Page d'accueil
France Génocide Tutsi France Génocide Tutsi
Mise à jour :
2 août 2023 Anglais

Jean-Hervé Bradol : « Les gens qui ont fait la promotion de cette politique du pire étaient jusqu'à très peu de temps activement soutenus par la France »

Fiche Numéro 31544

Numéro
31544
Auteur
Leclerc, Gérard
Date
25 mai 1994
Amj
19940525
Heure
07:45:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Les 4 vérités [6:26]
Titre
Jean-Hervé Bradol : « Les gens qui ont fait la promotion de cette politique du pire étaient jusqu'à très peu de temps activement soutenus par la France »
Nom fichier
Taille
20730246 octets
Source
Type
Émission télévisée (vidéo)
Langue
FR
Résumé
- Gérard Leclerc : "Alors que les massacres continuent au Rwanda, on parle maintenant de 200 à 500 000 morts, le secrétaire général adjoint de l'ONU a dénoncé hier [24 mai] l'apathie des États membres. Seuls trois pays africains seraient prêts à envoyer des troupes. Comment jugez-vous et comment expliquez-vous cette indifférence de la communauté internationale face à ce qui semble être l'une des plus grandes tragédies de cette fin de siècle ?".
- Jean-Hervé Bradol : "C'est clair que le Rwanda et en général l'Afrique ne jouissent plus de beaucoup d'intérêts auprès de la communauté internationale. Depuis que le drame a commencé au Rwanda, on a pu noter une absence de réactions. La première réaction des troupes de l'ONU qui étaient sur place et qui étaient quand même 2 500, ça a été de ne rien faire, d'assister de manière tout à fait passive aux massacres. Ça, ça a été une des premières formes de non-réaction de la communauté internationale. La deuxième, ça a été l'absence de condamnation publique du processus d'extermination qui a été mis en œuvre par les forces gouvernementales contre une minorité de la population".
- Gérard Leclerc : "Vous parlez de processus d'extermination. Les chiffres qui sont avancés, 100 000, 200 000, 500 000 morts, ils vous paraissent crédibles ? On peut parler de génocide ?".
- Jean-Hervé Bradol : "On peut certainement parler d'une politique systématique, planifiée, d'extermination à l'encontre d'une partie de la population rwandaise, c'est-à-dire la communauté tutsi. Et parmi la communauté hutu, toutes les personnes qui étaient ou qui sont aujourd'hui opposées à la politique extrémiste qui est mise en œuvre par les forces armées gouvernementales".
- Gérard Leclerc : "Cette guerre est souvent présentée en fait comme un conflit ethnique, une guerre tribale entre Hutu et Tutsi. Est-ce que c'est la réalité ?".
- Jean-Hervé Bradol : "C'est l'image qu'on essaie de nous donner de l'Afrique noire en ce moment : un espèce de no man's land, de terrains vagues peuplés de tribus qui pour des raisons obscures s'entretueraient. Ce n'est bien sûr absolument pas le cas. Et c'est même faire preuve d'un extrême mépris pour les victimes. Les personnes qui meurent aujourd'hui au Rwanda meurent victimes d'un conflit politique, d'une féroce lutte pour le pouvoir. Il y a bien sûr des lignes de fracture dans la société rwandaise mais elles ne sont certainement pas ethniques ou raciales".
- Gérard Leclerc : "Comment alors expliquer cette violence absolument inouïe, cette volonté de tuer, d'abîmer les gens, de les mutiler ?".
- Jean-Hervé Bradol : "Je pense qu'il y a une volonté d'extermination. C'est-à-dire qu'on veut tuer les enfants, on veut tuer tous les membres de la famille qui sont reconnus comme opposés au régime, au fascisme qui a le pouvoir du côté des forces gouvernementales. C'est la mise en œuvre d'une politique extrême qu'on a déjà vu ailleurs dans le monde. Mais malheureusement ça a pris au Rwanda des proportions absolument hallucinantes".
- Gérard Leclerc : "Vous dites que les pays occidentaux, et en particulier la France, ont véritablement une responsabilité dans cette situation. Pourquoi ?".
- Jean-Hervé Bradol : "Tout à fait. Les gens qui ont fait la promotion de cette politique du pire, d'extermination, jusqu'il y a très, très peu de temps étaient activement soutenus par la France en termes de financement, d'équipements, d'entraînement militaire. Et puis pendant six semaines, ils ont commencé leur incroyable boucherie dans les zones qu'ils contrôlaient du Rwanda et particulièrement dans la capitale du pays, où ils fouillaient maison par maison pour exterminer ceux qu'ils considèrent comme leurs ennemis. Et de la part du gouvernement français, de quelque autorité que ce soit de l'État français, toute institution confondue, on n'a pas entendu une seule condamnation publique claire. Et nous on peut considérer que de la part des parrains politiques de ces extrémistes que représentait la France, c'était une véritable incitation à continuer à assassiner".
- Gérard Leclerc : "Comment maintenant pourrait-on intervenir pour arrêter ce massacre ? Est-ce que l'envoi de 5 500 Casques bleus par exemple pourrait y suffire ?".
- Jean-Hervé Bradol : "Nous, on ne peut s'empêcher d'être assez pessimistes puisque la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui a été votée, on ne sait pas dans quelle condition elle va s'appliquer. Donc on a parlé de 5 500 hommes qui allaient arriver au Rwanda. Mais les délais d'application de la résolution ne sont absolument pas connus. Et tout le monde sait bien qu'en la matière, ça peut être extrêmement lent. Dans ce cas là, on a bien peur que toutes ces pseudo mesures n'entrent en vigueur une fois les massacres terminés. Donc ça n'a pas beaucoup de sens les gesticulations qui ont lieu en ce moment".
- Gérard Leclerc : "Un mot quand même de l'avenir : qu'est-ce qu'on va faire des deux millions de personnes qui ont été déplacées, qui vivent maintenant souvent dans les pays frontaliers ? Et puis est-ce qu'on peut imaginer un jour faire revivre dans ce pays, dans ce Rwanda, des gens qui se sont massacrés entre eux ?".
- Jean-Hervé Bradol : "Vous avez tout à fait raison de souligner le sort des personnes déplacées parce que, comme d'habitude, après la guerre et les massacres, les gens vont payer deux fois. La deuxième fois c'est avec les déplacements massifs de population qui vont entraîner des épidémies, qui dans ce petit pays qui n'était pas auto-suffisant sur le plan alimentaire et qui était en crise alimentaire, notamment dans la partie sud du pays ces derniers mois, il va y avoir des famines absolument importantes, du même ordre que celles qu'il y a eu en Somalie, si on ne peut pas organiser un système de secours à la hauteur. Les conditions pour organiser ce système de secours, c'est avant tout des conditions politiques entraînant une sécurité dans les zones où il faut porter secours. Et là-dessus, jusqu'à preuve du contraire, aucun membre de la communauté internationale n'a l'air d'avoir cette volonté politique de permettre que les victimes soient secourues, celles d'aujourd'hui et celles de demain qui seront victimes du déplacement".