal prévoit que « Constitue un génocide le fait, en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux, ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, de commettre ou de faire commettre, à l'encontre de membres de ce groupe, l'un des actes suivants : - atteinte volontaire à la vie ; - atteinte grave à l'intégrité physique ou psychique ; - soumission à des conditions d'existence de nature à entrainer la destruction totale ou partielle du groupe ; - mesures visant à entraver les naissances - transfert forcé d'enfants ».
Conformément aux normes existant au niveau international, la loi pénale française permet donc de considérer comme pénalement responsable en sa qualité d'auteur d'un génocide non seulement l'exécutant, auteur matériel direct des faits, mais aussi celui qui peut en être considéré comme l'auteur intellectuel pour s'être servi d'un ou d'exécutants matériels comme d'un simple outil ou instrument afin de faire commettre ce crime. S'il est nécessaire pour retenir la responsabilité pénale de cet auteur principal d'établir que celui-ci était animé d'une intention génocidaire, les exécutants matériels qu'il a manipulés peuvent ne pas être pénalement responsables de leurs actes - par exemple parce qu'agissant sous la contrainte - ou peuvent ne pas avoir été eux-mêmes animés par une intention génocidaire.
L'article 212-1 du code pénal qualifie pour sa part d'autres crimes contre l'humanité « la déportation, la réduction en esclavage ou la pratique massive systématique d'exécutions sommaires, d'enlèvements de personnes suivis de leur disparition, de la torture ou d'actes inhumains, inspirées par des motifs politiques, philosophiques, raciaux ou religieux et organisées en exécution d'un plan concerté à l'encontre d'un groupe de population civile ». La définition de ces autres crimes contre l'humanité, telle qu'énoncée à l'article 212-1 dans sa rédaction en vigueur à la date des faits, ne reprend pas expressément la référence à une commission directe ou par l'intermédiaire d'autrui (notion de mettre ou faire commettre). Pour autant, il convient de rappeler que la jurisprudence permet de qualifier de co-auteur celui qui assiste l'auteur des faits dans leur consommation, dès lors qu'il coopère nécessairement à leur perpétration. Ainsi, dans des scènes de violences celui qui, étant présent sur place, dirige ou encourage activement les autres personnes présentes à se livrer auxdites violences, peut être considéré comme en étant l'un des co-auteurs et non un simple complice.
S'agissant des personnes dont la responsabilité pénale peut être engagée en qualité de complice et non d'auteur, il convient de rappeler, s'agissant de l'élément intentionnel, que :
a) En matière de génocide, le complice doit avoir eu conscience que l'infraction envisagée consiste en un ou des actes de génocide - en l'occurrence des atteintes volontaires à la vie et/ou des atteintes graves à l'intégrité physique ou psychique et que cette infraction est ou va être commise en exécution d'un plan concerté tendant à la destruction totale. ou partielle d'un groupe national, ethnique, racial ou religieux ou d'un groupe déterminé à partir de tout autre critère arbitraire, en l'occurrence le groupe tutsi. Il n'est toutefois pas nécessaire de démontrer que Philippe HATEGEKIMANA poursuivi pour complicité ait été personnellement animé d'une intention génocidaire ou. qu'il ait personnellement adhéré au plan d'extermination du groupe de victimes concernées ;
b) S'agissant des autres crimes contre l'humanité, le complice doit avoir eu conscience que l'infraction envisagée consiste en un ou des actes constitutifs de crime contre l'humanité - en l'occurrence des atteintes volontaires à la vie sous forme d'exécutions sommaires ou d'atteintes graves à l'intégrité physique et psychique commises en application d'un plan concerté à. l'encontre d'un groupe de population civile, en l'espèce le groupe tutsi.
S'agissant de l'élément matériel de la complicité par instructions, il faut que ces instructions aient été données antérieurement ou concomitamment à la perpétration du crime en vue de sa réalisation. Par leur nature, les instructions données permettent de présumer que celui qui en est l'auteur avait l'intention de s'associer à la commission de ce crime. Il n'est toutefois pas requis d'établir que les instructions données ont été une condition nécessaire sans laquelle la commission du crime n'aurait pas eu lieu. Il est, cependant, nécessaire d'établir que le complice avait conscience que sa contribution, en l'occurrence les instructions qu'il a données, favorisait la commission du crime.

II Considérations générales sur la défense de Philippe HATEGEKIMANA et sur l'appréciation des éléments de preuve

Philippe HATEGEKIMANA a toujours contesté, jusqu'à l'audience, les faits mis à sa charge alléguant que l'accusation reposait sur des témoignages de personnes le mettant en cause, soit parce qu'elles avaient fait l'objet de pressions de la part du pouvoir en place à Kigali, soit parce qu'elles avaient été instrumentalisées par des associations de parties civiles, soit encore parce qu'elles étaient de mauvaise foi en espérant en retirer un bénéfice, comme des réductions de peine pour les témoins condamnés.
La Cour et le jury considèrent que ces moyens de défense ne peuvent résister à l'examen. En particulier, les nombreux témoins à charge, également visés par des poursuites, sont tous définitivement jugés, y compris, pour certains, à des peines de prison à perpétuité et, pour d'autres, définitivement libérés. Or, ils ont, dans l'ensemble, réitéré leurs témoignages en répétant de façon circonstanciée et globalement constante les faits qu'ils ont déclaré avoir personnellement vus. Leurs dépositions ont été confirmées au cours des débats, soit en leur présence devant la Cour d'assises de Paris, soit en visio-conférence depuis Kigali avec l'assistance seulement d'un interprète et dans des conditions excluant toute interférence au cours lesdites dépositions. De même, aucun élément tangible ne permet sérieusement de donner corps à la thèse d'une persécution politique dont Philippe HATEGEKIMANA serait victime de la part des autorités rwandaises actuellement au pouvoir.
Par ailleurs, si la Cour et le jury ont pu observer des contradictions dans certains témoignages, ces divergences peuvent s'expliquer par le décalage temporel (29 années depuis les faits), par les chocs émotionnels provoqués par les évènements, de même que par des difficultés d'expression, voire de compréhension. Aussi, les témoignages recueillis ne doivent pas être envisagés isolément, mais doivent être appréciés en tenant compte de leur cohérence globale et en les confrontant, au-delà de leur valeur intrinsèque, au calendrier et à l'enchaînement des évènements, à la localisation et au
positionnement de Philippe HATEGEKIMANA.
Pour apprécier la crédibilité des témoins ayant identifié Philippe HATEGEKIMANA et afin de tenir compte des écarts pouvant être induits par des erreurs de perception et des limites de la mémoire humaine il a été recherché- si lès témoins ont pu avoir connu Philippe HATEGEKIMANA avant l'infraction lors d'une occasion propre à permettre aux témoins de le reconnaître. De même, la Cour et le jury ont analysé la fiabilité des témoins en examinant la cohérence et la constance de leurs dépositions, les conditions dans lesquelles ils ont pu observer Philippe HATEGEKIMANA, les contradictions pouvant être relevées dans les témoignages ou dans l'identification de celui-ci, l'influence éventuelle de tiers, l'existence d'un état de stress majeur au moment des faits, l'effet du laps de temps écoulé entre les évènements et la déposition des témoins, et la crédibilité générale des témoins. S1agissant des allégations concernant le parti-pris de certaines parties civiles, l'interférence des associations de parties civiles dans le recueil des preuves et, en particulier, l'accusation contre le Collectif des parties civiles pour le Rwanda (CPCR) de recourir à de faux témoignages, la Cour et le jury observent que les risques de partialité ont été pris en compte, que les informations recueillies ont été vérifiées tant au cours de l'information qu1à l'audience et que le recours délibéré à de faux témoignages n'est absolument pas établi.
Enfin, il convient de souligner que contrairement à ce que la défense a avancé à de multiples reprises, des témoignages indirects reposant sur des ouï-dire ne sont pas« irrecevables ». En effet, ces témoignages sont soumis au pouvoir souverain d'appréciation de la Cour et du jury. Ils ne peuvent en principe suffire à eux-seuls à convaincre de la culpabilité d'un accusé, mais c'est à la Cour et au jury d'apprécier la valeur probante qui peut leur être attribuée au vu de l'ensemble des éléments de preuve qui leur ont été présentés, notamment lorsque ces témoignages apparaissent corroborés par d'autres éléments tels que des preuves matérielles ou des témoignages directs.

III Sur la conduite de l'intéressé après les faits reprochés, sur l'alibi allégué et sur l'usage du surnom BIGUMA

Philippe HATEGEKJMANA est arrivé en France en 1999 et a obtenu, comme il l'a d'ailleurs lui­ même reconnu, un statut de réfugié en fournissant une biographie totalement mensongère et de faux documents, en particulier une fausse carte d'identité au nom de Philippe HAKIZIMAN A qui lui aurait été délivrée alors qu'il était au camp de réfugiés de Kashusha, en République démocratique du Congo, par Didace HATEGEKJMANA, ancien maire de sa commune de naissance, Rukundo, condamné pour sa participation au génocide. Ce dernier aurait, selon les propres déclarations de Philippe HATEGEKIMANA à l'audience, pris soin de s'enfuir du Rwanda en emportant un lot de cartes d'identité vierges. Plus d'un an auparavant, son épouse était elle-même venue en France, en prétendant déjà être l'épouse de celui qu'elle dénommait Philippe HAKIZIMANA et en fournissant à l'appui de sa demande d'asile un récit tout aussi mensonger que celui que fournira Philippe HATEGEKJMANA.
Au vu de ce contexte, l'utilisation d'une fausse carte d'identité au nom de Philippe HAKIZIMANA présentée pour pouvoir entrer en France, puis son changement de nom en MANIER par suite de sa naturalisation, démontrent non pas une démarche motivée par un souci de protection de ses enfants, comme il l'a allégué, ni un simple mensonge pour taire son ancienne appartenance à la gendarmerie rwandaise, au motif que cette qualité aurait pu, à elle seule, nuire à sa demande d'asile en France, mais bien un plan concerté avec son épouse destiné à éviter son identification et une volonté évidente d'occulter tout lien avec son passé, en particulier en tant qu'ancien adjudant-chef du groupement de gendarmerie de Nyanza.
Cependant, malgré une vie discrète en Bretagne, Philippe HATEGEKIMANA va être mis en cause pour la première fois dans un courrier anonyme adressé à ses. employeurs en 2012. Il y est décrit comme étant un ancien gendarme de Nyanza impliqué dans le génocide des Tutsi. Il dépose une main courante auprès des services de police de Rennes pour dénonciation mensongère. Puis, un article, paru dans la presse locale en juin 2015, va lui apprendre qu'il serait concerné par une plainte le visant, déposée par le CPCR.
Au début de l'année 2017, il est licencié de son emploi d'agent de sécurité à l'Université RENNES 2 en raison de ses absences. Après quelques missions dans le cadre de contrats à durée déterminée, il se retrouve au chômage en septembre 2017 et quitte la France le 13 novembre suivant pour se rendre à Yaoundé, au Cameroun, où réside sa fille. Il obtient à cet effet un visa de trois mois pour séjour « humanitaire » en ayant présenté un faux certificat. Il se maintient sur le territoire camerounais au­ delà de la durée de son visa initial et perd le prix de son billet de retour. Le 23 mars 2018, un mandat d'arrêt international est décerné à son encontre. Il est finalement interpellé le 31 mars 2018 à l'aéroport de Yaoundé alors qu'il s'y rend pour chercher son épouse, Jacqueline NYIRABAGENZI, venue le rejoindre. Il fait l'objet d'un décret d'extradition par les autorités camerounaises, le 30 novembre 2018, et il est remis à la France, le 15 février 2019.
La directrice d'enquête en charge des premières investigations réalisées par l'OCLCH, l'adjudante Emilie CAPEILLE, a relevé que Philippe HATEGEKIMANA avait résilié sa ligne téléphonique en France depuis le 20 décembre 2017 et ne s'était pas présenté à un rendez-vous en février 2018 avec un conseiller de Pôle Emploi. Elle a indiqué que son attitude lui laissait supposer que l'intéressé avait cherché à fuir.
Une perquisition est effectuée en avril 2018 au domicile de Philippe HATEGEK.IMANA alors que celui-ci est détenu au Cameroun. A l'issue de cette perquisition, plusieurs documents sont découverts et placés sous scellés. Ceux-ci démontrent que Philippe HATEGEKIMANA a manifestement tenté bien avant son interpellation de préparer sa défense. Les documents saisis, dont plusieurs d'entre eux ont été lus à l'audience, notamment un document intitulé « Projet de Papa », où figurent, entre autres, les mentions « Liste officiel (sic) à trouver comme preuve » et « Mettre les choses dans l'ordre avant même de trouver les témoins », permettent de retenir que les alibis aujourd'hui invoqués ont, à tout le moins, fait l'objet de discussions au sein du cercle familial. Aucun des enfants de Philippe HATEGEK.IMANA n'a été entendu à l'audience, et l'épouse de celui-ci a invoqué des difficultés de santé pour ne pas témoigner, ceci rendant impossible le recueil de réponses claires de l'entourage familial sur les motifs du voyage de Philippe HATEGEKIMANA au Cameroun ou sur la sincérité de ses démarches. Il peut néanmoins être admis que son départ au Cameroun, en 2017, traduit, à tout le moins, une volonté de séjourner très loin de la France à un moment où il se sait identifié en sa qualité d'adjudant-chef au groupement de Nyanza et susceptible d'être inquiété à la suite de la plainte du CPCR.
C'est dans ce contexte que Philippe HATEGEKIMANA réfute toute responsabilité dans les crimes qui lui sont reprochés en soutenant pour l'essentiel qu'il n'était pas présent à Nyanza lors de leur commission, puisqu'il avait fait l'objet d'une mutation et qu'il était à Kigali au camp de Kacyiru où il avait intégré des forces engagées dans des combats contre le FPR avant de devenir le chef d' escorte chargé de la protection du colonel Laurent RUTAYISIRE.
Il est observé, en premier lieu, que les faits reprochés à Philippe HATEGEKIMANA se situent dans une période pouvant être comprise pour l'essentiel entre le 20 et le 30 avril, voire jusqu'à la mi-mai 1994 pour les plus récents. Or, l'alibi invoqué par Philippe HATEGEKIMANA n'apparaît aucunement établi.
En effet, il convient de souligner que Philippe HATEGEKIMANA a manifestement varié dans ses déclarations, se référant, dans un premier temps, à la date du 18 avril comme date de son départ pour le camp de Kacyiru, à Kigali, puis indiquant être parti soit le 20, soit le 23 avril, voire le 25 avril, en tout cas avant le 30 avril, avant d'affirmer ensuite qu'il serait parti dans la deuxième quinzaine d'avril sans pouvoir en préciser la date. De même, dans un premier temps, il a affirmé que jusqu'à son départ, la situation était parfaitement calme à Nyanza et qu'il ignorait les raisons de sa mutation.
Ultérieurement, il a soutenu qu'en fait la situation était devenue hors de contrôle, car des gendarmes extrémistes se mêlaient à des miliciens interahamwe pour participer à des tueries et n'obéissant plus aux ordres de leur hiérarchie. Il a aussi affirmé que, en réalité, il avait lui-même été menacé par des gendarmes extrémistes lui reprochant de se montrer trop modéré et que sa mutation avait été décidée pour le protéger. Ces variations, ainsi que son animosité publiquement exprimée envers les Tutsi telle que rapportée par de nombreux témoins, sont cependant de nature à ôter toute crédibilité à ses propos.
Par ailleurs, aucun des officiers de la gendarmerie, ni aucun de ses subordonnés entendus comme . témoins n'ont confirmé cet alibi. Ainsi, le major Cyriaque HABYARABATUMA, chef du groupement de gendarmerie de la préfecture de Butare, muté au camp de Kacyiru le 19 avril 1994, avec environ 80 de ses hommes, a déclaré n'avoir jamais vu Philippe HATEGEKIMANA à Kigali. Il a, en revanche, confirmé que Philippe HATEGEKIMANA était connu pour son animosité envers les Tutsi. Il s'est déclaré surpris par la mutation alléguée par l'intéressé. Il a par ailleurs ajouté que son supérieur à Nyanza, le capitaine BIRIKUNZIRA, était un homme originaire du nord du Rwanda, lié à l'Akazu, un groupe influent proche du Président Juvénal HABYARIMANA, et qu'il avait appris que les gendarmes de Nyanza « s'étaient mal comportés ».
Le général Augustin NDINDILIYIMANA, ancien chef d'état-major de la gendarmerie rwandaise, a fait des déclarations assez confuses indiquant tout à la fois avoir entendu parler de Philippe HATEGEKIMANA pour la première fois pendant son propre procès devant le TPIR et affirmant, par ailleurs, que la mutation de celui-ci avait eu lieu vers la mi-mai et avait été décidée en raison de son comportement notamment vis-à-vis des gendarmes tutsi et du manque de confiance qu'il inspirait. Il a confirmé qu'une réunion avec le Président SINDIKUBWABO, à la suite de laquelle il était apparu nécessaire de renforcer notamment son service de protection et celui du colonel RUTAYISIRE, s'était tenue le 17 mai 1994.
Laurent RUTAYISIRE, ancien colonel de la gendarmerie rwandaise et ancien responsable des services de la sûreté extérieure, entendu au cours de l'instruction, a refusé de venir témoigner à l'audience. Il a, cependant, adressé un courrier qui a été lu et versé aux débats, en indiquant qu'il n'avait été témoin d'aucun des évènements survenus à Nyabisindu en avril 1994, qu'il ignorait même que Philippe HATEGEKIMANA y avait été affecté et avait bénéficié, à compter de la mi-mai 1994, d'un renfort de gendarmes comprenant Philippe HATEGEKIMANA pour assurer sa protection. S'agissant des épisodes au cours desquels Philippe HATEGEKIMANA aurait participé à sa demande à l'évacuation de personnalités tutsi ou hutu modérées, les éléments recueillis, y compris l'audition de Charles MPORANYI à l'audience, ne permettent pas de dater avec certitude ces évènements, ni même de corroborer la participation effective de Philippe HATEGEKIMANA à ces faits. En tout état de cause, une participation ponctuelle au sauvetage d'individus tutsi en danger ne saurait démontrer à elle seule une volonté de s'opposer à la politique génocidaire alors mise en œuvre, en particulier lorsqu'il s'agit de l'exécution alléguée d'ordres reçus de sa hiérarchie.
Jean-Marie-Vianney NZAPFAKUMUNSI, devenu MUNSI, était commandant de la compagnie de l'aéroport de Kanombe jusqu'en mai 1994, et par ailleurs officier « S3 » du camp de Kacyiru, en charge de coordonner les opérations de combat contre le FPR. Philippe HATEGEKIMANA a soutenu, au. cours de l'instruction, que lors de son arrivée au camp de Kacyiru, il s'était présenté au colonel NZAPFAKUMUNSI ainsi qu'à son supérieur le colonel NYILIMANZI. Il a précisé que ceux-ci donnaient leurs instructions à partir du sous-sol d'un bâtiment où ils étaient cachés lors de bombardements et où il y avait des radios. Cependant, ce témoin a déclaré ne pas avoir de souvenir de la scène décrite, et ne se rappelait pas davantage avoir vu Philippe HATEGEKIMANA au camp de Kacyiru. Il n'a fourni aucun élément venant corroborer l'alibi allégué.
Calixte KANIMBA, qui commandait une compagnie de gendarmerie au camp de Kacyiru, notamment d'avril à début juillet 1994, a indiqué avoir vu Philippe HATEGEKIMANA à ce camp, mais, selon lui, il était venu avec le détachement de gendarmes de Butare du major Cyriaque HABYARABATUMA. Toutefois, comme indiqué plus haut, Cyriaque HABYARABATUMA a constamment affirmé que Philippe HATEGEKIMANA n'était pas venu avec lui et qu'il ne l'avait pas vu à Kigali. Calixte KANIMBA a précisé que Philippe HATEGEKIMANA n'était pas sous ses ordres à Kacyiru et qu'il ne comprenait pas comment celui-ci avait pu faire l'objet d'une mutation à titre individuel. La déposition de ce . témoin apparaît isolée et contredite par Cyriaque HABYARABATUMA. Elle ne permet pas de corroborer l'alibi de Philippe HATEGEKIMANA.
Angélique TESIRE, secrétaire du commandant de compagnie à Nyanza, a de façon constante déclaré que non seulement Philippe HATEGEKIMANA s'était montré « acharné » dans sa haine envers les Tutsi, mais surtout qu'il n'avait pas quitté Nyanza avant qu'elle-même ne soit mutée à Kacyiru, à la mi-mai. Même si l'intéressée était d'origine tutsi et avait eu à subir des accusations infondées d'avortement de la part de Philippe HATEGEKIMANA, son témoignage apparaît néanmoins crédible. Elle apparaît, en effet, mesurée dans ses déclarations et indique même que sa sœur a été aidée dans sa fuite par Philippe HATEGEKIMNA, qui se rendait à KIGALI dans la« deuxième quinzaine de mai ». Sa crédibilité est d'ailleurs renforcée par plusieurs autres témoignages dont ceux de certains de ses collègues. Ainsi, la présence de Philippe HATEGEKIMANA à Nyanza jusqu'au mois de mai ressort également des déclarations de Didace KAYIGEMERA, Pélagie UWIZEYIMANA et Odoratte MUKARUSHEMA.
De même, de nombreux témoins, notamment les conseillers Israël DUSINGIZIMANA et Mathieu NDAHIMANA, comme de simples habitants, victimes survivantes (François HABIMANA, Valens BAYINGANA, Emmanuel KAMUGUNGA, Silas MUNYAMPUNDU) ou anciens assaillants (Albert KABERA, Elie MUSHYITSI, Jacques MUSABYIMANA, Hamza MINANI), qui justifient avoir indiscutablement connu Philippe HATEGEKIMANA avant avril 1994, ont déclaré l'avoir vu à Nyanza ou sur les sites de crimes et ce jusqu'au moins fin avril 1994. Leurs récits apparaissent globalement constants et cohérents et permettent d'exclure l'idée d'un récit fabriqué répété par des témoins« préparés » dans le cadre d'un complot fomenté par les autorités actuellement en place au Rwanda contre Philippe HATEGEKIMANA au motif qu'il serait un opposant politique au régime du Président KAGAME.
Philippe HATEGEKIMANA devenu Philippe MANIER a contesté à l'issue des débats être surnommé BIGUMA et a laissé sous-entendre qu'il serait possible qu'il ait été confondu avec d'autres personnes qui se seraient également surnommées BIGUMA.
Cependant, là encore, bien que les déclarations de l'intéressé aient été particulièrement variables, il a indiqué à de multiples reprises qu'il était bien surnommé BIGUMA, donnant même des explications précises sur l'origine de ce sobriquet qui lui avait été attribué depuis qu'il était tout jeune et qui, selon lui, l'avait« suivi parce qu'il était facile à retenir ».
Il a, en outre, précisé être connu dans la région de Nyanza comme étant BIGUMA, notamment parée qu'il présidait la commission des permis de conduire.
Il s'avère aussi qu'il est originaire de la commune de Rukundo, laquelle est très proche de Nyanza, qu'il a séjourné longtemps dans cette ville, puisqu'il y a fait plusieurs années de ses études et qu'il y compte de. nombreuses relations, notamment parmi les membres de la famille de son épouse qui habitent dans cette localité.
Par ailleurs, les auditions des multiples personnes ayant personnellement connu Philippe HATEGEKIMANA sous le nom de BIGUMA, notamment ses collègues, ne permettent en aucune façon de douter qu'il a é(é porteur de ce surnom.
Une écoute téléphonique a révélé que le surnom de BIGUMA était encore utilisé par ses connaissances et par son épouse lors de l'enquête.
S'agissant des risques d'une éventuelle confusion de personnes, il convient d'observer qu'il est à l'évidence le seul adjudant-chef de gendarmerie à Nyanza surnommé BIGUMA, et que la crédibilité des témoins le mettant en cause ne saurait être contestée du seul fait que ceux-ci ont fait référence au nom de BIGUMA.
L'existence alléguée d'un autre militaire instructeur ou d'un habitant de la commune de Rusatira impliqué dans des faits de génocide, tous deux porteurs du même surnom, ne permet pas sérieusement de retenir l'existence d'une confusion entre ces personnes et Philippe HATEGEKIMANA en tant qu'adjudant-chef à la compagnie de Nyanza.

IV Sur l'analyse de la responsabilité pénale de Philippe HATEGEKIMANA au regard de chacun des différents faits visés dans l'acte d'accusation

1- Sur le rôle de Philippe HATEGEKIMANA au sein de la gendarmerie de Nyanza

Philippe HATEGEKIMANA a été affecté à la brigade territoriale de Nyanza vers avril 1993. Une partie importante des attributions de cette brigade concernait des missions de police judiciaire. Philippe HATEGEKIMANA a d'ailleurs indiqué qu'il menait des enquêtes, et ceci est parfaitement cohérent avec les déclarations tant de Mathieu NDAHIMANÀ, qui a indiqué avoir notamment connu Philippe HATEGEKIMANA à l'occasion d'une enquête concernant un individu qui l'avait escroqué, que de Valens BAYINGANA, qui a déclaré avoir reconnu Philippe HATEGEKIMANA après s'être souvenu que celui-ci s'était déplacé près de chez lui et avait organisé une réunion dans le cadre d'une enquête concernant un meurtre.
Début 1994, Philippe HATEGEKIMANA a été muté à la compagnie de gendarmerie de Nyanza en qualité de sous-officier d'unité placé sous l'autorité de Capitaine BIRIKUNZIRA. Il a décrit son rôle comme étant celui d'un sous-officier de compagnie et a indiqué : « Je gérais le personnel de l'unité, c'est-à-dire de toute la compagnie, c'est comme si j'étais le DRH de la compagnie. J'établissais les heures de garde, la distribution des repas, j'étais le secrétaire de la commission des permis de conduire, c'était la gestion du personnel ».
Il gérait donc tout le personnel de la compagnie et s'occupait de la répartition des gendarmes sur le ressort de la compagnie en fonction des besoins, c'est-à-dire sur l'ensemble de la sous-préfecture, y compris pour la gestion d'un détachement de gendarmes à NTONGWE, là où se trouvaient des réfugiés burundais.
Les effectifs de la compagnie territoriale de Nyanza ont pu être estimés entre 100 et 120 personnes, parmi lesquels une petite minorité de gendarmes tutsi. L'ensemble des gendarmes d'un rang subalterne et notamment tous les caporaux de la compagnie étaient sous son autorité en tant que sous­ officier de compagnie et partie intégrante du commandement de ladite compagnie. Les témoignages des anciens gendarmes de la compagnie de Nyanza qui ont été entendus comme témoins permettent de retenir que Philippe HATEGEKIMANA secondait le capitaine BIRIKUNZIRA, commandant d'unité, et ses adjoints, dont le sous-lieutenant NTAWIRINGIRA, chargé des opérations extérieures. S'agissant du sous-lieutenant DUSABE, les témoins ont été incapables de décrire les activités exactes de ce dernier, certains indiquant même qu'ils pensaient qu'il était Tutsi. En sa qualité de sous-officier de compagnie, Philippe HATEGEKIMANA organisait des réunions régulières pour répartir les missions attribuées aux gendarmes sous son autorité. Il se déplaçait sur les lieux où ces missions devaient être exercées, notamment pour s'assurer que les intéressés disposaient des moyens et du ravitaillement nécessaire à l'exercice de leurs missions. Ainsi, comme l'a indiqué le témoin Pélagie UWIZEYIMANA, chaque matin, les membres du personnel savaient ce qu'ils devaient faire.
Les gendarmes de cette compagnie étaient équipés d'armes automatiques, comme des FAL (fusils automatiques légers) ou des R4 (fusils automatiques). En outre, la compagnie était dotée d'une mitrailleuse à gaz (MAG) et d'un mortier de 60 mm, ce que l'intéressé a lui-même reconnu. Les armes et munitions étaient placées dans un magasin d'armes, dont la localisation a pu être établie lors de la remise en situation. Le gendarme en charge du magasin d'armes était le caporal Jean-Baptiste NTIBAKUNZE.
Dans une déclaration faite devant le juge d'instruction et qui a été lue à l'audience, Philippe HATEGEKIMANA a indiqué que le mortier de 60 mm « est un mortier avec des petites bombes. C'est le plus petit des mortiers. Quand vous tirez, la trajectoire est une courbe ». S'il a contesté qu'un tel armement ait pu être utilisé par sa compagnie pour tirer sur la population, il est clair qu'il connaissait parfaitement l'intérêt de l'utilisation d'un tel équipement, précisant qu'il s'agissait d'une « arme d'appui pour l'infanterie » et que « c'est une arme qu'on peut utiliser contre un ennemi qui a aussi du mortier ou des armes lourdes ». De même, il était parfaitement informé de la dangerosité d'un tel mortier de 60 mm puisqu'il a précisé : « On sait que si vous tirez une bombe, les éclats peuvent aller jusqu'à une dizaine de mètres et tuer les gens ou les blesser. Ce n'est pas une arme qu'on peut utiliser comme ça, sortir comme ça ».
Il a souligné que ce mortier ne pouvait effectivement pas être sorti du magasin d'armes sans l'autorisation du commandement de la compagnie, déclarant « Le magasinier ne peut pas ouvrir le magasin sans l'accord du commandement » et « Il n'aurait pu passer outre cette autorisation car cela était trop grave ». Il a ensuite refusé de répondre lorsqu'il lui a été fait remarquer que, selon ses déclarations, certains gendarmes allaient « tuer des Tutsi sans autorisation », que l'on pouvait s'interroger sur qui empêcherait ces derniers de prendre ce mortier de 60 mm sans autorisation. Sur ce point, il sera rappelé que le caporal NTIBAKUNZE, responsable du magasin d'armes, a été désigné par Philippe HATEGEKJMANA comme ayant été l'un des gendarmes « indisciplinés », avec les caporaux MUSAFIRI et CESAR, lesquels auraient commis des exactions et l'auraient même menacé. Ceci permet de considérer que les explications de Philippe HATEGEKIMANA sur les crimes commis par des gendarmes « indisciplinés » agissant totalement hors de contrôle de leur hiérarchie ne sont absolument pas crédibles. De même, compte tenu du nombre d témoins ayant vu Philippe HATEGEKIMANA mettre cet équipement dans le véhicule avant de partir sur des sites d'attaques ou se servir de celui-ci lors Par ailleurs il est établi que les officiers de la compagnie, ainsi que Philippe HATEGEKIMANA, en tant qu'adjudant-chef, étaient porteurs d'un pistolet. Angélique TESIRE a confirmé avoir vu que Philippe HATEGEKIMANA lui-même, portait un « petit pistolet ». Or, il convient de souligner que de nombreux tém0ins ayant été présents sur les sites de crimes ont mentionné que celui-ci était porteur ou avait fait usage d'une telle arme, notamment lors de l'attaque de la colline de Nyamure.
Philippe MANIER a indiqué que la compagnie de gendarmerie était dotée d'un camion Mercedes Benz kaki à bâche et d'une camionnette rouge Toyota à l'usage du commandement. La présence de ce dernier véhicule sur plusieurs sites de crimes, notamment les barrières ou la colline de Nyamure, a été rapportée par de multiples témoins.
De même, de très nombreux témoins ont de façon constante et très cohérente fait état de ce que les gendarmes, dont Philippe HATEGEKIMANA, avaient utilisé un véhicule de type camionnette de couleur blanche, voire« blanc sale », équipé d'une cabine et d'un plateau à l'arrière. La description de véhicule apparaît de façon quasi-constante dans la quasi-totalité des témoignages concernant les faits s'étant commis le 23 avril depuis la capture du bourgmestre NYAGASAZA; la capture d'un groupe de Tutsi, le passage du véhicule au camp de gendarmerie de Nyanza, suivi des exécutions sommaires des personnes capturées, puis l'attaque de la colline de Nyabubare.
Le recoupement de nombreux témoignages montre que Philippe HATEGEKIMANA a eu à sa disposition de multiples véhicules, dont certains avaient été pillés et dont il s'avère qu'ils étaient présents sur les sites de crimes litigieux.
Enfin, il sera souligné qu'il est établi que les gendarmes étaient vêtus d'un uniforme kaki pouvant être de couleur unie ou tacheté (camouflage) et qu'ils portaient des bérets rouges. Les insignes correspondants aux grades ont été décrits à l'audience et les témoins Albert KABERA et Emmanuel KAMUGUNGA, ont été capables d'indiquer que Philippe HATEGEKIMANA portait une étoile sur l'épaule parmi les insignes figurant sur son uniforme.

2- Sur l'érection des barrières et les meurtres s'étant produits en ces lieux ou lors des rondes

Il ressort des débats que, à la suite de la nouvelle de l'attentat ayant causé la mort du Président HABYARIMANA, l'une des premières réactions fut la mise en place de barrières sur les routes pour empêcher la fuite des Tutsi notamment vers le Burundi, la gendarmerie de Nyanza ayant joué un rôle décisif à cet égard dans le ressort de toute la sous-préfecture correspondant à sa zone de compétence.
L'érection de barrages routiers ou barrières a constitué une politique d'État et, comme l'a expliqué le Premier ministre Jean KAMBANDA lors de son procès devant le TPIR, ces barrières visaient à identifier les Tutsi et les Hutu modérés afin de les éliminer, de sorte qu'elles étaient devenues des lieux de meurtre dans la préfecture de Butare comme dans l'ensemble du pays. Plusieurs témoins entendus ont confirmé l'importance stratégique de ces barrières.
S'agissant plus spécifiquement du ressort de la gendarmerie de Nyanza, les témoignages et les remises en situation ont permis de mettre en évidence l'érection d'au moins treize barrières, sans que la liste dressée par les enquêteurs puisse être considérée comme exhaustive, car lors du génocide elles ont en fait été dressées à chaque intersection et à chaque lieu de passage important. Quatre d'entre elles étaient sous la responsabilité des gendarmes, les autres étant contrôlées par des miliciens. Il s'agit des barrières suivantes :
Dans le centre-ville de Nyanza :
La barrière située près de l'hôpital
La barrière située devant le magasin TRAFIPRO La barrière située à Mukonzi
La barrière située à Kavumu, près de la Forge La barrière située devant le stade
Dans le secteur de Rwesero :
La barrière des Burundais située près du domicile de Gervais TWAGIRIMANA La barrière près du domicile de Célestin RWABUYANGA
La barrière de Rukarisituée près du palais royal La barrière de l'Akazu K'amazi
La barrière de Bugaba
La barrière de Ku Cyapa située près du bureau communal de Nyanza A Mushirarungu
La barrière Bleu Blanc
Ces barrières ont été érigées à la suite d'instructions données par les autorités, notamment par le capitaine BIRIKUNZIRA mais aussi par Philippe HATEGEKIMANA, ce que plusieurs témoins ont rapporté en précisant avoir assisté à d s réunions au cours desquelles la population civile hutu était convoquée et avait reçu des instructions aux fins de mettre en place des barrières pour « chasser l'ennemi tutsi ».
Philippe HATEGEKIMANA a été mis en cause par de nombreux témoins pour son rôle dans l'érection mais aussi le contrôle des barrières dans le ressort de trois secteurs. Ainsi, Angélique TESIRE, secrétaire du capitaine BIRIKUNZIRA, a déclaré avoir surpris une conversation de gendarmes extrémistes au camp selon laquelle diverses personnes ou autorités, comme le sous-préfet Gaëtan KAYITANA, avaient écrit une lettre en vue de requérir l'autorisation du capitaine BIRIKUNZIRA pour commencer les tueries à Nyanza puisque celles-ci avaient déjà commencé à Kigali. Elle a ajouté que le déploiement de gendarmes aux barrages routiers avait été coordonné par l'adjudant-chef Philippe HATEGEKIMANA, dit BIGUMA, qu'elle a qualifié « d'acharné » et de « mauvais » avec les Tutsi, et ce même avant le génocide.
Odoratte MUKARUSHEMA, ancienne gendarme, épouse du chauffeur du capitaine BIRIKUNZIRA, le Caporal Paul NYONZIMA aujourd'hui décédé, a rapporté les propos de son époux, lequel lui disait qu'il conduisait Philippe HATEGEKIMANA sur les barrières de RWESERO afin de voir comment celles-ci étaient tenues. Même si Angélique TESIRE et Odoratte MUKARUSHEMA ne sont pas des témoins oculaires des agissements de Philippe HATEGEKIMANA, il n'en demeure pas moins que ces déclarations sont corroborées par de nombreux autres témoins.
Emmanuel RUBAGUMYA a désigné l'adjudant chef BIGUMA comme étant « l'un des gendarmes qui travaillait en étroite collaboration avec le capitaine BIRIKUNZIRA. Il était en charge de tous les barrages érigés dans la région et était très actif ». Il a reconnu sur photo Philippe HATEGEKIMANA.
Jacques MUSABYIMANA a déclaré avoir tenu la barrière de TRAFIPRO, du nom du magasin devant lequel elle était érigée, dans le centre-ville de Nyanza, et a précisé que des gendarmes et des militaires y passaient régulièrement, notamment un nommé Pascal BARAHIRA, commandant de l'armée à la retraite, mais aussi BIGUMA, lequel leur avait dit d'être« vigilant et méfiant car les inyenzi étaient déjà parmi nous ».
Hainza MINANI, vendeur de beignets au petit centre de négoce de Bigega, a déclaré avoir été amené à tenir la barrière qui y avait été érigée, le 22 avril, sur ordre de BIGUMA et de BIRIKUNZIRA, sur un carrefour de la route Nyanza/Butare. Il a déclaré que des instructions claires ont été données par BIRIKUNZIRA et BIGUMA de tuer les Tutsi.
Lameck NIZEYIMANA a déclaré avoir tenu la barrière de RUKARI, à côté du palais royal après son érection le 22_.ou le 23 avril. Il a affirmé que le jour même, BIRIKUNZIRA et BIGUMA ainsi que deux autres gendarmes étaient arrivés sur la barrière dans un véhicule de la gendarmerie et leur avaient dit qu'ils étaient là pour« tuer les Tutsi, manger leurs vaches et détruire leurs maisons ». Il a précisé qu'il s'en était suivi une scène de violence au cours de laquelle sur ordre de BIRIKUNZIRA et BIGUMA, un Tutsi nommé NGABONZIZA avait été visé par le tir d'arme à feu d'un gendarme puis achevé à coups de gourdins par les civils présents sur instruction des mêmes gendarmes. Cet assassinat montré en exemple avait incité ceux qui tenaient la barrière à tuer sans distinction tous les Tutsi indifféremment, y compris les femmes, les personnes âgées, les enfants, les bébés et toutes les personnes qui passaient à la barrière ou y étaient amenées, ajoutant : « Les belles femmes, on les violait. Les riches, on les dépouillait ».
Lameck NIZEYIMANA habitait, en 1994, dans la cellule de Murambi, à proximité de la compagnie de gendarmerie. Il a indiqué qu'il croisait régulièrement BIGUMA et BIRIKUNZIRA, qui venaient faire du sport sur un terrain de jeu à Rukari. Il a précisé que BIGUMA portait un pistolet au niveau dé la cuisse, ce qui lui faisait dire qu'il ne pouvait pas se tromper sur lui.
De très nombreux autres témoins ont indiqué avoir vu des gendarmes venir aux barrières et ont précisé que les personnes alors présentes leur avaient indiqué que BIGUMA était l'un de ces gendarmes. Nathanaël NTIGURIRWA a indiqué qu'il avait gardé la barrière de la Forge, à Kavumu, sur la route Butare-Kigali, à proximité de la gendarmerie et des champs de café de la prison, et que beaucoup de Tutsi y avaient été tués, leurs corps étant jetés. Il a indiqué qu'un jour, il a vu des gendarmes venir sur la barrière, y compris celui qui lui avait été désigné comme étant BIGUMA, remettre une arme de type arme automatique Kalachnikov:. Lors de l'audience, il a déclaré : « Il ressemble à celui que j'appelais BIGUMA ».
Festus MUNYANGABE a indiqué se souvenir de la présence de BIGUMA à la barrière du centre de négoce Bleu Blanc dans le secteur de Mushirarungu.
Confronté aux déclarations de l'ancien Premier ministre KAMBANDA, recueillies lors de son procès devant le TPIR, Philippe HATEGEKIMANA a affirmé au cours de l'instruction n'avoir aucun souvenir d'avoir reçu l'ordre d'installer des barrières. D'après lui, c'est le commandant BIRIKUNZIRA et le sous-préfet qui avaient pris l'initiative de les faire dresser. Lui-même s'était contenté de chercher des gendarmes disponibles pour les tenir, n'allant pas sur le terrain. Après avoir admis lors de son deuxième interrogatoire que des gens avaient été tués à proximité des arrières, il a affirmé ensuite n'avoir jamais été témoin d'exactions ou de meurtres sur ces barrières. Lors de l'instruction, il a soutenu que les barrières étaient destinées à permettre d' « identifier les suspects du FPR ». Plus précisément, sur le rôle des gendarmes il a déclaré : « Sur les documents d'identité rwandais étaient notées les ethnies. S'il était écrit « Tutsi », ils (les gendarmes) les arrêtaient pour voir s'ils n'étaient pas des suspects du FPR ». Puis, questionné sur la façon dont il était possible de distinguer un infiltré du FPR d'un Tutsi qui se cachait et fuyait pour sauver sa vie, il a répondu : « Quand vous voyez un suspect, il a peur, vous pouvez voir qu'il se reproche quelque chose », ajoutant: « C'est facile de distinguer un agent du FPR d'un simple paysan, les agents du FPR étaient malpropres, ils venaient de passer plein de temps sur le terrain, ils étaient fatigués et mal nourris », et soulignant enfin : « Un agent du FPR, par ailleurs, n'avait"pas de documents officiels ».
A l'audience, Philippe HATEGEKIMANA a refusé de répondre aux questions concernant son implication dans les barrières.
Cependant, au vu de l'ensemble de ces éléments et des témoignages concordants recueillis lors des débats, il convient de considérer qu'en assurant en pleine connaissance de cause la mise à disposition de gendarmes sur les barrières, en se rendant sur place et en incitant les membres de la population hutu à arrêter, traquer et tuer des Tutsi, Philippe HATEGEKIMANA a bien participé activement à la mise en place et au contrôle de barrières et qu'il a ainsi contribué à une attaque massive et systématique contre la population tutsi , de même qu'il a mis activement en œuvre un plan génocidaire visant à l'extermination des membres du groupe ethnique tutsi. Il doit donc être considéré comme étant non seulement auteur du crime de génocide, mais aussi du crime contre l'humanité résultant es exécutions et des atteintes graves à l'intégrité physique et psychique des Tutsi qui en ont été victimes.
Philippe HATEGEKIMANA a par ailleurs été mis en cause pour des faits matériels distincts constitutifs de meurtres commis sur deux d'entre elles, à savoir la barrière d'Akazu K'amazi et la barrière de Buguba.

3- Exécution d'un groupe de 28 Tutsi à la barrière d'Akazu K'amazi

Trois témoins impliqués dans les faits de génocide et condamnés par les juridictions rwandaises, Albert KABERA, Jean-Baptiste MUHIRWA et Michel MBYARYINGOMA, ont déclaré de manière concordante lors de l'instruction que, courant avril 1994, Philippe HATEGEKIMANA avait ordonné, avec le capitaine BIRIKUNZIRA, l'arrestation à leur domicile puis l'exécution de 28 Tutsi, qui avaient été, dans un premier temps, enfermés dans line maison à proximité de la barrière d'Akazu K'amazi. Ils ont admis avoir procédé sur leurs instructions au meurtre de ces Tutsi en présence d'autres gendarmes, à savoir les dénommés CESAR et HAVUGIMANA. Le lieu où ils ont déclaré les avoir exécutés avec des armes traditionnelles a été localisé lors de l'enquête.
A l'audience, Michel MBYARIYINGOMA a confirmé avoir tenu là barrière del'Akazu K'amazi et a précisé qu'une trentaine de Tutsi, surtout « des vieilles femmes et des vieux hommes », avaient été enfermés dans la maison de Boniface et exécutés. Il a mis en cause les gendarmes CESAR et HAVUGIMANA qui étaient« tout le temps » avec eux sur la barrière.
Il a toutefois fourni à l'audience des explications contradictoires, indiquant« ne plus se souvenir de BIGUMA ».
Jean-Baptiste MUHIRWA a confirmé à l'audience que des Tutsi avaient été enfermés dans la maison de Boniface, qu'il y avait surtout des gens âgés, et pas d'enfants. Il a précisé qu'il s'agissait de familles du quartier qui, selon lui, n'avaient pas été arrêtées à la barrière mais à leur domicile. De même il a déclaré : « Nous avons conduit ces Tutsi en contre-haut près des bois t, arrivés là, on les a frappés à l'aide de gourdins et le gendarme qui était avec nous a tiré sur eux avec un fusil. Ce bois se trouvait à environ à 50 m de l'endroit où ces Tutsi se trouvaient ».
Albert KABERA a également confirmé à l'audience avoir tenu en 1994 la barrière de l'Akazu K'amazi qui, selon lui, a été érigée suivant des instructions données par BIRIKUNZIRA et BIGUMA à la suite d'une réunion. S'il a précisé qu'il n'avait pas participé lui-même à cette réunion, il a néanmoins expliqué qu'il identifiait parfaitement BIGUMA, car son voisin Esdras NTAKIRENDE était marié à la sœur de l'épouse de ce dernier. Il a maintenu à l'audience que BIRIKUNZIRA et BIGUMA avaient ordonné l'exécution de 28 Tutsi enfermés dans la maison de Boniface et que les gendarmes présents ainsi que la population avaient obéi à cet ordre et les avaient tous assassinés.
Elie MUSHYITSI, a déclaré qu'il avait également tenu cette barrière et ce en présence notamment des gendarmes CESAR et HAVUGIMANA. Il a mis en cause BIGUMA comme étant un gendarme plus gradé qui passait aussi sur cette barrière pour inciter à tuer des Tutsi.
Interrogé sur le point de savoir combien de Tutsi avaient été tués sur la barrière, il a répondu:« Je1,1e sais pas tellement ils étaient nombreux ». S'agissant des Tutsi enfermés dans la maison de Boniface, ils étaient, eux aussi, « très nombreux ».
Philippe HATEGKIMANA a contesté toute implication dans ces meurtres. A l'audience, il a aussi usé de son droit au silence en refusant de répondre aux questions posées à ce sujet. Cependant, sa présence à la barrière Akazu K'amazi ainsi que le fait d'avoir donné des instructions en vue de tuer les Tutsi appréhendés et retenus à cette barrière sont établis.
La Cour et le jury ont considéré que ces éléments suffisent à caractériser la culpabilité de Philippe HATEGEKIMANA en tant qu'auteur de génocide pour avoir fait commettre les exécutions des 28 Tutsi retenus dans la maison de Boniface et en tant que complice par instruction du crime contre l'humanité résultant de ces exécutions, lesquelles s'inscrivent bien, tant dans le cadre de l'exécution d'un plan génocidaire que d'une attaque systématique et massive à l'encontre de la population civile tutsi.

4- La barrière de Buguba

Elle était située sur la route entre Nyanza et Kueyapa. Plusieurs témoins ont mis en cause Philippe HATEGEKIMANA pour son rôle sur cette barrière. Deux témoins l'ont désigné comme y étant venu régulièrement en véhicule, sans en descendre, pour parler au responsable de la barrière. Selon Michel MBYARNINGOMA, affecté à cette barrière, Philippe HATEGEKIMANA avait donné l'ordre de ne laisser passer aucun Tutsi. Ce témoin ajoutait ne pas avoir tué de Tutsi lui-même mais avoir assisté à la mort de sept d'entre eux sur place, à coups de machettes et de gourdins.
Straton RUDAHUNGA a également désigné Philippe HATEGEKIMANA comme y ayant ordonné le meurtre d'un groupe de Tutsi n n identifiés. Enfin, Emmanuel RUBAGUMYA a déclaré que le rôle de Philippe HATEGEKIMANA était de s'assurer de la mort des Tutsi sur cette barrière.
Selon Albert KABERA, cette barrière avait été créée pour arrêter les Tutsi parvenus à passer la barrière proche d'Akazu K'amazi, à la demande d'un commandant militaire à la retraite. Lors de l'instruction Philippe HATEGEKIMANA a indiqué ne pas connaître l'existence de cette barrière. Devant la Cour, il a exercé son droit au silence en refusant de répondre aux questions qui lui ont été posées à ce sujet.
Toutefois, les déclarations recueillies à l'audience sont apparues assez confuses, tant en ce qui concerne le groupe de Tutsi qui auraient été tués en ce lieu, que sur le rôle précis tenu par Philippe HATEGEKIMANA en vue de l'exécution de telles victimes. La Cour et le jury ont estimé qu'il n'y avait donc pas de preuves suffisantes pour retenir la culpabilité de Philippe HATEGEKIMANA en tant qu'auteur ou complice par instruction des chefs de génocide et de crimes contre l'humanité pour avoir donné l'ordre de tuer un groupe de Tutsi non identifiés sur cette barrière de Buguba.

5- Sur les faits concernant les exécutions du bourgmestre NYAGASAZA et d'un groupe de Tutsi, dont Pierre NYAKARASHI, Emmanuel NSENGIMANA et Appolinaire MUSONERA

Les nombreux témoignages recueillis au cours de l'instruction et à l'audience permettent d'établir que les. gendarmes de Nyanza, dont Philippe HATEGEKIMANA, sont partis à la recherche du bourgmestre NYAGASAZA, le 23 avril 1994, et sont impliqués dans son meurtre et dans celui de Pierre NYAKARASHI, d'Emmanuel NSENGlMANA, d'Appolinaire MUSONERA et d'autres Tutsi non identifiés, lesquels on précédé l'attaque sur la colline de Nyabubare.
S'agissant en premier lieu de la date de ces faits, un très grand nombre de témoins font état de ce qu'ils se sont produits le 23-avril et plusieurs d'entre eux ont même indiqué qu'il s'agissait d'un jour de<< sabbat », ce qui correspond bien avec la date du samedi 23 avril 1994. Il s'agit notamment de Célestin NIGIRENTE, François HABIMANA, Israël DUSINGIZIMANA, Esdras SINDAYIGAYA,
Assiel BAKUNDUKIZE, Emmanuel UWITIJE, et Yobo KAYIRANGA, lés déclarations de ce dernier ayant été lues à l'audience. De même, s'agissant du véhicule à bord duquel Philippe HATEGEKIMANA a circulé ce jour-là, la plupart des témoins entendus ont fait référence à un même type de véhicule, à savoir un véhicule camionnette de couleur blanche avec une cabine, ceci permettant d'apprécier la cohérence d'ensemble des témoignages.
Augustin NZAMWITA, surnommé NYOTA, et Samson MATAZA ont indiqué que le bourgmestre avait été appréhendé au bord de la rivière Akanyaru par les gendarmes de Nyanza alors qu'il tentait de s'enfuir au Burundi. Augustin NZAMWITA, qui travaillait comme serveur dans le cabaret de son père, a désigné BIGUMA comme ayant fait partie du groupe de gendarmes ayant procédé à l'arrestation du bourgmestre NYAGASAZA. Samson MATAZA, qui se trouvait dans ce même cabaret, a déclaré avoir assisté à l'enlèvement et avoir vu trois gendarmes portant des bérets rouges arriver à bord d'un véhicule double cabine blanc. Ils ont fait monter le bourgmestre NYAGASAZA, vêtu d'un costume noir, dans ce véhicule et les gendarmes lui ont dit de monter à l'intérieur. Il a précisé que les gendarmes avaient également « fait monter » Pierre NYAKARASHI, « un vieux monsieur, ancien policier municipal, ainsi qu'un nommé Emmanuel NSENGIMANA.
D'autres témoignages permettent de retenir l'arrestation d'autres Tutsi présents sur les lieux. Ainsi, Primitive MUJAWAYEZU, partie civile et fille de l'ancien policier communal Pierre NYAKARASHI, a confirmé l'enlèvement de son père en même temps que le bourgmestre NYAGASAZA, par des gendarmes reconnaissables à leur uniforme.
Augustin NZAMWITA et Samson MATAZA corroborent l'enlèvement de Pierre NYAKARASHI par Philippe HATEGEKIMANA, dont ils été les témoins directs.
Silas SEBAKARA, qui, en avril 1994, habitait sur la commune de Ntiazo, a confirmé avoir croisé, à Gihama, le véhicule « blanc sale, double cabine » à bord duquel se trouvait Philippe HATEGEKIMANA. Il a indiqué que le conducteur s'était arrêté et que Philippe HATEGEKIMANA avait intimé à la foule présente de tuer les Tutsi tout en désignant le bourgmestre NYAGASAZA en leur disant qu'ils allaient eux même le tuer. Silas SEBAKARA a précisé qu'il connaissait bien le bourgmestre NYAGASAZA et que, dans la caisse arrière du véhicule, il y avait plusieurs gendarmes, « quelques autres Tutsi » dont le commerçant MUSONERA, surnommé SANASANA, ainsi qu'un vieil homme du nom de Pierre NYAKARASHI, ancien policier communal.
Canisius KABAGAMBA, partie civile, a indiqué que, ce même jour, alors que lui aussi tentait de fuir au Burundi, il lui avait été conseillé par un de ses anciens élèves hutu de changer son chemin, car le bourgmestre NYAGASAZA venait d:être arrêté par les gendarmes et que le donneur d'ordre était BIGUMA.
Mathieu NDAHIMANA a 4éclaré avoir croisé ledit véhicule transportant le bourgmestre NYAGAZASA et d'autres Tutsi alors qu'il se trouvait au cabaret de Gati. Là aussi, Philippe HATEGEKIMANA s'était adressé à la foule présente en indiquant que les gendarmes emmenaient le bourgmestre.
Angélique TESIRE, Didace KAYIGEMERA et Israël DUSINGIZEMANA ont tous trois affirmé de façon constante avoir été présents au camp de gendarmerie de Nyanza lorsque le véhicule transportant le bourgmestre arrivait.
Israël DUSINGIZIMANA a précisé qu'il était reparti ensuite à bord du véhicule avec les gendarmes dont Philippe HATEGEKIMANA, le bourgmestre et le groupe de Tutsi, que le véhicule s'était arrêté une première fois sur ordre de Philippe HATEGEKIMANA afin que ce groupe de Tutsi soit exécuté.
Il a ajouté que le véhicule avait ensuite repris sa route jusqu'à la cellule de Gisoro au bureau de secteur de Mushirarungu où le bourgmestre avait été à son tour abattu sur ordre de Philippe HATEGEKIMANA.
Célestin NIGIRENTE, Eliazar NSENGIYOBIRI, Yobo KAYIRANGA ont confirmé que ce dernier avait ordonné l'exécution du bourgmestre. Ils ont désigné des gendarmes, comme étant les auteurs du meurtre.
Emmanuel UWITJE a confirmé l'implication de gendarmes dans la commission de ce crime.
Charles NKOMEJE, dont les déclarations ont été lues à l'audience, a confirmé l'exécution de NYAGASAZA par des gendarmes, mais a affirmé que l'ordre avait été donné par le chauffeur du véhicule.
Enfin, Emmanuel RUBAGUMYA a désigné Philippe HATEGEKIMANA comme étant lui-même l'auteur du coup de feu.
Si ces témoignages concernant tant les circonstances de l'enlèvement du bourgmestre NYAGASAZA et des autres Tutsi et de leurs exécutions présentent des divergences, notamment sur le point de savoir si des violences physiques ont été exercées lors de ces enlèvements et sur les circonstances exactes des exécutions, en particulier quant à la désignation de l'auteur du coup de feu ayant abattu Narcisse NYAGASAZA, il n'en demeure pas moins que tous confirment la présence de Philippe HATEGEKIMANA, « chef des gendarmes », comme étant celui qui dirigeait l'action de ses subordonnés lors de l'ensemble de ces faits.
La Cour et le jury ont considéré que ces exécutions sommaires sont bien établies, qu'elles ont été motivées par le seul fait que les victimes étaient Tutsi et que Philippe HATEGEKIMANA est bien celui qui a traqué ces personnes, les a capturées, a été présent tout au long de ces évènements, et a ordonné les exécutions du bourgmestre Narcisse NYAGASAZA, .de Pierre NYAKARASHI, d'Emmanuel NSENGIMANA et d'Appolinaire MUSONERA, l'exécution de Narcisse NYAGASAZA constituant un « meurtre emblématique » et un signal destiné à faire comprendre à la population qu'il était désormais temps de « travailler », c'est-à-dire de participer à l'élimination des Tutsi.
La Cour et le jury ont dès lors considéré que Philippe HATEGEKIMANA s'est rendu coupable de ces exécutions en tant qu' auteur de génocide et de crimes contre l'humanité.

6- Sur les faits s'étant produits à la colline de Nyabubare

L'attaque de la colline de Nyabubare fait apparaître l'existence d'un mode opératoire qui va s'avérer commun à de nombreux sites de massacres, à savoir :
- Le regroupement de réfugiés tutsi sur une colline ou un site supposé leur permettre de bénéficier d'un peu de sécurité
- Le harcèlement de ces réfugiés par une population hutu menée par des leaders locaux et menant des attaques à l'aide d'armes traditionnelles
- Une défense opposée aux assaillant par des moyens particulièrement limités comme de simples pierres, mais suffisamment efficace pour repousser les assauts, en particulier à Nyabubare en raison de la présence d'un ancien militaire tutsi, Pierre NGIRISHUNTI, dit PETERO, disposant d'une arme à feu dissuasive
- Puis une demande de renfort adressée aux forces de gendarmerie de Nyanza par les autorités locales et l'envoi de gendarmes équipés d'armes à feu, de grenades et surtout d'un mortier permettant de bombarder les réfugiés, de les tuer ou de les disperser pendant qu'une manœuvre d'encerclement commune aux gendarmes et aux assaillants civils hutu, pouvant être revêtus de feuilles de bananiers comme signes distinctifs, permet de tuer les survivants.
La preuve d'une attaque sur la colline de Nyabubare ressort particulièrement des dépositions d'Israël DUSIGINZIMANA, qui est un témoin clé des faits s'étant produits le 23 avril 1994.
Ses déclarations apparaissent crédibles compte tenu de la très grande constance de ce témoin qui les a maintenues jusqu'à l'audience devant la Cour d'assises de Paris. En outre, celui-ci est définitivement condamné. S'il a pu contribuer au recueil d'informations dans le cadre des procédures devant les Gacaca, il n'est aucunement établi qu'il agirait dans le but de tirer profit de fausses accusations contre Philippe HATEGEKIMANA.
Israël DUSINGIZIMANA qui était le conseiller du secteur de MUSHIRARUNGU, a expliqué s'être rendu à la compagnie de gendarmerie de Nyanza le matin du 23 avril« parce qu'il y avait beaucoup de Tutsi qui s'étaient rassemblés à la colline de Nyabubare, [qu']il y avait un militaire PETERO, et qu'il venait chercher le secours des gendarmes » pour pouvoir attaquer lès Tutsi' réfugiés sur cette colline. Il a indiqué qu'en accord avec le capitaine BIRIKUNZIRA, Philippe HATEGEKIMANA était effectivement reparti avec des gendarmes pour pouvoir lui apporter les renforts nécessaires à cette attaque.
Il a précisé qu'après les exécutions évoquées ci-dessus du bourgmestre NYAGASAZA et des autres Tutsi, le véhicule des gendarmes au bord duquel il avait pris place s'était dirigé vers la cellule Munyinya, sur la colline de Nyabubare.
Il a décrit l'attaque au cours de laquelle BIGUMA avait donné l'ordre de tirer sur les réfugiés tutsi, notamment en utilisant le mortier de 60 mm, de détruire par jet de grenade la maison de PETERO, et de poursuivre le massacre des victimes par les assaillants issus de la population civile utilisant des armes traditionnelles, telles que des gourdins, marchettes, serpettes, lances, et petites houes.
Le déroulement de ces faits est décrit de façon parfaitement cohérente p d'anciens assaillants, notamment :
Obed BAYAVUGE, Emmanuel UWITIJE, Festus MUNYANGABE, Célestin NIGIRENTE, Esdras SINDAYIGAYA, Eliazar NSENGIYOBIRI, Albert KABERA, Calixte GASIMBA,
Assiel BAKUNDUKIZE et Charles NKOMEGE, dont les dépositions ont été lues à l'audience. Ainsi que par les quelques survivants ayant pu être entendus, dont :
François HABIMANA, Etienne SAGAHUTU, Eugénie MUREBWAYIRE, Marie Jeanne MUKANSONEYE, Odette MUKANYARWAYA et Foibe MUHIGANYANA.
Les déclarations concernant l'usage et la localisation d'un mortier de 60 mm ont été corroborées lors des remises en situation. réalisées par les enquêteurs, mais aussi par l'expertise balistique qui a confirmé la parfaite cohérence des informations recueillies à ce sujet.
Philippe HATEGEKIMANA conteste toute implication dans ce massacre, disant que, à cette date, il se préparait à quitter la région, affirmant même qu'il ignorait que des gendarmes pouvaient être impliqués ans ces faits et soutenant qu'aucun mortier de 60 mm n'avait servi à la gendarmerie de Nyanza lorsqu'il y exerçait ses fonctions. Il a même indiqué ne pas connaitre la colline de Nyabubare et ne pas avoir entendu parler d'un massacre qui s'y serait déroulé.
La Cour et le jury ont considéré que les nombreux témoignages, précis et concordants, qui ont été recueillis, ainsi que des constatations effectuées sur place par les enquêteurs et l'expertise balistique, permettent de retenir que Philippe HATEGEKIMANA est l'auteur principal de ce massacre motivé uniquement par une volonté d'exterminer les Tutsi qui étaient sur cette colline.
Le nombre de victimes résultant de cette attaque peut être évalué à plusieurs centaines, certains témoins évoquant le nombre de 300 morts. La culpabilité de Philippe HATEGEKIMANA en tant qu'auteur de génocide et de crimes contre l'humanité a donc été retenue de ce chef.

7- Sur les faits s'étant produits lors des attaques de la colline de Nyamure

Les témoins entendus sur les faits afférents à la colline de Nyamure ont décrit une attaque correspondant au même mode opératoire que celui, précédemment décrit pour la colline de Nyabubare. Des réfugiés tutsi se sont regroupés à Nyamure après le 20 avril 1994 et ont fait l'objet d'un harcèlement à compter du 23 avril. Face à leur résistance il a encore été fait appel à des forces armées en l'occurrence des forces de gendarmerie, et une grande attaque va se produire à une date située aux alentours du 27 avril.
Ainsi que cela ressort des remises en situation réalisées par les enquêteurs et de l'examen à l'audience des cartes de l'Institut National de Géographie de Belgique qui ont été versées aux débats la colline de Nyamure apparaît comme étant d'une dimension bien supérieure à celle de Nyabubare, elle comporte. une partie boisée et des parties dégagées permettant d'avoir une bonne visibilité, notamment de la route menant à la colline. Des disparités dans les témoignages sur les circonstances exactes de l'attaque peuvent s'expliquer, tant par l'ancienneté des faits et les traumatismes subis, que par la configuration des lieux et le positionnement des témoins, victimes ou assaillants lors des faits ; certains réfugiés ayant été situés tout en haut de la colline, d'autres à mi-pente et d'autres encore plus bas, et les assaillants arrivant de directions différentes pour encercler la colline.
Les réfugiés ont d'abord été confrontés à des conditions de vie précaires. Valens BAYINGANA, a ainsi expliqué que certains réfugiés avaient fui avec leurs vaches, ce qui permettait d'avoir un peu de lait, mais en quantité insuffisante et que la nourriture et l'eau manquai nt, que certains réfugiés tentaient d'aller chercher du manioc dans les champs non lo1n ou d'aller puiser de l'eau mais que ces sorties étaient « suicidaires » en raison des attaques subies du fait de la population civile. Florence NYIRABARIKUMWE a confirmé qu'il était particulièrement difficile et périlleux de trouver de quoi s'alimenter.
Les déclarations recueillies permettent de retenir que la colline de Nyamure a fait l'objet d'une manœuvre d'encerclement conjointe par des miliciens interahamwe, des civils hutu issus de la population locale, coordonnée, encadrée et dirigée par les gendarmes, l'identité de la personne ayant fait appel aux services de gendarmerie de Nyanza n'étant pas en revanche établie de façon certaine.
Cependant, quelle que soit l'identité de l'auteur de cette demande de renfort, la présence de gendarmes sur la colline de Nyamure apparaît indiscutable. D'une part cette colline est située à une faible distance de Nyanza et relève .de sa zone de compétence. En outre plusieurs témoins ont fait mention de la présence d'hommes armés vêtus de kaki et porteurs de bérets rouges. D même la présence de véhicules connus pour être des véhicules de la gendarmerie en particulier un véhicule camionnette Toyota rouge est mentionnée par plusieurs témoins (notamment par les parties civiles Grâce KEZUMUKIZA, Valens BAYINGANA et le témoin Jean-Baptiste MUSABYIMANA).
Jean-Damascène MUNYESHYAKA, condamné à 19 ans de réclusion criminelle notamment pour l'attaque de la colline de Nyamure, a déclaré qu'en raison de la résistance des réfugiés tutsi c'était son frère, Vincent SINDAYIGAYA, alias COMPAGNIE, un Hutu extrémiste, qui était allé chercher ces renforts.
Eric MUSONI, autre assaillant, condamné à la prison à perpétuité pour sa participation à l'attaque de la colline a aussi indiqué que c'était un nommé Compagnie qui était allé chercher les renforts de gendarmes face à la résistance des réfugiés.
Mathieu NDAHIMANA, responsable du centre de santé situé aux pieds de la colline de Nyamure, a joué un rôle essentiel dans les actions destinées à mettre en œuvre le plan génocidaire, il a notamment été condamné pour avoir massacré de nombreux Tutsi sur la colline voisine de Karama et avoir été l'un de ceux qui avait demandé des renforts pour l'attaque de cette colline de Karama notamment par l'intermédiaire d'un ancien député, Aldabert MUHUTU. Il nie toute implication directe dans les faits survenus sur la colline de Nyamure tout en indiquant en avoir été le témoin. Il est cependant mis en cause pour sa participation dans cette attaque par plusieurs témoins et il apparaît plausible qu'il cherche à minimiser son rôle. Son zèle a d'ailleurs été récompensé par sa nomination au poste de bourgmestre de Ntyazo par le gouvernement intérimaire.
Si Mathieu NDAHIMANA déclare ainsi n'avoir assisté qu'à distance à l'attaque de Nyamure, il mentionne en revanche avoir d'abord croisé un véhicule des gendarmes de type camionnette double cabine blanche alors qu'il se trouvait à Cyegera, sur la route menant à la colline, et avoir vu Biguma dans le véhicule ainsi que des gendarmes porteurs de fusils Kalachnikov et d'armes avec des trépieds. Il a désigné l'endroit d'où il avait assisté à l'arrivée des gendarmes, leur stationnement sur les lieux, et le déroulement de l'attaque, précisant avoir aperçu les gendarmes monter vers le sommet de la colline et avoir entendu des détonations tandis que des civils arrivaient de partout munis d'armes blanches.
Plusieurs anciens assaillants ont confirmé l'existence d'une attaque menée conjointement avec les gendarmes. Eric MUSONI a déclaré que les gendarmes étaient présents et que d'autres attaquants, lui avaient dit que c'était l'adjudant-chef BIGUMA qui les commandait. Il a précisé que ce dernier était porteur d'un pistolet à la ceinture. Telesphore NSHIMNIMANA a également expliqué avoir participé à cette attaque avec des gendarmes et des militaires, soutenus par des interahamwe dirigés par Mathieu NDAHIMANA et la population civile. Il a aussi indiqué avoir appris après l'attaque que le responsable de la gendarmerie s'appela t BIGUMA; S'agissant du rôle de celui-ci il a déclaré: « il avait un petit pistolet à la ceinture, c'est lui qui a initié les tueries. Il y avait une dame qui était en train d'accoucher et il a tiré». La scène décrivant un gendarme tirant avec un pistolet au commencement de l'attaque alors qu'une parturiente accouche sur la colline est rapportée aussi par les parties civiles Grace KEZUMUKIZA, Grace BYUKUSENGE et Valens BAYINGANA. Or Valens BAYINANA est la deuxième personne qui identifie de façon crédible l'accusé et décrit précisément ses actions successives, ce avec Mathieu NDAHIMANA pour les raisons précédemment évoquées, et en l'occurrence qui confirme son rôle de meneur de l'attaque.
Outre le fait que les gendarmes étaient équipés d'armes à feu, plusieurs témoins indiquent avoir vu des« fumées très noires » et entendu des explosions, en particulier Mathieu NDAHIMANA, Jean­ Baptiste MUSABYIMANA et Valens BAYINGANA.
Par ailleurs, la partie civile Florence NYIRABARIKUMWE a indiqué qu'au début de l'attaque les bruits de balles avaient immédiatement commencé et qu'elle avait vu tout de suite vu des « morceaux de chair humaine » à côté d'elle.
Toutefois, en l'absence d'expertise balistique concernant l'emploi du mortier sur ce site et en raison de l'insuffisance des éléments de preuve sur ce point, l'usage d'un mortier de 60 mm n'apparait pas formellement établi lors de cette attaque.
Il n'en demeure pas moins que les témoignages recueillis sur l'impact des tirs et sur les explosions subies démontrent l'usage d'armes lourdes autres que des armes de poing ou des fusils, y compris automatiques ou d'assaut.
Aussi la Cour et le jury ont retenu que les armes utilisées par les gendarmes incluaient, outre des fusils et des pistolets des armes « lourdes » ou des grenades; et que la conjonction des moyens déployés par ces derniers, ainsi que par les assaillants interahamwe et autres membres de la population civile participant à l'attaque, a abouti à un véritable carnage. De nombreux témoins évoquant des milliers de morts, des cadavres démembrés abandonnés aux intempéries. Silas MUNYAMPUNDU qui a exercé les fonctions de bourgmestre de Ntyazo après le génocide a indiqué avoir été chargé de procéder à des enquêtes, il a précisé que le décompte des morts avait été rendu très complexe parce que beaucoup de corps gisants sur la colline étaient décapités et que l'on pouvait trouver parfois « la tête sans le tronc, d'autres fois les membres sans le tronc ». Le nombre de tués peut être évalué à plusieurs milliers. Le nombre de 11 000 morts a été évoqué par Silas MUNYAMPUNDU à partir du décompte des crânes sans qu'il soit toutefois possible d'exclure que des dépouilles recueillies au mémorial ne proviennent d'autres collines avoisinant celle de Nyamure.
Si Philippe HATEGEKIMANA conteste là aussi toute participation à ces crimes, la Cour et le jury ont relevé que celui-ci n'est pas crédible quand il prétend tout ignorer. de ces massacres, comme ignorer le lieu même de la colline de Nyamure, et ne pas se souvenir de Mathieu NDAHIMANA. Les éléments de preuve précis et concordants recueillis suffisent au contraire à considérer qu'il a_ bien conduit les gendarmes placés sous son autorité à Nyamure, qu'il a incité les assaillants civils à exterminer les réfugiés présents, y compris en leur promettant en récompense de pouvoir piller le bétail et les biens des victimes. Aussi la Cour et le jury ont retenu sa culpabilité en tant qu'auteur de génocide et de crimes contre l'humanité dont ont été victimes les milliers de réfugiés tutsi présents sur la colline de Nyamure et morts dans des conditions atroces.

8- Sur les faits s'étant produits sur le site de l'ISAR Songa

L'Institut des Sciences Agronomiques du Rwanda, ci-après l'ISAR Songa, comprenait de grandes étendues de terres jouxtant plusieurs collines, avec des enclos et des fermes utilisés pour les recherches et les études en agriculture en particulier l'élevage de bovins. Le 28.avril 1994 a eu lieu à cet endroit un important massacre, causant des milliers de victimes. Le mode opératoire décrit par les témoins correspond en tous points à celui déjà mis en œuvre tant à Nyabubare, qu'à Nyamure, mais ici avec une ampleur encore plus grande au regard du nombre de victimes et des moyens déployés pour les exterminer. Plusieurs témoins ont évoqué tant des attaques et le pillage de maisons tutsi voisines de l'ISAR Songa, que des attaques menées sur le site même par des interahamwe dans les jours précédents.
Ainsi Philippe NDAYISABA, responsable du mémorial des victimes de l'ISAR Songa, a expliqué de façon constante que, à partir du 22 avril 1994, la population avait été incitée par un colonel de l'armée, nommé Michel HABIMANA, à aller « tuer les Tutsi », notamment en mettant en place des barrières.
Son témoignage s'établit comme suit :
Environ 14 000 Tutsi, dont sa famille et lui-même, s'étaient alors réfugiés à l'ISAR Songa, établissement public susceptible de les protéger.
Le 23 avril, un policier de la commune s'était présenté avec un mégaphone pour donner à la population hutu également réfugiée la consigne de regagner son domicile.
Plusieurs attaques avaient été menées ensuite par des policiers armés de fusil et des civils porteurs d'armes traditionnelles.
Un hélicoptère avait survolé la colline.
Le 27 avril au matin, des gendarmes de Nyanza étaient arrivés dans un Toyota Hilux et, le 28 avril, les réfugiés avaient subi une grande attaque au cours de laquelle des gendarmes ou des militaires avaient tiré des obus depuis la colline de Buremera.
Philippe NDAYISABA soulignait que 4 à 5 000 personnes avaient été tuées lors de cette attaque dont il avait entendu dire qu'elle avait été dirigée parles gendarmes BIGUMA et BIRIKUNZERA, ajoutant qu'il ne les connaissait pas.
De très nombreux témoins ou parties civiles, dont Tharcisse SINZI, Chantal MUKAYIRANGA, Léonard PFUKAMUSENGE, Longine RWINKESHA, Sapientia RUGEMA et Gloriose MUSENGAYRE ont confirmé tant le survol par un hélicoptère du site de l'ISAR Songa la veille ou peu avant l'attaque exterminatrice survenue le 28 avril, que l'existence d'attaques antérieures et la résistance des réfugiés.
Une action de repérage de ces réfugiés par un hélicoptère apparait ainsi cohérente avec la mise en œuvre d'une opération de grande ampleur menée conjointement par une force année constituée de gendarmes et de militaires appuyée par des civils provenant de très nombreuses localités avoisinantes munis d'armes traditionnelles.
Outre l'importance des effectifs engagés, il est encore établi que non seulement les forces années intervenantes •étaient munies d'armes à feu individuelles, mais qu'il a également été fait usage d'armes lourdes provoquant des dégâts considérables.
Tharcisse SINZI a décrit l'usage intensif de « munitions si fortes qu'[il a} vu des groupes entiers sauter sous leurs impacts ».
Sapientia RUGEMANA qui était à l'ISAR Songa, a parlé d'une « pluie de balles lancée par un fusil qui tirait plusieurs balles en même temps », et a évoqué des explosions avec un « mélange de chairs entre celles des vaches et celles des humains ».
Albert MUGABO a évoqué à son tour sa vision de « vaches catapultées » sous les impacts ».
Chantal UWAMARIYA qui était encore une enfant a indiqué se souvenir néanmoins de gendarmes et de bruits d'explosions, des bombes qui étaient tirées sur l'ISAR Songa.
Longine RWINKESHA qui faisait aussi partie des réfugiés a évoqué « un gros fusil » qui ciblait « là où il y avait beaucoup de gens » ajoutant que, lorsque les tirs avaient commencé, elle s'était couchée au sol et que les « cadavres étaient tombées sur elle.
Léonard PFUKAMUSENGE a de façon constante reconnu avoir participé à l'attaque menée à l'ISAR Songa le 28 avril 1994. Il a affirmé avoir porté des caisses « contenant des bombes « pour les militaires qui l'avaient requis. Il a expliqué qu'ils avaient procédé à des tirs sur les réfugiés, que les militaires mettaient les « bombes dans un tube en métal ». Il a déclaré être resté toujours à côté des militaires. Si lors de son audition au cours de l'instruction, il avait dit ne pas savoir faire la différence entre les gendarmes et les militaires, il a précisé à l'audience que les militaires qui tiraient des obus portaient des bérets rouges.
Une remise en situation a été réalisée en octobre 2019, permettant d'effectuer des relevés GPS et de prendre des photographies qui ont été projetées à l'audience.
Selon l'expertise balistique ordonnée, une distance de tir de 800 à 1000 mètres telle que rapportée par Léonard PFUKAMUSENGE est tout à fait compatible avec les capacités d'un mortier de 60 mm, une telle distance étant « idéale », puisque permettant aux utilisateurs du mortier d'être à l'abri de toute éventuelle riposte mais à distance assez courte pour gérer de rapides corrections.
La Cour et le jury, après avoir entendu les descriptions des scènes vécues par les parties civiles, les déclarations du témoin Léonard PFUKAMUSENGE et les conclusions de l'expert Pierre LAURENT, ont été convaincus de l'utilisation d'un mortier de 60 mm.
L'utilisation de ce type d'arme lourde est de surcroît parfaitement cohérente avec l'ensemble des déclarations mettant en cause la présence de gendarmes porteurs de bérets rouges sur le site de l'ISAR Songa, mais surtout avec les déclarations constantes d' Angélique TESIRE et de Didace KAYIGEMERA.
Il sera rappelé qu'Angélique TESIRE, affirmant que les gendarmes de Nyanza sortaient régulièrement « pour aller tuer », a précisé que Philippe HATEGEKIMANA les rejoignait régulièrement, et qu'elle l'avait vu prendre un mortier de 60 mm en s'exprimant en ces termes devant elle : « Je vais aller m'occuper des gens de l'ISAR ». Il était alors sorti du camp avec l'arme en question. Elle a confirmé ces propos lors de la confrontation devant le juge d'instruction avec Philippe HATEGEKIMANA et à l'audience. Elle a précisé que le caporal MVUKIYAMAJYAMBERE connu comme un Hutu extrémiste, escorte du capitaine BIRIKUNZIRA, lui. avait raconté ensuite que Philippe HATEGEKIMANA avait rejoint des gendarmes à l'ISAR où un massacre s'était déroulé.
Didace KAYIGEMERA, lui-même gendarme, a déclaré au cours de l'instruction avoir vu le matin de l'attaque une vingtaine de gendarmes armés sortir du camp à bord d'un véhicule Daihatsu, précisant :
« Ils étaient encadrés par le sous-lieutenant NTAWIRINGIRA et l'adjudant-chef BIGUMA. Dans l'après-midi, j'ai vu ce groupe revenir du camp avec des matelas, des radios et beaucoup d'argent » et ajoutant « J'ai entendu les gendarmes qui étaient dans ce groupe dire qu'ils venaient de participer à l'attaque de Tutsi réfugiés à l'ISAR Songa. Selon ces gendarmes, ils ont utilisé des mortiers 60 au cours de cette attaque ». Il a aussi indiqué avoir vu BIGUMA et NTAWINGIRA charger un mortier de 60 mm et des fusils dans le véhicule en partance pour l'ISAR Songa. Il a confirmé ces propos tant lors de la confrontation devant le juge d'instruction avec Philippe HATEGEKIMANA qu'à l'audience.
Philippe HATEGEKIMANA a de façon constante contesté son implication dans ces faits; affirmant à nouveau qu'il ne se trouvait plus à Nyanza à ce moment-là. Lors de l'instruction, il a soutenu qu'il ignorait que des gendarmes pouvaient avoir procédé à des attaques contre la population là-bas. Il a estimé que les déclarations d'Angélique TESIRE n'étaient pas crédibles comme étant liées à un contentieux existant entre eux, et a affirmé que Didace KAYIGEMERA « inventait des choses ».
S'il est exact qu'aucun témoin ou aucune partie civile présente sur le site de l'ISAR Songa n'a été le témoin oculaire de la présence physique de l'accusé sur ce lieu et de son implication immédiate comme ayant lui-même procédé, fait procéder à des tirs, ou commis directement des violences à l'encontre des réfugiés, la Cour et le jury ont cependant considéré que l'accusé était à tout le moins présent à Nyanza lors de ces faits, qu'il était en position, eu égard à sa position dans la hiérarchie de commandement de la compagnie de gendarmerie de Nyanza, de désigner les gendarmes devant participer à l'attaque de l'ISAR Songa, de fournir ou de laisser l'accès à l'ensemble des armes et munitions nécessaires à celle-ci et qu'il était par ailleurs animé de l'intention de mettre en œuvre le plan génocidaire et l'attaque généralisée afin d'exterminer les Tutsi.
La Cour et le jury ont été convaincus de ce que l'accusé doit être déclaré coupable, en tant qu'auteur, du génocide des milliers de Tutsi réfugiés à l'ISAR Songa pour avoir fait commettre celui-ci par des gendarmes qui étaient sous son autorité, et en tant que complice de crimes contre l'humanité à l'encontre de ces mêmes victimes, pour avoir donné des instructions afin que ces crimes soient commis.
Il s'agit de faits d'une gravité inouïe, les Tutsi ayant été exterminés à l'ISAR Songa se comptant par milliers. Leur agonie a été atroce, et ces faits ont été accompagnés d'actes particulièrement inhumains. Sapientia RUGEMANA à par exemple indiqué avoir vu, outre des cadavres des hommes qui avaient été dévêtus et émasculés. Par ailleurs de nombreuses parties civiles ont indiqué avoir vu, ou avoir elles-mêmes été victimes dans les suites de cette attaque de viols parfois multiples et avoir survécu dans des conditions particulièrement effroyables.

9- Sur le crime de participation à un groupement ou une entente en vue de commettre un génocide et des crimes contre l'humanité

Certains témoins ont évoqué la tenue de réunions avant le début de massacres de Tutsi.
Toutefois, leurs déclaratio11:s n'apparaissent pas suffisamment .précises pour caractériser la participation de Philippe HATEGEK.IMANA à un groupement ou une entente en vue de commettre un génocide et des crimes contre l'humanité.
A cet égard, si le témoin Michel MBYARIYINGOMA a mentionné lors de l'instruction avoir vu BIGUMA assister à une réunio:11 avec le capitaine BIRIKUNZIRA, le 14 ou 15 avril 1994, il a indiqué que seul le capitaine BIRIKUNZIRA s'était exprimé et avait donné des instructions pour l'érection de barrières afin d'attraper les Tutsi. Ses déclarations à l'audience sont en outre apparues moins précises concernant cette réunion, y compris quant à la présence même de BIGUMA. Les déclarations de ce témoin doivent donc être écartées sur ce point.
De même, Hamza MINANI a évoqué à l'audience une réunion qui se serait tenue à Bigega, le 21 avril 1994, en présence de BIGUMA, du capitaine BIRIKUNZIRA, du directeur de la laiterie MIRASANO, du directeur de l'Electrogaz, le directeur de la Forge, d'un nommé HIGIRO, médecin à l'hôpital de Nyanza, et d'autres personnalités connues comme étant proches du COR ( Coalition pour la Défense de la République et de la Démocratie). Toutefois le témoin a précisé qu'il n'y avait pas assisté,.de sorte qu'il n'est pas possible de savoir ce qui a été discuté lors de ladite réunion, ni quelles ont été les décisions prises.
Par ailleurs, si plusieurs témoins ont évoqué les instructions données par Philippe HATEGEKIMANA lors de ses passages aux barrières, lors de l'arrestation du bourgmestre NYAGASAZA et de son exécution, ou juste avant les attaques notamment à Nyamure et Nyabubare, ces instructions avaient bien pour objectif d'inciter la population hutu présente à se livrer à la traque .et à concourir aux massacres des réfugiés tutsi aux côtés des gendarmes.
Ces instructions constituent l'un des faits matériels caractérisant la commission des crimes eux­ mêmes, et sont donc compris, soit dans la notion de « faire commettre » qui peut incriminer l'auteur principal du crime de génocide, soit dans celle de complicité par instructions ayant permis la réalisation des crimes contre l'humanité.
Dès lors ces instructions ne sauraient être considérées comme constituant des faits distincts caractérisant le crime d'entente ou d'association de malfaiteurs en vue de faire commettre les dits crimes.
Enfin, bien que certains témoins allèguent que d'autres réunions auraient été tenues, en mai 1994, soit vers la mi-mai, voire jusqu'au 22 mai, il existe un doute à l'issue des débats, sur la présence de Philippe HATEGEKIMANA à Nyanza à cette période avancée du mois de mai.
La Cour et le jury ont donc acquitté Philippe HATEGEKIMANA du crime de participation à un groupement formé ou à une entente établie en vue de la préparation crime de génocide et crime contre l'humanité.

10- Sur les conclusions des expertises psychiatriques et psychologique de l'accusé au regard de sa responsabilité pénale

La Cour et le jury relèvent qu'il ressort des expertises psychiatrique et psychologique que Philippe HATEGEKIMANA était et est indemne de toute affection de nature à abolir ou entraver son discernement.
Le Docteur ZAGURY a relevé que les déclarations faites par l'accusé lors de l'expertise étaient semblables à celles de plusieurs autres personnes mises en examen dans le cadre de procédures en lien avec le génocide rwandais qu'il a expertisées et que l'intéressé ne présente aucune anomalie mentale ou psychique, son discernement n'étant ni altéré, ni aboli, au moment des faits.
Monsieur OUDY, expert psychologue, a relevé que Philippe HATEGEKIMANA s'exonère de toute responsabilité dans les faits, qu'il se pose plus en victime qu'en auteur et qu'il a un discours où il y a peu d'affect, peu d'engagement personnel au niveau du sentiment.
La Cour et le jury ont donc estimé qu'en l'absence de troubles psychiques ou neuropsychiques, la responsabilité pénale de l'accusé pour les crimes dont il a été déclaré coupable n'est pas susceptible d'une exonération ou d'une atténuation. Les éléments de sa personnalité seront appréciés pour évaluer la peine devant lui être infligée.

C- SUR LA PEINE

Philippe HATEGEKIMANA ayant été déclaré coupable de crimes de génocide et de crimes contre l'humanité, il appartient à la Cour de déterminer la peine, en fonction des circonstances de l'infraction et de la personnalité de son auteur ainsi que de sa situation matérielle, familiale et sociale conformément aux finalités et fonctions de la peine énoncées à l'article 130-1 du code pénal.
Le crime de génocide et le crime contre l'humanité appartiennent à la catégorie des crimes les plus graves de notre dispositif répressif, s'agissant de crimes de masse organisés, du caractère généralisé des atteintes à la personne humaine qui entrainent un trouble exceptionnel à l'ordre public international, dont le caractère pérenne résulte notamment de l'impact de ce type de faits sur la mémoire collective de l'humanité et des traumatismes physiques et psychiques subis par les victimes rescapées et les ayants droit des victimes décédées.
Pour déterminer la peine qu'il convient de lui infliger, la Cour et le jury ont terni compte de l'extrême gravité des crimes à la commission desquels Philippe HATEGEKIMANA a sciemment contribué en agent zélé d'un plan d'extermination des Tutsi, ainsi que de son déni de toute part de responsabilité dans les atrocités dont ont souffert les victimes de ce génocide et de ces crimes contre l'humanité, comme de son absence de toute manifestation de remords. Philippe HATAGEKIMANA a non seulement agi au mépris de ses engagements de gendarme chargé de protéger la société, en maintenant la paix et l'ordre social, en luttant contre le crime et en garantissant la sécurité de ses concitoyens, mais par son comportement il a eu un rôle déterminant dans la mise en œuvre d'un plan haineux d'extermination ayant conduit à la mort d'un nombre extrêmement considérable de victimes qui ont été massacrées en masse et en un temps particulièrement court. Il n'a pas hésité à employer un armement militaire comprenant des fusils et des armes lourdes, notamment un mortier ou une mitrailleuse, mais aussi à faire usage de son autorité et de son prestige auprès de civils dont il a fait des exécutants efficaces d'une stratégie destructrice destinée à ne laisser aucun survivant parmi les réfugiés pourchassés. De plus, il doit être tenu pour responsable tant des souffrances physiques ou psychiques des rescapés ayant survécu aux attaques dont il a été l'un des organisateurs que des souffrances morales des proches des victimes décédées dans des conditions atroces.
La Cour et le jury ont aussi retenu que Philippe HATEGEKIMANA présente une personnalité complexe, manipulatrice, capable de s'adapter pour parvenir à ses fins, mais qui reste isolé, enfermé dans ses mensonges, en fuite constante face à ses responsabilités, incapable de toute véritable remise en cause personnelle et d'assumer l'énormité des crimes qu'il a commis, tout .comme de manifester une empathie véritablement sincère pour ses victimes.
Même si les faits commis par Philippe HATEGEKIMANA doivent être replacés dans le cadre d'un plan génocidaire ayant été impulsé par les plus hautes autorités de l'État et dans un contexte de phénomène de groupe et d'entraînement aboutissant à la perte de tout repère moral, social, ou même religieux, ainsi qu'à une levée des interdits fondamentaux, la Cour et le jury ont considéré que quels que soient l'âge, les difficultés de santé, voire les traumatismes ayant pu résulter du parcours chaotique de l'intéressé, notamment lors de son séjour dans des camps de réfugiés en République Démocratique du Congo, l'énormité des crimes dont il est personnellement responsable ne peut être sanctionnée que par une peine de réclusion criminelle à perpétuité.

Fait en chambre des délibérations de la Cour d'assises de Paris, le 30 juin 2023

La Première jurée

Le Président de la Cour d'assises

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