Résumé
- Scène inédite au cœur de l'Afrique aujourd'hui. Des Tutsi ayant survécu aux massacres perpétrés dans le Sud-Ouest du Rwanda ont participé ce dimanche à une messe dans le camp où ils sont rassemblés, camp désormais placé sous la protection des soldats français de l'opération Turquoise.
- Aujourd'hui, les forces françaises ont continué de pénétrer vers l'Est à l'intérieur du territoire rwandais, pour l'instant sans incident sérieux.
- Au soleil levant, en rase-motte sur le lac Kivu, quatre hélicoptères Puma emmènent 34 hommes des commandos de l'air. Direction Kibuye, en plein centre du pays hutu. La mission de ces militaires n'est plus exploratoire. Il viennent ici pour s'installer. Les premières prises de contact seront sommaires. Le préfet n'est pas là, le sous-préfet non plus. Les militaires rwandais semblent complètement désorganisés.
- L'analyse des cartes confirme la proximité du front : environ 60 kilomètres. Kibuye est un des objectifs prioritaires du Front patriotique rwandais. Il souhaite couper en deux la zone gouvernementale.
- Mais la première mission des militaires français concerne ces Sœurs de la congrégation Sainte-Marie. Des Rwandaises des deux ethnies, des Belges. Depuis deux mois elles tentent de se protéger contre de multiples tentatives d'agression. Elles y sont parvenues au prix d'une condition : n'accueillir aucun réfugié. Seule exception, ces deux enfants. Sœur Aurea Uwamariya, Congrégation Ste Marie", parlant d'un garçonnet et d'une fillette : "Nous pensons que c'était un petit Tutsi. Et la petite fille qui gardait l'enfant était hutu. La fille est restée comme la maman de l'enfant. Elle disait qu'il est Hutu pour être protégé".
- Dans la région de Gisenyi en pays hutu, s'est réfugié ce qui reste du gouvernement légal qui a fui Kigali. Deuxième incursion des soldats français au nord du territoire rwandais. Le convoi ne fait que traverser cette cité balnéaire de Gisenyi pour éviter d'y rencontrer le gouvernement rwandais. Une volonté politique de la France.
- À Gisenyi, l'hôtel Méridien est devenu une base arrière de ce gouvernement provisoire. Tous les ministres y ont une chambre. Loin de Kigali, en habit militaire et dans les fauteuils de cet hôtel, le Premier ministre explique que son armée n'a jamais œuvré dans une logique d'extermination des Tutsi. Jean Kambanda : "Il n'y a pas eu une volonté délibérée du gouvernement d'exterminer des ethnies parce que je crois que c'est à ce moment-là où on parle de génocide. Qu'il y ait eu une guerre ethnique, ce n'est pas la première fois qu'on rencontre un tel phénomène dans le monde. Donc il y a eu un affrontement, ethnique, c'est vrai. Mais il n'y a pas eu une volonté délibérée d'un groupe pour exterminer totalement un autre".
- Pourtant nous retrouverons à l'extérieur de l'hôtel les hommes de la milice du régime, l'Interahamwe, responsable de nombreux massacres de Tutsi. Garde rapprochée du ministre de la Défense, replié lui aussi sur Gisenyi, à la tête de 40 000 hommes. Pour lui l'ennemi n'est pas seulement le FPR, les Tutsi. Augustin Bizimana : "Je ne dirais pas que nous nous battons contre le FPR. Nous nous battons contre l'Ouganda. Nous savons qu'il y a des appuis de la Belgique. Nous savons que les Américains, dans un premier temps, se sont trompés : ils ont appuyé l'action du FPR".
- Mais pour l'envoyé du Pape, le cardinal Etchegaray, messager de paix, c'est la logique de guerre qu'il faut arrêter. Cardinal Etchegaray : "Cesser le feu veut dire, aussi, au Rwanda, cesser la machette, cesser l'arc, cesser la lance".
- En attendant, le gouvernement provisoire coule des jours tranquilles à Gisenyi, loin du front et proche des Français.
- Tous les militaires français participant à cette opération Turquoise sont déployés sur deux bases arrières à la frontière du Zaïre, Bukavu et surtout Goma. Goma centre nerveux de cette opération où déjà plus de 1 000 hommes et 120 véhicules ont été rassemblés.
- Le général Lafourcade est une nouvelle fois sur le tarmac de l'aéroport de Goma pour contrôler la montée en régime de l'opération Turquoise. Les avions aujourd'hui ont effectué une cinquantaine de rotations, déchargés 500 tonnes de matériels, des véhicules blindés et des troupes, y compris les renforts sénégalais. 40 hommes équipés, nourris par l'armée française, la contribution africaine à l'opération.
- Le général Lafourcade est satisfait et il le dit dans une conférence de presse dans le hall de l'aéroport : ses premières patrouilles n'ont rencontré aucune hostilité. Les machettes sont rentrées et les populations rassurées, surtout dans le Sud du pays. Jean-Claude Lafourcade : - "Ces populations étaient craintives, traumatisées par les mois précédents. Et même à l'intérieur des camps de réfugiés où elles se trouvaient, elles craignaient des représailles ou des exactions de la part des miliciens qui sont en fait des jeunes désorganisés en petites bandes, et qui se vengent, peut-être, des situations précédentes". Benoît Duquesne : - "Ces mêmes jeunes qui aujourd'hui vous acclament quand vous arrivez ?". Jean-Claude Lafourcade : - "On ne peut pas dire que les jeunes nous acclament. Je crois que les jeunes excités, qui étaient peut-être à l'origine de pas mal d'exactions, rentrent un peu dans l'ombre, cachent leur arme ou leur machette et pour l'instant ne bougent pas".
- Conséquence inattendue de ce déclenchement de l'opération Turquoise, la remise en selle du numéro un zaïrois : le maréchal Mobutu, jusqu'alors de plus en plus boudé par les grandes capitales, est devenu un interlocuteur indispensable en prêtant son territoire. L'opposition zaïroise est très critique contre cette intervention française et les militaires français sont déployés dans une région, au Zaïre, où les habitants sont plutôt hostiles au pouvoir central.
- Lorsque les militaires français traversent la ville frontalière de Bukavu, ils ne laissent pas insensibles les Zaïrois. Certains d'entre eux applaudissent, d'autres regardent sans rien dire. Et si l'accueil est dans l'ensemble plutôt favorable, tous pensent à leur propre situation. Un Zaïrois : - "Nous pensons que peut-être vous venez pour protéger Mobutu qui nous fait souffrir".
- Vu la situation politique de plus en plus confuse au Zaïre, vu l'impossibilité d'y trouver depuis quatre ans le chemin d'une démocratie à peu près acceptée par tous, la présence des militaires français ne fait qu'aviver les tensions. Surtout que l'économie est de plus en plus catastrophique. L'arrivée de milliers de réfugiés rwandais ces dernières semaines n'a rien arrangé, les prix ont encore un peu plus augmenté. La colère aussi.
- Benoît Duquesne : "Il y a à peu près 1 100 hommes environ qui sont arrivés maintenant sur sur place. Et le dispositif une fois terminé devrait monter à environ 2 500 hommes. Il faudra effectivement une dizaine de jours avant qu'ici, les choses soient prêtes et que des points fixes soient établis à l'intérieur du Rwanda pour éventuellement après déplacer l'ensemble du dispositif plus avant dans le pays. Jusqu'à présent on a l'impression que les militaires sont un petit peu partagés entre deux choses : d'un côté il y a quelquefois une gêne d'être applaudis par des gens dont on sait qu'ils ont participé à des massacres. Et en même temps, d'un autre côté, la certitude de participer a quelque chose d'utile dans la mesure où depuis qu'ils sont là, ces massacres ont cessé. Et effectivement, les gens disent que la paix revient, au moins dans ces régions-là. La région de Kibuye était celle qui posait le plus de problèmes aux militaires. C'est pour ça que ce matin ils ont envoyé un premier détachement aéroporté pour rassurer un petit peu la population, notamment quelques religieuses américaines et anglaises qui se trouvaient là et quelques orphelins tutsi qui se sentaient menacés. Il y avait un autre détachement qui passait par la terre et qui n'est pas arrivé ce soir jusqu'à Kibuye. Mais d'après nos informations, dans cette zone-là, les choses ne se passent pas trop mal".
- Dans la capitale, Kigali, la situation ne s'arrange pas, bien au contraire. Une nouvelle fois, les bombardements ont contraint les responsables de l'ONU à reporter l'évacuation d'un certain nombre de réfugiés hors de cette capitale martyre. Laurent Boussié : "À Kigali la situation se dégrade sur le plan sanitaire. Et militairement, bien que les soldats gouvernementaux semblent reprendre un petit peu du poil de la bête, les combats sont pratiquement incessants. Toute la journée il y a eu des bombardements et ce soir, depuis 19 heures, il y a une…, une violente attaque du FPR sur le mont Kigali tenu par les soldats gouvernementaux. Quant à la situation sanitaire, elle devient très préoccupante : depuis six jours, il n'y a pas eu d'évacuation sanitaire, il n'y a pas eu de transfert de blessés. L'ONU avait prévu pour aujourd'hui d'évacuer 35 blessés très graves de l'hôpital de la Croix-Rouge vers l'hôpital du roi Fayçal, moins exposé. À 10 heures ce matin, ces blessés ont été mis dans les camions et des ambulances. Et au même moment, de nouveaux bombardements ont commencé dans plusieurs quartiers de la ville, dont celui du centre-ville où se trouve la Croix-Rouge. Pris sous ces bombardements, les camions n'ont pas pu démarrer. À 17 heures cet après-midi, profitant d'une accalmie, les responsables de l'hôpital ont remis les blessés dans l'hôpital. Vous imaginez ces blessés gravement touchés qui ont dû passer sept heures sans boire, sans soin, sous le soleil et sous les obus. […] Le front militaire semble se stabiliser, en tout cas sur la ville de Kigali. Les attaques du FPR pour le moment sont repoussées par les soldats gouvernementaux".
- L'intervention militaire française ne fait pas l'unanimité, loin de là. Exemple, cette manifestation, aujourd'hui, devant l'ambassade de France à Bruxelles où un certain nombre de manifestants rwandais mais aussi zaïrois, tous d'origine tutsi, ont scandé leur colère face à la décision française d'intervenir au Rwanda.