Fiche du document numéro 33924

Num
33924
Date
Vendredi Mars 2024
Amj
Taille
7163431
Titre
Recension du livre de Beata Umubyeyi Mairesse, Le convoi, Paris, Flammarion, 2024, 334 pages
Nom cité
Nom cité
Lieu cité
Source
Type
Page web
Langue
FR
Citation
Beata Umubyeyi Mairesse, Le convoi, Paris, Flammarion, 2024, 334 pages

Née à Butare (actuelle Huye) au Rwanda en 1979, Beata Umubyeyi Mairesse est une
survivante du génocide perpétré contre les Tutsi au printemps 1994, arrivée en France en
juillet de cette même année. Après avoir travaillé dans l’humanitaire et pour l’associations
Aides, elle choisit l’écriture, publiant des recueils de nouvelles, de la poésie, puis deux
romans primés : Tous tes enfants dispersés (2019) et Consolée (2022). Le convoi est son
premier ouvrage non fictionnel. Témoignage sur ce qu’elle a vécu en 1994, il donne
également à lire le lent cheminement de l’autrice pour s’approprier son histoire personnelle et
il offre une réflexion majeure sur la mémoire et la transmission, comme sur le pouvoir des
images.

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Deuxième partie de l’ouvrage qui en compte quatre, « Le temps du témoignage » couche sur
le papier le récit fait pour la première fois, en 2022, devant des élèves du lycée ThierryMaulnier de Nice, lors de la Semaine de la mémoire organisée depuis des années par des
professeures de l’établissement1. Beata a 15 ans en 1994, fille unique métisse d’une mère
tutsi, qui a été institutrice, et d’un Polonais. Perçue comme une Blanche, elle fréquente une
école internationale, maîtrise le français, lit beaucoup et s’intéresse à l’actualité. Raconter les
mois du génocide qui commence un peu plus tard à Butare où le préfet, vite remplacé, était
alors tutsi, c’est dire les caches successives – dont une cave pleine de cafards –, faire
comprendre l’angoisse ressentie par deux femmes traquées qui savent ce qui se passe dehors,
faire ressentir la « terreur liquide » éprouvée lorsque l’inéluctable arrive le 7 juin, où elles
sont découvertes par les tueurs.
Dans cet ouvrage nourri et tissé de lectures – de littérature afro-caribéenne et plus encore de
témoignages de survivant.es de la Shoah ou de rescapé.es des camps de concentration –, le
récit des mois du génocide est introduit par une phrase de Charlotte Delbo, extraite du Convoi
du 24 janvier : « Pour chacune, un miracle qu’elle ne s’est pas expliqué. » Le fait que Beata et
sa mère aient survécu résulte moins d’un miracle que d’une succession d’actes et de
circonstances particulières qui leur ont permis d’échapper à plusieurs reprises à la mort, ainsi
qu’au viol par un milicien atteint du SIDA pour la jeune-fille. Il y eut d’abord des personnes
bienveillantes qui les ont cachées et nourries des semaines durant, même si l’autrice pense
qu’elles ont été finalement dénoncées. Il y eut aussi l’envie de vivre – « j’ai décidé de vivre »
écrit-elle rétrospectivement – qu’elle réussit à insuffler à sa mère, jusqu’à la gifler lorsque
cette dernière veut sortir de leur cachette pour en finir. Il y eut encore, appuyé sur sa couleur
de peau, le réflexe, face aux bourreaux prêts à lever la machette, de dire ne pas comprendre le
kinyarwanda, affirmer avoir un père français, montrer, dans le carnet d’adresses de sa mère, le
nom d’un homme seul qui pouvait correspondre, invoquer les relations de la France avec le
régime rwandais. C’est un moment que sa mémoire « a parfaitement fixé » alors qu’elle « en a
brouillé d’autres » et effacé les traits des tueurs. Le stratagème – « une langue comme un
bouclier » – réussit et Beata, rejointe plus tard par sa mère, est conduite à l’école sociale de
Butare, transformée en centre d’accueil pour enfants géré par Terre des hommes. Fin mai
1994, avec l’aide d’un homme d’affaires consul honoraire d’Italie au Rwanda, cette ONG
suisse – objet de la troisième partie de l’ouvrage – a réussi à signer avec le gouvernement
intérimaire génocidaire un protocole d’accord sur un « projet d’assistance aux enfants seuls »,
précisant que sont pris en charge « tous les orphelins sans aucune distinction ethnique, raciale
et religieuse ». Malgré les difficultés, plusieurs convois concernant un millier d’enfants sont
organisés vers le Burundi voisin, dont celui du 18 juin qui, escorté par le préfet Sylvain
Nsabimana2 ouvrant le passage aux barrages de miliciens, emmène Beata et sa mère, cachées
1

Citons notamment Bénédicte Gilardi et Muriel Blanc. Lors de précédentes invitations, entre 2016 et 2019,
Beata Umubyeyi Mairesse avait parlé de son rapport à la littérature en tant que survivante d’un génocide.
L’expérience de transmission pédagogique de l’histoire et de la mémoire des génocides du XXe siècle, menée au
lycée Thierry-Maulnier, a été présentée lors de la session de Paris (11-14 septembre 2023) du colloque « Savoirs,
sources et ressources sur le génocide perpétré contre le Tutsi – La recherche en acte », coorganisé par
l’Université du Rwanda et l’équipe de recherche ÉRE issue de la commission Duclert. Actes du colloque à
paraître.
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Sylvain Nsabimana est ensuite limogé de son poste de préfet. Ayant fui devant l’avancée du FPR, il est arrêté
au Kenya en juillet 1997, jugé par le TPIR, condamné en première instance à 25 ans de prison, peine réduite à 18
ans en appel. Beata Umubyeyi Mairesse rapporte ses propos tenus à frontière lors d’un interview par la BBC.
Elle se demande pourquoi il a agi ainsi : aurait-il senti le vent tourner et cherché à se disculper de son rôle dans

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sous une bâche, vers le salut. Elles n’ont pas moins de douze ans mais, sur intercession de
religieuses qui les connaissent, le préfet a accepté leur présence. Comme le souligne l’autrice,
pour elle et les autres enfants, ce mot « convoi » signifie alors aller vers la vie, et non vers la
mort comme durant la Seconde Guerre mondiale. La mort menace pourtant une dernière fois
les deux femmes à la descente des camions avant le passage de la frontière : elles sont mises
en joue par un militaire dont le geste est stoppé par la présence de photographes et cameramen
étrangers.
« Le 18 août 2020 j’ai retrouvé l’humanitaire [Alexis Briquet] qui avait organisé notre
sauvetage en 1994. Il est mort quatre mois après. C’est alors que j’ai décidé d’écrire cette
histoire », confie Beata Umubyeyi Mairesse au début de son livre. Succession d’allers et
retours entre le passé et le présent, Le convoi n’est pas qu’un simple témoignage. Il est le récit
d’un parcours de quinze ans pour, malgré des « assignations et injonctions paradoxales »,
« [s’]autoriser à écrire cette histoire » ; le récit également de l’enquête menée pour la
reconstituer et de la découverte des traces. Avec la volonté d’offrir « un texte qui dirait
l’expérience de la survie », la sienne mais aussi celle des autres enfants des convois.
En 2007, enceinte de son premier enfant, l’autrice, poussée par son mari, part à la recherche
d’une image : des personnes ont dit les avoir vues en juin 1994 à la télévision britannique, elle
et sa mère traversant la frontière. Le début de l’enquête, par échanges de courriers
électroniques et rencontres, conduit vers le reporter3 et d’autres employés de la BBC qui ont
passé deux semaines au Rwanda en juin 1994, filmé l’évacuation du 18 juin et produit le
magazine Panorama. Beata n’y est pas visible, ni sur les quatre photos envoyées en 2011 par
le preneur de son de l’époque, l’une d’entre elles pouvant cependant laisser supposer dans un
coin la présence des deux femmes. Photos que Beata Umubyeyi Mairesse garde longtemps
dans son ordinateur avant, bien plus tard, de poursuivre l’enquête auprès de Terre des hommes
et d’Alexis Briquet qui lui parle en 2020 des nombreuses photographies prises pour
l’organisation par un photographe italien. Sur l’une d’entre elles, publiée dans un magazine
italien mais floue et mal cadrée, figurent la jeune fille de 15 ans et sa mère. Même si elle ne
peut trouver le cliché original, l’autrice écrit peu avant la fin de son texte, en parlant d’elle et
des autres enfants qu’elle a retrouvés et avec qui elle a partagé ses recherches : « Ces images
nous appartiennent. Il est grand temps qu’elles nous reviennent ».
La dernière partie de l’ouvrage, la plus réflexive, s’intitule en effet « L’heure de nousmêmes ». En s’appuyant sur le travail de Nathan Rera4, Beata Umubyeyi Mairesse interroge
la façon dont le génocide des Tutsi a été « raconté au monde à travers des images prises par
des étrangers », jusqu’à « l’amalgame médiatique » produit par celles représentant les camps
de réfugiés hutu – en partie peuplé de génocidaires fuyant l’avancée du FPR –, ou les victimes
du choléra. Contre une narration « qui avait fini par s’imposer à tous », Le convoi est une

le génocide ? Elle précise également que les rescapés comprennent mal pourquoi l’humanitaire de Terre des
hommes a témoigné en sa faveur au procès du TPIR.
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Fergal Keane a publié, en 1995, Season of Blood: A Rwandan Journey (Penguin Books).
4
Nathan Rera, Rwanda, entre crise morale et malaise esthétique. Les médias, la photographie et le cinéma à
l'épreuve du génocide des Tutsi (1994-2014), Les Presses du réel, 2014.

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prise de parole qui entend poser « la première pierre » d’un « mémorial pour les enfants des
convois »5.
Françoise Thébaud, Professeure émérite, Université d’Avignon

5

Le génocide raconté par les enfants survivants est aussi l’objet de l’ouvrage d’Hélène Dumas, que connait bien
Beata Umubyeyi Mairesse, Sans ciel ni terre. Paroles orphelines du génocide des Tutsis (1994-2006),
Paris, La Découverte, 2020.

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