Page d'accueil
France Génocide Tutsi France Génocide Tutsi
Mise à jour :
2 août 2023 Anglais

Les rebelles bénéficieraient du soutien de l'armée ougandaise

Fiche Numéro 1278

Numéro
1278
Auteur
Isnard, Jacques
Date
17 février 1993
Amj
19930217
Surtitre
Rwanda:selon les services de renseignement français
Titre
Les rebelles bénéficieraient du soutien de l'armée ougandaise
Pages
5
Taille
133475 octets
Nb. pages
2
Source
Type
Article de journal
Langue
FR
Commentaire
La meilleure preuve que Jacques Isnard prend ses informations auprès des services de renseignement français, c'est qu'il l'écrit en tête de son article. Il y a plus, il s'en fait le porte-parole. Relatant le démenti du Quai d'Orsay concernant la participation de troupes françaises aux combats, on s'attendrait à lire un point de vue objectif, celui du Monde, ou d'un organe un peu indépendant. Non, Isnard confirme le démenti en donnant le point de vue des services de renseignement, feignant de croire que c'est une garantie d'objectivité. Il poursuit plus loin : « Les services de renseignement sont convaincus... », « ces mêmes analystes arrivent à la conclusion... ». C'est vraiment prendre le lecteur pour un naïf que de vouloir lui faire croire que ce genre de service est à mille lieues de manipuler l'information et l'opinion. Isnard confirmera notre doute quand il conviendra, le 23 juin 1994, que les troupes françaises ont effectivement pris part aux combats. Quand on sait en plus qu'en fait de services de renseignement, il s'agit de la DGSE qui mélange (avec le brio qu'on lui connaît depuis l'affaire Greenpeace) le renseignement et l'action (entendons actions secrètes, coup de mains), le lecteur a de quoi s'inquiéter sur la dérive du journal Le Monde. Face à cette accusation de participation aux combats, qu'elle est la meilleure répartie pour ces services secrets ? C'est bien sûr de relancer la thèse de l'immixtion étrangère, en l'occurrence le soutien de l'Ouganda au FPR. C'est le cheval qu'enfourche Isnard. Par cinq fois dans le même article Isnard donne sa source, les services de renseignement. En clair ce sont eux qui lui ont préparé l'article. Isnard a même l'honnêteté de mettre des guillemets et d'écrire en italique quand il les cite (on compte ainsi six citations). Ce sont même eux qui avouent que la France a fourni deux batteries d'artillerie. Isnard se prend les pieds dans les faits : alors qu'il fait sien le démenti du Quai d'Orsay et des services de renseignement, il parle pour l'année 1991 de soutien aérien français. Si ce n'est pas là de la participation directe aux combats ! En février 1993, il y a deux compagnies totalisant 300 hommes, plus un Détachement d'assistance opérationnelle (DAO). Isnard nous dit qu'il est chargé de l'instruction. Pourtant, assistance opérationnelle signifie bien assistance en opération ou au cours des opérations. Comme il y a conflit à cette époque, ce DAO se fait sur le champ de bataille. Décidemment, Isnard nous livre tous les éléments pour démontrer qu'il est manipulé. Cet état des lieux qu'Isnard fait ce 17 février 1993 du soutien militaire de la France au dictateur rwandais, il attendra le 23 juin 1994, veille de l'opération Turquoise, pour le reprendre. En 1994, quand le génocide éclate avec l'attentat du 6 avril, le journal Le Monde et Isnard en particulier omettront de parler du soutien militaire de la France. Certes, fin 1993, le gros des forces part ou est censé partir, mais l'aide en matériel militaire et en munitions ne s'arrêtera pas. Le lecteur qui n'aurait pas lu cet article du 17 février 1993 ou l'aurait oublié devra attendre ce 23 juin 1994, date où le génocide est consommé, pour être informé du soutien militaire de la France aux tueurs. Comparant les chiffres donnés dans les deux articles, on remarque des écarts. C'est 300 ou 450 parachutistes, sept ou 20 millions d'aide annuelle au début des années 1990 ? On comprend que la méthode de Jacques Isnard consiste à minimiser sur le moment, et reconnaître les faits plus tard. Si cela ne s'appelle pas de l'intox... Notons à propos de cette évaluation de l'engagement français que Catherine Simon, dans un article d'une autre facture du 27 février 1993, écrit : « La France, dont les quatre cents ressortissants, sont désormais "protégés" par quelques sept cents soldats français, continue à se draper dans un curieux silence... ». Alors c'est 300, 450 ou 700 soldats français ? Le lecteur du Monde ne saura pas. Où sont les réflexions personnelles du journaliste, où est la confrontation de ces informations avec d'autres sources, d'autres journaux ? On les cherche vainement. S'il y a des « analystes » dans les services de renseignement, Isnard, lui, n'analyse pas, il transmet. Où est l'analyse du Monde face à cet article de commande ? Peut-être là, dans cette postface en gras... Mais est-ce une analyse pondérant, confrontant cet article dont la source s'affiche comme extérieure au Monde ? Rien de tout cela, mais ô stupeur, ce point de vue du journal relève plutôt de la propagande. Une preuve, parmi d'autres, que Le Monde diffuse l'idéologie ethniste, on la trouve dans cette postface. Pourquoi donc l'Ouganda soutient-il les rebelles du FPR ? L'explication est ethnique. Les membres du FPR sont pour la plupart « d'ethnie tutsi », déjà dit dans l'article et, révélation, l'actuel chef de l'État ougandais Museveni « est d'origine banyanchole (une ethnie proche des tutsis) ». Une autre raison est toutefois invoquée, celle de la dette de Museveni envers ses anciens officiers d'origine rwandaise qui l'ont aidé dans la guérilla à prendre le pouvoir. Mais cela ne vient en rien contredire la thèse de l'alliance à base ethnique. Une indication particulièrement inquiétante se trouve dans l'emploi de guillemets dans la phrase, toujours dans la même postface, « Les "réfugiés" rwandais, qui forment le gros des troupes du FPR... ». Est-ce insinuer qu'il s'agit là de prétendus réfugiés, mus plutôt par une inextinguible soif de domination, niant ainsi les tueries commencées dans les années 1959-60 ? Ce genre de procédé rappelle une certaine propagande, 50 ans en arrière. Le Monde a succédé au Temps. Ainsi, dans cette postface, Le Monde ne dément en rien, ne contrebalance pas l'article de Jacques Isnard, mais il appuie de son autorité l'explication ethnique des conflits africains. Cette thèse de nature hautement idéologique est à l'origine, on le sait hélas depuis, du génocide de 1994.