Fiche du document numéro 34485

Num
34485
Date
Lundi 15 juillet 2024
Amj
Auteur
Taille
241875
Surtitre
Opinion
Titre
Présidentielle rwandaise : la stabilité est le principal enjeu de l’élection
Soustitre
Paul Kagame devrait être élu ce 15 juillet pour un quatrième mandat à la tête du Rwanda. Pour Yann Gwet, dans un pays qui ne peut se permettre le luxe de l’instabilité, les citoyens valident le choix d’accorder la priorité à la réduction de la pauvreté et à la réconciliation nationale.
Nom cité
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Campagne présidentielle du FPR à Gakenke , 11 juillet 2024
© Flickr Paul Kagamé

Les citoyens rwandais sont appelés aux urnes ce 15 juillet pour élire leur président. Sans surprise, la campagne aura été calme, sereine, parfois festive. Sans surprise, Paul Kagame remportera l’élection présidentielle haut la main. À l’intérieur du pays, un mélange de joie et de soulagement l’emportera sur l’indifférence de certains. À l’étranger, médias, ONG et dissidents fustigeront un déni de démocratie, que la quiétude qui aura prévalu durant la campagne électorale viendra paradoxalement confirmer aux yeux des critiques. Hier, aujourd’hui, comme demain, aucun de ces critiques ne s’embarrassera d’expliquer au peuple rwandais ce qu’ils mettent derrière ce « mot vague, banal, sans acception précise, un mot en caoutchouc » dont Auguste Blanqui dénonçait déjà l’instrumentalisation dans sa Lettre à Maillard en Juin 1852, ni pourquoi la « démocratie » doit constituer la priorité absolue du Rwanda, encore moins pourquoi le destin du pays devrait être déterminé par la seule réponse à la question de savoir si le pays est « démocratique ». Pourtant, un examen un peu rigoureux de la trajectoire du Rwanda post-génocide suggère que l’évolution du pays était non seulement prévisible, mais probablement opportune.

« La guerre a fait l’État »

Après le génocide perpétré contre les Tutsi et l’effondrement de l’État et de la société qui l’a rendu possible, la priorité des nouvelles autorités était la stabilisation du pays. Il fallait rétablir la sécurité, restaurer l’ordre social, imposer un cadre normatif. Toutes choses sans lesquelles la vie était simplement impossible. La thèse de Charles Tilly selon laquelle « la guerre a fait l’État » s’est vérifiée dans le cas rwandais. Plus qu’autre chose, les circonstances historiques ont décidé de la nature de l’État tel qu’il se présente encore aujourd’hui. Celui-ci se devait d’être présent, performant, puissant. Ce, d’autant plus qu’outre les multiples défis internes auxquels il était confronté, la survie du nouvel État était menacée par la présence de milices génocidaires actives dans des camps de réfugiés installés à la frontière congolaise. Alors évidemment, un État puissant face à un corps social lui-même en reconstruction, cela a forcément des inconvénients.

Mais la question est de savoir si ces inconvénients excèdent les gains tirés de la plus longue période de stabilité dans l’histoire récente du pays. Pour beaucoup de Rwandais, à juste titre, la réponse est non. Pourquoi ? D’abord parce que la stabilité, qui requiert des efforts considérables, a apporté de nombreuses opportunités pour le pays dans son ensemble. Ensuite parce que l’édification de l’État rwandais dans ses attributs régaliens s’est accompagnée de l’instauration d’un État de droit, dont il est rarement fait référence mais qui distingue le Rwanda de la majorité des pays africains. Ici plus qu’ailleurs en Afrique, les puissants, autant que les faibles, sont également soumis à l’autorité de la loi.

Nul doute que des progrès restent possibles, mais il n’en demeure pas moins que la relative suprématie de la loi réduit l’arbitraire du pouvoir et contribue, autant que d’autres mesures, à l’égalisation des conditions dans la société rwandaise. L’expérience quotidienne des citoyens les plus faibles s’en ressent, et les fondements d’une authentique « démocratie », au sens où Tocqueville l’a théorisée, sont ainsi posés. Et donc la question est moins de savoir si le Rwanda est une « démocratie » que de déterminer où en est le processus de démocratisation du pays. Par ailleurs, peu importe la définition de la « démocratie » que l’on considère, le fait est que le processus d’imposition d’un ordre social stable, via la construction d’un État performant, et la démocratisation d’une société sont difficilement conciliables – la « démocratie » étant par nature disruptive.

Une « démocratie » chaotique

Aux premières heures d’un nouvel État, les gouvernants doivent donc établir leurs priorités – au Rwanda, c’est le contexte historique qui en a décidé. En outre, aux contraintes particulières du Rwanda post-génocide, il faut ajouter l’expérience de la démocratisation du début des années 1990. La libéralisation politique de ces années avait ouvert les vannes de l’extrémisme, du racialisme, et d’une violence politique qui ne cessa de s’intensifier à mesure que la situation économique du pays se détériorait – jusqu’à l’implosion de la société en 1994.

« La libéralisation politique des années 1990 avait ouvert les vannes de l’extrémisme, du racialisme, et d’une violence politique qui ne cessa de s’intensifier à mesure que la situation économique du pays se détériorait »

Il y a tout lieu de penser que la mémoire d’une « démocratie » chaotique et structurellement dysfonctionnelle, car implantée sur un terreau social profondément fracturé, a refroidi les éventuelles ambitions de libéralisation de l’espace politique du pouvoir post-génocide. Un pouvoir technocratique a donc été installé, dans une tentative de dépolitisation (« démocratie consensuelle ») de l’espace social. Priorité fut donnée à la croissance économique, à la réduction de la pauvreté et à la réconciliation nationale.

Cette stratégie a permis l’improbable résurrection du Rwanda et son indéniable transformation depuis trente ans. Mais la « fin de la politique » était probablement un vœu pieux. Car, au Rwanda, la politique se confond nécessairement avec l’Histoire. Il est donc difficile de congédier la première, même avec de bonnes intentions, sans dans le même mouvement poser un couvercle sur la seconde. Or, la complexité et la gravité de l’histoire rwandaise sont telles que celle-ci est incontournable. Il n’est donc pas surprenant de constater que, depuis trente ans, c’est souvent par le truchement d’une histoire instrumentalisée politiquement que l’opposition rwandaise mobilise des soutiens et s’organise. Les accusations constantes d’autoritarisme sont utilisées comme un levier pour s’attirer les bonnes grâces des partisans occidentaux de l’interventionnisme libéral. La « politique » y gagne, mais la stabilité si chèrement acquise y perd.

Cette stabilité est le principal enjeu de l’élection qui se tient aujourd’hui. Au-delà des problèmes internes au Rwanda, qui restent importants, le contexte international est particulièrement inquiétant. La fin de l’ordre libéral prolongera le monde dans une formidable instabilité. Celui-ci est déjà dans la tourmente, et cette séquence historique s’ouvre à peine. Comme au temps de la guerre froide, qu’elle le veuille ou pas, l’Afrique sera, plus encore qu’aujourd’hui, l’objet de luttes d’influences entre puissances étrangères. Les opérations de déstabilisation se multiplieront. Dans un tel contexte, pour un pays qui ne peut se permettre le luxe de l’instabilité, le choix de l’expérience, celle de la vie, des affaires du monde, et du tragique de l’histoire est probablement le plus judicieux.

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024