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Mise à jour :
2 août 2023 Anglais

Renaud Girard : « Des généraux français m'ont raconté que des bataillons entiers d'Ougandais traversaient la frontière et se battaient aux côtés du FPR. Or sur le terrain, je n'ai rien vu de tout cela »

Fiche Numéro 31187

Numéro
31187
Auteur
Ockrent, Christine
Date
18 mai 1994
Amj
19940518
Heure
23:00:00
Fuseau horaire
CEST
Surtitre
Journal de 23 heures [2/2]
Titre
Renaud Girard : « Des généraux français m'ont raconté que des bataillons entiers d'Ougandais traversaient la frontière et se battaient aux côtés du FPR. Or sur le terrain, je n'ai rien vu de tout cela »
Soustitre
Jean-Pierre Chrétien : "Il faut dire clairement que le Front patriotique rwandais et l'opposition intérieure représentent l'axe de la reconstruction du Rwanda".
Taille
38129 octets
Nb. pages
5
Source
Type
Transcription d'une émission de télévision
Langue
FR
Résumé
- Renaud Girard : "Il y a toujours l'odeur de charogne dans les villages, les corps qu'on ramasse. J'ai vu des bennes entières de camions de ramassage des ordures remplis de cadavres. Les jambes dépassaient par-dessus les bennes. Mais le plus terrible peut-être, c'est la peur. C'est quand vous ressentez la peur des gens. Et par exemple lors de ce deuxième séjour, j'ai pu voir les quelques centaines de Tutsi qui se cachaient dans les doubles plafonds, qui avaient à peu près 20 centimètres entre les deux plafonds et qui sont toujours là. Des gens qui ont vécu dans ces conditions pendant six semaines et qui ont tellement peur qu'ils ne veulent pas sortir. Je me souviens aussi de la peur d'un ami rwandais que je promenais dans ma jeep et nous sommes arrêtés à un barrage. Kigali est hérissé de barrages avec des miliciens avinés et surexcités. Ils s'en prennent à mon ami qui est pourtant hutu. Heureusement, un type à machette a reconnu mon ami. Je l'ai ramené chez lui. En repassant le même barrage, je vois qu'entre temps il y avait trois cadavres qui gisaient dans le caniveau. En une demi-heure ils avaient tué trois Tutsi. Et la population prenait ça avec une parfaite indifférence".
- Jean-Pierre Chrétien : "Les Rwandais sont une vieille nation, un vieux royaume qui remonte au XVIIème siècle. Il y avait dans cette société des catégories sociales ou claniques héréditaires, tutsi et hutu. Tous parlent la même langue, ont les mêmes traditions, la même culture. Mais dans l'ancienne royauté les Tutsi étaient plutôt privilégiés. À l'époque coloniale, les Tutsi ont été considérés comme une race supérieure. À l'indépendance, l'atmosphère était empoisonnée. Ce qui s'est passé avant même l'indépendance, sous les Belges, c'est une révolution hutu qui a chassé la monarchie tutsi, qui a mis en place une République hutu. Mais qui au lieu d'abolir ces vieux clivages qui pouvaient être abolis facilement, les a maintenus dans les papiers d'identité, dans des quotas, dans les recrutements aux fonctions publiques ou dans les écoles. Si bien que la référence hutu est devenue comme la carte d'identité d'accès, cette fois-ci, aux privilèges de la République hutu. Et cela a été entretenu pendant 30 ans. Avant l'attentat du 6 avril dernier, il y a eu plusieurs années où d'une part l'espoir monte avec le développement d'une opposition où on trouve ensemble des Hutu et des Tutsi. Avec, d'autre part c'est vrai, la revendication de retour dans leur pays des descendants des fils de la deuxième génération des réfugiés tutsi en exil, c'est le Front patriotique rwandais. Au fond, c'est cette ouverture démocratique, c'est ce changement, c'est ce rapprochement entre Hutu et Tutsi qui était considéré comme particulièrement dangereux pour la faction présidentielle proche de l'ancien Président Habyarimana qui jouait de cette solidarité ethnique. Et qui en a joué de plus en plus depuis trois ans. Ce ne sont pas des ethnies, ces gens parlent la même langue, etc. C'est plutôt un thème racial qui est mis en avant".
- Renaud Girard : "La France a eu 600 coopérants militaires entre 1989 et 1993. Elle les a réduit à 40 à la faveur des accords de réconciliation nationale du 4 août dernier. Mais la France était derrière le gouvernement et la France, grâce à ses experts militaires et ses fournitures de munitions, a empêché le Front patriotique rwandais de s'emparer de Kigali en novembre 1990. Paul Kagame, le chef du FPR m'a même affirmé que des soldats français avaient participé à des opérations de nettoyage, de discrimination ethnique aux côtés des Forces armées rwandaises. Le discours français, quel est-il ? Il est de dire qu'il y a une sorte de syndrome Fachoda de la présence militaire française au Rwanda. Et c'est de dire : 'Nous avons défendu ce gouvernement qui vient d'être responsable de ce génocide, nous l'avons défendu car il était attaqué de l'extérieur de l'Ouganda'. Et les chefs de la plupart des officiers du FPR parlent effectivement anglais et pas français parce que c'est une armée du retour. Et ce sont des gens qui ont été chassés, dans les années 60, dans ce pays ougandais anglophone. Alors les Français se sont dits : 'Le FPR est le pion des Anglo-Saxons en Afrique et nous devons les considérer donc comme des ennemis'. Et ça leur a fait faire des erreurs. Ils ont soutenu mordicus le régime corrompu et ethnique du Président défunt. D'autre part, ils ont été jusqu'à essayer d'intoxiquer les journalistes. Il y a des généraux, j'espère qu'ils ne le faisaient pas consciemment, qui m'ont raconté que des bataillons entiers d'Ougandais traversaient la frontière et se battaient aux côtés du FPR. Or j'ai parcouru toute cette frontière librement en Ouganda et je n'ai pas vu un seul camion, une seule section, une seule compagnie d'Ougandais. Sur le terrain, je n'ai pas vu non plus de matériel lourd ougandais dont m'avaient parlé les officiers français. Bernard Kouchner et le général Dallaire avaient envisagé d'ouvrir un corridor humanitaire. Tout était prêt, le gouvernement du Rwanda avait donné son accord pour ce corridor qui devait commencer par évacuer des orphelins. À la dernière minute, les chefs de milices excités s'y sont opposés. Si le général Dallaire avait eu 5 000 hommes et une brigade mécanisée sous ses ordres, il nous a dit qu'il aurait forcé les barrages. Et il n'aurait pas eu besoin du chapitre VII de la Charte des Nations unies. Il aurait forcé les barrages car il y avait assistance à personnes en danger et légitime défense".
Jean-Pierre Chrétien : "Je crois qu'il y a nécessité de clarté dans le langage politique. Dans le triangle Front patriotique rwandais, opposition intérieure où on trouvait des Hutu et des Tutsi (on trouve aussi des Hutu au front patriotique rwandais d'ailleurs) et faction présidentielle, le problème est de dire clairement que les accords d'Arusha, qui ouvraient la perspective de réconciliation et de démocratisation impliquant le Front patriotique rwandais et cette opposition, même si cette opposition a été décapitée en partie par les massacres, représentent l'axe de la reconstruction du Rwanda et non pas le pseudo gouvernement actuel".