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7 mars 2024
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Alain Juppé : « Les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à une élimination systématique de la population tutsie »

Numéro : 24665
Date : 18 mai 1994
Auteur : Juppé, Alain
Titre : Réponse du ministre des Affaires étrangères à une question orale posée par Monsieur le Député Charles Millon [Sur la situation au Rwanda]
Source : Assemblée nationale (France)
Résumé : Face à l'offensive du Front patriotique rwandais, les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à une élimination systématique de la population tutsie, ce qui a provoqué ensuite la généralisation des massacres. La France a fermement dénoncé cette situation et a demandé qu'une enquête internationale soit diligentée pour établir les faits et punir les coupables. Elle a également souhaité qu'une force internationale vienne s'interposer au Rwanda et y assurer l'acheminement de l'aide humanitaire. Elle soutient enfin les efforts pour inciter les belligérants à cesser les hostilités et à renouer avec le processus d'Arusha.
Commentaire : Devant l'Assemblée nationale, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, condamne nettement le génocide en désignant les victimes, les Tutsi, et les auteurs, les troupes gouvernementales rwandaises. Cependant, il insinue que cette « élimination systématique de la population tutsie » a été entreprise « face à l'offensive du front patriotique rwandais ». Ceci est totalement faux. Les massacres systématiques de Tutsi ont commencé avant que le FPR n'engage le combat. Ceci est attesté par l'ordre d'opération Amaryllis du 8 avril 1994 et par la note de l'ambassadeur Marlaud du 25 avril 1994 qui reconnaît que les exactions « ont donné un fondement à l'intervention du FPR ». Juppé dit que la France a demandé une enquête à la Commission des droits de l'homme des Nations unies, « pour établir les faits et punir les coupables ». Le problème est que lorsque ce rapport sera publié le 28 juin 1994, la France n'en tiendra pas compte et ses militaires, munis pourtant d'un mandat de l'ONU, n'arrêteront pas les coupables. Juppé demande qu'« une force internationale vienne s'interposer au Rwanda ». Alors que le FPR combat les assassins, il voudrait envoyer des Casques bleus pour s'interposer entre le FPR et l'armée gouvernementale rwandaise, ce qui revient à protéger les assassins. La représentante des États-Unis au Conseil de sécurité a refusé cette mission d'interposition aux Casques bleus. Ceux-ci, selon Juppé, achemineraient l'aide humanitaire. Bref, au lieu de leur fixer comme mission de combattre les assassins, il leur demande de les protéger contre le FPR et de les nourrir, puisqu'à cette date il ne reste plus guère de Tutsi vivants et ils sont cachés. Il propose aussi de négocier un cessez-le-feu et de « renouer avec le processus d'Arusha ». Il juge donc normal que le FPR arrête son combat contre les assassins et que les organisateurs du génocide accèdent à la table des négociations. Son ambassadeur au Rwanda, Jean-Michel Marlaud, a piétiné ces accords d'Arusha en parrainant un gouvernement qui ne les respectait pas, tout en assistant à l'assassinat par les militaires et les milices des responsables politiques favorables à ces accords de paix. Alain Juppé se félicitera d'avoir été le premier à reconnaître le génocide. Mais l'ordre d'opération Amaryllis du 8 avril 1994 admettait implicitement le génocide des Tutsi. De plus cette reconnaissance du génocide des Tutsi par l'armée gouvernementale rwandaise est loin d'être claire. La priorité de Juppé est d'arrêter le FPR et non le génocide.
Citation: (Paris, 18 mai 1994) Assistance au Rwanda Destruction systématique d'un groupe ethnique, telle est la définition du génocide. C'est la raison pour laquelle, tout comme vous, Monsieur Millon, j'ai moi-même utilisé ce terme il y a quelques jours, puisque c'est bien de cela qu'il s'agit au Rwanda. Face à l'offensive du front patriotique rwandais, les troupes gouvernementales rwandaises se sont livrées à une élimination systématique de la population tutsie, ce qui a provoqué ensuite la généralisation des massacres. La France a dénoncé, avec la plus grande fermeté, cette situation. Mais nous ne nous sommes pas contentés d'une dénonciation, nous avons également demandé qu'une enquête internationale, conduite par la commission des droits de l'homme des Nations unies, soit diligentée dans les plus brefs délais, pour établir les faits et punir les coupables. Nous avons souhaité aussi qu'une force internationale vienne s'interposer au Rwanda et y assurer l'acheminement de l'aide humanitaire. Comme vous l'avez dit, Monsieur le président, tel n'a pas été le point de vue de toutes les grandes puissances, et nous avons eu beaucoup de difficultés à faire voter la résolution du Conseil de sécurité qui a finalement été adoptée, il y a quarante-huit heures. Elle prévoit l'envoi de 5.500 hommes au Rwanda pour favoriser l'acheminement de l'aide humanitaire et protéger ceux qui sont présents sur le terrain, au titre des organisations non gouvernementales. Il a fallu beaucoup d'énergie de la part de la diplomatie française pour faire adopter cette décision. Par ailleurs, nous soutenons les efforts des Etats de la région -- la Tanzanie, la Zaïre et l'Ouganda -- pour obtenir un cessez-le-feu. Nous préconisons la tenue d'un sommet des chefs d'Etat de la région afin qu'ils pèsent de tout leur poids sur les belligérants -- FPR d'un côté, Forces rwandaises de l'autre -- dans le but de les inciter à cesser les hostilités et à renouer avec le processus d'Arusha. Faut-il rappeler que ce processus avait été mis en place en 1993 grâce à l'action de la France et avait permis à l'époque la cessation des hostilités, avant qu'elles ne reprennent après l'attentat commis contre l'avion transportant les Présidents rwandais et burundais. Enfin je crois que l'on peut dire sans immodestie que nous avons été les plus présents sur le plan humanitaire : trois ponts aériens ont été mis en place, 300 tonnes d'équivalent-blé sont également prévues pour les populations du Rwanda. Nous avons, en quelques semaines, affecté un crédit de 20 millions de francs à l'action humanitaire. Aucune puissance n'a agi aussi vite que nous, et dans de telles proportions. Hier, le ministre de la Coopération, le ministre de la Santé et moi-même avons proposé au Premier ministre, qui les a évidemment acceptées, certaines mesures complémentaires. Il a été décidé d'envoyer une antenne chirurgicale du SAMU mondial au Burundi afin qu'elle se mette à la disposition des équipes qui sont sur le terrain. Il a également été décidé d'intervenir dans les camps de réfugiés de Tanzanie où des problèmes d'assainissement se posent avec une gravité exceptionnelle. L'urgence est extrême. Au reste, le ministre chargé de la Santé partira demain ou après-demain au Burundi et en Tanzanie pour accompagner les équipes que nous avons envoyées là-bas. Enfin, le ministère de la Coopération vient d'augmenter encore son aide en faveur des organisations non gouvernementales qui travaillent au Rwanda, en particulier du comité international de la Croix-Rouge. Voilà tout ce qui a été entrepris par la France. Je crois que l'on peut dire que, de toutes les puissances, de tous les membres permanents du Conseil de sécurité, la France a été le pays qui a été le plus aux avant-postes. Dans le drame qui nous bouleverse tous, on peut parler à bon droit, comme vous l'avez fait, Monsieur le Président Millon, d'une exception française./. copyright Ministère des Affaires étrangères

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