Fiche du document numéro 9920

Num
9920
Date
Jeudi 16 juin 1994
Amj
Auteur
Taille
91541
Titre
Réponse du Ministre des Affaires étrangères, M. Alain Juppé à une question orale au Sénat
Source
Type
Langue
FR
Citation
France - Rwanda - projet d'intervention

Monsieur le sénateur, ai-je besoin de vous dire que je partage votre
émotion et votre indignation ? J'ai moi-même utilisé voilà quelques
semaines le mot "génocide" à propos du drame du Rwanda. C'est bien
celui qui convient, dans son sens étymologique, pour décrire ce qui se
passe dans ce malheureux pays.

La France a-t-elle, dans ce drame, une responsabilité particulière,
comme je l'entends dire ici ou là ? Même si l'histoire n'est pas,
après tout, ce qui doit retenir le plus notre attention en de telles
circonstances, il convient tout de même de rétablir les choses dans
leur vérité.

Nous avons, dans le passé, soutenu le président Habyarimana et ceux
qui, avec lui, étaient prêts à accepter une réconciliation des
ethnies, des clans, des factions en présence au Rwanda.

D'ailleurs, le processus de réconciliation a été effectivement amorcé
par les accords d'Arusha du mois d'août 1993, qui prévoyaient un
partage du pouvoir.

Ces accords ayant été conclus, nous avons soutenu ceux qui voulaient
les appliquer : voilà quelle a été notre politique. Laisser entendre
que nous les avons armés les uns contre les autres n'a pas de sens !

Je tenais à apporter cette précision dans la mesure où, depuis quelque
temps, des procès sont instruits contre la politique de la France au
Rwanda qui ne sont pas fondés.

Face au drame, qu'avons-nous essayé de faire ? D'abord, cela va de
soi, nous avons immédiatement lancé une action d'aide humanitaire. Je
n'entre pas dans le détail, car j'ai déjà eu l'occasion d'évoquer
cela. La France a été le premier pays à agir, et le pays qui a fait le
plus : pont aérien, antennes chirurgicales du SAMU mondial sur place,
équipement des camps de réfugiés pour que les conditions de vie soient
un peu meilleures qu'elles n'étaient, aides aux organisations non
gouvernementales, au Comité international de la Croix-Rouge, au Comité
aux réfugiés... Je ne donnerai pas les chiffres, bien sûr -cela n'est
pas une question d'argent face à un tel drame- mais nous avons
mobilisé plusieurs dizaines de millions de francs. Les organisations
savent que, sur le plan humanitaire, la France a répondu d'emblée.

La deuxième chose que nous avons tenté de faire a été de mobiliser les
Nations unies pour que la MINUAR, la mission des Nations unies pour le
Rwanda, vienne sur place le plus vite possible.

Cela n'a pas été sans mal. Il a fallu se battre pour obtenir le vote
d'une résolution au Conseil de sécurité, car beaucoup de nos grands
partenaires ne voulaient pas que l'ONU s'en mêle. Lorsque la
résolution a enfin été votée, grâce aux efforts de la France, il a
fallu déployer de nouveaux efforts pour que cette MINUAR arrive : elle
n'est toujours pas arrivée. Sur le papier, on dispose de 5.500
hommes. Des pays se sont dits prêts à envoyer des contingents ; ils ne
sont pas au Rwanda. Alors la France a fait savoir aux Nations unies
qu'elle était prête à équiper un certain nombre de contingents,
notamment le contingent sénégalais. Elle a également suggéré que l'on
regarde peut-être au sein des casques bleus aujourd'hui disponibles,
si on ne pouvait pas, en urgence, envoyer de 1.000 à 3.000 hommes pour
s'interposer. Cela est en cours actuellement. J'ai eu moi-même
M. Boutros-Ghali hier au téléphone pour lui en parler.

Troisième niveau d'intervention : le cessez-le-feu et la reprise d'un
processus politique. car il n'y aura pas de solution militaire, bien
entendu. Les 20 % de Tutsis, même s'ils sont armés par certains pays
de la région, ne pourront pas imposer leur loi à 80 % de Hutus, et
inversement. Il faut donc trouver, avec les modérés de tous bords, un
processus de réconciliation. Nous avons « mis dans le coup », pour
parvenir à ce résultat, les pays de la région. Nous avons fondé
beaucoup d'espérances sur le sommet de l'Organisation de l'Unité
africaine qui s'est tenu hier et avant-hier à Tunis. Nous avons pu y
constater que les chefs d'Etat africains eux-mêmes étaient bouleversés
par ce qui se passait, qu'il s'agisse du Président Mandela ou
d'autres. Un cessez-le-feu est sorti de ce sommet de Tunis. Mais que
puis-je constater aujourd'hui ? Premièrement, le cessez-le-feu n'est
pas respecté vingt-quatre heures après avoir été signé. Deuxièmement,
je l'ai déjà dit, la MINUAR n'arrive toujours pas, et les massacres
par conséquent se poursuivent.

C'est la raison pour laquelle, hier, après une réunion à laquelle
participaient le Président de la République, le Premier ministre et le
ministre de la Défense, j'ai indiqué que la France était prête à faire
plus, c'est-à-dire à monter une intervention sur le terrain pour
essayer de protéger les populations menacées d'extermination. C'est
naturellement une opération à vocation strictement humanitaire. Vous
me demandez comment et avec qui. Vous comprenez qu'il y a des
opérations qu'on prépare et que l'on ne peut pas évoquer avant
qu'elles ne se réalisent. Mais nos contacts sont en cours.

Je dirai simplement deux choses pour caractériser cette opération,
outre son caractère humanitaire. Premièrement, nous la voulons de
durée limitée dans le temps. Il n'est pas question de nous installer
au Rwanda. Nous pouvons, par exemple, faire le relais avec la MINUAR
tant attendue. Deuxièmement, nous ne pouvons pas y aller seuls, non
pas tant pour des raisons techniques et militaires que pour des
raisons politiques. Si l'on veut que cette opération n'apparaisse pas
contestable sur le plan politique, il faut que d'autres viennent avec
nous. Nous sommes en train de prendre des contacts avec nos
partenaires européens et nos partenaires africains. L'Union de
l'Europe occidentale pourrait vraisemblablement jouer un rôle sous le
mandat général des Nations unies. Voilà ce que nous sommes en train
d'étudier d'arrache-pied en ce moment pour que le cessez-le-feu qui a
été signé puisse néanmoins être respecté. Bref, la France essaie
d'être à la hauteur des principes auxquels elle croit et qu'elle
prétend défendre partout dans le monde./.

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fgtquery v.1.9, 9 février 2024