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Mise à jour :
2 août 2023 Anglais

Envoyé spécial - La vie en sursis

Fiche Numéro 28923

Numéro
28923
Auteur
Klotz, Jean-Christophe
Auteur
Vincent, Patrick
Date
26 mai 1994
Amj
19940526
Heure
20:50:00
Fuseau horaire
CEST
Titre
Envoyé spécial - La vie en sursis
Taille
61200763 octets
Source
Fonds d'archives
INA
Type
Vidéo
Langue
FR
Résumé
- Nous allons nous rendre tout d'abord à Kigali, la capitale du Rwanda où tout a commencé il y a à peu près un mois. Les rebelles encerclent la ville, le carnage commence. Personne n'est épargné : femmes, vieillards, enfants sont assassinés à la mitraillette et à la hache. L'horreur est indicible mais deux hommes tentent de protéger la communauté dont ils ont la charge. Le premier y arrive encore, mais pour combien de temps ? Il s'agit de Marc Vaiter qui s'occupe d'enfants dans un orphelinat de la ville. Le second est un prêtre, le Père Henri Blanchard, dans l'église duquel des centaines d'habitants étaient venus se réfugier. Voici l'histoire de ces deux hommes qui luttent pour que le génocide s'arrête enfin.
- Dans le centre-ville dévasté de Kigali, 70 orphelins retranchés tentent de survivre en se préparant au pire. Entre les rebelles qui pilonnent la ville et les miliciens en quête de nouveaux massacres, Kigali est à feu et à sang.
- La plupart de ces enfants ont vu leurs parents massacrés sous leurs yeux. D'ethnie hutu ou tutsi, s'ils sont encore en vie c'est grâce à la présence continue à leurs côtés de Marc Vaiter, le responsable de cet orphelinat. Marc est l'un des très rares Français à avoir refusé de quitter le pays, au péril de sa vie. Marc Vaiter : "Là on est en train de creuser parce qu'il y a des tirs d'obus et on a peur des éclats. On a très peur que le Front patriotique rentre en ville. Si bien qu'on veut se protéger des balles perdues".
- Une prière avant le repas du soir. C'est la nuit que l'angoisse est la plus pesante. Les bombardements se calment mais une autre menace bien plus terrible plane sur l'orphelinat : des milices hutu saccagent la ville à la recherche des rares Tutsi encore en vie. Marc a réussi jusqu'à présent à décourager les tueurs venus plusieurs fois aux portes de l'orphelinat.
- À quelques centaines de mètres de là, alors que nous tournions ces images, un centre d'accueil a été pillé et une dizaine de femmes tutsi massacrées à coups de machettes.
- Marc Vaiter : "J'ai trop peur de la nuit. Les gens parfois en profitent pour piller. Les premiers temps on a eu des gens avec des grenades et puis des machettes. Une fois c'était aussi grenades et mitraillettes. On en a eu quatre qui ont voulu s'en prendre aux enfants. J'ai été leur dire bonjour et puis je leur ai dit que j'étais Français et que j'étais là pour les enfants. Et donc on les a calmés".
- Avec l'arrivée de l'aube s'éloigne la peur des massacres. Alors parfois, lorsque les artilleurs du FPR accordent quelques heures de répit en cessant leurs bombardements, Marc en profite pour tenir son journal, la chronique du véritable cauchemar que vit Kigali depuis maintenant plus d'un mois. Marc Vaiter : "Je suis là en train d'écrire dans la peur ou avec la peur. Les coups de feu retentissent et on ne peut savoir ce qui peut s'ensuivre. J'ai mis les enfants dans un couloir avec des matelas contre le mur afin qu'ils puissent être mieux protégés au cas où. Mon problème c'est de cacher la nourriture, de faire croire que nous avons rien à manger et que c'est le soir que des gens nous apportent de quoi tenir. Et puis je n'ai plus rien acheté de peur que les gens s'imaginent que j'ai de l'argent. Nous avons si peu, 30 000 francs rwandais. Mais si je commence à acheter quoi que ce soit, les gens penseront, et en plus étant Blanc, que j'ai de l'argent et viendront nous attaquer. Qu'est-ce qu'on peut faire pour nous ? Nous évacuer. On est tellement menacés, tous les jours. On ne sait jamais si on va passer la nuit ou si on va pas nous forcer les portes. Et puis par rapport à ce qui s'est déjà passé, par rapport à tous ces massacres, on se dit : 'Un massacre de plus, ils s'en foutent'".
- À l'autre bout du centre-ville, le Père Blanchard vit lui aussi retranché dans sa paroisse. Lorsque les massacres ont commencé, le missionnaire a ouvert son église à plusieurs centaines de réfugiés terrorisés. Le lendemain, militaires et miliciens en ont forcé les portes. Tout ce qui ressemblait à un Tutsi a été massacré. Le Père Blanchard comptera 15 morts.
- Père Blanchard : "Ici les gens étaient réfugiés. Surtout dans la journée du jeudi [7 avril] au lendemain de l'attentat contre le Président. Et les gens sont venus se réfugier. Tout ethnie confondue d'ailleurs. Ils étaient ici, aussi bien Hutu que Tutsi. J'ai même dit au militaire qui était ici : 'Mais tu vas même tuer des parents de tes amis, de tes copains qui sont au combat ?'. Parce qu'il y en a qui étaient réfugiés aussi ici. Les gens sont venus se réfugier indistinctement. Pour eux l'église représentait un espoir, une sécurité. J'ai vu des gens tués tantôt par balle, tantôt par coups de couteau, tantôt par coups de gourdin. C'était insoutenable. Je me souviens aussi beaucoup des cris. Et je me souviens d'un enfant de 10 ans qui a été tué devant notre porte. Et qui appelait au secours et qui criait et nous étions impuissants parce que nous ne pouvions pas sortir sans mettre en danger les gens qui eux-mêmes étaient avec nous".
- 55 enfants et quelques femmes vivent barricadés dans la paroisse. Avec son collègue allemand, le Père Otto, le Père Blanchard les a sauvés jusqu'à présent d'une mort certaine. Comme pour l'orphelinat de Marc Vaiter, la Croix-Rouge parvient à maintenir tant bien que mal le contact avec le Père Blanchard. Quelques sacs de vivres par semaine permettent à la petite communauté de survivre.
- Père Blanchard : "Ici c'est notre chapelle qui est transformée en dortoirs pour les petits enfants. Ça fait un mois et demi que ces enfants n'ont pas pu mettre le nez dehors et voir le soleil pratiquement, sauf à travers les vitres. Moi je me pose la question constamment pour ces enfants : 'comment est-ce qu'ils vont sortir de cette épreuve ?'".
- À 70 dans une maison de trois pièces, Marc Vaiter doit parfois laisser sortir les enfants dans le jardin malgré les risques, le temps d'une courte récréation. Marc Vaiter : "C'est un petit bébé. Lorsque les gens couraient, le 8-9 mai, il y a une dame qui nous l'a presque jeté. Lors de cette fameuse nuit, nous avons reçu une vingtaine d'enfants à peu près. Et après on avait des enfants pratiquement tous les jours. Ils n'ont pas hésité à massacrer des enfants. Il y a des enfants à qui on a coupé les bras par exemple ou les jambes. Là c'était vraiment l'horreur pendant des jours et des jours. Il y a une dizaines de jours, on a été tuer 15 personnes qui étaient à l'école, des enseignants. Alors jusqu'où ? On se demande jusqu'à quand".
- Les Européens vivant au Rwanda ont été évacués aux premières heures des massacres. Lorsque les militaires français viennent chercher Marc, il réunit tous les orphelins autour de Claude, l'aîné des enfants. Marc veut les emmener avec lui, les mettre à l'abri. Mais la consigne des militaires est claire : pas question d'évacuer les enfants. Seul Marc bénéficie de la protection française. Marc Vaiter : "À un moment donné, j'ai failli partir. Il y a deux enfants qui ont pleuré. Et Claude a pris la parole, il a dit : 'S'il s'en va on est tous morts'. Et là quelque chose s'est passée, je pense que j'ai entendu sa profonde détresse. Et toute la confiance aussi qui reposait sur ma personne. Si j'étais parti ma vie aurait été complètement morte".
- Chez le Père Blanchard, le téléphone ne cesse de sonner. Quelques Tutsi encore vivants se terrent dans Kigali. Ils ne savent plus à qui demander protection. Terrible cas de conscience pour le Père Blanchard : comme pour Marc Vaiter pas question d'accueillir des adultes tutsi dans ses murs, sans risquer la vie des enfants. Il ne peut que les encourager à rester cachés en attendant que les massacres cessent. Père Blanchard : "Ce sont des gens qui se sont réfugiés dans une famille et qui estiment maintenant que la famille est en danger. Et qui veulent que cinq personnes réfugiées chez elles partent. Alors évidemment ces cinq personnes sont menacées. Elles demandent si on peut faire quelque chose pour elles. On agit seconde après seconde, minute après minute, parce que ce sont des situations tellement difficiles. Et on risque toujours de mettre en danger non seulement ces personnes qu'on voudrait aider mais aussi celles qu'on aide déjà. Les nombreux enfants et les quelques femmes que nous avons. C'est épuisant. C'est très dur de voir comment un pays peut aller vers l'autodestruction et se démolir complètement".
- Cours de français à l'orphelinat de Marc Vaiter. Il faut occuper un maximum les enfants à l'intérieur de la maison. Dehors la rue appartient aux miliciens hutu, les tueurs armés de machettes qui ont dressé des barrages tous les 200 mètres. Comme le Père Blanchard, Marc sait bien qu'un jour ou l'autre les tueurs reviendront. Marc Vaiter : "En étant resté, ça a permis une autre façon de voir la vie, dans cet instant où on va mourir. C'est vrai que quelque part, humainement, j'ai envie de vivre parce que j'ai envie de continuer de contribuer à aider ces enfants. Et de l'autre, il faut quand même se faire une raison. Je dis que personne n'est indispensable en fin de compte mais chacun fait ce qu'il peut et selon ses moyens, selon ses convictions aussi. Mais c'est vrai, quand on voit ces enfants, je crois que tu as envie de vivre pour essayer de continuer à leur apporter des choses".
- Père Blanchard : "Croire en Dieu, croire en l'homme. C'est peut-être croire en l'homme qui m'est le plus difficile quand je vois ce qui s'est passé. Mais je fais tout ce que je peux pour essayer de me souvenir des faits avec le plus de précisions possibles. Parce qu'il me semble qu'une catastrophe comme celle-ci, les massacres comme ceux-là, on n'a pas le droit de les oublier. C'est une terrible leçon où la peur, la suspicion, la méfiance peuvent nous conduire".
- Jean-Christophe Klotz, interviewé après la diffusion du reportage : "Marc a réussi à faire passer un message il y a quelques jours. Il y a un obus qui est tombé pas loin de la maison et des éclats ont blessé deux enfants. Marc ne sort pratiquement jamais. Il veut rester près de ces enfants et, pour des questions de sécurité, les enfants ne peuvent absolument pas sortir dans la rue. On peut se poser la question de savoir pourquoi ces enfants n'ont pas été évacués avec les autres. On sait qu'il y a une centaine d'orphelins qui ont été évacués. Il semblerait que ce soit un orphelinat qui dépendait de la famille présidentielle. Quand j'ai demandé à Marc pourquoi il n'avait pas pu partir, il a dit que quand il voulait partir avec les enfants, les militaires lui ont répondu que c'était pas possible, qu'il n'y avait pas de convois disponibles. Quant au Père Blanchard, il tient le coup avec son collègue allemand qui est là. Les Casques bleus sont envoyés pour protéger les populations civiles. Ils sont en ce moment 400. Ils essaient du mieux qu'ils peuvent et ils arrivent à faire déjà des miracles en attendant que les 5 000 autres arrivent. Le général canadien qui s'occupe d'eux est quelqu'un d'extrêmement volontaire, qui est fermement décidé à arrêter tout ça. Maintenant, la majorité des massacres ont déjà eu lieu. C'est déjà un peu tard, bien sûr. Mais il faut quand même y aller, il faut arrêter tout ça".