Vous vous vantez beaucoup ces jours-ci d’être un groupe de cinquante journalistes travaillant dans dix-sept médias de onze pays. Mais à deux exceptions près, ces pays sont tous européens, ce que vous oubliez toujours de mentionner. Cela vous embarrasserait-il ? J’entends aussi dire que cette investigation vous a coûté six mois d’efforts et deux millions de dollars et j’ai envie de m’amuser un peu : tout ça pour ça ?
C’est le premier gros mensonge et ce n’est pas par hasard que Colette Braeckman du quotidien belge
Le Soir a appelé votre campagne médiatique une «
conjuration » avant qu’Aline Cateux, sa consœur du même journal, révulsée à juste titre par votre négationnisme, n’en claque brutalement la porte. Je me demande toujours pourquoi les médias occidentaux s’acharnent sur le Rwanda en se taisant sur l’Ukraine et sur tant d’autres défis que leurs sociétés doivent relever.
Si l’Afrique noire les intéresse à ce point, ne savent-ils donc pas qu’au Congo voisin on massacre et mange des Tutsi et que ces scènes de cannibalisme où on entend dire que la chair du Tutsi est trop bonne, filmées au milieu de grands cris de joie, continuent à faire le tour du monde ?
Honte à vous ! Honte à vous !
Votre conjuration médiatique a fait de vous la risée de vos confrères du monde entier mais la manière dont je l’ai ressentie ne peut être que différente.
Moi Yolande Mukagasana, rescapée du génocide perpétré contre les Tutsi au Rwanda en 1994, je vous demande ce soir au nom de mon bien-aimé mari Joseph qui était déjà orphelin du génocide de 1963 à Gikongoro, découpé à la machette le 13 avril 1994 puis achevé à l’arme à feu à la barrière du sous-préfet Karera François à Kivugiza dans la ville de Kigali ; je vous interpelle aussi au nom de mes enfants Christian, Sandrine et Nadine pour savoir ce qui vous donne le droit de cracher votre bave sur ma mémoire endeuillée.
Ne me parlez surtout pas de recherche de la vérité car vos textes reposent sur les témoignages de négationnistes méprisés de tous tels que Charles Onana, Judi Rever et Michela Wong et sur ceux de Rwandais suspects ou même convaincus de génocide et condamnés comme tels. Vous savez bien qu’aucune vérité ne sortira jamais de ces bouches nauséabondes.
Quant à vous qui leur avez donné la parole, n’avez-vous donc pas des enfants ? J’ai l’impression que vous n’avez aucune idée de ce que cela signifie d’avoir perdu un être cher. Je suis tentée de vous demander de vous mettre à ma place mais je vous en sais parfaitement incapables. Vous êtes racistes et comme tant de racistes, vous vous en défendrez avec indignation. Vous êtes décidément de bien étranges créatures mesdames et messieurs les grands humanistes. Non, vous n’êtes pas racistes : vous vous moquez simplement que mon mari et mes enfants soient morts dans des conditions si épouvantables juste parce qu’ils étaient Tutsi !
Je sais que votre haine à l’égard du Président Kagame ne date pas d’aujourd’hui. Dès mon installation en Europe en février 1995, j’ai constaté que certains Européens n’arrêtaient pas de diffamer le Front Patriotique Rwandais (FPR) qui a mis fin tout seul au génocide de 1994. Paul Kagame m’a sauvée de l’enfer et que cela vous plaise ou non il est et restera pour toujours mon héros. Votre attitude symbolise celle de l’Occident qui après avoir détourné le regard de l’horreur que nous étions en train de vivre il y a trente ans, n’hésite pourtant pas aujourd’hui à rouvrir les plaies des victimes.
J’ai toujours su que votre seul objectif était de ne pas laisser à Paul Kagame une minute de répit afin qu’il n’ait pas le temps de se mettre au service de son peuple. Mais vous avez fini par vous rendre compte que Kagame n’est pas seul, qu’il a toute la jeunesse rwandaise avec lui. Au Rwanda, quand on piétine une fleur, plus de dix autres éclosent au même instant et au même endroit.
Voulez-vous que je vous livre le secret de notre réussite ? Dans notre pays, dès qu’un petit opportuniste est mis de côté, au moins dix patriotes sérieux se lèvent pour le remplacer. Kagame travaille en équipe, une équipe qui est à son image.
«
Le chagrin du danseur ne l’empêche pas de bien danser ». Permettez-moi de vous expliquer ce proverbe rwandais que vous ne connaissez certainement pas : nous les rescapés qui ne sommes pas ingrats, malgré notre douleur et nos difficultés, nous aidons à la reconstruction des âmes mais aussi de l’économie de ce pays. Nous nous sommes donné la main pour créer un Etat de droit. Cela ne vous plaît pas ? Eh bien vos mesquines frustrations, on s’en fiche.
Moi, Yolande Mukagasana, je ne suis qu’une citoyenne rwandaise qui n’a jamais milité dans un parti politique. Je suis juste attentive à la marche de mon pays depuis le 7 Avril 1994 et vigilante à l’égard de tous ceux qui nous veulent tant de mal. Je les croyais méchants par simple ignorance mais aujourd’hui je me rends compte que leur cruauté est délibérée et qu’ils ne reculeront devant aucune falsification historique pour détruire mon peuple.
C’est insupportable à la fin. Ils ont gardé le silence quand il fallait hausser le ton et voilà qu’ils élèvent la voix quand ils n’ont plus rien à dire. Au moment même où les droits de l’homme sont de plus en plus bafoués dans vos pays, vous prétendez vous soucier de leur respect dans d’autres pays. Indignation feinte !
Trente ans de haine… Mon Dieu, quelle haine tenace que la vôtre ! Continuez à redonner une voix aux négationnistes et à tous ceux qui aujourd’hui encore enragent de n’avoir pas réussi à tuer tous les Tutsi ! Cela ne servira à rien car ne vous en déplaise, le Rwanda continuera à garder la tête haute, le Rwanda poursuivra sa marche en avant.
Note de la redaction : Yolande Mukagasana est une rescapée du génocide perpetre contre les Tutsi en 1994