Fiche du document numéro 5659

Num
5659
Date
Mercredi 5 juin 2013
Amj
Taille
49608
Titre
Conseil d'État, 7ème et 2ème sous-sections réunies, arrêt n° 366219 [Rejet de la demande d'Agathe Kanziga]
Nom cité
Mot-clé
Type
Décision judiciaire
Langue
FR
Citation
Le : 04/02/2014
Conseil d’État
N° 366219
ECLI:FR:CESSR:2013:366219.20130605
Mentionné dans les tables du recueil Lebon
7ème et 2ème sous-sections réunies
Mme Laurence Marion, rapporteur
M. Bertrand Dacosta, rapporteur public
SCP WAQUET, FARGE, HAZAN, avocat(s)

lecture du mercredi 5 juin 2013
REPUBLIQUE FRANCAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

Vu le pourvoi du ministre de l’intérieur, enregistré le 20 février 2013 au secrétariat du contentieux
du Conseil d’Etat ; le ministre demande au Conseil d’Etat :
1°) d’annuler l’arrêt n° 11VE03720 du 6 décembre 2012 par lequel la cour administrative d’appel
de Versailles a, en premier lieu, rejeté la requête du préfet de l’Essonne tendant à l’annulation du
jugement n° 1102726 du 6 octobre 2011 par lequel le tribunal administratif de Versailles a, à la
demande de Mme A...B...veuveC..., annulé pour excès de pouvoir l’arrêté du 4 mai 2011 lui
refusant un titre de séjour, l’obligeant à quitter le territoire français et fixant le pays à destination
duquel elle serait renvoyée et, en second lieu, enjoint au préfet de l’Essonne de délivrer un titre de
séjour mention “ vie privée et familiale “ à Mme B...veuve C...dans le délai d’un mois à compter de
la notification de l’arrêt ;
2°) réglant au fond, de faire droit à l’appel du préfet ;

Vu les autres pièces du dossier ;

Vu la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ;
Vu le code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile ;
Vu le code de justice administrative ;

Après avoir entendu en séance publique :
- le rapport de Mme Laurence Marion, Maître des Requêtes,
- les conclusions de M. Bertrand Dacosta, rapporteur public ;
La parole ayant été donnée, avant et après les conclusions, à la SCP Waquet, Farge, Hazan, avocat
de Mme C...;

1. Considérant qu’aux termes de l’article L. 311-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile, dans sa rédaction en vigueur à la date de la décision attaquée : “ Sauf si sa présence
constitue une menace pour l’ordre public, la carte de séjour temporaire portant la mention “ vie
privée et familiale “ est délivrée de plein droit : 7° A l’étranger ne vivant pas en état de polygamie,
qui n’entre pas dans les catégories précédentes ou dans celles qui ouvrent droit au regroupement
familial, dont les liens personnels et familiaux en France, appréciés notamment au regard de leur
intensité, de leur ancienneté et de leur stabilité, des conditions d’existence de l’intéressé, de son
insertion dans la société française ainsi que de la nature de ses liens avec la famille restée dans le
pays d’origine, sont tels que le refus d’autoriser son séjour porterait à son droit au respect de sa vie
privée et familiale une atteinte disproportionnée au regard des motifs du refus, sans que la condition
prévue à l’article L. 311-7 soit exigée. L’insertion de l’étranger dans la société française est évaluée
en tenant compte notamment de sa connaissance des valeurs de la République “ ;
2. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que le préfet de
l’Essonne a, par un arrêté du 4 mai 2011, rejeté la demande de titre de séjour présentée sur le
fondement des dispositions du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile citées
ci-dessus par MmeC..., de nationalité rwandaise, au motif que sa présence en France constituait une
menace pour l’ordre public et qu’il n’était pas porté à son droit au respect de sa vie privée et
familiale une atteinte disproportionnée ; que le tribunal administratif de Versailles a annulé pour
excès de pouvoir cette décision par un jugement du 6 octobre 2011 ; que, par l’arrêt attaqué, la cour
administrative d’appel de Versailles a rejeté l’appel du préfet de l’Essonne contre ce jugement ;
3. Considérant qu’il appartient en principe à l’autorité administrative de délivrer, lorsqu’elle est
saisie d’une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention “ vie privée et
familiale “ à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie qui remplit les conditions prévues par les

dispositions précitées du 7° de l’article L. 311-13 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et
du droit d’asile ; qu’elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d’ordre
public suffisamment grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au
respect de la vie privée et familiale du demandeur ; qu’elle peut prendre en compte, sur un tel
fondement, le fait qu’un demandeur a été impliqué dans des crimes graves contre les personnes et
que sa présence régulière sur le territoire national, eu égard aux principes qu’elle mettrait en cause
et à son retentissement, serait de nature à porter atteinte à l’ordre public ;

4. Considérant qu’il ressort des pièces du dossier soumis aux juges du fond que Mme C... a joué un
rôle central au sein du régime au pouvoir au Rwanda jusqu’en 1994 ; que ce régime, pendant
plusieurs années, a préparé et planifié le génocide perpétré, dans ce pays, d’avril à juin 1994 ; que,
par ailleurs, si l’intéressée fait état de la présence en France de plusieurs de ses enfants, ceux-ci sont
majeurs et n’assument pas sa charge ; qu’en outre l’intéressée n’est pas dépourvue de liens
familiaux et personnels dans d’autres pays que la France ;
5. Considérant, dès lors, qu’en estimant que le refus opposé à la demande de titre de séjour de Mme
C... portait au droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte disproportionnée aux buts de
préservation de l’ordre public que ce refus poursuit, la cour administrative d’appel de Versailles a
inexactement qualifié les faits qui lui étaient soumis ; que le ministre de l’intérieur est fondé, par
suite, à demander l’annulation de l’arrêt attaqué, sans qu’il soit besoin d’examiner les autres
moyens du pourvoi ;
6. Considérant qu’il y a lieu, dans les circonstances de l’espèce, de régler l’affaire au fond en
application de l’article L. 821-2 du code de justice administrative ;
7. Considérant, d’une part, qu’en faisant référence aux décisions de l’Office français de protection
des réfugiés et apatrides et de la commission des recours des réfugiés refusant de lui accorder le
statut de réfugié et à celle du Conseil d’Etat du 16 octobre 2009 rejetant le pourvoi de Mme C...
contre ce refus, le préfet de l’Essonne ne s’est pas cru lié par elles dans l’appréciation de la menace
à l’ordre public à laquelle il a procédé, mais s’est référé aux faits que ces décisions ont pris en
considération ; d’autre part, qu’eu égard aux buts en vue desquels il a été pris, le refus opposé à la
demande de Mme C...n’a pas porté à son droit au respect de sa vie privée et familiale une atteinte
disproportionnée ;
8. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que c’est à tort que le tribunal administratif de
Versailles s’est fondé, pour annuler l’arrêté du 4 mai 2011 du préfet de l’Essonne, sur l’illégalité de
ses motifs ;
9. Considérant, toutefois, qu’il appartient au Conseil d’Etat, saisi de l’ensemble du litige par l’effet
dévolutif de l’appel, d’examiner les autres moyens soulevés par Mme C... devant le tribunal
administratif de Versailles ;
10. Considérant, en premier lieu, que l’arrêté attaqué vise les textes applicables à la demande de
Mme C... et comporte les considérations de fait, relatives tant à l’ordre public qu’à la vie privée et

familiale de l’intéressée, sur lesquelles le préfet s’est fondé pour rejeter la demande ;
11. Considérant, en second lieu, que le moyen tiré de ce que l’arrêté, en tant qu’il comporte
obligation de quitter le territoire français, serait illégal par voie de conséquence de l’illégalité du
refus de séjour ne peut qu’être écarté ;
12. Considérant qu’il résulte de ce qui précède que le préfet de l’Essonne est fondé à soutenir que
c’est à tort que, par le jugement attaqué, le tribunal administratif de Versailles a annulé son arrêté du
4 mai 2011 ;
13. Considérant que la présente décision n’implique aucune mesure d’exécution ; que, par suite, les
conclusions de Mme C...aux fins d’injonction ne peuvent qu’être rejetées ; qu’il en va de même des
conclusions qu’elle présente au titre de l’article L. 761-1 du code de justice administrative ;

DECIDE:
-------------Article 1er : L’arrêt du 21 décembre 2012 de la cour administrative d’appel de Versailles et le
jugement du 6 octobre 2011 du tribunal administratif de Versailles sont annulés.
Article 2 : La demande présentée par Mme C...devant le tribunal administratif de Versailles et ses
conclusions présentées devant le Conseil d’Etat au titre de l’article L. 761-1 du code de justice
administrative sont rejetées.
Article 3 : La présente décision sera notifiée au ministre de l’intérieur et à Mme A...B...veuveC....

Abstrats : 335-01-03-04 ÉTRANGERS. SÉJOUR DES ÉTRANGERS. REFUS DE SÉJOUR.
MOTIFS. - POSSIBILITÉ DE NE PAS DÉLIVRER UN TITRE VIE PRIVÉE ET FAMILIALE À
L’ÉTRANGER QUI REMPLIT LES CONDITIONS POSÉES PAR LE 7° DE L’ARTICLE L. 31311 DU CESEDA - EXISTENCE - MOTIF - ORDRE PUBLIC - POSSIBILITÉ À CE TITRE DE
PRENDRE EN COMPTE LE FAIT QU’UN DEMANDEUR A ÉTÉ IMPLIQUÉ DANS DES
CRIMES GRAVES CONTRE LES PERSONNES ET QUE SA PRÉSENCE RÉGULIÈRE SUR LE
TERRITOIRE NATIONAL, EU ÉGARD AUX PRINCIPES QU’ELLE METTRAIT EN CAUSE
ET À SON RETENTISSEMENT, SERAIT DE NATURE À PORTER ATTEINTE À L’ORDRE
PUBLIC - EXISTENCE [RJ1].
Résumé : 335-01-03-04 Il appartient en principe à l’autorité administrative de délivrer, lorsqu’elle
est saisie d’une demande en ce sens, une carte de séjour temporaire portant la mention vie privée et
familiale à l’étranger ne vivant pas en état de polygamie qui remplit les conditions prévues par les
dispositions du 7° de l’article L. 313-11 du code de l’entrée et du séjour des étrangers (CESEDA).
Elle ne peut opposer un refus à une telle demande que pour un motif d’ordre public suffisamment

grave pour que ce refus ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit au respect de la vie
privée et familiale du demandeur. Sur un tel fondement, elle peut prendre en compte le fait qu’un
demandeur a été impliqué dans des crimes graves contre les personnes et que sa présence régulière
sur le territoire national, eu égard aux principes qu’elle mettrait en cause et à son retentissement,
serait de nature à porter atteinte à l’ordre public.

[RJ1] Rappr., s’agissant de la possibilité de refuser la délivrance d’un visa pour un tel motif, CE, 3
février 2012, Ministre de l’intérieur, de l’outre-mer, des collectivités territoriales et de
l’immigration, n° 353952 353953, p. 16.

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