Fiche du document numéro 8864

Num
8864
Date
Vendredi 25 juillet 2014
Amj
Taille
90875
Titre
Les métis, enfants oubliés de la colonisation belge
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
« Papaoutais »! La belle chanson de Stromae est bien plus qu'un tube à succès!
Elle exprime, en termes actuels, le malaise de ceux dont on ne parle
pratiquement jamais, et qui furent les enfants oubliés de la colonisation
belge, les métis. Aujourd'hui que les couples mixtes se multiplient, nul ne
prête plus attention à ces enfants un peu plus bronzés, un peu plus bouclés,
qui peuplent les crèches et les écoles. Mais voici quelques décennies, et
longtemps après l'indépendance du Congo, du Rwanda et du Burundi, il était loin
d'en être ainsi. Le vocabulaire lui-même en témoigne : avant 1960, on parlait
moins de « métis » que de « mulâtres » un terme dérivé du mot espagnol « mulato
» mulet, qui désignait l'animal hybride né de l'accouplement d'un cheval et
d'une ânesse !

Cependant, ces enfants de « sang mêlé » étaient nombreux, leur existence
illustrait un pan peu connu de la colonisation belge et le destin qui leur
était réservé démontrait à quel point les mentalités de l'époque étaient
imprégnées du concept de la supériorité de la race blanche, qui ressemblait
fort à un racisme de bon aloi.

Lorsque les Belges, dès la fin du 19eme siècle, prennent pied en Afrique
centrale, ce sont des hommes seuls qui font le voyage. Ils s'installent en
bravant le climat difficile, la mortalité est élevée et dans cette Afrique
centrale encore insalubre, il est hors de question de faire venir des femmes.
En outre, à l'inverse des Portugais en Angola ou des Français en Algérie,
l'administration coloniale n'encourage pas l'établissement permanent des
colons, à ses yeux, le Congo est avant tout une entreprise commerciale ou, plus
tard, une « oeuvre civilisatrice » mais pas une colonie de peuplement. Les
hommes cependant ne restent pas seuls très longtemps : pour éviter le « coup de
bambou » (sorte de spleen alcoolique) ou régler les problèmes domestiques, les
Européens embauchent des femmes congolaises, pudiquement appelées « ménagères
». Elles ne sont pas simplement chargées de tâches domestiques mais souvent
vivent en concubinage avec leur « maître », le temps de l'affectation de ce
dernier.

Plus tard, lorsqu'arriveront les épouses belges, ces femmes retourneront dans
l'ombre et, à de rares exceptions près, les enfants nés de ces relations
interraciales ne seront jamais officiellement reconnus par leur géniteur. A la
veille de la deuxième guerre mondiale, le Congo comptait ainsi quelque 5000
enfants nés entre deux mondes!

Ils n'étaient cependant pas inconnus aux yeux de l'administration coloniale :
cette dernière redoutait que la «goutte de sang blanc» qui coulait dans les
veines de ces enfants fasse d'eux les instigateurs d'éventuelles révoltes et,
méthodiquement, elle retirait les enfants métis du milieu indigène, les
soustrayant donc à l'influence et à l'affection de leur mère, sans que pour
autant le père les reconnaisse ou les prenne en charge ! Ces jeunes métis, dès
le départ, étaient donc victimes d'une double discrimination : on leur avait
inculqué qu'ils étaient différents des Noirs et que certains métiers leur
étaient réservés (contremaîtres, catéchistes!) mais par ailleurs le monde des
Blancs leur demeurait fermé, ils étaient relégués dans leurs propres cercles,
vivaient dans des homes situés entre la ville européenne et la cité indigène
!Aujourd'hui encore, des métis, nés à la veille de l'indépendance, gardent la
brûlure et le souvenir de cette discrimination originelle et certains d'entre
eux sont toujours en quête de leur père voire de leur mère, désireux, quelle
que soit leur trajectoire sociale, de combler le vide béant de leurs racines
arrachée. La plupart du temps, ils se heurtent au déni du côté de leur famille
paternelle, peu soucieuse de découvrir cet enfant né « hors mariage » et c'est
très difficilement que les plus obstinés réussissent à ouvrir les archives de
l'administration coloniale pour tenter de retracer leur filiation.

Durant plus de vingt ans, Assoumani Budagwa, un ingénieur d'origine congolaise,
installé en Belgique, s'est attelé à une tâche qui avait rebuté bien des
historiens professionnels : il a méthodiquement rassemblé et compulsé toutes
les archives faisant état de l'existence des métis, parcouru textes de loi et
dispositions administratives, retracé les histoires individuelles et les
parcours collectifs. Et au fil de ses recherches, il a, inévitablement, croisé
les fils de dizaines de cas individuels, recueilli les témoignages, mesuré les
souffrances, les déchirements des enfants non reconnus. Il a aussi pris
connaissance de la douleur des mères auxquelles leur enfant avait été arraché
et qui se voyaient repoussées par leur « patron » rappelé en Belgique ou
convolant en « justes » noces. L'ouvrage né de ces recherches n'est ni une
thèse, ni un roman, ni une compilation de règlements administratifs pas plus
qu'une fresque historique. Il est tout cela et plus encore : une véritable
somme d'informations, de témoignages, d'histoires plus vraies et plus
poignantes les unes que les autres. Mais surtout, ce livre qui, pour la
première fois, dit les choses, nomme les cas, ne recule pas devant l'énoncé des
souffrances individuelles et des quêtes désespérées, est riche d'une immense
valeur thérapeutique. Lors de la présentation de l'ouvrage, plusieurs métis ont
tenu à expliquer combien la quête de leurs origines avait marqué leur vie et il
apparut que, même à la deuxième voire la troisième génération, cette question
existentielle demeurait toujours brûlante!

L'un des épisodes les plus dramatiques et aussi symptomatique de la geste des
métis se situe à Save, au Rwanda, à la veille de l'indépendance.

Estimant que, de toutes manières, les métis d'un orphelinat tenu par des
religieuses seront plus en sécurité en Belgique que dans leur pays d'origine,
la soeur Lutgardis et le père Delooz décident de les évacuer massivement vers
la Belgique, Des familles belges les accueillent, surtout en Flandre et tous
les liens sont coupés avec la mère biologique, victime d'un véritable
rapt!Durant des décennies, les « enfants de Save » tenteront de retrouver qui
leur mère restée au Rwanda, qui leur père biologique et l'ouvrage se termine
sur ces récits poignants d'une quête qui, pour certains, n'est pas encore
terminée!

Assumani Budagwa, Noirs, blancs et métis, La Belgique et la ségrégation des
métis du Congo belge et du Rwanda-Urundi (1908-1960) contact :
noirsblancsmetismail.com

Colette Braeckman

Haut

fgtquery v.1.9, 9 février 2024