Fiche du document numéro 33361

Num
33361
Date
Samedi 25 février 1995
Amj
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Taille
37429
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Surtitre
Portrait
Titre
Bruno Delaye, l'adieu à l'Afrique d'un déçu de la « Paristroïka »
Soustitre
Le patron de la «cellule africaine» à l'Elysée quitte ses fonctions. Proche de Cheysson et Chevènement, il rêvait de lutter contre les dictatures. En quatre ans, il a dû se résoudre au poids des lobbys.
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Type
Article de journal
Langue
FR
Citation
Au 2, rue de l'Elysée, siège de la «cellule africaine», il a quitté son vaste bureau lumineux comme un moine quitterait une chambre de mortification : avec soulagement. «Le génie des Africains, c'est de nous impliquer dans leurs affaires, de nous pousser à faire la politique de nos états d'âme. Chez eux, on est à peine entré dans le salon qu'on se trouve déjà dans la cuisine. Après, on se fait dominer par l'affectif.»

Ce n'est plus le cas pour Bruno Delaye, ex-«golden boy» du Quai d'Orsay qui fut, à 39 ans, le plus jeune ambassadeur de France. Après quatre ans d'Afrique noire, ­un au Togo puis trois à la «cellule»­, il est mûr pour le divan. «Il y a du dépit amoureux», admet-t-il. «Je me suis occupé de l'Afrique à un moment où tout le monde s'en foutait totalement.»

Out of Africa



Le Mexique est sa nouvelle destination. Depuis plusieurs semaines déjà, il ne prenait plus les présidents africains au téléphone. Il s'est remis à l'espagnol. Fermée, donc, la parenthèse africaine. Plutôt branché monde arabe lorsqu'en août 1982, à trente ans, il est appelé au cabinet de Claude Cheysson, Bruno Delaye, après le départ de son mentor du Quai d'Orsay, rejoint à l'Industrie Jean-Pierre Chevènement. Avec le leader du Ceres, l'ancien militant du XIIIe arrondissement, look «cuir et chaînes», partage un discours radical et une certaine irritation face aux «Anglo-Saxons». En mai 1987, le consulat général à Jérusalem lui passe sous le nez, à cause du veto ferme des Israéliens. Mais Bruno Delaye est nommé deuxième secrétaire à l'ambassade du Caire : c'est le bonheur des souks et des contacts suivis avec les «amis palestiniens».

Avec l'opposition au Togo



Puis, le mur de Berlin tombe, l'heure est à la démocratie pour tous, même pour les Africains... Octroyant sa «Paristroïka» aux anciennes colonies toujours sous tutelle, la France tente d'encadrer une contestation qu'elle ne peut plus empêcher. Par exemple au Togo, le pays du général Eyadéma, l'ex-sergent-chef de la coloniale qui, en 1963, a tué de ses propres mains le président Sylvanus Olympio mais qui, au pouvoir, est devenu un «ami de la France» et... de Jean-Christophe Mitterrand. En février 1991, le fils aîné du président est toujours conseiller de son père pour les affaires africaines, installé dans ce même bureau vaste et lumineux du 2, rue de l'Elysée. Est-ce «Christophe», comme l'appellent ses amis, qui fait alors nommer «Bruno», à 39 ans, ambassadeur au Togo ? «Je n'en sais rien», affirme ce dernier, enchaînant ­sans qu'on lui ait rien demandé­ que le fils du président «n'a pas commis de turpitudes en Afrique», qu'il a «juste fait trop confiance à des gens qui en ont abusé».

Quoi qu'il en soit, jusqu'à ces derniers jours, Jean-Christophe Mitterrand, depuis juillet 1992 recyclé dans le privé, a presque quotidiennement appelé la «cellule» pour prodiguer des «conseils» à son successeur. En février 1991, avant que Bruno Delaye ne parte en poste à Lomé, il lui avait dit : «Va découvrir le Togo et sache que je ne voudrais pas entendre parler de toi pendant, au moins, six mois.» Les choses devaient tourner autrement. Au Togo, le général-président Eyadéma mène la marche vers la démocratie au rythme des airs martiaux qu'il affectionne, à coups de massacres et de «descentes punitives» de son armée tribale dans les quartiers populaires de Lomé. Bruno Delaye s'engage auprès de l'opposition, corps et âme.

Retour au «pré carré»



Il est au côté du Premier ministre Koffigoh, lorsque celui-ci est encerclé et bombardé par la garde présidentielle, qui finira par donner l'assaut du bâtiment. Entre-temps, l'ambassadeur de France a transmis à Paris la demande d'intervention militaire que lui a glissée, gribouillée sur un bout de papier, le chef du gouvernement togolais. Les paras français débarquent... au Bénin voisin. Avant de repartir. De désaveu en crise de nerfs, constamment sur la brèche, tentant d'éviter le bain de sang, sermonnant tantôt l'insomniaque général-président, tantôt de bien versatiles opposants qu'il boucle un jour en conclave «pour qu'ils prennent enfin leurs responsabilités», Bruno Delaye s'use jusqu'à la corde. «Tu n'es pas Togolais», lui rappelle alors son épouse. «Si c'était à refaire, j'irais tous les jours jouer au tennis», s'avoue aujourd'hui un homme «profondément déçu».

Au général Eyadéma, depuis brillamment réélu en apothéose de sa restauration autoritaire, Bruno Delaye fait désormais publiquement la bise. Dès l'été 1992, il était suffisamment laminé pour succéder, à la tête de la «cellule africaine» de l'Elysée, à Jean-Christophe Mitterrand. Adieu à la démocratie universelle, à la lutte contre ces néocolonialistes exploiteurs des pauvres Africains, à la dénonciation du pillage éhonté des richesses du continent noir. Bonjour à la famille africaine, au relationnel et à ce «pré carré», à mi-chemin entre DOM-TOM et indépendance. La Centrafrique a été «difficile», à cause du lobby militaire. Le Rwanda «humainement dur». Pour le reste, Bruno Delaye a parfaitement intégré l'Afrique de Jacques Foccart, l'octogénaire «homme de l'ombre» du général de Gaulle qu'avait déjà connu et fréquenté son père, Raoul Delaye, haut fonctionnaire au Maroc du temps du protectorat, puis ambassadeur en Haute-Volta.

C'est d'ailleurs, très naturellement, auprès de Foccart que le conseiller de l'Elysée s'est assis quand, il y a un an, l'ensemble de la classe politique française s'est transportée, en Concorde, aux obsèques de l'Ivoirien Félix Houphouët-Boigny. L'Afrique du «Vieux» a été portée en terre. Bruno Delaye a désespéré d'en voir émerger une autre. «Je reste convaincu de l'excellence africaine de la France», professe, la valise à la main, un brillant homme qui n'est plus, tout à fait, ni jeune ni prometteur, qui ne demandait qu'à croire. «Personne n'est aussi bon que nos militaires, nos coopérants, nos missionnaires»...

Les grandes dates de Bruno Delaye



Né le 8 mai 1952.

1975. Sortie de l'ENA (promotion «Léon Blum»), entrée au Quai d'Orsay.

1982. Conseiller technique de Claude Cheysson, chargé du dossier Proche-Orient.

1985. Délégué aux Affaires internationales auprès de Jean-Pierre Chevènement au ministère du Redéploiement industriel.

1987. Deuxième secrétaire à l'ambassade du Caire.

1991. Ambassadeur au Togo.

1992. Conseiller de François Mitterrand à la tête de la «cellule africaine» à l'Elysée.
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fgtquery v.1.9, 9 février 2024