Fiche du document numéro 33533

Num
33533
Date
Mardi 23 mai 2023
Amj
Taille
29028611
Titre
TJ de Paris, 17ème chambre, jugement n° 19186000727 [Sybile Petitjean, Benoît Collombat, Walfroy Dauchy, Hugues Jallon et Laurent Larcher Faure relaxés du chef de diffamation publique et de complicité de ce délit envers Guillaume Victor-Thomas]
Nom cité
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Lieu cité
Lieu cité
Mot-clé
Source
Type
Jugement d'un tribunal
Langue
FR
Citation
[Extraits du jugement du Tribunal judiciaire de Paris]

DEBATS

A cette dernière audience, à l'appel de la cause, la présidente a constaté la présence et l'identité de Benoît COLLOMBAT, Walfroy DAUCHY et Laurent LARCHER, lesquels étaient assistés de leur conseil respectif, ainsi que la présence de la partie civile, Guillaume VICTOR-THOMAS, assisté de son avocat, Sybile PETITJEAN et Hugues JALLON étant représentés par leur conseil respectif.
Les débats se sont tenus en audience publique.
La présidente a rappelé les préventions en mettant dans les débats la question de l'erreur matérielle figurant dans l'ordonnance de renvoi s'agissant de la prévention concernant Walfroy DAUCHY. Les parties ayant été entendues sur ce point il a été relevé qu'il n'y avait pas de difficulté pour considérer que M. DAUCHY est bien poursuivi pour les propos à la fois dans l'article, dans la vidéo et dans le livre.
La présidente a avisé les prévenus présents de leur droit, au cours des débats, de faire des déclarations, de répondre aux questions qui leur sont posées, ou de garder le silence.
Les témoins présents, Auguste Charles ONANA, Herman TWAGIRAMUNGU et François GRANER, ont été invités à quitter la salle d'audience.
La présidente a rappelé les faits et la procédure.
Le tribunal a procédé au visionnage de l'extrait de l'interview de Walfroy DAUCHY mis en ligne sur le site www.franceinter.fr.
Walfroy DAUCHY, Benoît COLLOMBAT et Laurent LARCHER ont été interrogés sur les faits et sur leur personnalité et le tribunal reçu leurs déclarations.
Il a ensuite été procédé à l'audition de :
- Auguste Charles QNANA, témoin cité à la requête de la partie civile, serment préalablement prêté,
- Herman TWAGIRAMUNGU, témoin cité à la requête de Walfroy DAUCHY, serment préalablement prêté,
- François GRANER, témoin cité à la requête de Benoît COLLOMBAT, serment préalablement prêté,
puis à l'audition de Guillaume VICTOR-THOMAS, partie civile. Le tribunal a ensuite entendu, dans l'ordre prescrit par la loi :
- Me SALOMON, pour la partie civile, qui a développé les demandes formées
dans ses écritures,
- la représentante du Ministère public en ses réquisitions,
- Me ADER, pour Sybile PETITJEAN et Benoît COLLOMBAT, lequel a soutenu ses conclusions aux fins de relaxe,
- Me DE LAZZARI, conseil de Walfroy DAUCHY, qui a développé ses écritures, - Me AMBLARD, pour Laurent LA_RCHER et Hugues JALLON, laquelle a soutenu ses conclusions.
Les prévenus ont eu la parole en dernier.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré et es parties ont été informées, en application des dispositions de l'article 462, alinéa 2, du code de procédure pénale, que le jugement serait prononcé le 23 mai 2023.
A cette date la décision suivante a été rendue :

MOTIFS

Sur les faits

Le 14 juin 2019, Guillaume VICTOR-THOMAS déposait plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d'instruction, au visa des articles 29 alinéa 1 et 32 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881, du chef de diffamation publique envers un particulier à raison des propos, ci-dessus reproduits, contenus dans un article mis en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet ·www.franceinter.fr, intitulé« Génocide au Rwanda : la« faute » de la France », signé Benoît COLLOMBAT, et dans une vidéo d'entretien avec Walfroy DAUCHY insérée en son sein, accessibles à l'adresse URL https//www.franceinter.fr/monde/genocide-au-rwanda-la-faute-de-la-france, ainsi que dans un ouvrage intitulé « Rwanda, ils parlent », signé Laurent LARCHER, paru le 21 mars 2019 aux Editions du Seuil.
Guillaume VICTOR-THOMAS se présentait dans sa plainte comme dirigeant de société. Il rappelait, au titre du contexte des propos poursuivis, que « le 22 juin 1994 débutait ['Opération Turquoise, autorisée par le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies dans le cadre du génocide au Rwanda, avec pour ordre de mission de faire pénétrer !'armée française au Rwanda et ce afin de « mettre fin aux massacres partout où cela sera _possible, éventuellement en utilisant la force » ». Il précisait que cette opération était conduite depuis le Zaïre et avait pour base logistique l'aéroport de Goma. Il expliquait qu'en 1994, il était « associé et salarié au sein de la société SPAIROPS, société de courtage aérien travaillant pour le ministère de la Défense, créée par son père, .Michel VICTOR-THOMAS ». Il expliquait que cette« société avait été sollicitée pour intervenir dans le cadre de !'Opération Turquoise au Rwanda afin d'assurer ['affrètement d'avions gros porteurs dont
!'armée française ne disposait pas, nécessaires à là mission, depuis la France vers Goma ». Il indiquait s'être, dans ce cadre, rendu à Goma durant plusieurs mois afin d'assurer la logistique de ces affrètements.
Il soutenait que les propos poursuivis, principalement constitués de déclarations de Walfroy DAUCHY qui « se [présentait] comme ancien bénévole de la Croix Rouge à Goma durant /'Opération Turquoise », étaient diffamatoires à son égard en ce qu'ils lui imputaient d'avoir procédé à la livraison et la vente d'armes au gouvernement Hutu durant !'Opération Turquoise par le biais de la société au sein de laquelle il était associé, et ce en toute connaissance de cause, Il considérait que ces propos portaient atteinte à son honneur et à sa considération dès lors que ces faits étaient assimilables au crime de complicité de génocide. Il indiquait que les déclarations de Walfroy DAUCHY avaient été relayées par les médias, notamment sur le site de France Inter, dans l'article et l'entretien. vidéo visés par les poursuites, ainsi que dans l'ouvrage écrit par Laurent LARCHER se présentant comme un recueil de « témoignages pour l'Histoire ».
Une information judiciaire était ouverte et les investigations étaient confiées à la brigade de répression de la délinquance contre la personne (BRDP). Ce service obtenait, via l'envoi de courriers électroniques, la confirmation des identités du directeur de publication du site wwww.franceinter.fr, à savoir Sybile PETITJEAN, de l'auteur de l'article litigieux, à savoir Benoît COLLOMBAT, ainsi que de celle de l'auteur des propos cités dans l'article et tenus dans l'entretien, à savoir Walfroy DAUCHY. La BRDP était par ailleurs informée, à la suite de l'envoi d'une réquisition, que le directeur de publication des Editions du Seuil lors de la parution de l'ouvrage « Rwanda, ils parlent », signé Laurent LARCHER, était Hugues JALLON et que le livre avait pour la première fois été mis à disposition du public le 21 mars 2019.
Sybile PETITJEAN, Benoît COLLOMBAT, Walfroy DAUCHY, Laurent LARCHER et Hugues JALLON confirmaient au juge d'instruction être soit l'auteur des propos poursuivis, soit le directeur de publication des supports sur lesquels ces derniers avaient été publiés. Ils étaient mis en examen par courrier, selon la procédure prévue à l'article 51-1 de la loi du 29 juillet 1881, du chef de diffamation publique envers particulier ou de complicité de ce délit, avant d'être renvoyés devant ce tribunal par une ordonnance du juge d'instruction en date du 28 juillet 2021, dans les termes ci-dessus repris.
Lors de l'audience du 13 mars 2023·, il était procédé comme ci dessus rappelé. Walfroy DAUCHY était entendu en sa qualité de prévenu.
Interrogé sur les circonstances de son séjour à Goma, il expliquait : « C'est dans le cadre de mon volontariat pour la Croix-Rouge que j'interviens. J'y avais fait des stages les deux années précédentes. On m'a demandé de partir dans la foulée de mon mariage. (. ..) Je suis resté à Goma pratiquement deux mois. C'était début août-fin septembre 1994 ».
Il indiquait maintenir l'intégralité de son témoignage, tel qu'il était repris dans l'article de Benoît COLLOMBAT, dans la vidéo et dans le livre de Laurent LARCHER. Il s'.en expliquait en ces termes : « Je rencontre un monsieur qui me dit ceci cela (...) . J'ai été frappé par sa décontraction. On dormait peu, on
se lavait peu. Donc voir quelqu'un avec un tee-shirt propre c'était inhabituel pour nous. L'élément essentiel pour nous c'est le choléra depuis mi juillet, ça commence à faire une dizaine de morts par jour. C'est distinct du génocide. Le génocide est un sujet dont on parle sans avoir les idées très claires. (...) Je cherchais des ressources en permanence donc ma mission était souvent à l'aéroport qui était le centre nerveux et je rencontre un ·civil armé, en bonne santé, et après mon témoignage se déroule comme je l'ai rapporté ». Il précisait avoir rencontré la partie civile à deux ou trots reprises à Goma à compter de début août et confirmait avoir vu à cette occasion des avions
« français » de type C130 et C160, soit des avions de type militaire. Il indiquait avoir noté dans un petit carnet les éléments relatifs aux personnes rencontrées à Goma dans le cadre de ses recherches de transp01j:s, de carburant, dont ceux se rapportant à Guillaume VICTOR-THOMAS. Interrogé sur le fait que la société SPAIROPS avait certes participé à l'opération Turquoise en affrétant des avions dans l'intérêt de l'armée française mais qu'elle avait alors utilisé des avions russes de type Antonov, il répondait qu'il faisait la différence entre ces modèles, qu'il maintenait ses déclarations (cf notamment dans l'article publié sur le site de France Inter: « Je n'ai pas vu les armes, mais j'ai vu les caisses (...) Je vois les avions et je vois les caisses. Les avions ·sont français, des avions militaires français »), expliquant que si la société SPAIROPS avait été, au début de l'opération, « mandatée par le gouvernement français et que là il y avait eu l'intervention de gros porteurs », ses rencontres avec la partie civile avait eu lieu plus tard, que « au mois d'août on n'est plus dans cette phase, l'opération turquoise est bien en place » et qu'il avait alors vu d'autres avions.
Interrogé sur les sens des propos prêtés à Guillaume VICTOR-THOMAS, à savoir qu'il« livrait des armes », il répondait : « Aucun, on est dans un endroit où il y a des armes partout. Je suis plus surpris par l'apparence de ce monsieur. Je n'étais pas choqué par la présence des armes. Je ne savais même pas que le gouvernement en exil n'était plus le gouvernement officiel (...) je comprends que ce n'est pas l'armée française qui livre directement ». Il précisait avoir évoqué le sujet des livraisons d'armes avec d'autres personnes sur la base militaire mais que si lui en parlait, c'est qu'il n'était pas soumis au devoir de réserve.
Interrogé sur ses déclarations au sujet « du lac Vert », telles qu'elles figurent dans l'ouvrage de Laurent LARCHER, il indiquait : « Le lac .Vert j'en ai entendu parler à Goma sans savoir ce que c'était exactement. Je comprends, en discutant avec Guillaume VICTOR-THOMAS, que les armes sont livrées là­ bas et que c'est un camp d'entraînement du gouvernement en exil pour reprendre le pouvoir. (. ..) Mais je ne sais pas où c'est. Je rencontre lors d'une audition en mars 2020, un enquêteur qui me dit qu'il connaît le lac Vert comme sa poche. Guillaume VICTOR-THOMAS dit qu'il a livré des armes et qu'à la fin elles vont au lac Vert, il ne les accompagne pas au lac Vert ». Il confirmait la fidélité de la transcription de ses propos au sein des différents supports poursuivis, précisant uniquement que Laurent LARCHE avait fait une erreur en indiquant qu'il lui aurait dit que-la société SPAIROPS aurait affrété des avions de type C130 car « les avions militaires français ne sont pas affrétés par des sociétés civiles ».
Benoît COLLOMBAT était à son tour entendu en sa qualité de prévenu.
Il expliquait être journaliste depuis de nombreuses années et avoir principalement exercé au sein de Radio France, d'abord à France Inter puis ensuite au sein de la cellule investigation de Radio France, service transversal dont les enquêtes étaient diffusées sous des formats différents sur toutes les antennes.
Interrogé sur les circonstances l'ayant conduit à s'entretenir avec Walfroy DAUCHY et à écrire l'article litigieux, il indiquait : « Cela fait une quinzaine d'années que je travaille sur le rôle de la France au Rwanda. En 2014, j'ai écrit, avec David SERVENAY, un livre « Au nom de la France ». C'est ensemble que nous avons aussi mené les différents entretiens relatés dans l'article. Un mois avant sa mise en ligne, j'avais publié un article avec Fabrice ARFI de Médiapart où nous publions ·une note de·1a DGSE et le témoignage d'une personne qui a dû faire face à des demandes des extrémistes hutus pour débloquer des fonds. Il y a par ailleurs une enquête en cours sur une livraison d'armes en 94 qui est documentée. ( ...) Cette question de ces ventes d'armes est légitime. C'est pour cela qu'on a recueilli le témoignage di Walfroy DAUCHY, il s'inscrit dans un travail plus ample. Jean VARRET, c'était la première fois qu'il s'exprimait publiquement dans un média grand public, Il explique qu'on lui demande des armes (...) et il exprime une grande inquiétude. Il nous a paru pertinent, légitime de publier le témoignage de Walfroy DAUCHY car nous sommes dans la zone grise de la vente d'armes. Ce qui m'intéresse ce ne sont pas les individus mais les logiques de fonctionnement, ce n'est pas l'individu Guillaume VICTOR-THOMAS qui m'intéresse, d'ailleurs je ne publie pas son nom. D'autres témoignages font état de livraisons d'armes. Il y a une réponse qui est apportée. Nous faisons réagir l'amiral LANXADE sur le sujet qui nous dit qu'on n'a pas autorisé une chose pareille ».
Il précisait que, « dans [son] souvenir, c'est David SERVENAY [lui avait] parlé de Walfroy DAUCHY », et décrivait ainsi l'entretien : « On est allé le voir dans son bureau, il a dit spontanément, le souvenir qu'il avait. J'ai eu l'impression de quelqu'un qui disait ce qu'il avait à dire ni plus ni moins, je n'ai pas eu l'impression d'être face à quelqu'un qui en rajoutait ». Il indiquait, s'agissant de la façon dont la partie civile était décrite qu'il fallait « des éléments qui montrent que les souvenirs de Walfroy DAUCHY sont précis et ce qui l'a frappé c'est son attitude ». Interrogé sur le crédit qu'il avait porté aux déclarations ainsi recueillies, il expliquait que ce type de « témoignage précis et circonstancié [apportait] quelque chose au débat public » et ajoutait:
« C'est très difficile d'avoir des témoignages là-dessus. C'est vraiment malheur à celui qui parle. C'est difficile d'avoir des témoignages directs. Je n'ai vu aucune malice, aucun agenda caché. Il disait avoir vu les caisses et pas les armes », ce dernier élément renforçant selon lui la crédibilité du témoin.
Interrogé sur sa compréhension des propos de Walfroy DAUCHY au regard notamment du rôle et des déclarations prêtés à Guillaume VICTOR-THOMAS, il répondait : « On ne peut pas trancher ce point là. Dans l'article, on ne tire
pas de conclusions là-dessus. Pour moi, la question c'est celle du contrôle de l'aéroport. Pour nous c'est la responsabilité de l'état-major français. Pour nous la réponse, c'est le contradictoire avec l'amiral LANXADE. On parle clairement de livraisons illégales. Dans le rapport DUCLERT, il est indiqué que malgré les dispositions qui prévoient de ne plus livrer des armes, il y a une manière -de poursuivre ces livraisons de façon discrète [le prévenu lit alors la page 811 du rapport DUCLERT :·« En l'absence d'archives significatives dans les fonds consultés en France, il est impossible de rendre compte avec
.certitude de l'existence du flux d'armes transitant de la France vers le Rwanda après le début du génocide des Tutsis. (. ..) Louis Gautier, conseiller pour la défense à Matignon, rédige une note le 15 avril 1998 à l'attention de Lionel Jospin. (. ..) La note rappelle que, sur la vente de matériel étranger sans transit par la France ou le trafic illicite par des sociétés françaises, les opérations ne sont pas soumises au contrôle : « Par ailleurs les investigations menées jusqu'à présent par les services n'ont apporté la preuve, ni de la réalité, ni de l'inexistence de trafics illicites (. ..) » » ]. C'est très difficile de savoir ce qu'il en est. Il est très difficile d'avoir des documents écrits sur le sujet sachant qu'on est dans une zone grise. Il y a un rapport d'une ONG qui rapporte des témoignages recueillis autour de l'aéroport de Goma. Il y a une enquête judiciaire autour de mercenaires comme Paul BARIL, qui se reconvertit dans la sécurité de chefs d'états africains et qui est soupçonné d'avoir livré des armes, et il y a la présence de Bob DENARD qui est connu des services français. Il y a des témoignages de personnes qui expliquent comment début mai 94 « nous livrons des munitions à Goma », ou Bernard KOUCHNER qui dit que, selon lui, il y a eu des livraisons d'armes jusqu'en août 1994». Il ajoutait un peu plus tard : « Il y a de nombreuses sociétés qui sont soupçonnées, mais là on est dans la zone grise ».
S'agissant de la société SPAIROPS, il précisait avoir, pour son livre précédent,
« fait une interview par téléphone avec Michel VICTOR-THOMAS [père de la partie civile] sur le fait qu'il avait été contacté pour ses avions car l'armée française en avait besoin ».
Interrogé sur le point de savoir s'il avait cherché à recueillir ou non la réaction de la partie civile, il indiquait : « ce n'était pas le sujet, son nom n'est pas mentionné, ni celui de la société. ( ...) On ne faisait pas un reportage sur la société SPAIROPS. Ce sont les militaires français qui contrôlent de facto la base de Goma ».
Laurent LARCHER était à son tour entendu en sa qualité de prévenu.
Il indiquait être journaliste et être actuellement responsable de la rubrique « Afrique subsaharienne » au service Monde du journal La Croix. Il précisait avoir effectué ses premiers reportages en zone de guerre en 1995, en ex-Yougoslavie, et avoir couvert par la suite plusieurs conflits. Il expliquait en ces termes le parcours l'ayant conduit à s'intéresser au génocide rwandais, à écrire l'ouvrage contenant les propos litigieux et à devenir journaliste : « En 94, je prépare un doctorat et je suis professeur d'histoire et j'enseigne la Shoah. (...) Et on découvre qu'à notre époque on extermine des gens pour ce qu'ils sont. J'ai proposé mes services à différentes ONG pour sauver les tutsis. Et le Secours catholique m'a demandé de faire des notes pour alerter l'opinion publique et je tombe sur un document extraordinaire, qui montre un père blanc qui a assisté en 1963 à une extermination de tutsis. Je me suis dit que ce à quoi on assiste a une histoire et j'en ai tiré un article et j'évoque la question de la responsabilité. Mon sujet de doctorat m'est paru fade et j'ai voulu témoigner et être à la hauteur des enjeux de notre temps et c'est pour ça que je suis devenu
journaliste. Quand j'ai découvert que ce prêtre avait alerté les autorités religieuses qui ne bougeaient pas, ce sont des sujets qui vous entraînent, vous n'avez jamais fini de faire le tour dé ces sujets. Je voulais savoir ce qui s'était passé. Sachant qu'on en parlait très peu, il y avait Patrick de SAINT­ EXUPÉRY qui sortait son livre. ( ...) Je ne savais pas que la France avait soutenu ce régime. Ce même président François MITTERRAND disait « plus jamais ça » à la même époque. Ça m'a paru tellement énorme que j'ai cherché à comprendre et à creuser. Je me suis senti prêt à le faire. Pour la deuxième fois dans l'histoire, la France est associée à un génocide, les thèses s'opposent très violemment. Il n'y avait aucun livre sur le Rwanda et la France, j'ai voulu donner la parole à tout le monde. Mon idée était de constituer une sorte d'agora démocratique pour entendre toutes ces voix dans un même objet. J'ai restitué l'intégralité des propos que nous avons échangés lès uns et les autres, dans leur nudité. C'était important de donner la parole aux principaux acteurs et de restituer leurs propos. Cela fait 25 ans qu'on est dans une zone grise, dans le brouillard de la guerre ». L'objectif était pour lui, qu'à la lecture des entretiens avec « les principaux acteurs, de Guillaume ANCEL à Hubert VEDRINE », les lecteurs se fassent leur propre idée sur ces événements et le rôle de la France.
Interrogé sur les raisons l'ayant conduit à rencontrer Walfroy DAUCHY et à faire figurer son témoignage dans son livre, Laurent LARCHER expliquait :
« Guillaume ANCEL me parle d'une livraison des armes et je lui demande s'il
a d'autres témoins. Il est le seul témoin à dire qu'il a assisté à une scène de livraison, d'arn1,cs. Je lui dis donc que son témoignage est unique. Je lui demande si d'autres personnes peuvent étayer ses propos. Il est le seul à dire que l'opération turquoise est une opération faussement humanitaire. Il me dit qu'il connaît un humanitaire français ayant évoqué des livraisons d'armes et c'est la raison pour laquelle j'ai demandé à rencontrer Walfroy DAUCHY ». Il précisait que les entretiens repris dans le livre avaient eu lieu entre mars et décembre 2018 et que la rencontre avec Walfroy DAUCHY s'était déroulée en novembre 2018.
Interrogé sur le déroulement de cet entretien, il indiquait : « J'ai l'habitude de rencontrer des gens, j'ai entendu plein de gens mais ça paraissait pas crédible;
Il m'a paru crédible, il est polytechnicien. Au cours de l'entretien, j'ai un peu douté. Il y a deux moments étranges notamment le lac Vert. A l'issue de l'entretien, j'ai lu des éléments de biographie sur la société SPAIROPS et j'ai découvert qu'elle était effectivement présente à l'été 94 à Goma et sur le lac Vert, j'ai su après qu'il y avait un vrai camp, l'état' major des FAR se réorganisait. C'est un camp connu dans la littérature de plus en plus, et dont parle Patrick de SAINT-EXUPÉRY. Mes doutes-je les mets dans le livre, et
avec l'éditeur on a décidé de garder cet entretien. On est là sur une zone grise, ça faisait partie des voix que je voulais porter à la connaissance du public ».
Il expliquait ne pas avoir interrogé Guillaume VICTOR-THOMAS car les livraisons d'armes n'étaient pas le sujet central du livre qui était principalement consacré à des entretiens avec ceux qui avaient élaboré la politique. de l'époque.
Il était ensuite procédé à l'audition de Auguste Charles ONANA, témoin cité par la partie civile, puis de Herman TWAGIRAMUNGU, cité par Walfroy DAUCHY, et enfin de François GRANER, cité par Sybile PETITJEAN et Benoît COLLOMBAT.
Auguste Charles ONANA se présentait comme « un universitaire qui a
beaucoup travaillé sur l'opération turquoise, les militaires de l'opération ». Il expliquait s'être intéressé dans ce cadre à la question des livraisons d'armes qui « était récurrente de la part de plusieurs associations qui mettaient en accusation la France ». Il indiquait n'avoir trouvé, dans le cadre de ses recherches, aucune preuve de ces livraisons, y compris dans les archives américains.
Herman TWAGIRAMUNGU expliquait que son « père était hutu et [sa] mère était tutsi » et que lui faisait des études en France. Il expliquait qu'à la fin de ses études, il était retourné au Rwanda « pour faire sortir [sa] famille du bourbier dont [il] entendait parler à la télévision ». Il précisait : « Quand on a fui, on a été dans une parenté de la famille à Goma mais quand il y a eu
l'afflux des militaires, des rwandais, on a tous été contraints d'aller dans les camps ». Il expliquait que c'était dans ce cadre qu'il avait été en contact avec la Croix-Rouge française à Goma à qui il avait demandé un travail. Il précisait : « A cette période », qu'il situait en juillet/août 1994, « j'ai rencontré Walfroy DAUCHY avec qui j'ai échangé tant que j'ai été au service de la Croix­ Rouge ».
Interrogé sur le point de savoir si c'était de lui dont Walfroy DAUCHY parlait quand il évoquait avec Laurent LARCHER, page 536 de son ouvrage, un ami qu'il s'était fait « dans le camp, on est toujours amis, vingt-cinq ans après. C'est un réfugié, mais il est tutsi. Il connaît aussi l'histoire du Lac-Vert, il se souvient que des gens disaient que c'était un camp d'entraînement, de réorganisation... », Herman TWAGIRAMUNGU répondait : « Le lac Vert j'en ai effectivement aussi entendu parler. De mémoire, on a parlé de ce lac Vert, il y avait un camp militaire d'entraînement. Il y avait des militaires. J'ai entendu surtout. Pendant cette période plus je me tenais à l'écart, plus j'espérais m'en sortir ».
S'agissant des armes, il expliquait : « J'en ai entendu parler des armes. Je ne l'ai pas constaté de visu. Après pendant cette période, il y avait des voitures de militaires dans tous les sens, plus les camions. Je l'ai entendu quand on était contraint d'aller dans les camps, il y avait des militaires zaïrois qui se demandaient pourquoi il y en avait qui traversaient avec les armes. Quand j'étais à la Croix-Rouge, Walfroy DAUCHY parlait de livraisons d'armes qui
arrivent et qu'il se faisait tirer dessus mais pouvoir dire concrètement tel jour, non. (...) Je n'ai pas entendu le nom [de SPAIROPS ou de Guillaume VICTOR-THOMAS] comme tel mais le descriptif de certaines personnes ou d'événements. Il y a des points qui m'ont marqué. Quand je le voyais rentrer troublé à la base, il m'interrogeait. (..:} Il disait qu'il y avait un business qui se faisait ».
François GRANER, après avoir rappelé être chercheur dans un domaine sans lien avec le génocide rwandais mais avoir écrit deux ouvrages sur ce sujet l'intéressant et pour lequel il avait obtenu l'ouverture des archives, expliquait : « Un élément de contexte important : à aucun moment il n'y a d'intention génocidaire chez les responsables français. Il faut maintenir au pouvoir des alliés sur qui on peut compter. Donc il y a un soutien aux forces alliées rwandaises avant et après. Pendant l'opération Turquoise, il y a un désarmement des forces rwandaises qui est suivi d'un réarmement plus discret. L'apport d'armes via l'aéroport de Goma. Ces livraisons sont avérées et pas contestées. Il y a cinq documents écrits français, quatre déclarations orales des responsables français et huit témoignages d'acteurs de terrain. Il y a eu trois apports d'armes aux FAR pendant cette période. Pour _la société SPA/ROPS qui opère au Rwanda pendant l'opération Turquoise, il y a deux témoignages indépendants qui permettent de faire le lien entre elle et les livraisons d'armes que nous avons retenues dans notre livre. Je ne connaissais pas Guillaume VICTOR-THOMAS avant ce travail. J'ai vu son interview dans "Tour Mag" où l'intervieweur lui demande s'il est plutôt organisateur ou baroudeur. Il dit qu'il a transporté des armes en Afrique en lien avec les militaires français et qu'il ne peut pas tout dite à ce sujet ».
Guillaume VICTOR-THOMAS était ensuite entendu en sa qualité de partie civile. Il soulignait la gravité des accusation portées à son encontre, ajoutant à son traumatisme d'avoir vécu cette période marquée par « les épidémies de choléra, les corps sur la route ». Il dénonçait les amalgames et expliquait en ces termes son rôle à Goma : « Mon rôle était d'intervenir pour le ministère de la défense. La nécessité avait été, dans l'urgence, de faire appel à des prestataires extérieurs pour trouver des avions de grande capacité. L'armée n'avait pas la connaissance, la compétence de ces avions de grande capacité. IJ y avait des difficultés logistiques, c'est dans ce cadre que j'ai été sur Goma, les responsables avaient connaissance de ma carrière militaire, que. Je savais être flight manager donc je pouvais répondre à une problématique immédiate. Il fallait sur place des relais qui en étant civils, pourraient permettre le
routing. Les militaires aiment bien quand c'est carré. Je suis resté à Goma à
partir du 15 juillet, je n'étais_ pas à Goma quand l y a eu les attaques de mortiers car j'ai pris quelques jours de repos. (...) Mon rôle n'était pas de connaître les livraisons. J'avais un contrôle type : avion, équipage, assurance. On proposait à l'armée française un avion, qui était russe et issu du . démantèlement de l'armée russe, mon père faisait l'identification des vols, et ils recevaient un avion vide qu'ils chargeaient. L'avion allait à Goma où il était déchargé par les militaires français et mon rôle était de voir sur place l'arrivée. Je n'ai pas le souvenir d'avoir rencontré Walfroy DAUCHY. J'ai posé la question aux militaires sur place. J'ai été jusqu'à demander à Hubert
VERDRINE s'il confirmait ses propos. Oui j'ai porté une arme qui m'a été remise par le commandement de l'opération turquoise. J'ai été 95 % de l'opération turquoise en uniforme, j'ai été intégralement intégré à l'opération turquoise ».
Développant ses conclusions déposées à l'audience, le conseil de Guillaume VICTOR-THOMAS maintenait les termes de sa plainte quant à la teneur des imputations diffamatoires. Il précisait que la partie civile était identifiable tant dans l'article et la vidéo, grâce aux précisions factuelles sur son âge, son employeur, que dans le livre, où elle était nommément citée. Il déniait aux prévenus la possibilité de bénéficier de la bonne foi, en l'absence d'enquête sérieuse. Il in4,iquait produire à cet égard diverses pièces dont il découlait que les livraisons d'armes en provenance de la France pour les hutus se seraient interrompues en mars 1993, ou que pour le moins, il n'y aurait plus eu de signature de contrats après les accords d'Arusha (pièce n°1, attestation de Hubert VEDRINE; pièce n°3, extrait du rapport DUCLERT), ainsi que des attestations dont il ressortait que la partie civile n'avait pas pu avoir un tel comportement. Il sollicitait la condamnation de Walfroy DAUCHY à verser à Guillaume VICTOR-THOMAS la somme de 50.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, la condamnation solidaire de Sybile PETITJEAN et de Benoît COLLOMBAT à lui verser à ce titre la somme de 30.000 euros, et celle de Hugues JALLON et de Laurent LARCHER à lui verser la même somme. Il sollicitait par ailleurs la suppression de l'article et de la vidéo du site internet www.franceinter.fr et la condamnation de chacun des prévenus à lui verser la somme de 1.500 euros sur le fondement de l'article 475-1 du code de procédure pénale.
La représentante du ministère public était entendue en ses réquisitions. Elle émettaient notamment, au regard de leur contexte, des réserves sur le caractère diffamatoire de certains des propos poursuivis, et soulignait qu'en tout état de cause, si des imputations diffamatoires étaient retenues, les journalistes devaient être renvoyés des fins de la poursuite dès lors qu'ils n'avaient fait que recueillir la parole d'un tiers.
Développant oralement ses conclusions déposées à l'audience, le conseil de Sybile PETITJEAN et de Benoît COLLOMBAT soulevait en premier lieu l'irrecevabilité de l'action de la partie civile dès lors que, non nommément cité, Guillaume VICTOR-THOMAS ne serait pas identifiable à travers les propos poursuivis, que ce soit à travers des éléments intrinsèques ou extrinsèques. Il soulignait à cet égard que le fait qu'il soit présenté comme « un Français, assez jeune, 23-25 ans », « le fils d'un transporteur aérien bien connu de l'armée française, dont la société est basée dans le sud-est de la France », qui
« travaille pour la société de son père » qui «_est située près d'Istres, une grosse base militaire française, et ils livrent des armes » n'était pas suffisant dès lors que si une base militaire française était effectivement située à Istres, la ville et ses alentours comptaient d'autres sociétés spécialisées dans le transport aérien. Il ajoutait que la partie civile n'était pas la seule à avoir effectué son service militaire au Tchad. Il soutenait en outre que les propos poursuivis n'étaient pas diffamatoires, certains reflétant l'opinion de leur auteur et d'autres étant insuffisamment précis. Il soulevait subsidiairement l'exception de bonne foi, insistant sur l'intérêt général du sujet abordé et l'enquête sérieuse menée par Benoît COLLOMBAT. Il indiquait communiquer à ce titre un rapport et des articles de presse évoquant la possibilité que les livraisons d'armes se soient poursuivies au Rwanda pendant l'opération Turquoise et mentionnant les liens entre Viktor-BOUT, trafiquant d'armes notoirement connu et Michel VICTOR­ THOMAS, père d la partie civile (pièces· n°7 à 16), autant d'éléments autorisant le journaliste à réserver un écho particulier au témoignage d'une personne s'étant rendue sur les lieux, à une époque suscitant encore des controverses entre les intervenants et les historiens. Il soulignait, encore plus subsidiairement, que les propos poursuivis étaient des citations de Walfroy DA1=!CHY et que le journaliste et la directrice de publication pouvaient bénéficier de l'exception dite de l'interview.
Développant oralement ses écritures déposées à l'audience, le conseil de Walfroy DAUCHY concluait à sa relaxe. Elle soutenait d'abord que les propos poursuivis n'étaient pas diffamatoires envers l'a partie civile, soit qu'il s'agissait
de commentaires personnels; soit qu'ils étaient imprécis. Elle invoquait subsidiairement le bénéfice de la bonne foi. Après avoir souligné l'intérêt général du sujet, elle rappelait que Walfroy DAUCHY n'était pas journaliste mais un témoin direct des faits qu'il rapportait à travers les passages incriminés. Elle précisait produire des pièces attestant de la présence du prévenu à Goma au cours de la période où les rencontres avec Guillaume VICTOR-THOMAS se seraient déroulées, du fait qu'il l'avait effectivement rencontré, soulignant que celui-ci reconnaissait d'ailleurs dans ses écritures s'être rendu à l'aéroport de Goma à plusieurs reprises pour assurer la logistiques des opérations d'affrètement aérien organisée par la société SPAIROPS. Elle soulignait que le rôle de cette société dans le cadre de l'opération Turquoise n'était pas contesté et qu'il était au demeurant établi que les avions utilisés à cette occasion avaient été fournis à la société par Viktor BOUT, connu pour être un trafiquant d'armes (ses pièces n°4 et 5). Elle soutenait que ces divers éléments renforçaient la crédibilité du témoignage direct fourni par Walfroy DAUCHY qui ne faisait que relayer ce qui lui avait été dit à l'époque par la partie civile. Elle sollicitait la condamnation de cette dernière à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 800-2 du code de procédure pénale.
Développant oralement ses écritures déposées à l'audience, le conseil de Hugues JALLON et de Laurent LARCHER concluait à leur relaxe. Elle soutenait en premier lieu que les propos poursuivis, qui par ailleurs ne présentaient pas de caractère diffamatoire en tant que tel envers la partie civile, ne pouvaient être considérés comme constituant le délit de diffamation dès lors que Laurent LARCHER n'avait fait que rapporter les propos de Walfroy DAUCHY, dans le cadre d'un livre composé d'entretiens, sans les dénaturer et sans se les approprier. Elle indiquait par ailleurs que les propos de Walfroy DAUCHY sur les livraisons d'armes étaient cohérents par rapport aux déclarations faites par Hubert VEDRINE devant la commission de la Défense de l'Assemblée nationale en 2014 et lors de son entretien avec Laurent LARCHER rapporté lui aussi dans l'ouvrage. Elle invoquait enfin le bénéfice de la bonne foi et des dispositions de l'article 10 de la CEDH, estimant qu'en l'espèce, compte tenu de l'intérêt général du sujet, le droit à l'information du public devait prévaloir. Elle sollicitait la condamnation de Guillaume VICTOR-THOMAS à verser à Hugues JALLON et de Laurent LARCHER la somme de 3.000 euros chacun sur le fondement de l'article 800-2 du code de procédure pénale.

Sur les publications litigieuses et leur contexte

Les propos poursuivis s'inscrivent dans le contexte général du génocide des tutsis au Rwanda, qui s'est déroulé, selon les dates retenues par le tribunal pénal international d'Arusha (cf décision de 1ere instance, du 22 février 2008,
C. Kalimanzira, affaire n°ICTR-2005-88-I, pièce n°6 de Laurent LARCHER et Hugues JALLON), entre le 6 avril et le 17 juillet 1994 (date de la prise de contrôle du pays par le Front Patriotique Rwandais (FPR) dont les membres étaient entrés dans Kigali le 4 juillet), et de ses suites, et plus précisément dans celui de l'opération Turquoise menée par l'armée française entre le 22 juin et le 21 août 1994.
Le génocide a débuté après l'assassinat, le 6 avril 1994, du président hutu Juvénal HABYARIMANA alors qu'il revenait en avion de Dar Es Salam, quelques mois après la signature des accords de paix d' Arusha, par un tir de missile dont l'origine a suscité de nombreuses controverses, le FPR et les extrémistes hutus étant principalement suspectés.
Avant cet assassinat, et depuis octobre 1990, une guerre civile avait éclaté au Rwanda entre le FPR, basé en Ouganda, composé majoritairement de tutsis ayant fui le pays après les massacres perpétrés dans la suite de l'indépendance du pays en 1962, avec pour objectif de retourner au Rwanda et reprendre le pouvoir paria force, et les Forces armées rwandaises (FAR).
Juvenal HABYARIMANA avait alors demandé et obtenu de François MITTERRAND un soutien militaire, dans le cadre de l'opération Noroit initiée à compter du 4 octobre 1990, ainsi qu'une aide apportée au régime sous forme d'armement et de formation de ses forces militaires. Ce soutien s'inscrivait dans la politique annoncée au sommet franco-africain du 19 au 21 juin 1990 à La Baule où François MITTERRAND proposa aux chefs d'États invités, dont Juvénal HABYARIMANA, un soutien ·français dans tous les domaines en contrepartie d'une évolution de ces pays vers des formes de gouvernement démocratique.
Les accord de paix d' Arusha, signés en août 1993 par Juvénal HABYARIMANA, président rwandais, et le dirigeant du FPR, Paul KAGAME, avaient pour objet de mettre un terme à cette guerre civile en permettant un partage du pouvoir et un retour des exilés tutsis. Il convient de préciser qu'à la suite de ces accords et pour en soutenir la mise en œuvre, une opération de maintien de la paix, appelée Mission des Nations Unies pour l'assistance au Rwanda (MINUAR) a été créée en octobre 1993 sous l'égide de l'ONU. Les militaires français de l'opération Noroit ont quant à eux quitté le Rwanda le 14 décembre·1993.
À là suite de l'attentat du 6 avril 1994, la première ministre du Rwanda ainsi que de nombreux partisans de l'intégration du FPR ont été assassinés. Le Gouvernement Intérimaire Rwandais (GIR), principalement composé de membres du « Hutu Power », a alors été constitué et de nombreux massacres de Tutsi ont été commis, notamment par les Interahamwe, milices créées par le parti du président HABYARIMANA.
Le 17 mai 1994, par sa résolution 918 (1994) du 17 mai 1994, le Conseil de sécurité de l'Organisation des Nations Unies a décidé un embargo sur les armes au Rwanda, aux termes duquel « Les Etats empêcheront la vente ou la livraison au Rwanda, par leurs nationaux ou à partir de leur territoire, ou au moyen de navires battant pavillon ou d'aéronefs ayant leur nationalité, d'armements et de matériels connexes de tous types ».
Le 22 juin 1994, le Conseil de Sécurité de l'Organisation des Nations Unies, se disant « profondément préoccupé par la poursuite des massacres systématiques et de grande ampleur de la population civile au Rwanda » rendant nécessaire « une réaction urgente de la communauté nationale » alors que la MINUAR avait besoin de temps pour se déployer, a autorisé, par sa résolution 929 (1994), la mise en place d'une opération temporaire visant à contribuer, de manière impartiale, à la sécurité et à la protection des personnes déplacées, des réfugiés et de civils en danger au Rwanda, afin d'atteindre des objectifs « humanitaires » notamment celui de « mettre fin aux massacres partout où cela est possible, éventuellement en utilisant la force ».
Ainsi, du 22 juin au 21 août 1994 a été menée « l'opération Turquoise », sous commandement français, qui avait pour base arrière et logistique l'aéroport de Goma, au Zaïre.
Au cours de cette période, au mois de juillet 1994, le FPR a continué son avancée et des miliciens hutus, des membres des FAR et des membres du
gouvernement hutu ont rejoint le Zaïre, où ils se sont installés dans des camps. L'armée française a quant à elle créé la Zone Humanitaire Sûre (ZHS), située dans le sud du Rwanda, à la frontière avec le Zaïre, comprenant la ville de Cyangugu et la région du même nom.
Il est constant que la politique et les actions de la France avant, pendant et après le génocide rwandais sont l'objet d'intenses débats, réflexions et enquêtes.
On peut notamment évoquer à ce titre la mission d'information parlementaire de 1998, dirigée par Paul QUILES, qui s'intéressera à la politique menée par la France au Rwanda entre 1990 et 1994 et auditionnera de nombreux journalistes, témoins et militaires présents lors du génocide.
On peut de même relever, quelques années plus tard, le 16 avril 2014, l'audition de Hubert VEDRINE sur la politique de la France au Rwanda par la commission de la défense nationale et des forces armées de l'Assemblée nationale. Certains éléments de celle-ci, relatifs aux éventuelles livraisons d'armes de la· France au Rwanda, donneront lieu à des polémiques et à des interprétations divergentes, dont l'une, contestée par Hubert VEDRINE, est reprise dans un article de Raphaël DORIDANT intitulé « Livraison d'armes : l'aveu d'Hubert VEDRINE », mis en ligne sur le site de l'association Survie, ce texte étant communiqué par la partie civile (sa pièce n°2) et par Laurent LARCHER et Hugues JALLON (leur pièce n°2). Il est utile de préciser, au titre du contexte et en dehors des interprétations qui ont pu être faites, que le 16 avril 2014, à la question du député Joaquim PUEYO sur le point de savoir si la France avait livré des armes aux forces armées après le début du génocide et si oui, à quelle date, l'ancien secrétaire général de l'Elysée répondait: « (...) La question des livraisons d'armes qui revient assez souvent : ce que je crois être le cas - ce que j'ai compris à l'époque ou après, avec le recul ou maintenant - c'est que, la France a donc armé l'armée rwandaise pour résister aux attaques du FPR et de l'armée ougandaise. Avec un certain type d'armement, qui n'a jamais servi au génocide ! Donc ça a été armé dans ce but, en fait, à partir de 90. Et après, bon. Donc il y a eu des livraisons d'armes pour que l'armée rwandaise soit capable de tenir le choc. Parce que s'il n'.Y avait pas d'armée capable de tenir le choc, vous pouvez oublier Arusha et tout le reste ! Il n'y a plus les éléments, il n'y a plus le levier pour obtenir un compromis politique. Donc, il est resté des relations d'armement. Et ce n'est pas la peine de découvrir sur un ton outragé qu'il y a eu des livraisons qui se sont poursuivies.
C'est la suite de l'engagement d'avant. La France considérant que, pour imposer une solution politique, il fallait bloquer l'offensive militaire ! Ça n'a jamais été nié ça ! Donc, ce n'est pas la peine de nous le découvrir, de le présenter comme étant une sorte de pratique abominable masquée. C'est dans le cadre .de l'engagement, encore une fois; pour contrer les attaques ! Ça n'a rien à voir avec le génocide ».
Dans une attestation du 27 février 2023 communiquée par la partie civile (pièce n°1), Hubert VEDRINE évoquant les déclarations suscitées, indique :
« Quand j'ai été invité par la Commission des Affaires Étrangères de l'Assemblée Nationale le 16 avril 2014, (...) ne m'étant jamais occupé de la conclusion de contrats d'exportation d'armements, ni, a fortiori, de leur mise en œuvre, je me suis borné à indiquer que je ne pouvais pas savoir à quel moment avaient pu être livrées les armes au gouvernement rwandais. Dans mon esprit, il n'aurait pu s'agir que de contrats signés antérieurement au génocide, voire même antérieurement à la conclu ion des Accords d'Arusha en août 1993. Même si, après cette date, le gouvernement de Kigali restait en place tout à fait légalement et était reconnu internationalement. Donc je n'en savais rien, et s'il y avait eu des contrats signés - légalement -, j'ignorais tout du calendrier de leur mise en œuvre. L'ONG Survie publia aussitôt un communiqué affirmant que j'avais confirmé la livraison d'armes françaises à l'armée rwandaise pendant le génocide. C'était évidemment inexact, sans rapport avec ce que j'avais déclaré devant la Commission. J'ai aussitôt corrigé par un communiqué qu'aucun média n'a repris. Dans le Rapport Duclert, publié le 26 mars 2021, après que les membres de la Commission aient eu accès à l'ensemble des archives, il est bien indiqué "D'après les documents à notre disposition, il n'.Y a plus de cession onéreuse ou gratuite au-delà de mars 1993." (p. 801) ». Il précise par ailleurs n'avoir pas eu connaissance de livraisons d'armes aux FAR par la société SPAIROPS, dont il précise tout ignorer.
Parmi les travaux plus récents, dans l'annonce est contemporaine de la publication des propos poursuivis, nous pouvons citer la mise en place, le 5 avril 2019, par le Président de la République, d'une commission d'historiens dirigée par Vincent DUCLERT dont les travaux aboutiront à la remise, le 26 mars 2021, d'un rapport intitulé « La France, le Rwanda et le génocide des Tutsi (1990-1994) ». Dans celui-ci, se trouvent notamment un chapitre 7 intitulé « Dérives des institutions, impensé du génocide et liberté républicaine » comportant un sous-chapitre 7.1.10 intitulé « Les livraisons d'armes au Rwanda, des processus de décision à l'œuvre N dont la partie civile produit en extrait (sa pièce n°3, extrait de la partie 7.1.10.7 intitulée « Les dernières cession; (septembre 1992- avril 1994) ».
En dehors des travaux parlementaires et missions d'enquête, de nombreux ouvrages et articles ont par ailleurs été publiés en 2019-2020, pour la commémoration des 25 ans du génocide. Outre l'article, la vidéo et l'ouvrage comportant les propos incriminés, il convient de mentionner, car leurs auteurs ont respectivement été cités comme témoins par Guillaume VICTOR­ THOMAS, puis par Sybile PETITJEAN et Benoît COLLOMBAT, « Rwanda La vérité sur l'opération Turquoise Le livre qu'ils veulent interdire » de Charles ONANA, et « L'Etat français et le génocide des Tutsi au Rwanda », paru en 2020, de Raphaël DORIDANT et de François GRANER, physicien s'étant intéressé au-génocide et ayant obtenu l'accès aux archives, ces ouvrages défendant, au vu de leur présentation et de leur évocation dans les pièces des parties, des thèses différentes (pièce n°5 de la partie civile ; pièces n°17 et 18 de Benoît COLLOMBAT et Sybile PETITJEAN ; pièces n°4 et 5 de Hugues JALLON et Laurent LARCHER).
C'est dans le contexte ci-dessus décrit, à la fois factuel et de débat, qu'interviennent l'article, la vidéo et le livre litigieux.
S'agissant plus précisément de Benoît COLLOMBAT et Laurent LARCHER, auteurs de l'article et du livre poursuivis, il convient pour leur présentation de se reporter à ce qu'ils en ont dit à l'audience.
Walfroy DAUCHY, auteur des déclarations rapportées dans l'article, la vidéo et le livre, .explique dans ses écritures être polytechnicien (sa pièce n°1, journal officiel du 15 août 1986) et avoir en cette qualité, passé deux années dans les commandos de l'armée de l'air en 1983-1984. Il précise qu'en 1994, il a rejoint la Croix-Rouge française et est parti à Goma, où il ·est resté de début août à fin septembre 1994, dans le cadre d'une mission humanitaire visant à purifier l'eau du lac Kivu afin que celle-ci redevienne potable, tandis qu'une épidémie de choléra sévissait. Il indique avoir été en charge de la gestion, des transports et des finances de la mission, et que compte tenu du peu de moyens matériels à sa disposition, cela consistait essentiellement à chercher des moyens logistiques.
L'article signé Benoît COLLOMBAT, intitulé « Génocide au Rwanda : la
« faute » de la France », mis en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet www.franceinter.fr, est ainsi présenté : « Vingt-cinq ans après le génocide des Tutsis en 1994, la cellule investigation de Radio France et Mediapart ont recueilli des témoignages inédits d'un ancien général et d'un bénévole de la Croix-Rouge sur le rôle de la France au Rwanda ».
Il est composé, comme annoncé, de la synthèse de trois entretiens menés par les journalistes, chacune d'entre elle étant accompagnée d'une vidéo comportant des extraits filmés de l'entretien.
Le premier de ces entretiens, effectué avec le général Jean VARRET, est présenté en ces termes: « D'octobre 1990 à avril 1993, Jean Varret est chef de la Mission militaire de coopération au Rwanda. Il tente de s'opposer au soutien apporté par l'état-major militaire français au régime du président rwandais Habyarimana, mais il est subitement écarté de ses fonctions ». Il déplore notamment « l'aveuglement » dès lors que « aucun [responsable] civil ou militaire n'aurait souhaité le génocide. Aucun. Par contre, certains n'ont pas pris le risque au sérieux » avant de conclure « Je n'ai pas su convaincre du risque d'un génocide. Je voudrais que la France et l'Occident sachent se prémunir contre ce risque. La France a une responsabilité dans cette affaire ».
Le deuxième entretien est réalisé avec l'amiral Jacques LANXADE, chef d'état­ major particulier du chef de l'État de 1989 à 1991 puis chef d'état-major des armées de 1991 à 1995, pour qui la présence française visait précisément à prévenir le risque génocidaire dont il affirmait qu'ils étaient conscients, réfutant tout aveuglement à cet égard et déplorant ne pas y être parvenu. Il résumait l'action française en trois points : « (...) une action politique sur Habyarimana pour qu'il accepte de démocratiser son pays, ce qu'il a commencé à faire.. Ensuite, une négociation. Nous sommes très impliqués dans les accords de paix d'Arusha. Et enfin, un soutien à l'armée régulière de ce pays pour que le FPR n'entre pas et que la déstabilisation n'intervienne pas.(..) par une coopération technique avec la gendarmerie, avec les FAR (Forces armées rwandaises). Notre intervention visait à éviter que le gouvernement ne s'effondre et ne tombe dans la guerre civile ».
Le troisième entretien, réalisé avec Walfroy DAUCHY, comporte la première partie des propos poursuivis, mis en gras et numérotés par le tribunal pour les besoins de la motivation, la numérotation reprenant celle de la plainte.
Annoncée par l'intertitre« Livrer des armes pendant le génocide: « C'est un business. Si ce n'est pas nous, d'autres le feront à notre place » (1), cette partie de l'article est ainsi rédigée :
« Les armes.
Depuis l'embargo des Nations unies, en mai 1994, soit un mois après le début du génocide, leurs livraisons sont interdites au Rwanda.
Malgré cette interdiction, des armes sont quand même acheminées vers les extrémistes hutus. La justice française enquête actuellement sur l'une de ces livraisons, depuis Les Seychelles jusqu'à l'aéroport de Goma, au Zaïre, en juin 1994.
La cellule investigation de Radio France et Mediapart révèlent un nouveau témoignage.
Celui de Walfroy Dauchy, un bénévole de la Croix-Rouge, présent à Goma de fin juillet à fin octobre 1994, au moment de l'opération Turquoise, une opération militaro-humanitaire, très ambiguë, menée par la France. Si Turquoise a permis de sauver des vies, elle a également facilité la fuite de génocidaires, voire l'acheminement d'armes.
En juillet 1994, Walfroy Dauchy a 30 ans. Il est logisticien pour la Croix­ Rouge, à Goma, chargé d'un dispositif de purification d'eau. Il arrive sur place quelques jours après un afflux massif de réfugiés, dont beaucoup d'ex­
génocidaires, depuis le Rwanda. La situation est critique, à Goma. Le choléra ravage les camps de réfugiés. Il n'y a pas de nourriture, plus d'essence. Dans les camps, les gens sont armés. Il y a des règlements de compte, des
assassinats.
L'équipe de la Croix-Rouge est composée d'une vingtaine de personnes. Walfroy Dauchy s'occupe également du budget: 300 000 $ en cash à gérer, déposés dans une banque de Nairobi. Le logisticien bénévole-fait des allers retours réguliers au Kenya pour aller chercher de l'argent.
Walfroy Dauchy est donc présent régulièrement sur l'aéroport de Goma, contrôlé par l'armée française, dans le cadre du dispositif Turquoise.
C'est là que, début août 1994, il rencontre le fils d'un transporteur aérien bien connue de l'armée française, dont la société est basée dans le sud-est de la France. "Je suis à l'aéroport et je vois arriver un type habillé en surfeur, blond, l'air détendu, se souvient Walfroy Dauchy. Un civil avec une arme, c'était bizarre. De fil en aiguille, il m'explique qu'il travaille pour la société de son père. C'est un Français, assez jeune, 23-25 ans. Pas déconcerté par la tragédie en cours. L'entreprise de son père est située près d'Istres; une grosse base militaire française, et ils livrent des armes. Il me dit ça, comme ça, direct (2). Je lui demande si c'est la meilleure idée du monde de livrer des armes en plein milieu d'un génocide. Et le gars me dit : 'Oh, tu sais, c'est un business. Si ce n'est pas nous, d'autres le feront à notre place.' (3)"
Entre début août et la mi-septembre, Walfroy Dauchy dit avoir assisté à "deux ou trois" -livraisons d'armes. "À chaque fois, le gars arrive tranquille, avec son pistolet Glock à la ceinture, en nous expliquant qu'ils livrent des armes au pouvoir hutu, au gouvernement [rwandais] en exil." (4)
Des armes destinées, donc, aux acteurs du génocide (5).
Des avions français en première ligne
"Je n'ai pas vu les armes, mais j'ai vu les caisses, poursuit l'ancien bénévole de la Croix-Rouge, qui connaît bien le monde militaire pour avoir été élève à Polytechnique et effectué un service militaire de 30 mois dans les commandos de l'air. « Je vois les avions et je vois les caisses·. Les avions sont français, des avions militaires français·. Il y a des caisses avec un jeune gars français qui dit: 'Moi, je livre des armes' (6). Je suppose qu'il s'agissait d'armes légères. Il s'agissait de caisses de taille moyenne, dans lesquelles on ne mettait pas plus qu'un bazooka. Pas d'armement lourd. Je suis très surpris, car cela résume tout : des armes au milieu d'un génocide (7). Avec une situation humanitaire très compliquée : beaucoup de problèmes viennent du fait que des gens sont armés dans les camps du Haut-commissariat aux réfugiés. C'est très instable. Donc, rajouter de l'instabilité là-dedans... Je ne sais pas s'il suffit de leur livrer 20 000 kalachnikovs pour qu'ils soient capables de renverser une déroute militaire comme ça. C'est assez curieux d'imaginer que cette armée [des Forces armées rwandaises] totalement en déroute, par la magie de quelques livraisons, va se réorganiser. Mais visiblement, il y a des gens qui le pensent. " (8)
Des armes aux génocidaires: "Ce n'était pas un secret."
"Certains militaires français étaient au courant, assure Walfroy Dauchy. Parce que notre ami, le jeune livreur d'armes, ne s'en cachait pas (9). Il connaissait beaucoup de monde. Comme moi, il avait fait son service militaire dans les commandos de l'air·.11ayait été à N'Djaména, au Tchad. Il était très à l'aise dans ce milieu, il parlait à tout le monde. Le commandement militaire ne pouvait pas l'ignorer. Pour autant, cela ne veut pas dire que les officiers français organisaient ces livraisons, mais ils étaient obligés d'être informés et de laisser passer. [Les militaires] étaient obligés d'être au courant. Rien ne rentre ou ne sort sans que cela ne soit visé par la hiérarchie de Turquoise. Nos avions n'étaient pas fouillés, mais tout ce qui arrivait avait la bénédiction du commandement français. Les avions militaires français sont forcément déchargés par des militaires français. Il n'y a pas de civils. Ils savaient que ce n'était pas du matériel Turquoise. L'idée qu'on livrait des ·armes aux Hutus, était connue et pas discutée. Sur la base, ce n'était pas un secret...". "Que l'amiral Lanxade [chef d'état-major des armées] ne soit pas personnellement informé de ces livraisons d'armes, c'est tout à fait possible, poursuit Walfroy Dauchy. Mais que l'armée française, que des officiers aient donné leur feu vert à ces livraisons, c'est obligatoire. Si Turquoise avait voulu empêcher ça, cela leur aurait pris cinq minutes. C'était simple, il suffisait de le décider. Il
"Une question un peu délicate (11)
 l'époque, Walfroy Dauchy n'a pas osé aborder directement ce sujet sensible avec la hiérarchie militaire, de peur de ne plus bénéficier de l'aide logistique, indispensable, de l'armée française.
"J'avais beaucoup de conversations avec des officiers de Turquoise, confie encore Walfroy Dauchy. On parlait beaucoup de la situation dans les camps et des problèmes d'insécurité, J'avais demandé pourquoi on avait laissé passer ces populations avec leurs armes. Là réponse était : 'Vous savez, le Zaïre est un pays souverain. Si les Zaïrois avaient voulu les désarmer, ils l'auraient fait. Mais nous, on ne va pas se mêler de ça...' Je n'ai pas parlé des armes avec mes contacts [militaires], parce que je dépendais beaucoup d'eux. Je n'avais pas envie de me faire engueuler, pas envie de me fâcher. Personne n'avait sa propre mobilité. Pour entrer et sortir de Goma, on dépendait de l'armée française. C'était une question un peu délicate."
Interrogé sur d'éventuelles livraisons d'armes aux extrémistes hutus, à Goma, pendant l'opération Turquoise, l'ancien chef d'état-major des armées, l'amiral Jacques Lanxade assure qu'il ne "sait rien" d'un tel "sujet qui n'est jamais venu jusqu'à l'état-major des armées", à l'époque, tout en estimant ''pas matériellement impossible" que de telles livraisons aient pu avoir lieu. "Il n'y a aucune preuve là-dessus, estime l'amiral Lanxade. Il y a peut-être des armes qui sont passées, mais je peux vous dire que les forces armées françaises n'ont rien à voir avec ça." ».
La vidéo insérée dans cette partie de l'article, d'une durée de 3 minutes 49, comporte des extraits de l'entretien réalisé avec Walfroy DAUCHY. Elle est présentée par le bandeau suivant : « En juillet 1994, .Walfroy DAUCHY, bénévole de la Croix-Rouge, s 'installe à Goma (ZAIRE) dans le cadre de l'opération turquoise. Logisticien, il est tous les jours sur l'aéroport contrôlée par l'armée française, où il assiste à des livraisons d'armes ».
S'y retrouvent notamment les propos repris dans l'article, les propos poursuivis étant mis en gras et numérotés par le tribunal pour les besoins de la motivation.
W.DAUCHY: La première fois c'était début août, tout début août heu... donc cela fait une dizaine de jours qu'on est là, et moi je suis, heu... classiquement sur l'aéroport et vois arriver heu... (fondu vidéo) un gars qui était vraiment... qui détonait un petit peu, blond, un peu... un peu... l'air un peu détendu... (fondu vidéo)
Le journaliste : Donc cet homme c'est un français ?
W.DAUCHY: c'est un français, oui, oui bien sûr, c'est un français, c'est un français assez jeune (fondu vidéo) et heu... et qui livre des armes / (l 0) Comme ça direct. Alors je lui dis mais est-ce que c'est... J'ai souvenir d'avoir posé la question, de lui dire mais est-ce qu'il pensait, est-ce qu'il pensait que c'était la meilleure idée du monde de livrer des armes en plein milieu d'un génocide et le gars me dit « oh tu sais c'est un business, si ce n'est pas moi ça sera un autre » (11) Enfin bon c'est un peu ... Donc on se revoit deux ou trois fois entre début août et mi-septembre et à chaque fois le gars arrive tranquille avec son Glock à la ceinture pour nous expliquer qu'il livre des armes et que ma foi il livre des armes, il livre des armes évidemment pour le pouvoir Hutu. Je lui demande à qui, il me dit c'est pour le gouvernement, le gouvernement en exil (12). Il savait peut-être pas que c'était pour Monsieur machin, untel...qui avait payé et combien etc, etc, mais l'idée générale que... qu'on livrait des armes aux Hutus dans les camps était l'idée qui était relativement connue .. et pas discutée... (13)
Question du journaliste (bandeau): ces livraisons d'armes, vous les voyez?
W.DAUCHY: ah ben j'ai pas vu les armes mais j'ai vu les caisses, je vois des avions et je vois les caisses. Je vois que les avions sont des avions français, donc ce sont des avions militaires français, et il y a des caisses dans un avion militaire français avec un jeune gars bronzé qui dit « moi je livre des armes » (14)
Question du journaliste (bandeau) : quel type d'armes ?
W.DAUCHY : je suppose des armes légères heu... on est sur des caisses de taille moyenne, j'imagine qu'on met pas plus gros que des bazoukas là-dedans quoi... certainement pas... il n'.Y a pas d'armement lourd.
Question du journaliste : Et qui sortent d'avions militaires français ?
W.DAUCHY: ouais... ouais...
Question du journaliste (bandeau) : les militaires français de Turquoise
pouvaient-ils ignorer ces livraisons d'armes?
W.DAUCHY : Alors les militaires français je ne sais pas ce que vous voulez dire. Faut dire le commandement...
Question du journaliste: Voilà, le commandement présent?
W. DAUCHY : Le commandement ne peut pas l'ignorer, le commandement ne peut pas l'ignorer. Pour autant ça ne veut pas dire que c'est lui qui l'organise mais il est obligé au moins d'être informé et de le... et de le.... laisser passer. Au moins tacite il y a forcément une validation de l'armée française, c'est difficile de... C'est pas possible d'imaginer qu'on pouvait trafiquer des armes via l'aéroport de Goma au vu et au su de tout le monde puisque les, les, les... le gars qui livre ne se cache pas (15). Il y avait des officiers français qui le savaient et qui le, qui le... soit... sinon... s'ils.ne l'organisaient pas, au moins le, le, le... laissaient faire quoi.
Question du journaliste (bandeau): L'amiral LANXADE, Chef d'État-major des armées, affirme ne pas avoir été informé de ces livraisons d'armes. Cela vous parait crédible ?
W. DAUCHY : Que l'amiral LANXADE personnellement ne soit pas personnellement informé de ces livraisons c'est tout à fait possible, enfin ça moi j'en sais rien, heu... que l'armée française en général, que des officiers aient donné le feu vert à ces livraisons, c'est... ben c'est obligatoire. Qu'on soit bien clair, y avait pas besoin que l'amiral LANXADE soit au courant pour trimbaler des, des, des... une vingtaine de caisses de kalachnikovs de Bangui à Goma, ça heu. .. pense que heu. .. cela peut se faire à un niveau assez subalterne, mais ça ne peut pas se faire sans Turquoise, cela ne peut pas sans que quelqu'un l'ait validé à un moment. Ca... alors pour le coup il faut être très clair, si Turquoise avait voulu empêcher ça, celui aurait pris cinq minutes. S'ils avaient voulu que ça ne se produise pas, c'était très très simple.
BANDEAU: Cinq pays figurent parmi les plus gros vendeurs d'armes aux forces armées rwandaises : la France, l'Egypte, Israël, la Chine et l'Afrique du Sud. En trois mois, le génocide des Tutsis a fait 1 million de morts ».
Quelques jours après la mise en ligne de l'article et de la vidéo reprenant les déclarations de Walfroy DAUCHY, paraît l'ouvrage « RWANDA Ils parlent » de Laurent LARCHER qui, parmi d'autres, évoque aussi ce témoignage. Ce livre, sous-titré « Témoignages pour !'Histoire Guillaume Ance!, Alain Juppé, Bernard Kouchner, le général Lafourcade, l'amiral Lanxade, Florence Parly, Hubert Védrine », est ainsi présenté en quatrième de couverture:
« Le 6 avril 1994, l'attentat contre l'avion du président Habyarimana marque le début du génocide perpétré contre les Tutsi et le massacre des Hutu de l'opposition. En cent jours, 800 000 personnes sont exterminées.
Vingt-cinq ans après, Laurent Larcher a rencontré ceux qui étaient au Rwanda, des soldats de l'opération Turquoise et des responsables politiques, des hauts fonctionnaires qui décidaient depuis Paris de l'action de la France et de son intervention. Pour les interroger: « Qu'avez-vous vu? Qu'avez-vous fait?»
Confronté, notamment, aux témoignages de journalistes et d'humanitaires sur le terrain à l'époque, mais aussi à ceux d'anciens soldats de l'opération Turquoise, qui affirment que l'armée française a organisé des opérations offensives, après le début du génocide, contre le FPR de Kagame, le discours officiel se lézarde.
Ces entretiens sont des documents pour l'histoire. Ils éclairent de façon nouvelle /'.implication de la France, son aveuglement, la faillite morale et politique de nos autorités. ( ...) ».
Les propos poursuivis sont situés dans le chapitre n°4 intitulé « Des armes pour les FAR, Goma par un humanitaire de la Croix-Rouge française », avec cette précision « Le Général, 17, avenue de Wagram, Paris, Samedi 24 novembre, 18h30 ».
Ce chapitre est consacré à la rencontre entre Laurent LARCHER et Walfroy DAUCHY, « envoyé à Goma pour le compte de la Croix-Rouge française pour une mission de purification de l'eau, de la fin juillet au début du mois d'octobre », le journaliste indiquant : « Ce polytechnicien aurait vu le trafic d'armes à aéroport de Goma au profit des FAR. C'est Guillaume Ance! qui nous a mis en contact ».
Le journaliste interroge d'abord Walfroy DAUCHY sur l'aide que l'armée française a apporté à la mission de la Croix-:Rouge, ce à quoi il répond
« qu'elle contrôlait l'aéroport, qu'elle assurait les rotations de tous les avions, que, donc, elle a permis au matériel humanitaire d'atterrir à Goma », le journaliste en concluant qu'ils avaient « expérimenté la dimension humanitaire de l'opération Turquoise ». Après des échanges sur ce thème, Walfroy DAUCHY souligne que « Turquoise est un pôle d'ordre » « dans une zone hostile de plusieurs manières différentes », mais « avec des petites bizarreries ». Il indique notamment avoir immédiatement remarqué « que tous ces gens dans les camps, les ex-FAR sont armés. (. ..) l'armée zaïroise aurait dû les désarmer. Si elle n'a pas pu le faire, l'armée française aurait pu le faire. (...) On comprend très vite que, dans les camps, ce qui se passe, c'est sorte de réorganisation du pouvoir politique, qui essaie de reprendre la contrôle de la situation avec des règlements de compte », et précise que « Turquoise ne faisait pas la police dans les camps ». Walfroy DAUCHY conclut en indiquant que si la présence de l'opération Turquoise a été un facteur de stabilisation dans la région, « il était également manifeste qu'il existait une complaisance vis-à­-vis de l'ex-pouvoir hutu, qui était libre de s'organiser comme il voulait » et de circuler armé en ville.
Interrogé sur l'existence « d'autres choses qui [lui} ont paru bizarres », Walfroy DAUCHY indique que peu à peu, le sentiment que « l'opération militaire commence à puer un peu » s'installe chez lui, notamment quand il entend, « en discutant avec les gens », que« la ZHS n'est pas un endroit sûr », que« on ne protège pas les bons, Bisesero... ». Il poursuit en indiquant « c'est un sentiment croissant. Ça a été encore plus croissant quand j'ai vu qu'il y avait des armes qui étaient livrées par l'aéroport de Goma... ». Suivent ensuite les passages comportant les propos poursuivis, mis en gras et numérotés par le tribunal :
« Ça se passe un jour, la première fois avant le 15 août en tout cas. J'arrive à l'aéroport comme d'habitude et je vois un jeune type en civil, bonne gueule de surfeur, frimeur, bizarre, une arme à la ceinture. Assez détendu, il parlait avec des types, je comprends qu'il avait été militaire, il a dit qu'il avait été au Tchad. Je lui demande qui il est. Il me répond qu'il fait des livraisons: "C'est mon avion", il venait de Bangui, un avion français. Je lui dis: "Mais ce n'est pas ton avion, c'est un avion de l'armée française. - Ouais, ouais, fait-il. - Tu livres quoi ?"Le mec, tout à fait détendu : "Des armes ! (16) - Tu ne crois pas qu'il y en a assez, des armes, ici ? Tu as l'impression que, rajouter des armes dans ce merdier, c'est la meilleure chose à faire ?" Il me répond : "Écoute, c'est le commerce, si c'est pas moi, ce sera un autre." (17) Ce que disent tous ces mecs. « Mais c'est pour qui? - C'est pour le pouvoir, le gouvernement légal du Rwanda. (18) - Tu es au courant qu'ils ont perdu la guerre?» Et il me dit: "Bah justement, c'est pour ça qu'il faut les armer!-»
(19). On a parlé un petit peu, il n'avait aucune analyse politique, il se marrait beaucoup, il vivait une aventure terrible. Et puis c'est lui qui commence à me raconter, je m'en souviens bien, j'ai tout noté à l'époque sur un carnet. Il m'explique qu'il a une société avec son père, Spairops, qu'ils sont basés à Aix­ en-Provence, à côté d'Istres... Il y avait un lieu, à Goma, chez le consul de France, où l'on pouvait boire une bière sans se faire tirer dessus. Le consul avait une réputation un peu trouble, mais il était sympa et accueillant... On disait qu'il pouvait tout vous trouver. Et moi, j'avais toujours besoin d'essence. Quand le jeune livreur était là, on se retrouvait chez le consul, à boire des whiskys. "On est une société privée, on nous achète des armes, on les vend, c'est du commerce.., si on m'achetait des pains au- chocolat, je vendrais des pains au chocolat. Là, c'est des fusils, je vends des fusils. On nous demande de livrer des armes, ·on le fait." (20) J'ai compris, par la suite, mais plus tard, que spairops (note de bas de page n°2: Spairops est une entreprise d'affrètement d'avions fondée par Michel Victor-Thomas sur laquelle l'armée française s'est appuyée, pour assurer le transport aérien nécessaire à l'opération Turquoise, notamment en lui trouvant les Antonov dont elle avait besoin. Pour· ce faire, Michel Victor-Thomas s'est associé à Viktor Bout, célèbre trafiquant d'armes. Pour en savoir plus, lire Laurent Léger, Trafic d'armes (Flammarion, 2006), et Benoît Collombat et David Servenay, Au nom de la France, La découverte, 2014) livrait beaucoup de choses et utilisait les avions russes de Viktor Bout, qui était l'associé de Michel Victor-Thomas.
- Combien de fois avez-vous vu son fils?
- Son fils, Guillaume, je l'ai vu deux ou trois fois à Goma. Il paraissait totalement cynique, mais c'était surtout un gamin.
- Quels types d'armes livraient-ils? Quel volume?
- C'était des caisses, ils lie livraient pas des chars. Des caisses livrées dans des C-130, mais je ne sais pas si ces C-130 étaient complets. Mais ce que je vois, comme volume, ce n'est pas trois palettes mais un quart d'avion...
- Donc, si je comprends bien, vous observez à deux ou trois reprises un avion C-130 affrété par Spairops décharger à des caisses d'armes dont le volume est équivalent à un quart de l'avion.
- C'est à la grosse louche. (21)
- Mais vous, vous les avez vues, ces caisses ?
- Oui.
- Vous avez vu ce qu'elles contenaient?
- Non. Évidemment, si elles conte aient des pains au chocolat et que le mec me dit que c'est des bazookas... mais je ne crois pas. J'ai essayé de savoir où ça allait, comment ils allaient les livrer sans que cela se voie aux yeux de tout le monde. Et c'est là que des gens, alors là, c'est ma mémoire vacillante, des gens m'ont parlé d'un truc qui s'appelle le Lac-Vert, « tout ça, ça va au Lac­ Vert": Alors j'ai dit : "C'est quoi, le lac Vert ? - Le Lac-Vert, c'est un camp d'entraînement..." Et il me parle d'un lieu à cinquante, quatre-vingts kilomètres au nord-est de Goma, en direction de Ruhengeri, mais côté zaïrois. (22) A ce moment-là, je me suis fait un ami dans le camp, on est toujours amis, vingt-cinq ans après. C'est un réfugié, mais il est tutsi. Il connaît aussi l'histoire du Lac-Vert,. il se souvient que des gens disaient que c'était un camp d'entraînement, de réorganisation... quand on voit la carte,' c'est bizarre, parce qu'il n'.Y a pas de lac, est-ce un nom de code ? Je ne sais pas. Ce qui m'a rassuré... je me disais, c'est ma mémoire... c'est qu'au bout de vingt-cinq ans Maria Malagardis m'a dit que cela lui disait quelque chose... Je me suis dit : au moins, je ne suis pas fou. Mais Guillaume [Ancel] ne le connaît pas... mais il est parti avant.
- Mais qui vous parle de ce Lac-Vert ?
- Le premier, je ne sa.is plus, est-ce Victor-Thomas-? Le consul? Je ne sais plus.
- Victor-Thomas vous dit : je livre des armes au Lac-Vert ?
- Il me dit: "Je livre des armes et, à /afin, ça va au Lac-Vert!"» (23)
Je n'en saurai pas plus. J'avoue que cette histoire de Lc,,c-Vert me semble un peu tirée par les cheveux. Peut-être ce nom, cette manière d'être présent dans les têtes, le flou, le côté spectaculaire... tout évoque la rumeur, la classique rumeur en ,temps de guerre. Je reviens sur ce que Walfroy a observé par lui­ même. Sur ces caisses déchargées d'un avion, des caisses qu'on lui dit être des armes. Qui les décharge, qui les transporte ? Des militaires français ? Qui
conduit les camions ?
- Je ne sais pas. J'ai la vision de ces caisses sur le tarmac et, après, je ne sais pas. Mais tout ça est gardé par l'armée française, dans le sens où l'aéroport est une zone militaire gardée par les militaires français.
- Au vu et au su de tout le monde ?
- Bah oui, mais il y a là une fausse piste, quand on dit ça. Tout le monde a plein de trucs à faire et il se passe des trucs dingues tous les jours, tout le temps. Alors, quand vous voyez quinze ou vingt caisses sur un bout de l'aéroport, ça dérange personne tant qu'il n'.Y a pas de sang, que ça n'explose pas... C'est plus tard,, trois ou quatre ans plus tard, qu'on se dit: mais, au fait, qu'est-ce qui s'est passé, c'est quoi, ce bordel ? Mais, au début, vous avez votre job et vous le faites, vous n'êtes pas là pour enquêter.»
Walfroy me confie qu'il a revu, des années plus tard, Guillaume Victor­ Thomas, il avait fondé l'agence de voyages Travel price... Dans une réunion avec des investisseurs, ce-dernier nie l'avoir connu à Goma.
« Voilà ce que j'ai vu. Et après j'ai reconstitué les choses. Oui, on a continué à livrer des armes. Védrine lui-même l'a reconnu, lui qui nie tout, il n'a pas nié ce point. "On l'a fait avant, pendant et après", a-t-il dit.
- Que vous disent les soldats de Turquoise?
- Ceux qui ont été en ZHS, ils sont mal. Certains disent qu'il se passe des horreurs là-bas et qu'on est du mauvais côté. Et ceux qui sont à Goma, qui ne sont pas allés dans la ZHS,, pour eux c'est un déploiement comme les autres, peut-être plus compliqué que les autres, mais ils ne se posent pas de question (...)

Le témoignage de Walfroy Dauchy, tel que je l'ai compris complète le scénario d'une opération Turquoise qui penche pour le gouvernement intérimaire : pas ouvertement, pas publiquement mais de fait. Le rôle de la société Spairops dans la logistique Turquoise n'est pas une révélation. Mais Walfroy va plus loin en affirmant que le fils Victor-Thomas livrait des armes au gouvernement intérimaire du Rwanda. Nous sommes en août 1994 ! A cette date, il n'.Y a plus aucun doute sur la nature du GIR et sur le rôle des FAR dans le génocide perpétré contre le Tutsi (...) ».

Sur la recevabilité de l'action de Guillaume VICTOR-THOMAS

L'irrecevabilité de l'action de la partie civile est soulevée par Sybile PETITJEAN et Benoît COLLOMBAT au motif qu'elle ne serait pas identifiable à travers les propos poursuivis.
La détermination du caractère identifiable de. la personne v1see par les imputations diffamatoires éventuellement décelées dans les propos poursuivis supposant l'analyse dits propos, au regard de leur contexte intrinsèque et extrinsèque, elle relève en l'espèce d'une appréciation au fond du litige et sera en conséquence traitée comme telle, ultérieurement.

Sur les propos poursuivis du chef de diffamation publique envers un particulier

Sur le caractère diffamatoire des propos

Il sera rappelé que :
- l'article 29 alinéa 1 de la loi du 29 juillet 1881 définit la diffamation comme la publication directe ou par voie de reproduction de toute allégation ou imputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auquel le fait est imputé ;
- la personne ou le corps auquel le fait est imputé doivent être expressément nommés ou à défaut, leur identification doit être rendue possible par les termes employés ou leurs circonstances intrinsèques ou extrinsèques ;
- il doit s'agir d'un fait précis, susceptible de faire l'objet, sans difficulté, d'un
débat contradictoire sur la preuve de sa vérité, ce qui distingue ainsi la
diffamation, d'une part, de l'injure - caractérisée, selon le deuxième alinéa de l'article 29, par toute expression outrageante, termes de mépris ou invective qui ne renferme l'imputation d'aucun fait - et, d'autre part, de l'expression subjective d'une opinion ou d'un jugement de valeur, dont la pertinence peut
être librement discutée dans le cadre d'un débat d'idées mais dont la vérité ne saurait être prouvée ;
- l'honneur et la considération de la personne ne doivent pas s'apprécier selon les conceptions personnelles et subjectives de celle-ci, mais en fonction de critères objectifs et de la réprobation générale provoquée par l'allégation litigieuse, que le fait imputé soit pénalement répréhensible ou manifestement contraire aux règles morales communément admises ;
- la diffamation, qui peut se présenter sous forme d'allusion ou d'insinuation, doit être appréciée en tenant compte des éléments intrinsèques et extrinsèques au support en cause, à savoir tant du contenu même des propos que du contexte dans lequel ils s'inscrivent.
Ni les parties ni les juges ne sont tenus par l'interprétation de la signification diffamatoire des propos incriminés proposée par l'acte initial de poursuite et il appartient aux juges de rechercher si ceux-ci contiennent l'imputation formulée par la partie civile ou celle d'un autre fait contenu dans les propos en question, les juges étant également libres d'examiner les divers passages poursuivis ensemble ou séparément pour apprécier leur caractère diffamatoire.

* S'agissant des propos contenus dans l'article mis en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet www.franceinter.fr, intitulé « Génocide au Rwanda: la « faute » de la France »

Les neuf passages poursuivis par la partie civile dans l'article sus-visé sont situés au sein de la troisième partie de l'article consacrée. à la synthèse· de l'entretien mené par Benoît COLLOMBAT et David SERVENAY, journaliste à Médiapart, avec Walfroy DAUCHY.
Ces propos concernent une même thématique, à savoir la description de livraisons d'armes auxquelles Walfroy DAUCHY affirme avoir assisté début août 1994, sur la base aéroportuaire installée par l'armée française à Goma, dans le cadre de l'opération Turquoise. Ils seront par conséquent analysés de façon globale.
A travers les passages incriminés, il est imputé à « un Français, assez jeune, 23-25 ans » qui dit « travailler pour la société de son père », décrit comme
« un type habillé en surfeur, blond, l'air détendu », comme portant un
« pistolet Glock à la ceinture » ou encore comme « le jeune livreur d'armes », d'avoir procédé, « début août 1994 », à des livraisons d'armes sur l'aéroport de Goma, et ce à destination du« pouvoir hutu, du gouvernement [rwandais} en exil ». Il sera ici relevé que le comportement ainsi imputé à l'homme rencontré par Walfroy DAUCHY ne se limite pas au fait d'avoir dit à ce dernier qu'il livrait des armes mais s'étend au fait d'avoir livré de armes dès lors que l'existence des livraisons évoquées ressort des autres déclarations de Walfroy DAUCHY qui font état, en parallèle et en illustration des propos prêtés au jeune homme, de « caisses de taille moyenne », « d'avions », du fait que « le jeune livreur d'armes » ne« se cachait pas » et que « l'idée qu'on livrait des armes aux Hutus, était connue et pas discutée. Sur la base, ce n'était pas un secret ». Contrairement à ce que soutiennent les. prévenus, ce fait est suffisamment précis pour faire, sans difficulté, l'objet d'un débat sur la preuve de sa vérité dès lors qu'il est daté (« début août 1994 »), circonstancié et étayé par les détails donnés par Walfroy DAUCHY quant à la taille des caisses utilisées et le type supposé d'arme (« des caisse de taille moyenne », des
« armes légères »), et aux avions les transportant (« les avions sont français, des avions militaires français »).
Cette imputation porte atteinte à l'honneur et à la considération de la personne visée car ces livraisons sont présentées comme se déroulant dans le contexte général du génocide (« en plein milieu d'un génocide ») et alors qu'il est notoire qu'un embargo sur les ventes d'armes au Rwanda a été décidé par l'ONU depuis le 17 mai 1994, ce qui confère un caractère illicite à ces livraisons. Il convient néanmoins de préciser que, contrairement à ce que soutient Guillaume VICTOR-THOMAS, il ne lui est pas imputé, à travers ces livraisons, de s'être rendu complice du crime de génocide. En effet, s'il est souligné tant par le journaliste que par Walfroy DAUCHY que les livraisons d'armes sont effectuées « pendant le génocide », « en plein milieu d'un génocide », et « destinées aux acteurs du génocide », cette mise en perspective temporelle et circonstancielle n'a pour effet et pour objet que de marquer une certaine réprobation et de souligner que de tels actes sont inappropriés en ce qu'ils ajoutent à l'instabilité ambiante, sans pour autant imputer à la partie civile d'avoir participé volontairement et directement à un crime contre l'humanité tendant à la destruction totale ou partielle d'un groupe ethnique, étant au surplus précisé qu'à la date des livraisons, la période du génocide était considérée comme achevée. Il sera ici relevé que les deux phrases poursuivies dans l'article qui ne sont pas des citations des déclarations de Walfroy DAUCHY (passages n°1 et 5), et qui ·ont précisément trait à ce contexte général, n'ajoutent sur ce point rien aux propos de Walfroy DAUCHY.
La personne visée par cette imputation n'est pas nommée dans l'article, ni dans la vidéo associée. Il apparaît néanmoins, contrairement à ce que soutiennent les prévenus, qu'elle est identifiable comme étant Guillaume VICTOR-THOMAS grâce aux détails factuels mentionnés dans l'article (« -le fils d'un transporteur aérien bien connu de !'armée française, dont la société est basée dans le sud­ est de la France », « il m'explique qu'il travaille pour la société de son père »,
« L'entreprise de son père est située près d'Istres, une grosse base militaire française » ou encore « il avait fait son- service militaire dans les commandos de l'air. Il avait été à N'Djaména, au Tchad ») qui ont permis, selon les attestations communiquées par la partie civile, à des proches de la reconnaître (cf. sa pièce n°12, attestation de Nicolas PERNIKOFF, ami et collègue: « Un jour, alors que j'écoutais France Inter, en 2019, je suis tombé sur l'interview de Walfroy DAUCHY qui décrivait une situation et surtout un homme qui se serait prêté à des livraisons d'armes en plein génocide rwandais. J'ai immédiatement reconnu Guillaume (..) » ; pièce n°14, attestation de Raphaël VAN MONTAGU, ami depuis l'enfance:« Lorsque j'ai lu l'article de presse intitulé « Génocide au Rwanda : la « faute » de la France » sur France Inter et que j'ai visionné la vidéo de Walfroy DAUCHY, j'ai compris qu'il parlait de Guillaume en raison de plusieurs indications qui figuraient dans l'article (...) »).

Il ressort de ces éléments que les propos poursuivis peuvent être considérés comme diffamatoires envers Guillaume VICTOR-THOMAS, et qu'ils sont à ce titre susceptibles d'engager la responsabilité de Sybile PETITJEAN, directrice de publication du site internet, de Benoît COLLOMBAT, auteur de l'article, et de Walfroy DAUCHY, auteur des propos cités, sous réserve de l'examen de l'exception de bonne foi qu'ils invoquent.

* S'agissant des propos contenus dans la vidéo mise en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet www.franceinter.fr, au sein de l'article précité

La vidéo insérée dans l'article contient l'entretien avec Walfroy DAUCHY dont l'article est la synthèse.
Les six passages poursuivis par Guillaume VICTOR-THOMAS en son sein contiennent la même imputation que celle décelée dans l'article. La partie civile est identifiable comme étant la personne visée pour les mêmes motifs que ceux développés plus haut.
Il ressort de ces éléments que les propos poursuivis sont diffamatoires envers Guillaume VICTOR-THOMAS, et à ce titre susceptibles d'engager la responsabilité de Sybile PETITJEAN, directrice de publication du site internet, et de Walfroy DAUCHY, auteur des propos cités, sous réserve de l'examen de l'exception de bonne foi qu'ils invoquent.

* S'agissant des propos contenus dans l'ouvrage intitulé « Rwanda, ils parlent », signé Laurent LARCHER

Les huit passages poursuivis par la partie civiles se trouvent aux pages 534 à 537 de l'ouvrage, au sein du chapitre consacré à l'entretien de l'auteur avec Walfroy DAUCHY.
La teneur des déclarations de Walfroy DAUCHY, telles que retranscrites par Laurent LARCHER, est similaire à celles figurant sur le site internet www.franceinter.fr.
Est ainsi évoqué, à travers les propos poursuivis, « un jeune type en civil, bonne gueule de surfeur, frimeur, bizarre, une arme à la ceinture » rencontré par Walfroy DAUCHY qui lui demande qui il est et qui« répond qu'il fait des livraisons : "C'est mon avion", il venait de Bangui, un avion français. Je lui dis: "Mais ce n'est pas ton avion, c'est un avion de l'armée française. - Ouais, ouais, fait-il. - Tu livres quoi ?" Le mec, tout à fait détendu : "Des armés ! (...) - C'est pour le pouvoir, le gouvernement légal du Rwanda ». Walfroy DAUCHY mentionne de même avoir vu les caisses mais pas leur contenu.
L'imputation diffamatoire se dégageant des propos poursuivis est identique à celle déjà évoquée, et elle vise Guillaume VICTOR-THOMAS, cette fois-ci nommément cité.
Il sera précisé que si Walfroy DAUCHY donne, dans l'entretien tel que retranscrit, des précisions supplémentaires sur les avions vus à Goma et dans lesquels les caisses auraient été transportées (« Des caisses livrées dans des C- 130, mais je ne sais pas si ces C-130 étaient complets »), ainsi que sur la destination des armes (« J'ai essayé de savoir où ça allait, comment ils allaient les livrer sans que cela se voie aux yeux de tout le monde. Et c'est là que des gens, alors là, c'est ma mémoire vacillante, des gens m'ont parlé d'un truc qui s'appelle le Lac-Vert, « tout ça, ça va au Lac-Vert". Alors j'ai dit : "C'est quoi, le lac Vert ? - Le Lac-Vert, c'est un camp d'entraînement..." Et il me parle d'un lieu à cinquante, quatre-vingts kilomètres au nord-est de Goma, en direction de Ruhengeri, mais côté zaïrois.(..) - Victor-Thomas vous dit : je livre des armes au Lac-Vert ? - Il me dit : "Je livre des armes et, à la fin, ça va au Lac-Vert !"»), ces éléments n'ajoutent rien à l'imputation déjà décelée dans l'article et la vidéo publiés sur le site de France Inter dès lors que Walfroy. DAUCHY avait déjà évoqué des « avions militaires » ou des « avions français » ainsi que des armes destinées au « pouvoir hutu, du gouvernement [rwandais] en exil ».
Il ressort de ces éléments que les propos poursuivis sont également diffamatoires envers Guillaume VICTOR-THOMAS, et qu'ils sont à ce titre susceptibles d'engager la responsabilité de Hugues JALLON, directeur de publication des Editions du Seuil, de Laurent LARCHER, auteur de l'ouvrage, et de Walfroy DAUCHY, auteur des propos cités, sous réserve de l'examen de l'exception de bonne foi qu'ils invoquent, et ce en tant qu'auteur principal du délit pour Hugues JALLON, mis en examen de ce chef et renvoyé en tant que complice par simple erreur matérielle de l'ordonnance de renvoi, et en tant que complices pour Laurent LARCHER et Walfroy DAUCHY.

Sur l'exception de bonne foi

La liberté d'expression ne peut être soumise à des ingérences que dans les cas où elles constituent des mesures nécessaires au regard du paragraphe 2 de l'article 10 de la Convention européenne des droits de l'homme.
En matière de diffamation, lorsque l'auteur des propos, présumés faits avec intention de nuire, soutient qu'il était de bonne foi, il appartient aux juges, qui examinent à cette fin si celui-ci s'exprimait dans un but légitime, était dénué d'animosité personnelle, justifie s'être appuyé sur une enquête sérieuse et a conservé prudence et mesure dans l'expression, de rechercher d'abord, en application de l'article 10 de la Convention européenne des .droits de l'homme tel qu'interprété par la Cour européenne des droits de l'homme, si ces propos s'inscrivent dans un débat d'intérêt général et reposent sur une base factuelle suffisante, afin, s'ils constatent que ces deux conditions sont réunies, d'apprécier moins strictement ces quatre critères, s'agissant notamment de la prudence dans l'expression.
Il sera précisé que l'animosité personnelle ne peut se déduire seulement de la gravité des accusations ou du ton sur lequel elles sont formulées, mais qu'elle n'est susceptible de faire obstacle à la bonne foi de l'auteur des propos que si
elle est préexistante et extérieure à ceux-ci et si elle résulte de circonstances qui ne sont pas connues des lecteurs.
Il appartient aux juges de vérifier que le prononcé d'une condamnation, pénale comme civile, ne porterait pas une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression ou serait de nature à emporter un effet dissuasif pour l'exercice de cette liberté.

*

Il apparaît en premier lieu qu'aucune animosité personnelle, au sens du droit de la presse, des prévenus envers la partie civile n'est établie.
Il sera ensuite relevé que tant les propos poursuivis que l'article, la vidéo et l'ouvrage dans lesquels ils s'insèrent, traitent d'une même thématique, à savoir l'éventuelle persistance de livraisons d'armes à destination des hutus, depuis l'aéroport militaire de Goma, après l'embargo décidé par les Nations Unies, cette thématique étant replacée, tant dans l'article que dans le livre, dans les questionnements plus généraux portant sur le rôle et la politique de la France
avant, pendant et après le génocide rwandais. Ils participent tous en cela d'un débat d'intérêt général majeur dès lors qu'il est de l'intérêt des citoyens de disposer de l'ensemble des informations leur permettant d'appréhender au mieux les actions engagées et les décisions prises au plus haut niveau de l'Etat durant cette période, et de bénéficier d'un éclairage sur la façon dont les résolutions internationales étaient ,mises en œuvre, sur ce qui était susceptible de se passer, ou pas, en marge des interventions officielles, le tout à une période où ils n'avaient pas encore à leur disposition de rapport ou de document exposant de façon complète le contenu de archives et où les témoignages des différents intervenants, qu'ils soient militaires, politiques, ou de terrain, prenaient dès lors toute leur importance.
Il convient désormais, pour chacun des prévenus, d'examiner les autres critères de l'exception de bonne foi, à savoir principalement les éléments factuels dont ils disposaient et la tonalité de leur expression, au regard de leur qualité de professionnel ou non de l'information et du type de publication qui leur est reprochée, étant dès à présent précisé qu'au regard de l'intérêt général majeur du sujet abordé par les propos, ci-dessus caractérisé, ces critères seront nécessairement appréciés avec plus de souplesse.

* S'agissant des propos reprochés à Walfroy DAUCHY

Il sera en premier relevé que Walfroy DAUCHY ne fait pas profession d'informer et qu'il relate, à travers les propos qui lui sont reprochés, sa propre expérience.
Cet élément, ainsi que l'intérêt général majeur du sujet abordé imposent d'apprécier les critères de la bonne foi et les limites admissibles de la liberté d'expression avec une moindre rigueur. Ainsi, il ne peut être attendu de Walfroy DAUCHY qu'il justifie d'une base factuelle similaire à celle d'un journaliste qui aurait procédé à un travail d'enquête, à charge pour lui néanmoins de démontrer avoir disposé, pour tenir les propos qui lui sont reprochés, d'éléments fondant, en fait, ses allégations.
Il sera ici souligné que l'imputation étant principalement fondée sur des propos que Walfroy DAUCHY dit avoir entendus de Guillaume VICTOR-THOMAS au cours d'une conversation sans autre témoins, il ne peut être attendu du prévenu qu'il établisse la teneur de l'échange intervenu entre eux. Il appartient dès lors au tribunal d'examiner si Walfroy DAUCHY justifie d'éléments étayant et rendant crédible ses déclarations sur ce point, comme sur les constats qu'il doit avoir opérés; et fonde ainsi, en fait, ses allégations.
Walfroy DAUCHY établit en premier lieu, par la production de son passeport comportant des tampons d'août 1994 (pièce n°2) et par le témoignage à l'audience de Herman TWAGIRAMUNGU, avoir séjourné à Goma au cours de la période où il situe ses rencontres avec Guillaume VICTOR-THOMAS et les déchargement des caisses censées contenir des armes auxquels il dit avoir assisté. Les imprécisions sur les dates exactes de son séjour ne sont pas de nature à contredire ces éléments factuels dès lors qu'ils sont cohérents entre eux quant à la période évoquée, à savoir début août 1994.
Il établit par ailleurs, par la communication d'extraits d'un carnet de notes qu'il a montré à l'audience (pièce n°3), avoir croisé Guillaume VICTOR-THOMAS à Goma. Figurent en effet sur ce carnet, à côté d'autres mentions relatives à la Croix-Rouge, à « l'ambassadeur », à « GOMA », des indications ainsi libellées: « Guillaume VICTOR-THOMAS SPAJROPS » suivies de numéros d'appel correspondant à des téléphones fixes en France, ainsi que d'un numéro correspondant à un téléphone cellulaire. Il sera ici relevé que les déclarations de Walfroy DAUCHY sur ce point sont compatibles avec celles de Guillaume VICTOR-THOMAS qui confirme sa présence à Goma à l'époque visée par le prévenu, pour l'entreprise de son père, dans le cadre des op rations d'affrètement menées par celle-ci.
Il ressort en outre du témoignage de Herman TWAGIRAMUNGU que pendant leur séjour commun à Goma, Walfroy DAUCHY lui a parlé « à plusieurs reprises de livraisons d'armes » qui « arrivent à Goma », que ces déclarations lui avaient paru cohérentes et que s'il n'avait pas entendu de nom de personne en particulier, Walfroy DAUCHY lui avait fait part d'éléments qui l'avaient troublé, ce qui l'avait lui-même marqué. Ce témoignage vient conforter le récit du prévenu, lequel a au demeurant été réitéré dans des termes similaires tant devant Benoît COLLOMBAT que Laurent LARCHER, et encore à l'audience, les deux journalistes ayant précisé qu'il leur avait paru crédible au vu des détails qu'il donnait.
Walfroy DAUCHY communique aussi un extrait d'un ouvrage intitulé
« Trafics d'armes Enquête sur les marchands de mort » de Laurent LEGER, paru en 2006, décrivant le rôle de la société SPAIROPS, par ailleurs non contesté, dans la mise en œuvre de l'opération Turquoise et soulignant que pour se procurer rapidement des avions de grande capacité, Michel VICTOR­ THOMAS avait fait appel à Victor BOUT, notoirement connu pour être« un trafiquant d'armes » (pièce n°5), conférant ainsi un contexte plus général aux propos qui lui sont reprochés, et faisant état d'une connexion possible entre la société pour laquelle travaillait à l'époque la partie civile et une activité de livraisons et de ventes d'armes.
Il convient de souligner-que ces éléments, qui sont concordants entre eux et de nature à fonder en fait les allégations de Walfroy DAUCHY, ne sont pas contredits par les pièces et déclarations de la partie civile. En effet, ces livraisons d'armes qui, si elles ont eu lieu, sont nécessairement officieuses du fait de leur caractère illicite, ne correspondent pas à celles, officielles, évoquées par Hubert VEDRINE dans son attestation (pièce n°1), par ailleurs mentio11nées dans l'extrait du rapport DUCLERT communiqué en pièce n°3, qui se seraient interrompues en mars 1993, mais à celles dont l'existence éventuelle a été évoquée par Benoît COLLOMBAT lors de son audition. Compte tenu de leur aspect déclaratif, les attestations produites par la partie civile dans lesquelles les auteurs indiquent qu'à leur connaissance, celle-ci n'avait pas livré des armes à Goma, ne retirent pas leur force probante aux éléments, d'origines variées, communiqués par le prévenu, pas plus qu'ils ne viennent en réalité les contredire, dans la mesure où le fait que des livraison occultes n'aient pas été connues de tiers n'exclut pas qu'elles soient intervenues. S'agissant des articles de presse et des extraits d'ouvrages produits par la partie civile, développant des points de vue différents sur le déroulement de l'opération Turquoise et soulignant le caractère évolutif de certaines déclarations, ils ne permettent pas non plus d'invalider la teneur du témoignage de Walfroy DAUCHY mais montrent la complexité du sujet, dans une période qui l'était tout autant, comme l'a souligné à l'audience l'extrait du rapport DUCLERT lu par Benoît COLLOMBAT.
Il sera enfin relevé que Walfroy DAUCHY, en tenant des propos factuels, en demeurant précis sur ce qu'il avait vu et n'avait pas vu, est resté mesuré et prudent dans son expression.
Il convient, au vu dé ces éléments et compte tenu de l'intérêt général majeur du sujet abordé et de la qualité de témoin des faits au titre de laquelle il s'exprime, lui conférant une large liberté d'expression, de considérer que Walfroy DAUCHY peut bénéficier de l'exception de bonne foi.
Il sera par conséquent renvoyé des fins des poursuites initiées à son encontre du chef de complicité de diffamation publique à raison des propos publiés et tenus dans l'article mis en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet www.franceinter.fr, intitulé « Génocide au Rwanda : la « faute » de la France » et dans la vidéo insérée en son sein, ainsi que dans le livre de Laurent LARCHER intitulé « Rwanda, ils parlent ».

* S'agissant des propos reprochés à Benoît COLLOMBAT

Il sera tout d'abord relevé que l'article dans lequel s'insèrent les propos reprochés à Benoît COLLOMBAT est une synthèse d'un entretien avec Walfroy DAUCHY mené par le journaliste lui-même, cette synthèse étant pour l'essentiel constituée de citations des déclarations de ce dernier, le plus souvent au style direct, et que parmi les passages poursuivis, seules deux phrases émanent de Benoît COLLOMBAT. Cette spécificité, qui rapproche l'article litigieux de l'interview, fait obstacle à ce qu'il soit exigé du journaliste, comme préalable à la réalisation de cette synthèse, la réalisation d'une enquête sérieuse, sous peine d'entraver gravement la contribution de la presse au débat majeur relatif au rôle de la France pendant cette période historique dramatique (cf CEDH 23 septembre 1994, Jersild c/Danemark, req. n°15890/89). Il appartient dès lors à Benoît COLLOMBAT de justifier non d'une base factuelle suffisante, mais d'établir qu'il a fidèlement rapporté et synthétisé les propos de Walfroy DAUCHY, sans se les approprier.
En l'espèce, la fidélité de la transcription et l'absence de dénaturation des propos de Walfroy DAUCHY sont attestés par le visionnage à l'audience de la vidéo insérée dans l'article et par les déclarations de ce dernier qui a confirmé que ses propos avaient été correctement rapportés, tant dans l'article que dans la vidéo. Il sera au surplus relevé que Benoît COLLOMBAT signale au lecteur, par la présence régulière de guillemets, que ce sont des propos rapportés et lui permet, par l'insertion de la vidéo au sein de l'article, d'avoir directement accès aux déclarations de l'intéressé.
Benoît COLLOMBAT a par ailleurs justifié son choix de porter à la connaissance du public le témoignage de Walfroy DAUCHY par le fait que le sujet, qualifié de « zone grise », de la possible persistance de livraisons d'armes en provenance de la France ou transitant par des sociétés françaises était complexe et que les déclarations du témoin étaient compatibles avec d'autres sources évoquant la présence d'armes dans les camps et de possibles livraisons d'armes. Il l'établit par la production de plusieurs documents (cf notamment sa pièce n°14, article du journal Libération daté du 7 avril 2014, « Kagame: La France a contribué à l'émergence d'une idéologie génocidaire au Rwanda » faisant état des déclarations de Bernard KOUCHNER selon lesquelles « l; gouvernement génocidaire a été formé dans l'enceinte de l'ambassade de France en avril 1994 (...) Paris lui a livré des armes jusqu'en août 1994 » ; sa pièce n° 13, extrait en langue anglaise d'un rapport de l'association Human Rights Watch publié en mai 1995 intitulé « Rwanda - Zaïre: rearming with impunity » soit « Rwanda - Zaïre : réarmer en toute impunité », indiquant, sur la base de témoignages de personnels locaux, que « durant l'opération Turquoise, les FAR continuait à recevoir des armes à l'intérieur de la zone de contrôle française via l'aéroport de Goma » ; une attestation de Guillaume ANCEL en date du 9 mars 2023 où il indique : « Un officier de renseignement à Goma m'a confirmé que des livraisons avaient lieu régulièrement pendant l'opération Turquoise. Des avions atterrissaient à Goma et étaient déchargés par l'armée française... Des camarades de L'armée de !'Air m'ont cité la société SPAIROPS, affrétée par le ministère de la Défense pour acheminer dès cargaisons à notre destination mais qui débarquait aussi des armes pour les forces gouvernementales ( ...) »). Enfin, Benoît COLLOMBAT justifie avoir mené pendant plusieurs années, en tant que journaliste, un travail d'enquête sur le génocide rwandais, sur lequel il a notamment écrit un ouvrage paru en 2006, « Au nom de la France, guerres secrètes au Rwanda » (pièce n°7), et où il mentionne déjà fa présence d'armes dans les camps de réfugiés hutus au Zaïre.
Il sera enfin relevé que le journaliste est demeuré prudent dans son expression en soulignant, par la mise en forme, qu'il s'agissait d'un témoignage et en prenant le soin de recueillir la réaction de l'amiral LANXADE, haut responsable militaire, venant nuancer la portée du témoignage de Walfroy DAUCHY et invitant ainsi le lecteur à le considérer comme une parole parmi d'autres. Dans ces conditions, et alors qu'il avait fait le choix de ne pas le nommer, il ne peut être considéré que Benoît COLLOMBAT n'a pas respecté son obligation de mesure en ne sollicitant pas les observations de Guillaume VICTOR-THOMAS.
Benoît COLLOMBAT pourra dès lors bénéficier de l'excuse de bonne foi et sera par conséquent renvoyé des fins des poursuites initiées à son encontre du chef de complicité de diffamation publique à raison des propos publiés dans l'article mis en ligne le 14 mars 2019 sur le site internet www.franceinter.fr, intitulé« Génocide au Rwanda : la« faute » de la France ».

* S'agissant des propos reprochés à Sybile PETITJEAN

Sybile PETITJEAN est poursuivie en sa qualité de directrice de publication du site internet www.franceinter.fr, à raison des propos contenus dans l'article écrit par Benoît COLLOMBAT et à raison des propos tenus par Walfroy DAUCHY dans la vidéo de son entretien.
Sybile PETITJEAN bénéficie, en sa qualité de directrice de publication, de la bonne foi reconnue à Benoît COLLOMBAT. Elle sera dès lors renvoyée des fins de la poursuite initiée du chef de diffamation publique envers un particulier concernant les propos contenus dans l'article intitulé« Génocide au Rwanda: la« faute » de la France ».
S'agissant des propos poursuivis dans le vidéo insérée dans l'article sus-cité et comportant l'entretien avec Walfroy DAUCHY, mené par Benoît COLLOMBAT et dont ce dernier retrace les éléments essentiels dans l'article, l'exception de bonne foi invoquée par Sybile PETITJEAN devra être appréciée au regard du genre spécifique que constitue l'interview. En effet, comme cela a déjà été rappelé, il ne saurait être exigé du journaliste, et partant du directeur de publication, qui recueille les déclarations d'un tiers, portant qui plus est comme en l'espèce sur un sujet d'intérêt général majeur, et aide à leur diffusion, qu'il mène préalablement à cette diffusion une enquête visant à vérifier l'exactitude de leur teneur, sous peine d'entraver gravement le droit à l'information du public et d'empêcher ainsi la presse de jouer son rôle essentiel de vigie démocratique (cf CEDH 23 septembre 1994, Jersild c/Danemark, req. n°15890/89; CEDH 10 juillet 2014, Axel Springer cl Allemagne, req. N°48311/10). Le tribunal devra donc apprécier si la vidéo litigieuse donne à voir fidèlement les propos tenus par Walfroy DAUCHY dans le cadre d'un entretien mené par un journaliste.
En l'espèce, l'absence de dénaturation des propos de Walfroy DAUCHY est attestée par les déclarations de ce dernier qui a confirmé à l'audience se retrouver « derrière tous les mots » de la vidéo venant d'être diffusée.
Il sera au surplus observé que les questions posées à Walfroy DAUCHY par le journaliste demeurent factuelles et n'ont pour vocation que de permettre à ce dernier de développer son témoignage.
Sybile PETITJEAN pourra dès lors bénéficier de l'excuse de bonne foi et sera par conséquent renvoyée des fins des poursuites initiées à son encontre du chef de diffamation publique à raison des propos contenus dans la vidéo mise en ligne le 14 mars 2019, sur le site internet www.franceinter.fr, au sein de l'article intitulé « Génocide au Rwanda : la « faute » de la France ».

* S'agissant des propos reprochés à Hugues JALLON et Laurent LARCHER

Comme il a été exposé ci-avant, les propos reprochés à Hugues JALLON et Laurent LARCHER s'insèrent dans un livre d'entretiens menés par Laurent LARCHER, et plus spécifiquement dans celui mené par l'auteur avec Walfroy DAUCHY. Lors de l'audience, Laurent LARCHER a pu rappeler son projet éditorial, à savoir réunir au sein d'un même ouvrage les témoignages de ceux ayant participé à la définition de 1 politique française, à sa mise en œuvre, de ceux ayant vécu cette période sur le terrain, tout en restituant leur parole le plus exactement possible, comme elle venait, afin que le lecteur se fasse sa propre opinion.
Cette spécificité, qui là aussi assimile le livre à un recueil d'interviews, fait obstacle, comme rappelé ci-dessus, à ce qu'il soit exigé de Laurent LARCHER, comme préalable à la réalisation de l'entretien et à son insertion dans son ouvrage, la réalisation d'une enquête sérieuse, sous peine d'entraver gravement la contribution de la presse et des écrivains au débat majeur entourant le rôle de la France pendant cette période historique dramatique. Il appartient dès lors à Laurent LARCHER de justifier non d'une base factuelle suffisante, mais d'établir qu'il a fidèlement rapporté les propos de Walfroy DAUCHY, sans se les approprier.
Il sera en premier lieu relevé que Walfroy DAUCHY a confirmé à l'audience que ses propos n'avaient pas été dénaturés par Laurent LARCHER, la confusion quant à l'affrètement d'avions de type C130 ne modifiant pas le sens général des déclarations de l'intéressé. Il apparaît en outre que Laurent LARCHER conserve, dans la transcription des propos et dans son écriture, un positionnement vigilant qu'il signale aux· lecteurs en faisant part de ses interrogations quant à certains éléments mentionnés par Walfroy DAUCHY, s'agissant notamment de la référence au Lac Vert, ce qui confère à son texte un ton prudent et mesuré.
Il sera en outre souligné que Laurent LARCHER a indiqué à l'audience avoir procédé, avant de décider de retenir l'entretien avec Walfroy DAUCHY pour figurer dans son ouvrage, à des vérifications sur le rôle de la société
SPAIROPS dans lors de l'opération Turquoise, et avoir obtenu des informations sur l'existence d'un camp où se trouvaient les FAR, dénommé Lac Vert, qui aurait été désarmé en 1997 par Paul KAGAME. Ces éléments montrent que sans aller jusqu'à procéder à une enquête, Laurent LARCHER a veillé à procéder à des recoupements factuels minimums afin de ne pas porter à la connaissance des lecteurs un témoignage manifestement fantaisiste.
Il sera de même relevé que la teneur du témoignage de Walfroy DAUCHY n'est pas, pour Laurent LARCHER, incompatible avec les déclarations d'autres personnes entendues pour la préparation et la confection du livre. Il indiquera ainsi lors de l'audience que lorsqu'il a rencontré dans ce cadre Guillaume ANCEL, ce dernier lui a parlé d'une scène de « livraison d'armes » à laquelle il avait assisté lors de sa participation à l'opération Turquoise. De même, Hubert VEDRINE, lors de son entretien, figurant notamment aux pages 732 et 733 de l'ouvrage, n'exclut pas la possibilité d'un « trafic » lorsqu'il est interrogé sur la persistance de livraisons d'armes venant de la France après l'embargo (pièce n°1 de Laurent LARCHER, ouvrage« Rwanda, ils parlent »).
Compte tenu de ces éléments, et de l'intérêt général· majeur du sujet abordé, Laurent LARCHER doit bénéficier de l'exception de bonne foi, laquelle profitera à Hugues JALLON en sa qualité de directeur de publication.
Il convient par conséquent de renvoyer Hugues JALLON et Laurent LARCHER des poursuites initiées à leur encontre du chef de diffamation publique envers un particulier et de complicité de ce délit.

Sur l'action civile

Guillaume VICTOR-THOMAS sera reçu en sa constitution de partie civile mais les demandes présentées de ce chef seront rejetées compte tenu de la relaxe intervenue.

Sur la demande présentée par Walfroy DAUCHY, Hugues JALLON et Laurent LARCHER sur le fondement de l'article 800-2 du code de procédure pénale

En l'absence de requêtes séparées, comme exigé par l'article R 249-3 du code de procédure pénale, les demandes présentées par Walfroy DAUCHY, Hugues JALLON et Laurent LARCHER sur le fondement de l'article 800-2 de ce même code seront déclarées irrecevables.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal, statuant publiquement, en premier ressort et contradictoirement à l'égard de Sybile PETITJEAN, Benoît COLLOMBAT, Walfroy DAUCHY, Hugues JALLON et Laurent LARCHER, prévenus, et de Guillaume VICTOR­ THOMAS, partie civile :

Renvoie Sybile PETITJEAN, Benoît COLLOMBAT, Walfroy DAUCHY, Hugues JALLON et Laurent LARCHER des fins des poursuites initiées à leur encontre des chefs de diffamation publique envers un particulier et de complicité de ce délit;

Reçoit Guillaume VICTOR-THOMAS en sa constitution de partie civile;

Déboute Guillaume VICTOR-THOMAS de l'ensemble de ses demandes en raison de la relaxe prononcée ;

Déclare irrecevables les demandes présentées par Walfroy DAUCHY, Hugues JALLON et Laurent LARCHER sur le fondement de l'article 800-2 du code de procédure pénale.

En application de l'article 1018 A du code général des impôts, la présente décision est assujettie à un droit fixe de procédure de 127 euros dont est redevable Guillaume VICTOR-THOMAS.

et le présent jugement ayant été signé par la présidente et la greffière.

LA GREFFIERE

Pour la PRESIDENTE empêchée,
Amicie JULLIAND, vice-présidente, ayant participé aux débats et au délibéré


Copie-certifiée conforme à la minute
Le greffier

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024