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7 mars 2024
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« Un Tutsi peut s'avérer un combattant du FPR en puissance »

Numéro : 617
Date : 29 juin 1994
Auteur : Isnard, Jacques
Titre : M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile
Source : Le Monde
Résumé : Jacques Isnard écrit dans Monde du 29 juin 1994 que, « Pour l'instant, les Français interviennent dans une zone où il demeure un semblant d'Etat ou des autorités hutues, mais où des risques, encore indécelables, pourraient survenir à terme. Ainsi, qui peut leur garantir d'être à l'abri d'"infiltrations" du FPR ? Dans ces actions à but humanitaire, destinées à rassurer et à secourir la population en l'approchant au plus près, un Tutsi peut s'avérer un combattant du FPR en puissance ».
Commentaire : Jacques Isnard, correspondant militaire du journal Le Monde, est un familier de l'état-major boulevard Saint-Germain à Paris. Il rapporte ce qu'il y entend à propos des « “infiltrations” du FPR » : « Dans ces actions à but humanitaire, destinées à rassurer et à secourir la population en l'approchant au plus près, un Tutsi peut s'avérer un combattant du FPR en puissance ». Ces propos trahissent l'assimilation que fait le commandement français entre le Tutsi et l'ennemi. L'amiral Lanxade, chef d'état-major des armées en 1994, faisait déjà cette identification en 1990. Ces propos sont publiés le 29 juin dans Le Monde au moment même où les militaires de Turquoise assistent à l'extermination des derniers Tutsi à Bisesero sans leur porter secours.
Citation: L'intervention militaire française au Rwanda M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile François Léotard doit passer la journée de mercredi 29 juin à inspecter le dispositif " Turquoise " depuis la base de Goma, au Zaïre. Le ministre de la défense n'ignore pas, en effet, que les armées françaises déploient un dispositif léger et fragile il ne sera complet qu'en fin de semaine et qu'elles entrent, après un moment de relative euphorie au début, dans une période difficile où elles devront redoubler de prudence. Les précautions qui s'imposent seront d'autant plus contraignantes qu'il paraît exclu en raison de leurs nombreux autres engagements ailleurs que les forces armées françaises au Rwanda puissent augmenter de volume, sauf à escompter des effectifs nouveaux de pays alliés, en Europe ou en Afrique. A partir de son dispositif " Turquoise " au Zaïre, la France ne peut pas " projeter " plus d'un millier d'hommes au Rwanda. A titre de simple comparaison, le Front patriotique rwandais (FPR), qui n'est un adversaire ni déclaré ni recherché, à plus forte raison, par les Français, représente quelque quinze mille à vingt mille hommes, équipés d'une artillerie ex-soviétique lance-roquettes multiples, bitubes antiaériens, obusiers et mortiers lourds et assurés de recevoir encore aujourd'hui une aide de l'Ouganda. Pour l'instant, les Français interviennent dans une zone où il demeure un semblant d'Etat ou des autorités hutues, mais où des risques, encore indécelables, pourraient survenir à terme. Ainsi, qui peut leur garantir d'être à l'abri d'" infiltrations " du FPR ? Dans ces actions à but humanitaire, destinées à rassurer et à secourir la population en l'approchant au plus près, un Tutsi peut s'avérer un combattant du FPR en puissance. Dans une mission qui s'avoue éminemment médiatique et volontairement " transparente ", faut-il continuer à s'en tenir à une assistance limitée à l'humanitaire face à des caméras de télévision qui enregistreraient, en même temps et sur les mêmes lieux, de nouveaux massacres ? Force serait sans doute d'appliquer, à la vue de tous, les règles d'ouverture du feu selon l'article 7 de la Charte des Nations unies qui fonde le mandat donné aux Français. A la limite des moyens Depuis le début de cette opération, les états-majors et les politiques balancent en réalité entre deux thèses, entre lesquelles il faudra bien trancher. La première est soutenue par ceux qui, tout en étant conscients que beaucoup de choses sérieuses se passent aussi à Kigali, se contenteraient de mener ces raids des " va-et-vient " à travers la frontière, selon l'expression des militaires dans l'attente de la fin de la mission, en juillet. Mais cela suppose qu'il y ait bien un relais effectif et progressif d'abord des ONG, puis de l'ONU, à la date prescrite. Rien n'est moins assuré que le secrétaire général des Nations unies puisse respecter le délai et qu'il soit en mesure de rassembler les cinq mille cinq cents " casques bleus ", au minimum, que le Conseil de sécurité lui a suggéré de déployer pour remplacer le dispositif français. L'autre thèse recrute ses partisans parmi ceux, en France, qui considèrent, sans trop le clamer sur les toits, l'opération " Turquoise " comme devant devenir l'ossature ou le noyau dur de la MINUAR-2, le nouveau contingent de " casques bleus " en préparation. Aux unités françaises viendraient s'agglutiner, à une date encore bien imprécise, des formations d'autres pays qui le désireraient. Au ministère de la défense et à Matignon, on est plutôt du côté de ceux qui préconisent de ne point trop s'enliser, dans les conditions présentes, au Rwanda. A l'Elysée et au Quai d'Orsay, la perspective que la France contribue, d'une façon ou d'une autre, à la MINUAR-2 n'est pas écartée. Il n'en demeure pas moins que, tant du point de vue de sa logistique propre que de ses effectifs encore disponibles, l'armée française parvient, de l'aveu de ses responsables, à la limite extrême de ses moyens. Une participation à la MINUAR-2 n'est envisageable, dans ces circonstances, qu'une fois opérés les retraits de " casques bleus " français à Bihac (Bosnie) et à Zagreb (Croatie).

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